Il Viaggio, Dante, opératorio de Pascal Dusapin

Il Viaggio, Dante, opératorio de Pascal Dusapin

“Il Viaggio, Dante” est à la fois une traversée de l’œuvre de Dante, un hommage à la musicalité de sa langue et une œuvre nouvelle, personnelle et forte de Pascal Dusapin. Nous avons vu cet opératorio lors du Festival d’Aix-en-Provence, le 15 juillet 2022, au Grand Théâtre de Provence. 

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O voi che siete in piccioletta barca, / desiderosi d’ascoltar, seguiti / dietro al mio legno che cantando varca, / tornate a riveder li vostri liti : / non vi mettete in pelago, ché forse, / perdendo me, rimarreste smarriti.

L’avertissement lancé par le poète à ses lecteurs résonne sur la scène du Grand Théâtre de Provence, manière pour Pascal Dusapin de marquer son ambition et de prévenir les spectateurs d’Il Viaggio, Dante: suivez moi ou vous risquez de vous perdre; les eaux que vous allez parcourir dans ce spectacle ne l’ont jamais été. 

Une reproduction de l’Enfer de Botticelli au mur

Dante est en voiture. Il roule dans une forêt, boit au goulot. Il croise une femme. Est-ce Béatrice? C’est l’accident. L’écran se lève sur un appartement bourgeois aux murs gris et blancs, avec un tableau accroché au mur: une reproduction de l’Enfer de Dante dessiné par Botticelli. Le poète gît sur le plancher. Une femme habillée d’une courte robe noire, parée d’éclats, veille sur lui: 

I’o son Lucia / lasciatemi pigliar costui che dorme; sì l’agevolero per la sua via.

Les lecteurs de la Divine Comédie auront reconnu les vers du Chant IX du Purgatoire (v. 55-57), lorsque Lucie enlève Dante endormi pour le déposer à la porte du Purgatoire: «Je suis Lucie; laisse-moi prendre celui qui dort; je lui faciliterai sa route», dit-elle alors à Virgile. 

Dans cette scène où l’onirique se mêle au réel, le présent au passé, Lucie appelle Béatrice à venir au secours de son fedele. Ce dernier est-il éveillé? Gravement blessé —son plastron est ensanglanté—, il semble rêver. Il se revoit jeune, lorsque «est apparue la première fois la glorieuse dame de mes pensées, laquelle fut nommée par beaucoup Béatrice», ainsi qu’il le disait dans sa Vita Nuova

Le Narrateur sera notre guide

D’ailleurs, Dante «jeune» chante lui aussi. Répond-il au Dante «adulte»? À Lucie? Il semble plutôt dialoguer avec le chœur. Celui-ci s’afflige de la mort de l’aimée: «Ita n’è Beatrice in l’alto ciel». Le chœur l’accompagne dans sa douleur, alors qu’il découvre la disparition de Béatrice avec les premières notes du Miserere me, auquel Pascal Dusapin offre une belle et délicate variante. 

Dans ce premier tableau «d’exposition» de Il Viaggio, Dante, dont la complexité ne nuit pas à la  lisibilité, nous voyons se mettre en place les principaux ressorts de cet opératorio, comme l’appelle son créateur. 

Nous rencontrons notre guide, le Narrateur (Giacomo Prestia, formidable de présence), dont la veste éblouissante et les chaussures d’un rouge tout aussi étincelant sont autant de clins d’œil au Monsieur Loyal des cirques. Ce sera lui qui nous permettra de ne pas perdre le fil, tout au long des sept tableaux qui composent cette œuvre. 

L’auteur du texte est un certain Dante Alighieri, Frédéric Boyer, le librettiste, ayant puisé dans la Divine Comédie et la Vita Nuova, l’œuvre de jeunesse du poète. Il n’offre pas un résumé des deux œuvres, tâche impossible, mais avec ce matériau immense il a recomposé à partir de fragments soigneusement choisis une œuvre nouvelle. 

Le libre-arbitre du librettiste, Frédéric Boyer

La lecture du livret est pour tout amateur du poète florentin une source d’amusement devant la liberté que s’est accordée F. Boyer dans ce qu’il appelle «une libre traversée de l’œuvre de Dante»1: on voit des passages du Paradis s’enchaîner avec d’autres du Purgatoire, les noms des damnés, soigneusement rangés par Dante dans des cercles de l’Enfer différents, être tous égrainés dans un même chapelet… 

Mais cette liberté, nécessaire pour apporter à cet opéra sa poésie, s’accompagne d’une immense rigueur dans la reconstruction du texte. Il s’agit de nous faire entendre un voyage, à travers le deuil et la perte comme l’explique Frédéric Boyer: 

Je voulais construire un livret à partir du matériau Dante, sa langue, sa poésie et réaliser (…) une série de tableaux dont chacun mettrait en scène une épreuve de la parole humaine: dire la détresse, chanter le deuil, parler sans espérance, ou devoir dire ou décrire les malheurs du monde, puis dire l’espérance dont on ne possède jamais l’objet, et la vision béatifique qui ne sera pour nous que l’horizon de notre désir. Chacune de ces épreuves est toujours la nôtre. Comment entrer dans ce monde «sans espérance» et comment y dire ou y entendre notre espérance?2 

Le dialogue de deux Dante

Est-ce de là qu’est née cette idée étonnante, mais qui donne tant de force à cet opéra de faire apparaître et dialoguer deux “Dante”, l’un jeune, celui de la Vita Nuova, et l’autre, celui qui est déjà «nel mezzo del cammin di nostra vita», l’un qui perd Béatrice et s’en désespère et l’autre qui la retrouve au Paradis. 

On comprend mieux alors pourquoi le septième et dernier tableau s’ouvre sur les toutes dernières lignes de la Vita Nuova chantée par le «jeune» Dante: 

e poi piaccia a colui che è sire de la cortesia, che la mia anima se ne possa gire, a vedere la gloria de la sua donna, cioè di quella benedetta Beatrice, la quale gloriosamente mira ne la faccia di colui qui estper omnia secula benedictus. (“et après plût à celui qui est Sire de la courtoisie que mon âme puisse se tourner vers la gloire de sa dame, celle de cette Béatrice bienheureuse, laquelle glorieusement contemple la face de Celui qui est béni pour les siècles des siècles.”) 

et se clôt sur les derniers vers de la Divine Comédie, chanté par le Dante «adulte», désormais capable «a sostener lo riso mio» (“à soutenir mon sourire”) de Béatrice. Le voyage est achevé: 

Già volgeva il mio disio e’l volle,

si come rota ch’igualmente è mossa, 

l’amor che move il sole e l’altre stelle

(Déjà tournaient mon désir et la volonté, / comme se meut régulièrement une roue, / l’amour qui meut le soleil et autres étoiles)

La langue, un choix musical

Le livret utilise la langue de Dante, à l’exception de quelques ajouts pour le chœur en latin. Pascal Dusapin n’imaginait pas utiliser une traduction, car pour lui: 

Musicalement, la question de la langue était évidemment centrale3

Un choix d’autant plus évident que le compositeur a une longue et ancienne fréquentation de Dante. Dans les années 1990, il avait déjà composé Comœdia, une pièce inspirée de trois extraits du Paradis. Il utilisera encore la poésie dantesque dans d’autres œuvres, mais il lui restait «à faire quelque chose avec la Divine Comédie». 

Ce «quelque chose» est donc ce qu’il nomme un opératorio, contraction d’opéra et d’oratorio. Chez Dante, il n’y a pas la même théâtralité, estime-t’il que chez Shakespeare. Peut-être aussi —mais Pascal Dusapin ne le dit pas— existe-t’il une dimension religieuse irréductible dans l’œuvre du poète florentin. 

Celle-ci se retrouve à l’évidence tout au long de la pièce dans les  répons du chœur. Ses chants latins rythment et ponctuent tant le quatrième tableau, celui de l’Enfer, que les sixième et septième, ceux du Purgatoire et du Paradis. 

Une musique contrastée

La musique et les chants de Il Viaggio, Dante sont, pour quelqu’un qui avait assisté la veille à une représentation de l’opéra de Rossini, Moïse et Pharaon, plus… contrastés. Pascal Dusapin joue dans sa composition sur des plages apaisées, de moments de tension, n’hésite pas à créer parfois, dans certaines parties de l’Enfer, un sentiment de malaise. 

La fin angoissante du troisième tableau, où, comme le dit le Narrateur à propos des damnés, «Nulla sperenza li conforta mai» (“nulle espérance, jamais ne les conforte”), la musique âpre qui n’est pas sans rappeler celle des films d’épouvante, les coups de cymbales, les chants du Dante «adulte» et de Virgile qui épousent cette musique angoissante, les rires des damnés… tout concourt à exprimer ce moment terrible où il faut entrer dans l’Enfer, et le faire sous le rire des damnés ou celui du chœur… on ne sait plus… 

Dès le gong d’ouverture du quatrième tableau, les questions pleines de colère de Filippo Argenti frappent: «Che se’ tu / che vieni anzi ora?». La musique complexe soutient, accompagne et amplifie les chants volontairement dissonants et la force tranquille du chœur. Elle laisse du temps à la parole nue, celle du Narrateur, et ricane lorsque les damnés rient. 

Virgile, pâtre échappé des Géorgiques

La qualité des chanteuses et des chanteurs participe à la réussite de cette ambitieuse création. L’étonnante performance de la mezzo-soprano Christel Loetzsch qui joue le «jeune Dante» mérite d’être soulignée. Pascal Dusapin indique avoir écrit sa musique pour cette chanteuse: 

Christel Loetzsch (…) possède une voix de mezzo avec de très beaux aigus et des graves assez spectaculaires, et se situe donc presque entre deux registres de genre. Pour imaginer le rôle de Giovane Dante, j’ai donc construit deux mondes psychologiques incarnés tout simplement par le grave et l’aigu de la voix.»4

Le «tout simplement» mérite d’être apprécié à la hauteur de la performance de Christel Loetzsch. Mais s’en tenir à cette seule chanteuse ne serait pas faire justice aux autres artistes qui ont fait vivre cette création. Jean-Sébastien Bou incarne un Dante tourmenté. Evan Hugues campe un Virgile, pâtre que l’on croirait échappé des Géorgiques

Jennifer France, vêtue de cette «nobilissime colore, umile et onesto, sanguigno», est cette Béatrice tout d’abord «perdue» puis retrouvée et dont finalement Dante pourra «sostener il mio riso». 

Il faut aussi souligner la performance exceptionnelle de Dominique Visse, contre-ténor, qui donne voix mais aussi corps aux damnés, et ne pas oublier la soprano colorature Maria Carla Pino Cury si sage dans sa petite robe noire constellée de diamants, mais si présente tout au long de la pièce. 

Quand pourrons-nous revoir cet opéra?

Un opéra, c’est aussi un orchestre et un chœur. Ici chacun a joué sa juste partition avec l’emploi d’instruments inusités comme le glass harmonica ou les glockenspiels, sous la direction inspirée de Kent Nagano. 

La question à se poser désormais est de savoir où et quand cet opéra, qui n’a été interprété qu’à quatre reprises lors du Festival d’Aix-en-Provence 2022, sera de nouveau monté et joué.

Pour l’instant, il est possible d’en écouter une captation sur France Musique5, mais il manque la dimension visuelle, qu’il s’agisse des décors sobres et dépouillés d’Étienne Pluss et de la mise en scène soignée de Claus Guth. 

Pour une première écoute de cette œuvre complexe, il semble difficile de se contenter du seul son, sans disposer du livret ni des repères visuels, aides précieuses à la compréhension. Mais peut-être suffit-il de se laisser porter par la musique et le chant et tout comme le jeune Dante de ne pas perdre l’espérance. Après tout, cet Opéra est certes une commande du Festival d’Aix en Provence, mais aussi de l’Opéra National de Paris. Alors pourquoi Il Viaggio, Dante ne renaîtrait-il pas bientôt sur une autre scène? «Già volgeva il mio disio e’l velle…» 

Notes

  • Il Viaggio, Dantede Pascal Dusapin. Opéra en sept tableaux
  • Livret de Frédéric Boyer d’après Vita Nova et Divina Commedia de Dante
  • Direction musicale Kent Nagano
  • Mise en scène et chorégraphie Claus Guth
  • Décors Étienne Pluss
  • Costumes Gesine Völlm
  • Lumière Fabrice Kebour
  • Vidéo rocafilm
  • Dante : Jean-Sébastien Bou
  • Virgilio : Evan Hughes
  • Giovane Dante : Christel Loetzsch
  • Beatrice : Jennifer France
  • Lucia : Maria Carla Pino Cury
  • Voce dei dannati : Dominique Visse
  • Narratore : Giacomo Prestia
  • Chœur de l’Opéra de Lyon
  • Chef de choeur : Richard Wilberforce
  • Orchestre de l’Opéra de Lyon dirigé par Kent Nagano
  • Commande du Festival d’Aix-en-Provence, Opéra National de Paris
Una commedia per Dante, opéra-bouffe de Federico Benedetti

Una commedia per Dante, opéra-bouffe de Federico Benedetti

«Una commedia per Dante» a été composée pour fêter l’anniversaire des 700 ans de la mort du poète. Elle a été commandée au compositeur et musicien de jazz, Federico Benedetti. Il a réussi un opéra-bouffe joyeux et moqueur qui interroge à sa manière les origines de la Divine Comédie. Cette œuvre, créée le 17 mai 2021 au Teatro Olimpico de Vicenza, est aujourd’hui accessible sur la chaîne YouTube du Conservatoire de Vicenza. 

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Una commedia per Dante, de Federico Benedetti. Dans cette scène Dante est entouré d’Amour, de Béatrice et de Guido Cavalcanti. (Capture d’écran).

À s’en tenir à la lettre de Una commedia per Dante, de Federico Benedetti, Dante n’aurait été qu’un Casanova de préfecture, le pâle plagiaire d’un auteur arabe, un pauvre versificateur dont la gloire ne serait dûe qu’à un pacte faustien. 

Il y a bien sûr du vrai dans ces péchés dont est chargé le poète florentin, mais l’opéra-bouffe de Federico Benedetti est d’abord et avant tout une plaisante pochade que l’on a un grand plaisir à regarder. 

Dans un interview à Proustonomics1 l’auteur a révélé le point de départ du livret: 

La culture européenne a été beaucoup influencée par l’Espagne musulmane, au point qu’une des œuvres de jeunesse de Dante, La Vita Nova, semble très inspirée d’un auteur musulman andalou du XIe siècle, Ibn Hazm, qui a écrit Le Collier de la Colombe, sorte de version arabe de La Vita Nova

Une osmose entre deux traditions littéraires

Cette influence musulmane est peut-être particulièrement marquée pour ce qui concerne la poésie provençale en raison de nombreux échanges entre l’Andalousie et la France méridionale du XIIe siècle. «Cela fait suspecter, écrit Massimo Campanini, qu’une osmose se soit produite, un échange, non admis peut-être, mais indubitable, entre deux traditions littéraires distinctes mais sur de nombreux points convergentes».2

Logiquement, Federico Benedetti tire ce fil et installe Ibn Hazm en justicier de la poésie. «Je suis venu te démasquer très cher imposteur», dit-il à Dante dans l’une des premières scènes de la pièce. Il explique au poète italien qu’il a écrit Le Collier de la Colombe, un récit 

moitié en vers, moitié en prose, dédié à un ami cher pour parler de l’amour et de mon expérience. J’y ai raconté comment l’amour élève l’âme au Ciel. (…) Avec Vita Nova tu as écrit à ta manière mon livre. 

Et la manière de Dante n’est pas celle d’Ibn Hazm:

La problématique de l’amour chez Ibn Hazm anticipe certains aspects du Stilnovo: une vision de l’amour qui oscille entre abandon sensuel et contrôle éthico-spirituel, même si évidemment chez l’auteur arabe il n’y a pas de nature angélique de la femme. Il est plus proche de Cavalcanti (ou Guittone) que de Dante.3

Un acte d’accusation cruel

Quoiqu’il en soit, les retrouvailles —sur scène— de Dante avec ses anciennes “amours” ne sont guère aimables, qu’il s’agisse de la donna pietosa, cette «noble jeune dame et très belle qui le regardait avec compassion» 4; de la donna specchio (ou schermo) cette jeune femme qui sera «un écran pour la vérité»5 et lui permettra de cacher son amour pour Béatrice; ou encore de la donna pietra (ou Petra, comme la nomme Dante), objet d’un amour tenace mais non partagé, et à laquelle Dante dédia quatre poèmes clairement identifiables. 

L’acte d’accusation est sévère: ce n’est pas avec ses propres vers qu’il a cherché à séduire ces jeunes dames, mais «en empruntant son arsenal aux poètes arabes et aux poètes provençaux».

Déjà attaqué comme plagiaire, avec l’apparition de Guido Cavalcanti, l’acte d’accusation s’enrichit de la trahison. Dante perd pied. Il avoue: «Comme tu as raison. À ce qui est vain j’ai donné de la valeur». 

Une proposition diabolique d’Amour

Il ne reste plus qu’à Béatrice —magnifique Sara Gramola— de planter le dernier clou en lui disant qu’il se retrouve «seul, narcissiste et immature». On retrouve là les accents du Chant XXX du Purgatoire: «e volse i passi suoi per via non vera, / imagini di ben seguendo false, / che nulla promession rendono intera» (“et il tourna ses pas vers une voie erronée / suivant des images fausses du bien, / qui ne tiennent aucune promesse entièrement — v. 130-132)

Comment retrouver sa gloire, redevenir le sommo Dante, alors que sa vie n’est plus que ruines et faux-semblants, c’est l’histoire de la fin de cette Commedia, dont la clé réside dans une suggestion diabolique d’Amour: 

que Dante écrive un long poème dans lequel il s’excusera et il sera pardonné. Il se confessera et obtiendra l’absolution

Sur les conditions de sa naissance ce long poème qu’est la Divine Comédie.qu’imagine Federico Benedetti nous ne dirons rien, et nous en resterons à la seule lecture de l’acte d’accusation. Le principe d’un opéra-bouffe est de proposer outre la fantaisie des situations et le jeu des quiproquos, un coup de théâtre final. 

C’est donc une jolie surprise que cette Commedia per Dante par son livret mais aussi par sa musique légère et entraînante. Il y a de belles réussites chantées, en particulier les deux duos entre Guido Cavalcanti et Dante pour le premier et entre Béatrice et Dante, où les voix se répondent et se superposent. 

UNA COMMEDIA PER DANTE

Opéra-Bouffe de Federico Benedetti titulaire de la chaire de Composition de Jazz au Conservatoire de Vicenza. ll est l’auteur du livret et de la musique. Cette œuvre a obtenu le patronage du Comité National pour la Célébration des 700 ans de la mort de Dante.

Dans la vidéo enregistrée dans le Teatro Olimpico di Vicenza, en l’absence de spectateur (en raison de la pandémie de Covid) le 17 mai 2021, la distribution est la suivante: 

  • Dante: Yumin Yang
  • Ibn Hazm / Amour / Diable: Diego Castello
  • Béatrice: Sara Gramola
  • Guido Cavalcanti: Alberto Zanetti 
  • La Donna Pietra: Lucìa Mariel Fernandez
  • La Donna Specchio: Hanna Kim
  • La Donna Pietosa: Chiara Selmo
  • La musique est interprétée par l’Ensemble du Conservatoire de musique de Vicenza, Arrigo Pedrollo.
Camera delle Lacrime: les Sphères du Paradis à Ivry

Camera delle Lacrime: les Sphères du Paradis à Ivry

Deux longues années après Les Cercles de l’Enfer, l’ensemble La Camera delle Lacrime a présenté au théâtre Antoine Vitez d’Ivry le dernier volet de sa trilogie sur la Divine Comédie de Dante: Les Sphères du Paradis.

Nous avions laissé, il y a deux ans maintenant, le théâtre Antoine Vitez d’Ivry-sur Seine, sur les derniers vers de l’Enfer de Dante, avec une promesse: dans un an, la Camera delle Lacrime revenait sur la même scène avec un nouveau spectacle, La Montagne du Purgatoire. Puis, la pandémie du Covid est passée. Le confinement, les restrictions et les contraintes sanitaires ont fait que de Purgatoire à Ivry, en 2020, il n’y eut pas.

C’est donc avec un plaisir immense que ce 5 décembre 2021, il a été possible de renouer le fil de cette création musicale autour du troisième cantique de la Divine Comédie: Les sphères du Paradis.

Khaï-dong Luong, directeur artistique et Bruno Bonhoure, directeur musical, ont conservé les mêmes principes que lors de la création des Cercles de l’Enfer. Le dispositif scénique est simple avec une première ligne où sont disposés chanteuses et musiciennes avec en son centre Bruno Bonhoure, feu follet qui danse, chante, joue du tambour et de la harpe, véritable chef d’orchestre du spectacle. En fond, est disposé le chœur du Conservatoire d’Ivry, renforcé par quelques chanteurs venus de Saint-Denis.

Le spectateur est invité à un rêve

Mais mêmes principes ne veut pas dire même spectacle. Pour l’Enfer, les costumes sombres des acteurs, l’atmosphère ténébreuse et la voix caverneuse de Denis Lavant créaient une ambiance sombre. Rien de cela ici: tout le monde est vêtu de blanc, et les lumières illuminent la scène. C’est à un rêve qu’est invité le spectateur. Un songe dont  la chanson de Michel Berger, Le Paradis Blanc, ouvre les portes.

Après la nuit de l’Enfer, ses ombres et son âpre descente dans la profondeur de ses Cercles, les Sphères du Paradis se veut un hymne à la légèreté, à la douceur et à la grâce, porté par l’harmonie des laudes du manuscrit de Cortona

Puisque rêve il y a, le spectateur effleure quelques étoiles. Il s’arrête sur la Lune, sur Vénus où il rencontre le poète Foulque de Marseille celui pour qui «couché et levé de soleil / ont Bougie et la terre où je suis né». Un hymne, plus tard, célèbre François d’Assises. Nous sommes déjà dans la sphère du Soleil… 

Ce spectacle enchanteur est la conclusion du cycle Dante Troubadour consacré à la Divine Comédie. Il ne se résume pas aux seuls spectacles. La Camera delle Lacrime a produit aussi une suite discographique, Inferno, Purgatorio et Paradiso qui permettent, d’en écouter les musiques, les chants et les récitatifs, c’est-à-dire de retrouver la musique de la poésie de Dante.

Pour ce spectacle à Ivry

  • le récit du poète était dit par la comédienne Marion Noone;
  • Caroline Dangin-Bardot, soprano, était au chant;
  • Cristina Alís Raurich à l’organetto et aux percussions;
  • Stéphanie Petibon à la viola d’arco et au luth. 
  • Le site de La Camera delle Lacrime. Le nom de la compagnie trouve sa source dans Vita Nuova, l’ouvrage de jeunesse de Dante, dans ce passage où dans une cérémonie de noces, Dante aperçoit «la gentilissima Beatrice», ce qui le choque si fort qu’il ne peut que retourner dans cette «camera delle lagrime» qui lui sert de refuge. (Vita Nuova, XIV, 9).
  • Photo d’illustration: Marc Mentré
Camera delle Lacrime: Les Cercles de l’Enfer à Ivry

Camera delle Lacrime: Les Cercles de l’Enfer à Ivry

Le dimanche 17 novembre 2019, la Camera delle Lacrime avait posé ses valises sur la scène du Théâtre Antoine Vitez à Ivry, dans la banlieue parisienne. Au programme, Les Cercles de l’Enfer, premier volet d’un cycle Dante Troubadour, dont l’aboutissement sera les Sphères du Paradis.

Un dispositif scénique simple: au centre d’une scène plongée dans une sombre pénombre qu’éclairent parcimonieusement quelques ampoules électriques, un chanteur; à ses côtés un récitant; en arrière, en arc de cercle, trois musiciens; derrière encore, un chœur.

«8 avril de l’an 1300, l’ante-enfer, le vestibule de l’Enfer…» Denis Lavant emmène les spectateurs. Il est Dante ou Virgile par la seule magie d’un chapeau cabossé, posé ou rejeté. Il est aussi ce fil d’Ariane qui évite à tous de se perdre dans le labyrinthe de cet Enfer un peu particulier. C’est une visite en accéléré qui est proposée par la Camera delle Lacrime. En effet, donner le texte du cantique en son entier exigerait plusieurs heures. Ce serait alors un autre spectacle.

L’audace tient dans la création musicale

Pour autant, les familiers de l’œuvre de Dante ne sauraient être dépaysés. Ils retrouvent la poésie du Sommo poeta et croisent le comte Ugolin ou Bertrand de Born, dont on ne saurait dire «s’il existe un tourment plus cruel» que celui qu’il subit. Ils évitent cerbère «bête étrange et cruelle, aboyant comme un chien de son triple gosier» ou Minos «à l’horrible grimace», mais aussi le Styx, ce bourbier où «plonge des hommes nus recouverts par la fange et bouillant de courroux», ou encore ce «lieu dit Malefosse composé de rochers de la couleur du fer».

Mais l’audace est ailleurs. Elle tient dans la musique et dans le chant, justes contrepoints à la voix de Denis Lavant. Audace, car dans l’Enfer, il n’existe ni chant ni musique. C’est le lieu de la cacophonie, de ce «tumulte, qui toujours / tournoyait dans cet air éternellement obscur, / comme le sable quand souffle un tourbillon» ou encore de ces «nombreux soupirs» qui font «frissonner une brise éternelle».

C’est donc une création musicale reposant sur le texte de l’Enfer, qui est proposée pour ce spectacle. «Nous utilisons la matière dantesque comme une partition dont il manquerait la notation musicale», expliquent Bruno Bonhoure et Khaï-dong Luong, les deux fondateurs de la Camera delle Lacrime, dans le livret qui accompagne l’enregistrement du spectacle. 

Rien  de statique, d’ennuyeux ou de forcé dans ce spectacle virevoltant, où la viole de gambe répond au tambourin, où le toscan “illustre” chanté par Bruno Bonhoure et par le chœur des enfants et des adultes du Conservatoire d’Ivry reprend la voix de Denis Lavant tour à tour murmure doucereux, féroce imprécation, lente déclamation… 

Bref, on a hâte de voir le Purgatoire  deuxième volet du cycle Dante Troubadour. Il devrait être monté l’année prochaine à Ivry. 

  • Le site de La Camera delle Lacrime
  • Illustration: La Camera delle Lacrime et le chœur du Conservatoire d’Ivry — Théâtre Antoine Vitez, Ivry-sur-Seine, le 17 novembre 2019 — photo Marc Mentré.
Dante’s Inferno, une série TV en enfer

Dante’s Inferno, une série TV en enfer

Quatre scénaristes talentueux, les moyens de Disney, une ambition affichée.…“Dante’s Inferno” coche toutes les cases qui devraient assurer à cette série TV un beau succès. Mais affirmer que ce projet s’inspire de La Divine Comédie est un abus de langage. Il n’en est —au mieux— qu’une pâle extrapolation.

La Divine Comédie sous forme de série TV? Pourquoi pas, surtout si les scénaristes sont talentueux. Si l’on en croit The Hollywood Reporter, qui le premier a annoncé la nouvelle, ce sera le cas. Ce sont en effet pas moins de quatre scénaristes chevronnés qui vont se lancer dans l’aventure. Les premiers sont Ethan Reiff et Cyrus Voris. Ils travaillent ensemble depuis 1987 et leur plus grand succès est sans doute Kung Fu Panda. Ils sont aussi les auteurs d’une série Knightfall, consacrée aux Templiers. Ils sont rejoints par Nina Fiore et John Herrera connus pour être les auteurs de l’adaptation TV du roman de Margaret Atwood, La servante écarlate.

Entre de telles mains on ne peut qu’imaginer une adaptation ambitieuse. Mais le diable se loge dans les détails.

On peut un tiquer tout d’abord en apprenant que les auteurs ont décidé de transposer l’Enfer de Dante dans le Los Angeles actuel. Toutefois, ce choix peut se comprendre: la transposition est pratique courante lorsqu’il s’agit d’adapter une œuvre classique pour un public contemporain. Il peut se concevoir d’autant plus que les programmes de Freeform, la filiale de Disney qui va réaliser la série, sont destinés principalement aux adolescents.

Dante sera une jeune fille de vingt ans

On peut tiquer aussi en apprenant que ce n’est pas Dante qui se rendra en Enfer, mais une jeune fille d’une vingtaine d’années, qui s’appellera Grace… Dante. Là encore sans doute faut-il séduire le jeune public et donc rajeunir le personnage principal. Une fraîche jeune fille est probablement jugée plus « attractive » qu’un barbon «nel mezzo del cammin di nostra vita». Mais cette décision entraîne ipso facto la disparition du personnage de Béatrice, l’un des principaux « moteurs » du poème original.

On peut tiquer enfin en lisant le pitch du scénario tel qu’il est résumé par Kombini :

(Grace) est décrite comme une adolescente troublée et déprimée qui vit à Los Angeles. Abandonnée par son père à sa naissance, Grace vit avec une mère toxicomane et un frère perturbateur. Elle a rapidement laissé tomber ses rêves pour veiller sur eux, mais une rencontre improbable va changer sa vie : Grace va passer un pacte avec le diable en personne afin de se sortir de son quotidien misérable.

Suite à cet accord entre les deux, la vie de Grace va s’améliorer considérablement : la jeune fille trouvera l’amour, sa famille ira mieux, l’école et une carrière professionnelle florissante lui souriront… Mais le patron de l’enfer revient tôt ou tard chercher son dû, et Grace devra traverser les neuf cercles de l’enfer pour le vaincre et reprendre en main le contrôle de son destin.

Dans La Divine Comédie, il n’est nulle part question d’un “pacte faustien” de ce type. Lucifer, vaincu, est immobile, enterré à mi-corps, au fond du gouffre de l’Enfer que sa chute a créé. Ses seuls mouvements se réduisent à remâcher éternellement les ombres de trois traîtres et à battre des ailes dans l’obscur désert glacé du Cocyte.

On pourrait ainsi tiquer à l’infini. Mais est-ce bien utile? Le poème de Dante est —on l’a compris— vidé de ce qui en fait le sel et la force. Il est réduit à un décor, un stock d’images, d’anecdotes et de personnages où les auteurs puiseront au gré de l’avancement de leur scénario.

Au bout du compte, nous aurons sans doute une série attractive et spectaculaire comme un jeu vidéo. D’ailleurs, celui-ci existe déjà. Il s’appelle également Dante’s Inferno.
Game over

  • Illustration: Devil’s Gate au bord du de l’Arroyo Seco. Photo prise avant 1920 et la construction du barrage du même nom à proximité de Pasadena (Los Angeles County). On distingue clairement à droite le profil du « diable » avec sa bouche aujourd’hui fermée par une grille. Attribution: Magi media – CC A – SA 3.0

 

 

 

La Divine Comédie en Enfer

La Divine Comédie en Enfer

ENFER. Le mot s’affiche en lettres lumineuses sur l’écran au fond de la salle plongée dans le noir. Seuls quelques repères blancs destinés à guider la danseuse se détachent sur le sol sombre. Nous sommes une trentaine de spectateurs dans une petite salle du théâtre de La Reine Blanche, pour assister à la première d’Enfer, le nouveau spectacle d’Aurélien Richard1. Il entend, est-il écrit sur une carte postale distribuée à l’entrée,  «rendre sensible La Divine Comédie de Dante et donner envie d’aller s’y abreuver».

Autant le dire immédiatement de La Divine Comédie et de son Enfer, il ne reste comme traces que l’obscurité dans laquelle se déroule la pièce et le chiffre “9”. Des choix logiques: l’Enfer est le monde de la nuit, d’un ciel veuf de ses étoiles; neuf, c’est le nombre de cercles que parcourent Dante et Virgile. 

Mais le «principe» du spectacle d’Aurélien Richard ne se réduit évidemment pas à ces éléments de mise en scène. Il a décidé «de faire endurer à l’interprète principale une série d’épreuves, tant chorégraphiques que musicales ou théâtrales.»

C’est pourquoi durant 45 petites minutes, Yasminee Lepe Gonzalez, l’interprète, se transformera successivement en une cantatrice, Cathy Berberian, en une chorégraphe, Bronslava Nijinska (la sœur de Nijinsky), en Nana Mouskouri, rejouera Brigitte Bardot dans la fameuse séquence du Mépris de Jean-Luc Godard, dansera comme l’ancienne étoile de l’Opéra Ghislaine Thesmar, sera Anna Karina, racontera la chute (en Enfer?) d’Amy Winehouse, fera revivre Sara Kane, avant de disparaître dans les pas de Romy Schneider. 

Bref, cela fait un spectacle mais où est l’Enfer? Il y a  malentendu. La Divine Comédie n’est pas un parcours solitaire, tant s’en faut. Personne n’y est seul et Dante moins que les autres; il est toujours accompagné —tout particulièrement dans l’Enfer— par Virgile. C’est dans ces échanges constants avec celui qu’il appelle « son guide » ou « son maître », mais aussi avec les damnés, que Dante chemine pour espérer retrouver la « voie droite ». Or ici, nous tournons en rond dans les cercles sombres du désespoir et de rédemption, il n’y a pas. 

Peut-être l’Enfer est-il suggéré par les neuf « épreuves » que doit endurer Yasminee Lepe Gonzalez, à travers l’allusion métaphorique aux différents personnages représentés? Mais quel fil les relie à celles que vivent les damnés dans l’Enfer de Dante? Aurélien Richard indique que les femmes interprétées par Y. Lepe Gonzalez représente pour lui «un panthéon de sublimation de la souffrance». Malheureusement, leur souffrance est trop humaine, contenue dans la brièveté d’une vie; on est loin de la punition éternelle des damnés dantesques. 

La pièce s’achève sur les pas de Romy Schneider qui se perdent dans le noir… Il nous manque alors de monter par cette ouverture décrite par Dante dans le dernier chant de l’Enfer pour voir de «nouveau les étoiles». 

 

Yasminee-Lepe-Gonzalez

Yasminee-Lepe-Gonzalez interprète neuf personnages féminins dans « Enfer », d’Aurélien Richard – (photo Marc Mentré)