L’Enfer – Chant XVI

Lutteurs – Peinture murale Thermes des Lutteurs – IIIe siècle – Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal-Vienne – Photo: Vassil – CC-0 – Domaine public.
J’étais déjà en un lieu où résonnait le bruit
de l’eau qui tombait dans l’autre cercle,
semblable au bourdonnement des ruches,•3
quand trois ombres, se détachèrent ensemble,
en courant, d’une troupe qui passait
sous la pluie de l’âpre martyre.•6
Elles venaient vers nous, et chacune criait :
« Arrête, toi qui par ton habit semble
être de notre terre perverse.»•9
Hélas, quelles plaies, récentes et anciennes,
je vis sur leurs membres, brûlés par les flammes !
J’en souffre encore quand je m’en souviens.•12
À leurs cris, mon maître s’arrêta ;
Il se tourna vers moi, et dit « Attends,
avec ceux-ci il convient d’être courtois.•15
Et n’était le feu qui par la nature du lieu
tombe comme flèche, je dirais
que la hâte te conviendrait plus qu’à eux.»•18
Ils recommencèrent, comme nous nous arrêtions,
l’antique complainte ; et quand ils furent près de nous,
ils formèrent tous trois une roue.•21
Comme, les lutteurs nus et huilés,
cherchent leur prise et leur avantage, tournent,
avant de commencer à se battre et se blesser,•24
ainsi chacun d’eux dressait le visage
vers moi, de sorte que le cou et les pieds
faisaient continuellement voyage contraire.•27
Et « Si la misère de ce lieu sablonneux
nous rend méprisables nous et nos prières »,
commença l’un, « comme notre aspect brûlé et pelé,•30
que notre renommée incite ton âme
à nous dire qui tu es, toi qui vivant
marche si assuré par l’enfer.•33
Celui-ci, dont tu me vois fouler les traces,
bien qu’il aille tout nu et écorché,
fut d’un rang plus élevé que tu ne crois:•36
il fut petit-fils de la noble Gualdrada ;
Guido Guerra était son nom, et dans sa vie,
il fit beaucoup par la sagesse et par l’épée.•39
L’autre, qui piétine le sable à côté de moi,
est Tegghiaio Aldobrandi, dont la voix
sur terre aurait du être écoutée.1•42
Et moi, qui avec eux suis mis en croix,
je fus Jacopo Rusticucci, et certes,
ma femme féroce plus que tout m’a nui.»2•45
Si je n’avais été à couvert du feu,
je me serais jeté en bas parmi eux,
et je crois que le maître l’eût permis;•48
mais parce que je me serais brûlé et cuit,
la peur vainquit la bonne volonté
qui de les embrasser me rendait avide.•51
Puis je commençai : « Non du mépris, mais de la douleur
m’inspire votre condition, qui se fiche tant en moi,
qu’elle mettra longtemps à se détacher,•54
aussitôt que mon seigneur me dit
ces paroles par lesquelles je compris
qu’elles venaient de gens tels que vous.•57
Je suis de votre terre, et toujours
votre œuvre et vos noms honorés
avec tendresse je les répétais et les entendais.•60
Je laisse l’amertume et vais vers les doux fruits
qui me sont promis par le guide vrai ;
mais avant jusqu’au centre il faut que je tombe.»•63
« Que longtemps l’âme guide
ton corps », répondit encore celui-là,
« et que ta renommée brille après toi,•66
mais dis si la courtoisie et la noblesse demeurent
dans notre ville comme jadis,
ou si elles l’ont abandonnée;•69
car Guiglielmo Borsiere, qui gémit
avec nous depuis peu et s’en va là avec les compagnons,
nous tourmente beaucoup par ses propos.»•72
« La gent nouvelle et les gains subis
ont engendré orgueil et démesure,
en toi, Florence, et déjà tu en pleures.»•75
Je criai ainsi le visage dressé ;
et les trois, attentifs à ma réponse
se regardèrent l’un l’autre comme on regarde le vrai.•78
« Si à chaque fois il t’en coûte si peu »
répondirent-ils, « pour satisfaire autrui,
heureux es-tu de pouvoir parler aussi librement!•81
Donc, si tu sors de ces sombres lieux
et revois les belles étoiles,
quand par plaisir tu diras : “J’y fus”,•84
fais que de nous les gens parlent. »
Puis ils rompirent la roue, et dans leur fuite
leurs jambes semblèrent des ailes.•87
Un amen n’aurait pu se dire
tant ils disparurent rapidement ;
sur quoi le maître jugea opportun de partir.•90
Je le suivais, et nous avions encore peu marché,
quand le bruit de l’eau nous devint si proche,
que nous aurions eu peine à entendre nos paroles.•93
Comme un fleuve qui va son propre chemin,
d’abord du mont Viso vers le levant,
sur le côté gauche de l’Apennin,•96
et qui s’appelle Acquacheta en haut, avant
de dévaler vers son lit inférieur,
et dont le nom à Forli a disparu,•99
gronde là au-dessus de San Benedetto
pour tomber des Alpes en une seule cascade
alors que mille y auraient place;•102
ainsi, en contrebas d’un précipice,
cette eau sombre résonnait tant,
qu’en peu de temps l’oreille en aurait été blessée.•105
J’étais ceint d’une corde,
avec laquelle je pensais à un moment
prendre le lynx au pelage tacheté.•108
Après l’avoir toute défaite de moi,
comme mon maître me l’avait commandé,
je la lui tendis enroulée et liée.•111
Alors, il se tourna vers la droite,
et à quelques pas du bord,
il la jeta dans le profond ravin.•114
“Quelque chose d’inhabituel doit répondre”,
me disais-je en moi-même, “à ce signal inhabituel
que le maître accompagne du regard.”•117
Ah combien les hommes doivent être prudents auprès
de ceux qui ne voient pas que les actes,
mais entrent aussi profondément dans les pensées!•120
Il me dit : « Bientôt viendra en haut
ce que j’attends et auquel ton esprit songe ;
bientôt il se révélera à ta vue.»•123
Toujours en face de vérité qui a visage de mensonge
l’homme doit sceller ses lèvres autant qu’il le peut,
car même sans faute il peut se faire honte;•126
mais je ne puis me taire ici ; et sur les vers
de cette comédie, lecteur, je te jure,
en espérant qu’ils auront longtemps ta faveur,•129
que je vis par l’air épais et obscur
monter en nageant une figure,
extraordinaire même pour qui a un cœur solide,•132
elle venait comme retourne celui qui plonge
parfois pour libérer l’ancre accrochée
à un rocher ou autre chose caché dans la mer,
il s’étend vers le haut pendant qu’il replie les jambes.•136
Cerchio settimo • Girone terzo • Violenti contro la Natura • Tre Fiorentini: Guido Guerra, Tegghiaio Aldobrandi, Iacopo Rusticucci • Cascata del Fiume • La corda simbolica • Ascesa di Gerione.
Già era in loco onde s’udia ’l rimbombo
de l’acqua che cadea ne l’altro giro,
simile a quel che l’arnie fanno rombo,•3
quando tre ombre insieme si partiro,
correndo, d’una torma che passava
sotto la pioggia de l’aspro martiro.•6
Venian ver’ noi, e ciascuna gridava :
« Sòstati tu ch’a l’abito ne sembri
essere alcun di nostra terra prava».•9
Ahimè, che piaghe vidi ne’ lor membri,
ricenti e vecchie, da le fiamme incese !
Ancor men duol pur ch’i’ me ne rimembri.•12
A le lor grida il mio dottor s’attese ;
volse ’l viso ver’ me, e « Or aspetta »,
disse, « a costor si vuole esser cortese.•15
E se non fosse il foco che saetta
la natura del loco, i’ dicerei
che meglio stesse a te che a lor la fretta».•18
Ricominciar, come noi restammo, ei
l’antico verso ; e quando a noi fuor giunti,
fenno una rota di sé tutti e trei.•21
Qual sogliono i campion far nudi e unti,
avvisando lor presa e lor vantaggio,
prima che sien tra lor battuti e punti,•24
così rotando, ciascuno il visaggio
drizzava a me, sì che ’n contraro il collo
faceva ai piè continüo vïaggio.•27
E « Se miseria d’esto loco sollo
rende in dispetto noi e nostri prieghi »,
cominciò l’uno, « e ’l tinto aspetto e brollo,•30
la fama nostra il tuo animo pieghi
a dirne chi tu se’, che i vivi piedi
così sicuro per lo ’nferno freghi.•33
Questi, l’orme di cui pestar mi vedi,
tutto che nudo e dipelato vada,
fu di grado maggior che tu non credi:•36
nepote fu de la buona Gualdrada ;
Guido Guerra ebbe nome, e in sua vita
fece col senno assai e con la spada.•39
L’altro, ch’appresso me la rena trita,
è Tegghiaio Aldobrandi, la cui voce
nel mondo sù dovria esser gradita.•42
E io, che posto son con loro in croce,
Iacopo Rusticucci fui, e certo
la fiera moglie più ch’altro mi nuoce».•45
S’i’ fossi stato dal foco coperto,
gittato mi sarei tra lor di sotto,
e credo che ’l dottor l’avria sofferto;•48
ma perch’ io mi sarei brusciato e cotto,
vinse paura la mia buona voglia
che di loro abbracciar mi facea ghiotto.•51
Poi cominciai : « Non dispetto, ma doglia
la vostra condizion dentro mi fisse,
tanta che tardi tutta si dispoglia,•54
tosto che questo mio segnor mi disse
parole per le quali i’ mi pensai
che qual voi siete, tal gente venisse.•57
Di vostra terra sono, e sempre mai
l’ovra di voi e li onorati nomi
con affezion ritrassi e ascoltai.•60
Lascio lo fele e vo per dolci pomi
promessi a me per lo verace duca ;
ma ’nfino al centro pria convien ch’i’ tomi».•63
« Se lungamente l’anima conduca
le membra tue », rispuose quelli ancora,
«e se la fama tua dopo te luca,•66
cortesia e valor dì se dimora
ne la nostra città sì come suole,
o se del tutto se n’è gita fora;•69
ché Guiglielmo Borsiere, il qual si duole
con noi per poco e va là coi compagni,
assai ne cruccia con le sue parole».•72
« La gente nuova e i sùbiti guadagni
orgoglio e dismisura han generata,
Fiorenza, in te, sì che tu già ten piagni».•75
Così gridai con la faccia levata ;
e i tre, che ciò inteser per risposta,
guardar l’un l’altro com’ al ver si guata.•78
« Se l’altre volte sì poco ti costa »,
rispuoser tutti, « il satisfare altrui,
felice te se sì parli a tua posta!•81
Però, se campi d’esti luoghi bui
e torni a riveder le belle stelle,
quando ti gioverà dicere “I‘ fui”,•84
fa che di noi a la gente favelle ».
Indi rupper la rota, e a fuggirsi
ali sembiar le gambe loro isnelle.•87
Un amen non saria possuto dirsi
tosto così com’ e’ fuoro spariti ;
per ch’al maestro parve di partirsi.•90
Io lo seguiva, e poco eravam iti,
che ’l suon de l’acqua n’era sì vicino,
che per parlar saremmo a pena uditi.•93
Come quel fiume c’ha proprio cammino
prima dal Monte Viso ’nver’ levante,
da la sinistra costa d’Apennino,•96
che si chiama Acquacheta suso, avante
che si divalli giù nel basso letto,
e a Forlì di quel nome è vacante,•99
rimbomba là sovra San Benedetto
de l’Alpe per cadere ad una scesa
ove dovea per mille esser recetto;•102
così, giù d’una ripa discoscesa,
trovammo risonar quell’ acqua tinta,
sì che ’n poc’ ora avria l’orecchia offesa.•105
Io avea una corda intorno cinta,
e con essa pensai alcuna volta
prender la lonza a la pelle dipinta.•108
Poscia ch’io l’ebbi tutta da me sciolta,
sì come ’l duca m’avea comandato,
porsila a lui aggroppata e ravvolta.•111
Ond’ ei si volse inver’ lo destro lato,
e alquanto di lunge da la sponda
la gittò giuso in quell’ alto burrato.•114
« E’ pur convien che novità risponda »,
dicea fra me medesmo, « al novo cenno
che ’l maestro con l’occhio sì seconda».•117
Ahi quanto cauti li uomini esser dienno
presso a color che non veggion pur l’ovra,
ma per entro i pensier miran col senno!•120
El disse a me : « Tosto verrà di sovra
ciò ch’io attendo e che il tuo pensier sogna ;
tosto convien ch’al tuo viso si scovra».•123
Sempre a quel ver c’ha faccia di menzogna
de’ l’uom chiuder le labbra fin ch’el puote,
però che sanza colpa fa vergogna;•126
ma qui tacer nol posso ; e per le note
di questa comedìa, lettor, ti giuro,
s’elle non sien di lunga grazia vòte,•129
ch’i’ vidi per quell’ aere grosso e scuro
venir notando una figura in suso,
maravigliosa ad ogne cor sicuro,•132
sì come torna colui che va giuso
talora a solver l’àncora ch’aggrappa
o scoglio o altro che nel mare è chiuso,
che ’n sù si stende e da piè si rattrappa.•136