Le dimanche 17 novembre 2019, la Camera delle Lacrime avait posé ses valises sur la scène du Théâtre Antoine Vitez à Ivry, dans la banlieue parisienne. Au programme, Les Cercles de l’Enfer, premier volet d’un cycle Dante Troubadour, dont l’aboutissement sera les Sphères du Paradis.
Un dispositif scénique simple: au centre d’une scène plongée dans une sombre pénombre qu’éclairent parcimonieusement quelques ampoules électriques, un chanteur; à ses côtés un récitant; en arrière, en arc de cercle, trois musiciens; derrière encore, un chœur.
«8 avril de l’an 1300, l’ante-enfer, le vestibule de l’Enfer…» Denis Lavant emmène les spectateurs. Il est Dante ou Virgile par la seule magie d’un chapeau cabossé, posé ou rejeté. Il est aussi ce fil d’Ariane qui évite à tous de se perdre dans le labyrinthe de cet Enfer un peu particulier. C’est une visite en accéléré qui est proposée par la Camera delle Lacrime. En effet, donner le texte du cantique en son entier exigerait plusieurs heures. Ce serait alors un autre spectacle.
L’audace tient dans la création musicale
Pour autant, les familiers de l’œuvre de Dante ne sauraient être dépaysés. Ils retrouvent la poésie du Sommo poeta et croisent le comte Ugolin ou Bertrand de Born, dont on ne saurait dire «s’il existe un tourment plus cruel» que celui qu’il subit. Ils évitent cerbère «bête étrange et cruelle, aboyant comme un chien de son triple gosier» ou Minos «à l’horrible grimace», mais aussi le Styx, ce bourbier où «plonge des hommes nus recouverts par la fange et bouillant de courroux», ou encore ce «lieu dit Malefosse composé de rochers de la couleur du fer».
Mais l’audace est ailleurs. Elle tient dans la musique et dans le chant, justes contrepoints à la voix de Denis Lavant. Audace, car dans l’Enfer, il n’existe ni chant ni musique. C’est le lieu de la cacophonie, de ce «tumulte, qui toujours / tournoyait dans cet air éternellement obscur, / comme le sable quand souffle un tourbillon» ou encore de ces «nombreux soupirs» qui font «frissonner une brise éternelle».
C’est donc une création musicale reposant sur le texte de l’Enfer, qui est proposée pour ce spectacle. «Nous utilisons la matière dantesque comme une partition dont il manquerait la notation musicale», expliquent Bruno Bonhoure et Khaï-dong Luong, les deux fondateurs de la Camera delle Lacrime, dans le livret qui accompagne l’enregistrement du spectacle.
Rien de statique, d’ennuyeux ou de forcé dans ce spectacle virevoltant, où la viole de gambe répond au tambourin, où le toscan “illustre” chanté par Bruno Bonhoure et par le chœur des enfants et des adultes du Conservatoire d’Ivry reprend la voix de Denis Lavant tour à tour murmure doucereux, féroce imprécation, lente déclamation…
Bref, on a hâte de voir le Purgatoire deuxième volet du cycle Dante Troubadour. Il devrait être monté l’année prochaine à Ivry.
- Le site de La Camera delle Lacrime
- Illustration: La Camera delle Lacrime et le chœur du Conservatoire d’Ivry — Théâtre Antoine Vitez, Ivry-sur-Seine, le 17 novembre 2019 — photo Marc Mentré.