L’Enfer – Chant XVI
Lutteurs – Peinture murale Thermes des Lutteurs – IIIe siècle – Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal-Vienne – Photo: Vassil – CC-0 – Domaine public.
Septième cercle • Troisième giron • Violents contre la Nature • Trois Florentins: Guido Guerra, Tegghiaio Aldobrandi, Iacopo Rusticucci • Décadence de Florence • La cascade • La corde symbolique • La montée de Géryon.
Déjà, j’étais là où s’entendait le grondement
de l’eau qui tombait dans l’autre cercle,1
semblable au bourdonnement des ruches,2•3
quand, d’un coup, trois ombres se détachèrent,
en courant, d’une troupe qui passait3
sous la pluie de l’âpre martyre.•6
Elles venaient vers nous, et chacune criait:
« Arrête, toi qui par ton habit semble
être de notre terre perverse».4•9
Hélas, quelles plaies je vis sur tout leur corps,5
récentes comme anciennes, brûlées par les flammes!
J’en ai toujours douleur à ce souvenir.•12
À leurs cris mon maître s’arrêta, aux aguets;
Il se tourna vers moi, et « Attends»,
dit-il, « avec ceux-ci il convient d’être courtois.6•15
Et n’était le feu qui darde comme flèche,
en raison de la nature du lieu, je dirais
que la hâte te conviendrait plus qu’à eux».7•18
Ils reprirent, comme nous nous arrêtions,
l’ancienne plainte; et quand ils furent près de nous,8
ils formèrent tous trois une roue.9•21
Comme, les lutteurs nus et huilés,
cherchent leur prise et leur avantage,
avant de se battre et se blesser,10•24
ainsi chacun d’eux tournant, levait son visage
vers moi, de sorte que cou et pieds
faisaient toujours voyage contraire.11•27
Et, « Si la misère de ce lieu de sable12
nous rend méprisables ainsi que nos suppliques»,
commença l’un, « comme notre allure brûlée et pelée,•30
que notre renommée fléchisse ton âme13
et dis nous qui tu es, toi qui, le pied vif,
va si assuré par l’enfer.•33
Celui-ci, dont tu me vois suivre les traces,14
aussi nu et écorché qu’il aille,
fut de plus haut rang que tu ne crois:•36
il fut petit-fils de la noble Gualdrada;15
Guido Guerra était son nom, et dans sa vie,
il fit beaucoup par la sagesse et par l’épée.16•39
L’autre, qui piétine le sable à côté de moi,
est Tegghiaio Aldobrandi, dont la voix
sur terre aurait dû être écoutée.17•42
Et moi, qui avec eux suis mis en croix,
je fus Jacopo Rusticucci, et certes,
ma femme féroce plus que tout m’a nui.»18•45
Si je n’avais été à couvert du feu,
je me serais jeté parmi eux, en bas,
et je crois que le maître l’aurait permis;•48
mais parce que je m’y serais brûlé et cuit,19
la peur vainquit la forte envie
de les embrasser, dont j’étais avide.20•51
Puis je commençai: « Non mépris, mais douleur21
m’inspire votre condition; elle s’est fichée en moi,22
— et mettra longtemps à se détacher—,•54
dès que mon seigneur me dit
ces paroles grâce auxquelles je compris
que venaient des gens tels que vous.•57
Je suis de votre terre, et depuis toujours
vos œuvres et vos noms honorés
je les répétais et les entendais avec émotion.•60
Je laisse l’amertume et vais vers les doux fruits
qui me sont promis par le vrai guide;23
mais avant jusqu’au centre je dois tomber».•63
« Que longtemps l’âme guide
ton corps », répondit-il encore,
« et que brille après toi ton renom,•66
mais dis-moi si courtoisie et noblesse demeurent24
dans notre ville comme jadis,25
ou l’ont-elles toute abandonnée;•69
car Guiglielmo Borsiere, qui gémit26
avec nous depuis peu et va là avec les compagnons,27
nous tourmente beaucoup par ses propos».•72
« La gent nouvelle et les gains subis
ont engendré orgueil et démesure,28
en toi, Florence, et déjà tu t’en lamentes».29•75
Je criai ainsi face levée;30
et les trois, attentifs à ma réponse
se regardèrent comme s’ils guettaient la vérité.31•78
« Si à chaque fois il t’en coûte si peu»
répondirent-ils, « de satisfaire autrui,
heureux sois-tu de parler ainsi à ton aise!•81
Donc, si tu t’échappes de ces sombres lieux
et revois les belles étoiles,
quand par plaisir tu diras: “J’y fus”,•84
fais que de nous aux gens tu parles».32
Alors, ils rompirent la roue, et dans leur fuite
leurs jambes semblèrent des ailes.•87
Un amen n’aurait pu se dire
tant ils disparurent rapidement;
sur quoi le maître jugea opportun de partir.•90
Je le suivais. Nous avions encore peu marché,
que le bruit de l’eau nous devint si proche,
qu’à parler nous nous serions à peine entendus.•93
Comme ce fleuve qui a son propre cours,33
d’abord du versant du mont Viso vers le levant,
sur le côté gauche de l’Apennin,34•96
et qui s’appelle Acquacheta en haut, avant
de dévaler vers son lit inférieur,
et qui à Forli est privé de nom,35•99
gronde là au-dessus de San Benedetto36
pour tomber des Alpes en une seule chute
là où mille auraient place;37•102
ainsi, au bord d’un précipice,
nous trouvâmes cette eau sombre dont le fracas38
aurait blessé l’oreille en peu de temps.•105
J’étais ceint d’une corde,39
avec laquelle je pensais à un moment
prendre le léopard au pelage tacheté.40•108
Après l’avoir toute défaite de moi,
comme mon duc me l’avait commandé,
je la lui tendis roulée en écheveau.41•111
Alors, il se tourna vers la droite,42
et à quelques pas du bord,
il la jeta dans le profond ravin.43•114
“Il faut une nouveauté en réponse”,
me disais-je, “à ce signe insolite
que mon maître accompagne ainsi du regard.”•117
Ah comme les hommes doivent être prudents
auprès de ceux qui ne voient pas que les actes,
mais entrent aussi profondément dans les pensées!44•120
Il me dit: « Bientôt viendra en haut
ce que j’attends et auquel ton esprit songe;
bientôt il se découvrira à ta vue».•123
Toujours devant ce vrai à face de mensonge45
l’homme doit se taire autant qu’il peut,
car même sans faute il peut se faire honte;•126
mais ici je ne peux me taire; et par les rimes46
de cette comédie, lecteur, je te jure,47
en espérant qu’elles auront longtemps ta faveur,•129
que je vis par l’air épais et obscur
monter en nageant une figure,
extraordinaire même pour qui a un cœur solide,•132
elle venait comme retourne celui qui plonge
parfois pour libérer l’ancre accrochée
à un rocher ou autre chose caché dans la mer,
du haut elle s’étire pendant que de ses jambes elle se replie.48•136
Cerchio settimo • Girone terzo • Violenti contro la Natura • Tre Fiorentini: Guido Guerra, Tegghiaio Aldobrandi, Iacopo Rusticucci • La corruzione di Firenze • Cascata del Fiume • La corda simbolica • Ascesa di Gerione.
Già era in loco onde s’udia ’l rimbombo
de l’acqua che cadea ne l’altro giro,
simile a quel che l’arnie fanno rombo,•3
quando tre ombre insieme si partiro,
correndo, d’una torma che passava
sotto la pioggia de l’aspro martiro.•6
Venian ver’ noi, e ciascuna gridava :
« Sòstati tu ch’a l’abito ne sembri
essere alcun di nostra terra prava».•9
Ahimè, che piaghe vidi ne’ lor membri,
ricenti e vecchie, da le fiamme incese !
Ancor men duol pur ch’i’ me ne rimembri.•12
A le lor grida il mio dottor s’attese ;
volse ’l viso ver’ me, e « Or aspetta »,
disse, « a costor si vuole esser cortese.•15
E se non fosse il foco che saetta
la natura del loco, i’ dicerei
che meglio stesse a te che a lor la fretta».•18
Ricominciar, come noi restammo, ei
l’antico verso ; e quando a noi fuor giunti,
fenno una rota di sé tutti e trei.•21
Qual sogliono i campion far nudi e unti,
avvisando lor presa e lor vantaggio,
prima che sien tra lor battuti e punti,•24
così rotando, ciascuno il visaggio
drizzava a me, sì che ’n contraro il collo
faceva ai piè continüo vïaggio.•27
E « Se miseria d’esto loco sollo
rende in dispetto noi e nostri prieghi »,
cominciò l’uno, « e ’l tinto aspetto e brollo,•30
la fama nostra il tuo animo pieghi
a dirne chi tu se’, che i vivi piedi
così sicuro per lo ’nferno freghi.•33
Questi, l’orme di cui pestar mi vedi,
tutto che nudo e dipelato vada,
fu di grado maggior che tu non credi:•36
nepote fu de la buona Gualdrada ;
Guido Guerra ebbe nome, e in sua vita
fece col senno assai e con la spada.•39
L’altro, ch’appresso me la rena trita,
è Tegghiaio Aldobrandi, la cui voce
nel mondo sù dovria esser gradita.•42
E io, che posto son con loro in croce,
Iacopo Rusticucci fui, e certo
la fiera moglie più ch’altro mi nuoce».•45
S’i’ fossi stato dal foco coperto,
gittato mi sarei tra lor di sotto,
e credo che ’l dottor l’avria sofferto;•48
ma perch’ io mi sarei brusciato e cotto,
vinse paura la mia buona voglia
che di loro abbracciar mi facea ghiotto.•51
Poi cominciai : « Non dispetto, ma doglia
la vostra condizion dentro mi fisse,
tanta che tardi tutta si dispoglia,•54
tosto che questo mio segnor mi disse
parole per le quali i’ mi pensai
che qual voi siete, tal gente venisse.•57
Di vostra terra sono, e sempre mai
l’ovra di voi e li onorati nomi
con affezion ritrassi e ascoltai.•60
Lascio lo fele e vo per dolci pomi
promessi a me per lo verace duca ;
ma ’nfino al centro pria convien ch’i’ tomi».•63
« Se lungamente l’anima conduca
le membra tue », rispuose quelli ancora,
«e se la fama tua dopo te luca,•66
cortesia e valor dì se dimora
ne la nostra città sì come suole,
o se del tutto se n’è gita fora;•69
ché Guiglielmo Borsiere, il qual si duole
con noi per poco e va là coi compagni,
assai ne cruccia con le sue parole».•72
« La gente nuova e i sùbiti guadagni
orgoglio e dismisura han generata,
Fiorenza, in te, sì che tu già ten piagni».•75
Così gridai con la faccia levata ;
e i tre, che ciò inteser per risposta,
guardar l’un l’altro com’ al ver si guata.•78
« Se l’altre volte sì poco ti costa »,
rispuoser tutti, « il satisfare altrui,
felice te se sì parli a tua posta!•81
Però, se campi d’esti luoghi bui
e torni a riveder le belle stelle,
quando ti gioverà dicere “I‘ fui”,•84
fa che di noi a la gente favelle ».
Indi rupper la rota, e a fuggirsi
ali sembiar le gambe loro isnelle.•87
Un amen non saria possuto dirsi
tosto così com’ e’ fuoro spariti ;
per ch’al maestro parve di partirsi.•90
Io lo seguiva, e poco eravam iti,
che ’l suon de l’acqua n’era sì vicino,
che per parlar saremmo a pena uditi.•93
Come quel fiume c’ha proprio cammino
prima dal Monte Viso ’nver’ levante,
da la sinistra costa d’Apennino,•96
che si chiama Acquacheta suso, avante
che si divalli giù nel basso letto,
e a Forlì di quel nome è vacante,•99
rimbomba là sovra San Benedetto
de l’Alpe per cadere ad una scesa
ove dovea per mille esser recetto;•102
così, giù d’una ripa discoscesa,
trovammo risonar quell’ acqua tinta,
sì che ’n poc’ ora avria l’orecchia offesa.•105
Io avea una corda intorno cinta,
e con essa pensai alcuna volta
prender la lonza a la pelle dipinta.•108
Poscia ch’io l’ebbi tutta da me sciolta,
sì come ’l duca m’avea comandato,
porsila a lui aggroppata e ravvolta.•111
Ond’ ei si volse inver’ lo destro lato,
e alquanto di lunge da la sponda
la gittò giuso in quell’ alto burrato.•114
« E’ pur convien che novità risponda »,
dicea fra me medesmo, « al novo cenno
che ’l maestro con l’occhio sì seconda».•117
Ahi quanto cauti li uomini esser dienno
presso a color che non veggion pur l’ovra,
ma per entro i pensier miran col senno!•120
El disse a me : « Tosto verrà di sovra
ciò ch’io attendo e che il tuo pensier sogna ;
tosto convien ch’al tuo viso si scovra».•123
Sempre a quel ver c’ha faccia di menzogna
de’ l’uom chiuder le labbra fin ch’el puote,
però che sanza colpa fa vergogna;•126
ma qui tacer nol posso ; e per le note
di questa comedìa, lettor, ti giuro,
s’elle non sien di lunga grazia vòte,•129
ch’i’ vidi per quell’ aere grosso e scuro
venir notando una figura in suso,
maravigliosa ad ogne cor sicuro,•132
sì come torna colui che va giuso
talora a solver l’àncora ch’aggrappa
o scoglio o altro che nel mare è chiuso,
che ’n sù si stende e da piè si rattrappa.•136