Cronaca, Spectacles
Le Purgatoire des poètes présenté le 11 décembre 2024 à l’Institut Culturel Italien de Paris est un spectacle original et spectaculaire. Il réunissait autour de Marco Martinelli et d’Ermanna Montanari, cofondateurs du Teatro delle Albe une trentaine d’actrices et d’acteurs amateurs qui ont fait vivre le temps d’une soirée la poésie de Dante Alighieri.
Les acteurs ayant participé à l’«action chorale», Le Purgatoire des poètes, à l’Institut Culturel Italien de Paris, le 11 décembre 2024. Photo: Marc Mentré
Marco Martinelli a déjà planté la tente de son Teatro delle Albe sous toutes les latitudes et sous tous les continents, en Europe, aux États–Unis, à New York et Philadelphie, en Amérique latine, à Buenos Aires, en Afrique au cœur de Kibera un bidonville de Nairobi, la capitale du Kenya…
Ce 11 décembre 2024, c’est sous les ors du grand salon de l’Hôtel de Galliffet, qui abrite l’Institut Culturel Italien de Paris, qu’il s’est installé avec Ermanna Montanari, avec qui il a cofondé le Teatro delle Albe. Ils ont recruté une troupe d’une trentaine d’acteurs et d’actrices amateur(e)s avec lesquels ils ont préparé l’azione corale de ce soir, un spectacle qui accorde une grande part à l’improvisation.
Nous sommes tous cet «everyman»
Purgatorio dei poeti ne ressemble en rien à un spectacle théâtral classique et d’abord par la disposition du lieu: une large estrade barre le fond de la salle et fait office de scène improvisée, tandis que les chaises des spectateurs sont disposées en un ovale qui libère un large espace où peuvent circuler librement les acteurs.
Pour reprendre le titre d’un livre qu’a écrit Marco Martinelli, c’est au nom de Dante que se déroule cette soirée en quatre actes.
Le premier acte nous amène au début du Chant I, dans cette selva oscura où Dante est perdu. Mais dit Marco Martinelli, ce n’est pas le seul Dante qui est égaré, c’est en fait chacun de nous qui l’est; égaré non pas seulement dans une forêt sombre mais perdu dans sa vie. Il est —nous sommes— cet “everyman” dont parlait Ezra Pound.
Pour mieux faire résonner les douze premiers vers de ce premier Chant, Marco Martinelli ressuscite le théâtre grec de Sophocle ou d’Eschyle avec son chœur —«qui est le peuple grec», dit-il— et son coryphée qui le dirige: il lance un vers, et le chœur le répète. La voix de Dante commence alors à revivre.
Mais cela ne suffit pas. Comme cela se faisait autrefois dans les cafés des petites villes des Apennins, où beaucoup «connaissaient par cœur des passages entiers de la Comédie et les récitaient», mais le faisaient, comme lorsque l’on s’est tant approprié en texte ou un poème, en ajoutant un mot, un expression, une phrase… lui aussi va ajouter, un mot, une expression, une phrase, passer du toscan au français, mais aussi inventer une gestuelle. Et comme dans le théâtre grec, les trente acteurs du chœur vont répéter les vers, les phrases, les gestes que leur jette Marco Martinelli dans ce qui devient une chorégraphie magique où le verbe se mêle au geste.
Le chant du souvenir de La Pia
Au cinquième Chant du Purgatoire, Dante rencontre l’âme d’une femme qui lui demande de se souvenir d’elle lorsqu’il sera retourné «dans le monde» des vivants». Les sept vers secs qui ferment ce chant sont parmi les plus poignants et les plus célèbres de la Divine Comédie. L’histoire de la Pia, que «Sienne fit et que Maremme défit», est sans doute celle d’un féminicide, mais il résume aussi sans doute aucun les violences faites aux femmes.
C’est de ces violences dont il sera question au deuxième acte. Il a été préparé lors d’un atelier «réservé aux femmes». Il s’agissait pour chacune d’elles de se souvenir d’une phrase, d’une apostrophe dont elles avaient été victimes. Marco Martinelli et Ermanna Montanari à partir de ce matériau brut ont organisé une scénographie
Tout commence donc à partir de ces vers que doucement, presque tendrement, Pia adresse au Dante pèlerin : «quando tu sarai tornato al mondo / e riposato de la lunga via». Mais cette douceur ne dure pas. Les mots durs tombent dru. Les poings se lèvent, les échines se courbent, les injures, les attaques sur le physique —«trop grosse», «trop maigre»— s’enchaînent dans un chœur à la fois grave et douloureux mais libérateur. «Ricorditi di me, che son la Pia». Toutes ce soir-là étaient la Pia, toutes étaient son souvenir.
Le troisième acte fait revenir le spectateur au début de la Divine Comédie, à son deuxième Chant, celui où Dante, ne se sent pas légitime pour poursuivre son chemin dans l’au-delà, car il est dit-il ni Énée, ni saint Paul. Il le fera pourtant car c’est grâce à une chaîne d’amour —Marie, Lucie, Béatrice— que Virgile est venu à son secours. Et cet amour réconforte et porte.
Un spectacle à venir avec 1000 acteurs
Ces doutes, ces hésitations et leur résolution, c’est le chœur des hommes qui va nous le raconter, un chœur où chacun prendra à son tour le rôle du coryphée dans un brassage de corps et de mots qui retrouve la force, la tension et la douceur du premier acte.
«C’est le chant le plus difficile», dit Ermanna Montanari avant de monter sur scène pour lire à voix nue le trente troisième et dernier chant du Paradis, celui qui clôt la Divine Comédie, et qui clôt aussi le spectacle. Mais pour difficile qu’en soit la lecture, il est aussi le plus beau, celui où la foi est la plus pure, celui où la lumière est la plus éblouissante, celui où les mots manquent à Dante pour décrire ce qui relève de l’indicible et de l’ineffable. Puis la page étant refermée et les lumières du spectacle éteintes, il ne reste que «l’amor che move il sole e l’altre stelle»
Cette action chorale n’est pas destinée à rester un spectacle orphelin. On peut même la considérer comme un laboratoire, car l’année prochaine il sera question d’un spectacle mobilisant 1000 acteurs amateurs. Mais de cela nous reparlerons.
Cronaca, Spectacles
DANTE – From Inferno to Paradise est un très beau et très personnel opéra composé et écrit par Patrick Cassidy, un amoureux du poète florentin auquel il a emprunté les vers pour en écrire le livret. Cette œuvre a été créée à Hof, en Allemagne en juin 2024, dans une mise en scène contemporaine.
Dante (Minseok Kim) chante l’exil auquel il est destiné. Photo: Harold Dietz
Par un tweet sur X (ex Twitter) le 28 juin j’ai appris l’existence de DANTE – From Inferno to Paradise, l’opéra de Patrick Cassidy. Par le même tweet, j’ai su que le Théâtre de Hof accueillait cette création. Quelques jours plus tard, j’étais dans les rues de cette petite ville de Bavière, voisine de la prestigieuse Bayreuth. Un voyage en terre d’opéra donc.
«Dante devait apparaître habillé en soldat dans la scène d’ouverture», explique Patrick Cassidy. Nous sommes loin du costume des feditori, ces jeunes cavaliers jettés au cœur des féroces batailles d’Italie au XIIIe siècle. C’est un Dante (Minseok Kim), austère, tout de noir vêtu qui apparaît au premier acte. La scène elle-même est sombre et les choristes vêtus d’un ample vêtement noir.
Vide Cor Meum ouvre l’opéra
Béatrice est là. Sa longue robe rouge aux reflets moirés tranche. Impossible de ne pas reconnaître le thème musical, que Patrick Cassidy avait déjà esquissé en 2001 pour le film Hannibal. Les notes, le rythme et la mélodie de Vide Cor Meum se déploient dans toute leur majestueuse harmonie dans la salle du TheaterHof.
Patrick Cassidy fait en effet débuter la narration de DANTE – From Inferno to Paradise par le rêve raconté dans la Vita Nuova: Amour —Seigneur à l’apparence effrayante («di pauroso aspetto»)— tient Béatrice, seulement enveloppée d’un drap rouge, tandis qu’il brandit un cœur enflammé en disant à Dante «Vide cor Tuum» (Voici ton cœur). Cette scène devait inspirer au poète le célèbre sonnet A ciascun’alma presa e gentil core («À toutes âmes éprises et nobles cœurs») et donc inspirer aussi quelques siècles plus tard un compositeur irlandais du comté de Mayo, Patrick Cassidy.
Le chant du désespoir de Dante
La scène suivante noue le —les— drames, qui poursuivront Dante toute sa vie. Béatrice meurt et sa chère Florence est occupée par des troupes brandissant le lys français. Au noir de la scène répond le noir de la musique. Le chant de Dante est celui du désespoir: «Il m’a semblé que le soleil s’était éteint et qu’une étoile était apparue»; celui de Béatrice de l’apaisement dans la mort: «Je suis en paix, Hosanna in excelsis!»
Dante prend le chemin de l’exil, obéissant à l’ordre impérieux que lui adresse le chœur: «Tu dois quitter Florence!» Une certaine Matelda le lui avait déjà annoncé: «Tu découvriras, le goût amer du pain étranger». Elle endosse ainsi dans la pièce le rôle prophétique du Cacciaguida de la Divine Comédie.
Matelda dans l’opus complet a une présence autrement importante en particulier dans les scènes du Paradis. Mais Patrick Cassidy a dû retrancher —un crève-cœur— près de 40 minutes, car le théâtre de Hof voulait une pièce sans entracte, et de ce fait la durée ne devait pas dépasser une heure trente. Il a dû consentir également, alors que le livret de l’opéra est dans la langue de Dante, à un narratif en allemand sorte de guide de l’œuvre pour les spectateurs de Hof. Un ajout inutile pour qui connaît un tant soit peu l’œuvre de Dante, tant Patrick Cassidy en respecte la trame et en épouse les contours.
Un choix guidé par la tessiture des voix
C’est, coiffée d’un casque de cheveux blancs brillants et appuyée sur une canne, “une” Virgile (Stefanie Rhaue) qui guide Dante dans les cercles de l’Enfer. Trouvaille étonnante de confier le rôle de Virgile à une femme. Un choix guidé par la tessiture des voix et qui se révèle une remarquable réussite tant celle de la mezzo soprano Stefanie Rhaue dialogue parfaitement avec celle du ténor Minesok Kim.
Leurs chants vont ainsi se répondre lorsqu’ils croisent le chemin de Caron, le passeur de l’Achéron, de Paolo et Francesca, les deux amants unis pour l’éternité dans la tourmente infernale, quand ils s’approchent de Dis, et rencontrent les trois furies aux cheveux de serpents qui gardent les remparts de la Cité. La pureté de leurs chants éclairent alors la noirceur de l’Enfer
La musique, les chants de Dante et celui en contrepoint de Virgile, ceux d’Yvonne Prentki, qui endosse plusieurs rôles —Matelda, Francesca…—, la place essentielle du chœur donnent à l’opéra de Patrick Cassidy, dont la musique semble parfois nourrie de ses origines gaéliques une force et une profondeur singulière, qui ne serait pas sans rappeler par moment celle des grandes cérémonies liturgiques par leur ampleur mélodique.
Une mise en scène d’une beauté sombre
Patrick Cassidy: «Peut-être que Dieu est cela: la beauté. Qui sait?». Photo: Harold Dietz
Mais cette cérémonie liturgique —si tant est qu’elle en soit une— est aussi une comédie, retrouvant ainsi les racines de l’œuvre de Dante. C’est le cas, par exemple, lorsque l’on voit Nicolas III (Michal Rudziński), pape ridicule, traîner lui-même sur la scène son cercueil. «Je ne suis pas croyant comme l’était Dante, dit Patrick Cassidy. Les réponses étaient alors en “noir” ou “blanc”. Mais l’une des choses les plus fortes à propos de la croyance est qu’elle conduit à l’art et à la beauté. Et peut-être que Dieu est cela: juste la beauté, Qui sait?»
L’esthétique de la mise en scène —moderne— de Reinhardt Friese est délibérément sombre. Noirs sont les costumes des chanteurs et des chanteuses, à l’exception de quelques détails comme la chemise blanche de Virgile ou la robe rouge de Béatrice; noirs sont les vêtements des choristes, parfois éclairés d’un masque blanc; noirs sont les tenues des danseurs et des danseuses; noirs sont les décors qui s’ouvrent, en fond de scène, sur une large fenêtre lumineuse où s’affichent d’abord des visages grotesques et effrayants, des regards, des scènes sanglantes et qui au fur et à mesure que Dante progressera vers le Purgatoire, puis le Paradis s’éclairera.
Cette mise en scène proche de la science-fiction ou du fantastique, n’est pas pour déplaire à Patrick Cassidy, car, «oui dit-il, il s’agit de science-fiction, par exemple quand le comte Ugolino dévore le crâne». Cette scène, aux chants poignants, car s’y raconte l’histoire de la mort d’Ugolino et de ses enfants, est particulièrement réaliste. On y voit Ugolino brandir devant lui la tête ensanglantée de l’archevêque Ruggieri, dans un geste qui rappellera aux familiers de l’œuvre de Gustave Doré, celui de Bertrand de Born brandissant sa propre tête, dans un autre cercle de l’Enfer.
La joie de voir un rêve se concrétiser
Dante traverse donc l’Enfer jusqu’à cette scène dramatique de toute beauté, portée par le chœur, «Nous montons, lui le premier, moi le suivant, jusqu’à ce que je vois par un perthuis les belles choses du Ciel», qui voit Dante rencontrer Lucifer, le seigneur de l’Enfer aux trois visages, et quitter cet univers de bruit et de chaînes —symbole de la justice divine?— qui entravent et lient tous les damnés.
Au Purgatoire, le décor s’éclaire progressivement au fur et à mesure que les “P”, ces «blessures», symboles des péchés, que l’ange a gravées sur le front de Dante s’effacent, après qu’il ait passé les «ombres (des orgueilleux) qui portent de lourds fardeaux», puis celles des envieux, puis… puis il rêve d’une sirène qui est chassée par Béatrice.
Virgile s’efface. Nous sommes au Paradis. Dante et Virgile sont de nouveau réunis et montent vers les étoiles, le chœur entonnant «Et de ce cœur brûlant elle se nourrissait, craintif et humble» et Dante «Voici mon cœur»… l’opéra s’achève ainsi sur des notes apaisées reprenant le thème de Vide Cor Meum.
L’espoir de revoir cet opéra en Italie ou en France
L’histoire de cet opéra est à la fois une grande joie pour Patrick Cassidy car il a vu après dix ans de travail, son rêve se concrétiser au TheaterHof en ces mois de juin-juillet 2024, avec une production de qualité, tant par les chanteurs, les choristes, les danseurs et l’orchestre.
Mais, c’est aussi pour lui une grande douleur. En effet, Dante – From Inferno to Paradise, devait initialement être joué à Vérone (dans sa version longue), dans le cadre des festivités du 700e anniversaire de la mort de Dante en… 2021. Il fut malheureusement décommandé en raison de l’épidémie de Covid. Comble de malheur, Martha De Laurentiis (qui avait produit Hannibal avec son mari Dino de Laurentiis) la productrice du spectacle, devait s’éteindre en décembre 2021 compromettant un peu plus la création.
Pour l’instant, cet opéra a connu seulement une quinzaine de représentations dans le seul TheaterHof. Il serait plus que dommage que l’aventure s’arrête là. Certes il n’est pas produit ou n’a pas été commandé par une institution comme l’Opéra de Paris, comme c’est le cas pour The Dante Project, le ballet de Wayne McGregor (partition de Thomas Adès), ou Il Viaggio Dante de Pascal Dusapin, ce qui rend plus difficile sa diffusion. Mais Patrick Cassidy souhaite qu’il soit de nouveau monté —dans sa version longue— en Italie et pourquoi pas en France, et travaille dans ce sens.
En France, d’ailleurs, nous aurons peut-être bientôt la chance d’entendre The Mass, l’une des grandes œuvres de Patrick Cassidy dont nous ne connaissons ici que la version discographique interprétée par le London Symphonic Orchestra.
Le salut à la fin de la représentation par les interprètes de DANTE – From Inferno to Paradise. Photo: Marc Mentré
DANTE – From Inferno to Paradise
- Composition et livret de Patrick Cassidy, avec, dans la version donnée au TheaterHof, la participation de Lothar Krause pour le livret.
- Textes de Dante Alighieri tirés de Vita Nuova et de Divina Commedia
- Mise en scène de Reinhardt Friese
Distribution
- Dante, Minseok Kim
- Béatrice, Inga Lisa Lehr
- Virgile, Stefanie Rhaue
- Matelda/Francesca/Sirène, Yvonne Prentki
- Charon/Nicolas III, Michal Rudziński
- Orchestre, Choeur et corps de ballet du TheaterHof
(Cet Opéra a été joué du 15 juin au 12 juillet)
- Le site de Patrick Cassidy, très complet permet de retracer le parcours de ce compositeur irlandais et de découvrir ses principales compositions.
Cronaca, Spectacles
Il ne restait quasiment plus une place de libre dans la vaste salle du Teatro Olimpico de Rome ce 14 mai 2024 pour assister au spectacle de la compagnie No Gravity: Divina Commedia, Dall’Inferno al Paradiso. Dans ce ballet inspiré de la Divine Comédie, les danseuses et les danseurs, libérés des chaînes de la pesanteur, semblent flotter dans l’espace.
La scène de l’échelle dans le spectacle de danse, Divina Commedia, Dall’Inferno al Paradiso, défie les lois de la gravité. Photo: No Gravity
Dans un noir d’encre, deux hommes tiennent chacun l’extrémité d’une barre. Rien ne semble les porter, ils sont comme en apesanteur. Sur cette barre, un danseur est en équilibre. Un —faux— faux pas et il tombe dans ce qui paraît le vide. Il se rattrape d’une main, remonte sur la barre. Le voilà rejoint par deux danseuses sorties du néant. Elles aussi tombent, remontent et retombent encore. Voilà que ceux qui soutenaient la barre rejoignent à leur tour les autres danseurs dans ce ballet irréel…
Dall’Inferno al Paradiso est un spectacle stupéfiant au sens propre du terme. Grâce à un dispositif scénique qu’il serait incongru de dévoiler, les danseuses et danseurs semblent flotter dans l’air donnant ainsi à leurs mouvements et à leurs gestes une force et une grâce étonnante. En regardant ce fantasmatique ballet, on ne peut que penser, aux vers de Dante décrivant la “nage” de Géryon dans le vide qui sépare les huitièmes et neuvièmes cercles de l’Enfer:
Ella sen va notando lenta lenta ;
rota e discende, ma non me n’accorgo
se non che al viso e di sotto mi venta
(Elle (Géryon – Ndr) s’en va nageant doucement, doucement; / vire et descend, mais je ne m’en aperçois / que par le souffle sur mon visage et venant par dessous. — L’Enfer, Chant XVII, v. 115-117)
Avec cette poésie en tête, le spectateur voit se former une pyramide humaine à l’équilibre parfait et quasi surnaturel. ll regarde un danseur monter doucement, comme le ferait un plongeur rejoignant la surface de l’eau, déployant derrière lui une immense robe de dentelle blanche. Il découvre un cercle de corps comme posé à la verticale sur le fond noir de la scène, à l’intérieur duquel un homme marche et danse. Il suit le jeu des ballons et des danseurs qui font et défont des figures géométriques comme celle d’un kaléidoscope géant. Il admire le déploiement avec un claquement sec d’éventails au blanc éclatant.
Ce spectacle, sous-titré Dall’Inferno al Paradiso est inspiré de la Divine Comédie de Dante et l’on peut s’amuser à raccorder chaque tableau à un chant célèbre de la Comédie. Par exemple, le cercle duquel le danseur ne peut s’échapper c’est bien sûr le(s) cercle(s) de l’Enfer dont aucune âme damnée ne s’évade. Et la musique rude et syncopée est là pour nous le rappeler.
L’échelle patiemment assemblée sous nos yeux ne symbolise-t-elle pas la lente et difficile ascension du Purgatoire, de corniche en corniche, par les âmes pénitentes? Ce danseur à la longue robe blanche qui se déploie n’est-il pas un ange du Paradis ? À moins qu’il ne s’agisse de Béatrice… le tableau final où se déploient les éventails comme autant de pétales de fleur nous élève dans la rose céleste des derniers chants du Paradis.
Divina Commedia, Dall’Inferno al Paradiso, le salut final de la troupe de No Gravity
Cette part d’incertitude qui subsiste n’est pas gênante et au contraire participe à une mise en scène spectaculaire qui se place dans la tradition baroque italienne du “théâtre des merveilles”.
Divina Commedia, Dall’Inferno al Paradiso n’est pas le premier spectacle conçu et mis en scène par Emilio Pellisari et la danseuse et chorégraphe Marianna Porceddu. Leur compagnie, No Gravity, a déjà réalisé de nombreux ballets, Aria, Exodus, Enfer… qui ont été vus dans de nombreux pays, dont la France en 2016 et 2019. Il se pourrait que la troupe revienne en 2025. Ce serait un grand bonheur.
Cronaca, Spectacles
Depuis plusieurs années le spectacle, La Divina Commedia Opera musical tourne dans les plus grandes salles italiennes. Nous sommes allés voir ce spectacle musical total à Rome. C’est une magnifique réussite.
La troupe de La Divina Commedia Opera musical remercie les spectateurs du teatro Brancaccio à Rome.
«Bellissima!!» L’exclamation derrière nous ne trompe pas. La Divina Commedia Opera musical a ravi le public romain venu ce jeudi soir en nombre dans l’immense salle du teatro Brancaccio.
Faire de la Divine Comédie une comédie musicale, l’idée peut paraître audacieuse, voire iconoclaste. Pour en rester à quelques questions : est-il possible d’adapter le texte de Dante à la scène? Les personnages qui peuplent le texte paraîtront-ils caricaturaux, voire grotesques? La poésie ne sera-t-elle pas trahie? Etc.
Ces interrogations sont balayées lorsque l’on assiste au spectacle. Certes, on pourra toujours pinailler sur tel ou tel point, se dire par exemple que le spectacle cède à la facilité car les scènes et les personnages retenus sont les plus connus: Francesca qui nous conte son malheur, Ugolino la faim qui le tue, Pierre de la Vigne son désespoir, Ulysse son naufrage…
Un spectacle “total” de deux heures
Durant deux heures, ce musical entraîne tous les spectateurs. Elle s’ouvre par un vortex vertigineux dans le temps: partant d’une photo des rues bondées de Florence, il nous emmène d’étape en étape, de grand nom de l’Italie en grand nom —Léonard de Vinci, Michel Ange— dans l’intimité de l’atelier du poète.
«Nel mezzo del cammin di nostra vita mi ritrovai…», les premiers mots de la Commedia dansent sur le rideau de scène. Le voyage proprement dit commence. Dante erre dans la selva selvaggia, au milieu de gigantesques branches nues et d’épines qui envahissent tout le plateau. Il chante son désespoir, la via smarrita, avant que n’apparaisse un Virgile d’abord lointain et évanescent («parea fioco»), puis de prendre plus d’épaisseur; appuyé sur son bâton de berger, il sera le guide du poète dans son voyage dans l’au-delà.
Sans spoiler le spectacle, il faut souligner une mise en scène superbe et innovante avec un mélange d’effets spéciaux 3D et de ressources plus classiques. Nous voyons la barque de Charon se construire sous nos yeux, les esprits embarqués de force avant d’être éblouis par un violent éclair et tétanisés d’un violent coup de tonnerre, celui qui fait tomber Dante «come l’uom cui sonno piglia».
La scène devient la mer du naufrage d’Ulysse
Sans nous laisser reprendre notre souffle, nous voici dans le cercle où tournent, pris dans une tornade, les “Luxurieux”. Francesca et Paolo s’en détachent à la rencontre de Dante. La scène se joue alors sur plusieurs plans: devant se chante le drame, tandis qu’en arrière, se danse le pas de deux de la séduction, avec sur le côté, posé sur un meuble, un livre qui n’est autre que «Galeotto fu ‘l libro e chi lo scrisse».
Magnifique aussi la cité de Dité et ses murailles de feu avec l’apparition des trois Erinyes aux longs cheveux de serpent, ou encore le récit d’Ulysse dont le bateau s’engloutit dans un drap bleu devenu la tempête du naufrage, ou encore celui d’Ugolino prisonnier d’un labyrinthe d’escaliers dans sa tour de la faim …
La Divina Commedia Opera musical ne s’arrête pas à l’Enfer, elle nous emmène aussi au Purgatoire sur la plage duquel nous rencontrons un Caton plus général romain incorruptible que jamais, puis plus haut sur le mont dans le “feu des poètes” Guido Guinizelli et Arnaut Daniel, avant que Virgile ne quitte Dante dans une scène touchante.
Déjà nous voici avec Matelda au Paradis terrestre, puis avec Béatrice elle-même. Le spectacle se déploie alors dans la salle, parmi les spectateurs, pour les scènes finales qui nous emmènent au Paradis céleste.
Les mots du poète
Au Paradis nous le sommes d’autant plus que nous avons reconnu les mots du poète de la celebrissime Preghiera alla Vergine qui ouvre le Chant XXXIII du Paradis, comme ce fut le cas auparavant lors du chant d’Ulysse et dans tant d’autres passages.
Peut-être faut-il redire que ce spectacle est une comédie musicale où l’on chante et l’on danse et où la musique tient une place essentielle. Celle-ci a été composée par un prêtre italien, Mgr Marco Prisina.
En 2007, celui qui est déjà l’auteur de nombreuses compositions musicales religieuses, s’est attelé à une transposition musicale du poème de Dante, concentrant cette œuvre immense en un “opéra théâtral” de deux heures, avec le scénariste et prêtre Gianmario Pagano.
Cet opéra après avoir été mis en scène à plusieurs reprises est devenu à l’occasion du 700e anniversaire de la mort du poète florentin ce spectacle “kolossal” comme aime à le dire la presse italienne, grâce aux jeux de lumière, changements de costume multiples, chorégraphies soignées et jeu des acteurs-chanteurs.
Un “musical” proche de l’Opéra
Et s’il convient de dire “comédie musicals”, nous ne sommes toutefois très proche de l’opéra grâce, en particulier, aux interprètes. Antonio Angiolillo (Dante), Andrea Ortis (Virgile) et Myriam Soma (Béatrice) se partagent les rôles principaux. Il ne faut pas oublier également Leonardo di Minno qui est successivement Ulysse, Caton et Guido Guinizelli, Gipeto qui endosse les rôles de Charon, Ugolino, César et saint Bernard, Valentina Gullace, qui compose une délicate Francesca et une séduisante Matelda, Antonio Sorrentino qui est un poignant Pierre de la Vigne et un fier Arnaut Daniel et enfin Sonia Caselli, douce Pia De’ Tolomei.
Tous sont de magnifiques artistes qui donnent corps et vie à leurs personnages dans un spectacle que les danseuses et les danseurs transforment en spectacle total.
Cet “Opera musical” continue de tourner en Italie comme c’est le cas depuis quatre ans maintenant. Mais il faut se dépêcher, il n’y a plus que deux dates prévues en 2024: Turin dans le Piémont du 29 février au 3 mars et Catanzaro en Calabre du 7 au 9 mars.
Cronaca, Spectacles
The Dante Project de Wayne McGregor est une œuvre ambitieuse. Créé à Londres en 2021, à l’occasion du 700e anniversaire de la mort de Dante, ce ballet est monté pour la première fois à l’Opéra de Paris en ce mois de mai 2023. Nous sommes allés le voir le 6 mai.
Le salut final des danseurs à la fin de la représentation du 6 mai 2023 de The Dante Project, à l’Opéra de Paris.
C’est au moment où son directeur musical, Gustavo Dudamel, annonce qu’il quitte l’Opéra de Paris, que triomphe sur la scène de Garnier The Dante Project, une commande dont il est à l’origine.
Le ballet en trois actes de Wayne McGregor respecte la division en trois cantiques de la Divine Comédie de Dante Alighieri, mais aussi la logique profonde de l’œuvre qui est le cheminement du poète des profondeurs de l’Enfer à l’éblouissante rédemption du Paradis.
Les danseurs de l’Opéra de Paris en embrassent la dramaturgie, portés par la musique de Thomas Adès, qui épouse chacun des actes, Inferno, Purgatorio, Paradiso. Cette dernière est tour à tour torturée et âpre, puis de cette «Dolce color d’orïental zaffiro, / che s’accoglieva nel sereno aspetto / del mezzo», avant de s’essayer à la douceur élégiaque du Paradis.
Un paysage en noir et blanc dessiné à la craie par Tacita Dean
Tout est sombre dans Inferno, le premier acte de The Dante Project. Le décor, immense tableau gris et noir rehaussé de blanc, barre le plateau de l’Opéra Garnier. Les pics des montagnes plongent vers le sol. Les danseuses et danseurs, en combinaison où le bistre se brouille avec le noir, se fondent dans ce décor à l’éclairage avare.
Nous sommes plongés dans ce «loco d’ogne luce muto, / che mugghia come fa mar per tempesta, / se da contrari venti è combattuto.» Seule la tunique turquoise de Dante, le seul vivant de ce monde de l’au-delà, apporte une touche de couleur.
L’œuvre de Wayne McGregor est d’abord cette plongée dans un univers oppressant. La musique de Thomas Adès renforce encore le sentiment de désolation et fait écho au désespoir des damnés. Elle emprunte largement à Liszt que Adès considère comme «le maître des enfers et du démoniaque».
Dante —le danseur étoile Germain Louvet— et Virgile —Irek Mukhamedov— assistent d’abord au ballet des damnés avant parfois de s’y mêler. Une réserve qui rappelle que tous deux ne sont que de passage dans l’Enfer, comme l’explique Wayne McGregor:
le premier acte pourrait aussi bien s’appeler «Pèlerin», car cette partie décrit un passage à travers les différents cercles de l’Enfer dont Dante est le seul témoin et parfois l’acteur.
Une danse exigeante
La chorégraphie reste étonnamment lisible et proche du thème de chacun des tableaux qui peuplent cet Inferno. Les danseuses et danseurs du corps de ballet de l’Opéra s’emparent de cette danse exigeante en offrant une interprétation où la puissance ne le cède pas à l’élégance. Les pas de deux, par exemple celui de Francesca et Paolo dansé par la Première danseuse Bleuenn Battistoni et le danseur étoile Guillaume Diop, s’enchaînent avec des ballets plus complexes comme Les Ulysses ou la Forêt des Suicidés.
Dans cette première partie, la mise en scène fourmille de trouvailles heureuses comme ce grand miroir qui inverse les montagnes dessinées à la craie par Tacita Dean ou encore cette scène finale où un rayon lumineux mime le «pertugio tondo» par lequel Dante et Virgile vont «riveder le stelle».
Le deuxième acte, plus court, Purgatorio, est d’une tonalité radicalement différente. Les plis et replis noirs et blancs du décor d’Inferno cèdent la place à un lumineux et immense tableau figurant un arbre aux feuilles fournies émergeant d’un paysage urbain contemporain à peine esquissé.
Trois Béatrice et trois Dante réunis sur la même scène
Une grande sérénité s’en dégage, magnifiée par la partition largement inspirée de l’Orient à laquelle se mêlent des chants liturgiques hébraïques enregistrés dans la synagogue Ades de Jérusalem. Un choix auquel le compositeur veut donner un sens particulier explique Hélène Cao:
(c’est) un des rares lieux de culte dont la congrégation conserve la tradition des bakkashot: des prières chantées le jour du shabbat, très tôt le matin, jusqu’à ce que l’aube se lève. Or, pour (Thomas) Adès le voyage de Dante au Purgatoire précède lui aussi l’aube et l’arrivée au Paradis.
Dans cette atmosphère apaisée se déploie une danse plus douce, voire par moment tendre. L’un des moments forts de ce deuxième acte est cet étonnant ballet où Béatrice —interprétée par la danseuse étoile Hannah O’Neill— convoque la Béatrice jeune femme —Bleuenn Battistoni— et la Béatrice enfant mais aussi le Dante jeune et le Dante enfant. Ce moment de grâce marqué par une danse toute en cercle et en douceur est sans doute l’un des moments les plus réussis de cette œuvre.
Le Paradis est pour les créateurs un piège. L’Enfer et le Purgatoire leur permettent de s’emparer d’éléments, de scènes et de personnages concrets et figuratifs. Il en va tout autrement avec le troisième cantique de la Divine Comédie qui est le royaume de l’abstraction. Dante lui-même lance d’ailleurs un avertissement à ceux qui voudraient le suivre et seraient insuffisamment préparés: «L’acqua ch’io prendo già mai non si corse».
Une triple spirale
Paradiso, tout aussi court que Purgatorio, est construit sur une triple spirale. Une spirale musicale avec la reprise d’un motif de quatre notes qui se déploie en cercles concentriques. Une spirale visuelle avec la projection, sur un écran suspendu au-dessus de la scène, d’une création visuelle de Tacita Dean, où s’entremêlent des courbes et des impressions multicolores et qui se veut hypnotisante. Enfin et surtout, la spirale mouvante des danseurs dont les combinaisons sont éclaboussées de lumières changeantes.
Dans cette apothéose, ce Poema Sacro, tout se veut légèreté comme si la pesanteur était abolie. Il ne reste plus à Dante qu’à disparaître dans une gerbe de lumière.
The Dante Project est une franche réussite esthétique et musicale auquel les danseuses et danseurs de l’Opéra de Paris donnent une expression forte et profonde. En assistant à ce spectacle, on peut se dire que sept siècles après sa mort, la poésie de Dante n’a jamais été aussi vivante et… inspirante.
Notes
The Dante Project
- Ballet en trois actes: Inferno-Pèlerin, Purgatorio-Amour, Paradiso-Poema sacro
- D’après Dante Alighieri, la Divine Comédie
- Chorégraphie: Wayne McGregor
- Musique: Thomas Adès
- Décors et costumes: Tacita Dean
- Le ballet a été créé le 14 octobre 2021 par le Royal Ballet au Royal Opera House (Londres) — Mai 2023, entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris.
Principaux danseuses et danseurs lors de la représentation du 6 mai 2023.
Acte I
- Dante: Germain Louvet (étoile) — Virgile: Irek Mukhamedov (danseur invité) — Les passeurs: Sylvia Saint-Martin (Première danseuse), Marc Moreau (étoile) — Francesca et Paolo: Bleuenn Battistoni (Première danseuse), Guillaume Diop (étoile) — Didon et Énée: Hohyun Kang, Pablo Legasa (Premier danseur) — Satan: Valentine Colasante (étoile), Germain Louvet
Acte II
- Dante: Germain Louvet et Virgile: Irek Mukhamedov — Dante jeune: Loup Marcault-Derouard — Dante enfant: Jean-Baptiste Roblain Chollet — Béatrice: Hannah O’Neill (étoile) — Béatrice jeune: Bleuenn Battistoni — Béatrice enfant; Constance Hénaff
Acte III
- Dante: Germain Louvet et Béatrice: Hannah O’Neill
Cronaca, Spectacles
La Divina Cometa est le nouveau film d’un réalisateur rare, Mimmo Paladino. Dans ce conte fantastique, un Dante silencieux rencontre les personnages de sa Divine Comédie et du presepe napolitain. Nous sommes allés le voir en salle à Milan le 11 mai 2023.
Scène extraite de la bande annonce du film La Divina Cometa
L’histoire commence ainsi: une mer transparente, un ciel immaculé et une barque qui traverse lentement l’écran. Une fanfare joue doucement la comptine enfantine Tu scendi delle stelle. À côté du mât, se détache, tout aussi roide que celui-ci, la silhouette d’un homme vêtu d’une ample robe rouge.
Ainsi va Dante dans La Divina Cometa. Solitaire et muet il parcourt les cercles de l’Enfer et cherche «à revoir les étoiles». Il n’est pas seul dans cette quête. Il croise une famille de sans abri qui erre à la recherche d’un toit, cinq mages, un disciple de Pythagore, et aussi Francesca, Paolo et Ugolino, Giordano Bruno…
Il faut se laisser porter par la beauté et la poésie du film
Le film de Mimmo Paladino est un rêve où se mélangent et se confondent la Divine Comédie et les personnages du presepe napolitain, cette crèche de la piété populaire où se revit la scène de l’adoration des mages dans une grotte dont l’entrée est surmontée d’une comète scintillante.
S’il faut chercher une histoire et une logique, le synopsis du film peut faire office de refuge:
Le comte Ugolino et Paolo et Francesca racontent leurs souffrances, au milieu d’anecdotes de l’histoire de la photographie et de la peinture, entre symboles et mots, entre Pontormo et Glenn Gould. Dante, sans voix, traverse les guerres, les blasphèmes et les misères, dans un voyage dans le temps et l’espace de la créativité et des idées les plus hérétiques.
Mais le monde de Mimmo Paladino n’est pas celui de Descartes et il est préférable de se laisser porter par la beauté et la poésie des images, le charme déroutant du napolitain archaïsant qui se frotte à l’italien classique.
Un puzzle qui s’ordonne progressivement
À son début, le film est un pêle-mêle de scènes apparemment sans lien entre elles: quel est ce trio familial qui erre dans une ville? Pourquoi cherche-t-il le «vingt-cinq»? Que font-ils dans le salon d’une dame noble? Pourquoi Dante et cette famille se retrouvent-ils dans une église? Que font un âne et un bœuf dans cette église?
Progressivement pourtant le puzzle s’ordonne, les lignes entre les histoires se tendent et se nouent. Les personnages de ce voyage à proprement parler “extraordinaire” se mettent en place. Nous sommes à la fois dans un passé lointain, celui vieux de sept siècles de la Divine Comédie et de la tradition du presepe née il y a huit cents ans mais aussi dans une actualité brûlante avec cette famille errante de sans abri.
Mimmo Paladino n’est pas prisonnier de la tradition. Il se joue des codes. À l’image traditionnelle des trois mages censés apporter l’or, la myrrhe et l’encens, ce sont cinq mages que nous rencontrons dans La Divina Cometa: Le mage de la peinture, celui de la musique, celui de la poésie, celui du théâtre et «il maggio nulla» composent une petite troupe qui se rassemble doucement et qui jamais ne rejoindra le presepe. Mais était-ce réellement leur but?
Mimmo Paladino est un artiste du Transavangerde
La Divina Cometa est un film d’auteur au sens fort du terme. Il est à l’image de son réalisateur, Mimmo Paladino, l’un des plus importants représentants de ce mouvement artistique né dans les années 1970 en Italie, le Transavangarde. Il est tout à la fois un peintre, un sculpteur et un graveur reconnu et ses œuvres sont exposées à Bologne, à Naples ou à New York.
La beauté plastique et formelle de La Divina Cometa doit beaucoup à cet héritage. Le choix des décors, une gare abandonnée, un stade, une cave, une fonderie, le sanctuaire de San Michele Archangelo lieu de pèlerinage ou encore Hortus Conculusus, une installation qu’il a créée en 1992 au Couvent San Domenico à Bénévent… composent autant de tableaux. Car c’est en peintre que Mimmo Paladino filme, même s’il s’en défend mollement:
J’ai toujours pensé qu’un film ne remplaçait pas la peinture, il ne se superposait pas à elle, c’était simplement autre chose. Mais en même temps, si on regarde dans l’objectif, dans le rectangle de l’appareil photo, on peut imaginer que c’est l’espace de la toile.
Film réalisé sans grands moyens, La Divina Cometa réunit pourtant un casting étonnant. On y croise quelques-uns des plus grands acteurs italiens comme Toni Servillo qui endosse le rôle d’Ugolino, Francesco De Gregori, celui du mage de la musique, Nino D’Angelo qui est le mage de la poésie et Sergio Vitolo qui est Dante. Il est porté par une bande-son étonnante avec des chansons de Brian Eno et de Philip Glass mais aussi des Fratelli Mancuso, des chanteurs traditionnels siciliens.
Bref, on a hâte de voir ce film sortir en France.