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«Chi si ferma è perduto», la phrase perdue de Dante

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Capture d'écran du site d'Il Fatto Quotidiano

«Chi si ferma è perduto». La phrase est célèbre en Italie. Elle est devenue un de ces aphorismes creux utilisés aussi bien dans la publicité, qu’en communication, ou encore en politique. Elle peut se traduire, selon le contexte par « qui s’arrête est perdu », ou « qui hésite est perdu ». Elle ne mériterait aucune attention (du moins sur ce site) si elle n’était pas attribuée à Dante et n’était censée être extraite de La Divine Comédie. Il n’en est rien. 

Selfie de Matteo Salvini le 27 mai 2018 publié sur Twitter, avec en commentaire « Celui qui s’arrête perd, je n’abandonne pas avant la fin”

Tout est parti de Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien, qui a utilisé la phrase «Chi si ferma è perduto»… à plusieurs occasions, notamment sur Twitter en mai 2018, où il fait un selfie devant un avion d’Alitalia avec la phrase en accroche [ci-contre]. Plus récemment, il la prononça encore lorsque les prévisions économiques du gouvernement jugées trop optimistes, furent rejetées par une commission parlementaire (l’Ufficio parlamentare di Bilancio).

L’histoire pourrait en rester à cette phrase qui se veut volontariste, répétée en boucle. Mais le 9 octobre, lors d’une émission de télévision1, une responsable politique du Pd 2 Alessandra Moretti, à qui l’on montrait une vidéo où M. Salvini prononçait la fameuse petite phrase, n’hésita pas à affirmer «È un frase bellissima», faisant tousser plus d’un en Italie [voir le site d’Il Fatto Quotidiano].

Car la phrase « bellissima » appartient à la vulgate fasciste des années mussoliniennes. Elle fait partie de ces phrases où Mussolini était censé synthétiser sa pensée, à côté d’autres aphorismes tout autant percutants comme «plus d’ennemis, plus d’honneur», ou «mieux vaut mourir debout, que vivre à genoux», etc. Il la prononça notamment à Gênes, le 18 mai 1938, dans un discours où il défendait sa politique économique basée sur l’autarcie dans… l’un des plus grands ports de commerce de l’Italie [voir ici].

Fausses pistes et recherches infructueuses

Que vient faire Dante dans cette histoire? Tout simplement dans le fait que cette phrase est censée être tirée de la Divine Comédie.  “Censé” car la phrase en question n’existe pas. En effet, piqué par la curiosité, j’ai fait une recherche sur ce site —ladivinecomédie.com— où est publié l’intégralité du texte original de La Divine Comédie et sur Google. Toutes deux furent infructueuses. Dante, Divina Commedia et «chi si ferma è perduto» ne « matchent » pas…

En revanche, plusieurs résultats indiquaient que la phrase était incomplète et qu’il fallait lire «Chi si ferma è perduto, mille anni ogni perduto». Mais, la phrase même ainsi complétée n’existe pas plus dans la Comédie. Qui plus est, il serait surprenant que Dante ait un jour écrit un vers aussi bancal. Fausse piste donc, même si sur Twitter, @RickyPoffo avance que la phrase est tirée de l‘Inferno di Topolino, une bande dessinée publiée en 1949 et 1950. L’Enfer y était adapté pour un public enfantin et Dante dessiné en Mickey.

Parmi les pistes suggérées par la recherche Google revenait un film des années 1960, Chi si ferma è perduto, où le célèbre acteur comique italien Totò jouait l’un des rôles principaux. L’une de ses répliques était: «Non mi fermo né al primo e né al secondo ostacolo perché, come dice quell’antico detto della provincia di Chiavari, chi si ferma è perduto!» [“Je ne m’arrête par au premier ni au second obstacle, car comme le disait cet ancien de la province de Chiavari, qui s’arrête est perdu!” – voir ici l’extrait du film].

Il est certes question de la province de Chiavari dans La Divine Comédie, mais c’est au chant XIX du Purgatoire [v. 100-102], où le pape Adrien V donne son nom sous la forme d’une énigme: «Intra Sïestri e Chiaveri s’adima / una fiumana bella, e del suo nome / lo titol del mio sangue fa sua cima.» [Entre Sestri et Chiavari / s’abaisse un beau fleuve, et de son nom / ma famille fera l’origine de son titre.] L’énigme est transparente, le fleuve s’appelle Lavagna et Adrien V est un descendant des contes de Lavagna, mais là encore concernant la piste dantesque nous sommes dans une impasse.

Une autre idée a été avancée, toujours sur Twitter, par @JBarba52 . La phrase «Chi si ferma…» dériverait selon lui du Chant XV de l’Enfer [v. 37-39], où Brunetto Latini, soumis à une pluie de feu, ne peut s’arrêter pour parler avec Dante, car: «Qual di questa greggia / s’arresta punto, giace poi cent’ anni / sanz’ arrostarsi quando ’l foco il feggia.» [“qui de cette troupe / s’arrête un instant, gît ensuite pour cent ans / sans pouvoir se protéger du feu qui le frappe”].

Si au niveau du texte, on peut trouver quelques correspondances lointaines entre la phrase de Dante et «Chi si ferma…» au niveau du sens nous sommes à des années lumières: Brunetto Latini ne PEUT pas s’arrêter, car la menace est trop grande pour lui. Cette notion de contrainte n’existe évidemment pas dans les propos de Matteo Salvini, non plus qu’elle n’existait dans ceux de Mussolini. 

Bien sûr, ce ne serait pas la première fois qu’une citation serait déformée et son sens inversée, mais renvoyer à l’auteur originel est abusif. C’est le cas ici pour Dante. 

 

 

 

 

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