L’Enfer – Chant XVII

L’usurier – Moret sur Loing, Maison Raccolet. Photo: Daniel Villafruela – CC-BY-SA-3.0

Septième Cercle • Troisième giron • Violents contre l’art • Géryon • Usuriers de Florence et de Padoue: Gianfilgliazzi, Ubbriachi, Scrovegni • Descente dans le gouffre sur la croupe de Géryon.

« Voici la bête à la queue aiguisée,1

qui passe les monts, brise les murs et les armes!2

Voici celle qui empeste le monde».3•3

Mon guide commença ainsi à me parler;

et il lui fit signe de venir au bord,

à l’extrémité de la digue de marbre.4•6

Et cette immonde image de la fraude 

s’en vint, posa sa tête et son buste,

mais sur la rive ne traîna pas la queue.5•9

Son visage avait le visage d’un homme juste,

tant d’apparence il paraissait bénin,

et tout le tronc était celui d’un serpent;•12

deux pattes étaient couvertes de poils jusqu’aux aisselles;6

le dos, la poitrine et les deux flancs

étaient peints de nœuds et d’ocelles.•15

Jamais avec plus de couleurs, brocarts et broderies,7

ne furent tissés les draps tartares et turcs,8

ni par Arachné mises sur le métier de telles toiles.9•18

Comme parfois les barges restent sur la rive,

une partie dans l’eau et une partie à terre,10

et comme chez les Allemands goinfres,11•21

le castor s’accroupit pour faire sa guerre,12

ainsi se tenait la bête dangereuse

sur le bord des rochers qui enferment le sable.•24

Sa queue fouettait dans le vide,

tordant vers le haut la fourche vénéneuse,13

qui en armait la pointe à la manière du scorpion.•27

Le maître dit: « Maintenant il convient

que notre route se torde jusqu’à cette

bête mauvaise qui là s’est couchée».14•30

Alors nous descendîmes par le côté droit,15

et fîmes dix pas sur l’extrême bord,

pour éviter le sable et la pluie de feu.•33

Et quand nous fûmes arrivés à elle,

un peu plus loin je vis sur le sable

des gens assis à côté du vide.16•36

Ici le maître: « Afin que tu emportes

une pleine expérience de ce giron»,

me dit-il, « va, et vois leur condition.17•39

Là, que tes entretiens soient brefs;

en attendant ton retour, je parlerai à celle-ci,18

pour qu’elle nous prête ses fortes épaules».•42

Ainsi, encore plus haut sur l’extrême pointe

de ce septième cercle, solitaire19

j’allais là où étaient assis les tristes gens.20•45

Par leurs yeux éclatait leur douleur;21

d’ici, de là ils s’abritaient de leurs mains,

tantôt contre les flocons de feu, tantôt contre le sol brûlant:•48

les chiens ne font pas autrement l’été

avec leur museau et leurs pattes, quand ils sont mordus

par des puces, des mouches ou des taons.22•51

Puis regardant le visage de certains,

sur qui le feu douloureux tombait,

je n’en reconnus aucun; mais je m’aperçus23•54

qu’au cou de chacun pendait une poche24

qui avait certaine couleur et certain signe,

et leur œil semblait s’en repaître.25•57

Et comme regardant je m’avançais entre eux, 

sur une bourse jaune je vis l’azur 

qui d’un lion avait l’apparence et l’attitude.26•60

Puis, laissant mon regard suivre son cours,

j’en vis une autre rouge sang,

qui montrait une oie plus blanche que beurre.27•63

Et un qui, d’une truie azur et grosse28

avait marqué sa bourse blanche,29

me dit: « Que fais-tu dans cette fosse?•66

Vas-t’en donc; et puisque tu vis encore,

sache que mon concitoyen Vitaliano30

s’assiéra ici sur ma gauche.•69

Parmi ces Florentins je suis Padouan:

souvent ils étourdissent mes oreilles,31

en criant: “Vienne le cavalier souverain,•72

qui portera la bourse aux trois boucs!”»32

Alors il tordit la bouche et tira

la langue, comme un bœuf lèche ses naseaux.33•75

Et moi, craignant de fâcher, en tardant,

celui qui m’avait averti de rester peu,

je m’en retournais loin de ces âmes misérables.•78

Je trouvai mon seigneur déjà monté

sur la croupe de l’animal féroce,

et il me dit: « Maintenant sois fort et hardi.•81

Désormais nous descendrons par de telles échelles;34

monte devant, je veux être au milieu,

pour que la queue ne puisse te blesser».•84

Tel celui qui ressent déjà le frisson

de la fièvre quarte, aux ongles déjà livides,

et qui tremble tout entier en regardant l’ombre,35•87

tel je devins en entendant ces paroles;

mais cette honte que me firent ses menaces,

devant un maître valeureux, rend le serviteur courageux.36•90

Je m’assis sur ces épaules repoussantes;37

et voulus dire, mais la voix ne vint pas

comme je l’espérais: “Étreins-moi”.38•93

Mais lui, qui déjà m’avait secouru

lors d’autres périls, dès que je montai

m’enlaça de ses bras et me soutint;•96

et il dit: « Géryon, va maintenant:

que les cercles soient larges, et la descente douce;

pense à la charge inhabituelle que tu as».•99

Comme l’esquif quitte son amarrage,

à reculons, ainsi il s’écarta;

et puis quand il se sentit libre,•102

vers sa poitrine, il amena sa queue

et celle-ci tendue, comme une anguille, il la remua

et de ses pattes ramena l’air à lui.39•105

Plus grande peur ce ne fut, je crois,

quand Phaeton lâcha les brides,40

et, comme cela se voit encore, enflamma le ciel;41•108

ni quand le malheureux Icare sentit

ses plumes tomber à cause de la cire fondue,

son père lui criant: « Tu suis une mauvaise voie!»,42•111

que fut la mienne, quand je vis que j’étais

entouré par l’air de toutes parts, et que

toute autre vue que la bête était éteinte.•114

Elle s’en va nageant doucement, doucement;

vire et descend, mais je ne m’en aperçois

que par le souffle sur mon visage et venant par dessous.43•117

J’entendais déjà sur ma droite la cascade

sous nous faire un horrible fracas,

adonc, je penchais ma tête pour regarder en bas.•120

Alors j’eus encore plus peur de tomber,44

car je vis des feux et entendis des plaintes;

et tout tremblant je serrai les jambes.•123

Et puis je vis, car je ne les voyais pas auparavant,

tout en descendant et en tournant les grands maux45

qui se rapprochaient de tous côtés.•126

Comme le faucon qui ayant longtemps volé,

sans avoir vu leurre ou oiseau

fait dire au fauconnier: « Oh, tu tombes!»,46•129

descend fatigué alors qu’il partit agile,

après cent cercles, et se pose à distance

de son maître, dédaigneux et furieux;•132

ainsi, Géryon nous déposa au fond,

au pied de la roche disloquée,

et, délivré de nos personnes,

il s’évanouit comme la flèche décochée par l’arc.•136

 

 

Cerchio settimo • Terzo girone • Violenti contro l’Arte • Gerione • Usurai di Firenze e di Padova: un Gianfilgliazzi, un Ubbriachi e un  Scrovegni • Discesa al cerchio ottavo sulla groppa di Gerione.

« Ecco la fiera con la coda aguzza, 

che passa i monti e rompe i muri e l’armi ! 

Ecco colei che tutto ’l mondo appuzza!».•3 

Sì cominciò lo mio duca a parlarmi ; 

e accennolle che venisse a proda, 

vicino al fin d’i passeggiati marmi.•6 

E quella sozza imagine di froda 

sen venne, e arrivò la testa e ’l busto, 

ma ’n su la riva non trasse la coda.•9 

La faccia sua era faccia d’uom giusto, 

tanto benigna avea di fuor la pelle, 

e d’un serpente tutto l’altro fusto;•12 

due branche avea pilose insin l’ascelle ; 

lo dosso e ’l petto e ambedue le coste 

dipinti avea di nodi e di rotelle.•15 

Con più color, sommesse e sovraposte 

non fer mai drappi Tartari né Turchi, 

né fuor tai tele per Aragne imposte.•18 

Come talvolta stanno a riva i burchi, 

che parte sono in acqua e parte in terra, 

e come là tra li Tedeschi lurchi•21 

lo bivero s’assetta a far sua guerra, 

così la fiera pessima si stava 

su l’orlo ch’è di pietra e ’l sabbion serra.•24 

Nel vano tutta sua coda guizzava, 

torcendo in sù la venenosa forca 

ch’a guisa di scorpion la punta armava.•27 

Lo duca disse : « Or convien che si torca 

la nostra via un poco insino a quella 

bestia malvagia che colà si corca».•30 

Però scendemmo a la destra mammella, 

e diece passi femmo in su lo stremo, 

per ben cessar la rena e la fiammella.•33 

E quando noi a lei venuti semo, 

poco più oltre veggio in su la rena 

gente seder propinqua al loco scemo.•36 

Quivi ’l maestro « Acciò che tutta piena 

esperïenza d’esto giron porti », 

mi disse, «va, e vedi la lor mena.•39 

Li tuoi ragionamenti sian là corti ; 

mentre che torni, parlerò con questa, 

che ne conceda i suoi omeri forti».•42 

Così ancor su per la strema testa 

di quel settimo cerchio tutto solo 

andai, dove sedea la gente mesta.•45 

Per li occhi fora scoppiava lor duolo ; 

di qua, di là soccorrien con le mani 

quando a’ vapori, e quando al caldo suolo:•48 

non altrimenti fan di state i cani 

or col ceffo or col piè, quando son morsi 

o da pulci o da mosche o da tafani.•51 

Poi che nel viso a certi li occhi porsi, 

ne’ quali ’l doloroso foco casca, 

non ne conobbi alcun ; ma io m’accorsi•54 

che dal collo a ciascun pendea una tasca 

ch’avea certo colore e certo segno, 

e quindi par che ’l loro occhio si pasca.•57 

E com’ io riguardando tra lor vegno, 

in una borsa gialla vidi azzurro 

che d’un leone avea faccia e contegno.•60 

Poi, procedendo di mio sguardo il curro, 

vidine un’altra come sangue rossa, 

mostrando un’oca bianca più che burro.•63 

E un che d’una scrofa azzurra e grossa 

segnato avea lo suo sacchetto bianco, 

mi disse : « Che fai tu in questa fossa?•66 

Or te ne va ; e perché se’ vivo anco, 

sappi che ’l mio vicin Vitalïano 

sederà qui dal mio sinistro fianco.•69 

Con questi Fiorentin son padoano : 

spesse fïate mi ’ntronan li orecchi 

gridando : “Vegna ’l cavalier sovrano,•72 

che recherà la tasca con tre becchi !” ». 

Qui distorse la bocca e di fuor trasse 

la lingua, come bue che ’l naso lecchi.•75 

E io, temendo no ’l più star crucciasse 

lui che di poco star m’avea ’mmonito, 

torna’mi in dietro da l’anime lasse.•78 

Trova’ il duca mio ch’era salito 

già su la groppa del fiero animale, 

e disse a me : «Or sie forte e ardito.•81 

Omai si scende per sì fatte scale ; 

monta dinanzi, ch’i’ voglio esser mezzo, 

sì che la coda non possa far male».•84 

Qual è colui che sì presso ha ’l riprezzo 

de la quartana, c’ha già l’unghie smorte, 

e triema tutto pur guardando ’l rezzo,•87 

tal divenn’ io a le parole porte ; 

ma vergogna mi fé le sue minacce, 

che innanzi a buon segnor fa servo forte.•90 

I’ m’assettai in su quelle spallacce ; 

sì volli dir, ma la voce non venne 

com’ io credetti : “Fa che tu m’abbracce”.•93 

Ma esso, ch’altra volta mi sovvenne 

ad altro forse, tosto ch’i’ montai 

con le braccia m’avvinse e mi sostenne;•96 

e disse : « Gerïon, moviti omai : 

le rote larghe, e lo scender sia poco ; 

pensa la nova soma che tu hai».•99 

Come la navicella esce di loco 

in dietro in dietro, sì quindi si tolse ; 

e poi ch’al tutto si sentì a gioco,•102 

là ’v’ era ’l petto, la coda rivolse, 

e quella tesa, come anguilla, mosse, 

e con le branche l’aere a sé raccolse.•105 

Maggior paura non credo che fosse 

quando Fetonte abbandonò li freni, 

per che ’l ciel, come pare ancor, si cosse;•108 

né quando Icaro misero le reni 

sentì spennar per la scaldata cera, 

gridando il padre a lui « Mala via tieni!»,•111 

che fu la mia, quando vidi ch’i’ era 

ne l’aere d’ogne parte, e vidi spenta 

ogne veduta fuor che de la fera.•114 

Ella sen va notando lenta lenta ; 

rota e discende, ma non me n’accorgo 

se non che al viso e di sotto mi venta.•117 

Io sentia già da la man destra il gorgo 

far sotto noi un orribile scroscio, 

per che con li occhi ’n giù la testa sporgo.•120 

Allor fu’ io più timido a lo stoscio, 

però ch’i’ vidi fuochi e senti’ pianti ; 

ond’ io tremando tutto mi raccoscio.•123 

E vidi poi, ché nol vedea davanti, 

lo scendere e ’l girar per li gran mali 

che s’appressavan da diversi canti.•126 

Come ’l falcon ch’è stato assai su l’ali, 

che sanza veder logoro o uccello 

fa dire al falconiere « Omè, tu cali!»,•129 

discende lasso onde si move isnello, 

per cento rote, e da lunge si pone 

dal suo maestro, disdegnoso e fello;•132 

così ne puose al fondo Gerïone 

al piè al piè de la stagliata rocca, 

e, discarcate le nostre persone, 

si dileguò come da corda cocca.•136