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Pourquoi lire Dante aujourd’hui ?

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Depuis 2015 circule un texte de Claudio Giunta, un enseignant et chercheur italien sobrement intitulé “Perché uno dovrebbe leggere Dante ?” [Pourquoi devrait-on lire Dante?],  un texte qui est de facto un manifeste.

Son point de départ tient en une question: pourquoi sept siècles après sa mort, l’œuvre de Dante, et en particulier La Divine Comédie, est encore lue, enseignée, commentée et  discutée?

Comment peut-on s’intéresser, dit-il en substance, à ce long —très très long— poème écrit dans un contexte politique, économique, social, religieux, radicalement différent du nôtre. Pire ajoute-t-il : «Non seulement La Comédie parle de choses qui sont très éloignées de notre expérience, (…) mais en plus elle en parle d’une manière terriblement compliquée. La Comédie est peut-être la seule grande œuvre littéraire occidentale qui ne peut pas être lue sans commentaire et sans avoir à côté de soi une bonne encyclopédie.» Car Dante suggère toujours mais n’explique jamais, laissant son lecteur du XXIe siècle devant une série d’énigmes; qui sont Bonturo, la Pia, etc. ? Quelle ville abrite San Zita?

Autre obstacle: le fait que La Comédie soit écrite en vers, selon les codes rigides du XIIIe et du début XIVe siècles. «Il y avait des règles précises sur la manière de composer une poésie, un drame, un poème, et sur ce qu’une poésie, un drame, un poème pourraient dire.» On est loin de la liberté formelle contemporaine.

Et pourtant! Il suffit de se laisser porter par le texte. Il n’est nul besoin d’être un croyant pour lire la Comédie: «Personne ne vous demande de croire en ce que Dante croyait, dit le poète T.S. Eliot, car votre croyance ne vous apportera pas un sou de plus de compréhension et d’appréciation; mais ce qui vous est demandé, de plus en plus, c’est de comprendre cette croyance. Si vous êtes capable de lire de la poésie en tant que poésie, vous “croirez” à la théologie de Dante exactement comme vous croyez à la réalité de son parcours.»

Claudio Giuta retourne ainsi tous les arguments qui voudraient faire de La Divine Comédie un objet littéraire du passé. Les personnages ? Ils sont aussi éloignés de nous en fait que ne le sont Mme Bovary ou le Leopold Bloom de Joyce. Son éloignement temporel ? Il met Dante à l’abri de toute accusation de kitsch: «Qui pourrait aujourd’hui, sérieusement,  raconter comment, grâce à l’intercession de saint Bernard et de la vierge Marie, il parvient à voir Dieu»?

Demeure un redoutable obstacle: de nombreux passages de la Comédie sont incompréhensibles en raison «des allusions à des livres que nous ne connaissons pas ou par des circonstances historiques oubliées». Il n’est pas rare que dans certains passages Dante mêle des références à l’histoire grecque, romaine, à la Bible, à des événements contemporains, à des concepts qui nous sont étrangers. C’est un défi, au lecteur de le relever.

«Si nous lisons la Comédie avec l’attention qu’elle exige, dit Claudio Giuta, nous obtiendrons au final non seulement l’émotion et le plaisir que donnent un tel récit, un récit qui nous parle de plusieurs manières inattendues: la disparition, le sens de la faute, le voyage avec ses scénarios prodigieux, le repentir, le bonheur à atteindre… S’obtiendront aussi l’émotion et le plaisir que donne le savoir: ce sont deux mille ans d’histoires et de livres filtrés par Dante – l’histoire qu’il connaissait, les livres qu’il avait lu, et son interprétation de tout cela.»

En cela souligne-t-il la Comédie est fondamentalement différente d’une encyclopédie. L’histoire que raconte Dante est partiale —souvent partisane— les jugements sur les personnes et les événements arbitraires, mais ce qui est passionnant est «ce récit se confronte à notre propre partialité et à notre manière de voir.»

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