Le Purgatoire – Chant XXX

Dante et Béatrice au Paradis terrestre, Poul Simon Christiansen (1895), Statens Museum for Kunst. Copenhague, Danemark – Domaine public.

Paradis terrestre • Apparition de Béatrice sur le char • Disparition de Virgile • Chant de compassion des anges • Reproches de Béatrice à l’encontre de Dante.

Quand le septentrion du premier ciel,

qui jamais se couche ou se lève1 

et n’a d’autre brume que le voile du péché,•3 

et qui faisait là chacun conscient 

de son devoir, comme celui2 qui plus bas guide 

le timonier pour entrer au port,•6 

s’immobilisa : les hommes de vérité3

qui marchaient entre lui et le griffon, 

se tournèrent vers le char comme vers leur paix4;•9 

et l’un d’eux, qui semblait un envoyé du ciel, 

chantant “Veni, sponsa, da Libano5 

cria trois fois, et tous les autres après lui.•12 

Comme les bienheureux, à l’appel du Jugement dernier, 

surgiront en hâte de leurs sépulcres, 

chantant alléluia de leurs voix retrouvées,•15 

ainsi se levèrent du divin carrosse

ad vocem tanti senis6

cent7 ministres et messagers de la vie éternelle8.•18 

Ils disaient tous : “Benedictus qui venis !9

en lançant des fleurs en l’air et tout autour, 

Manibus, oh, date lilïa plenis!10.•21 

Je vis déjà au lever du jour 

l’orient entièrement teint de rose 

dans un ciel coloré de bel azur;•24 

et la face du soleil naître ombrée, 

si bien que les vapeurs l’atténuant 

l’œil pouvait en soutenir longtemps la vue:•27 

ainsi dans une nuée de fleurs 

qui s’échappait des mains des anges 

et retombait sur le char et tout autour,•30 

sous un voile pur le front ceint d’oliver11

une dame m’apparut vêtue des couleurs 

de la flamme vive12, sous un manteau vert13.•33 

Et mon esprit, qui depuis si longtemps 

n’avait pas été par sa présence 

saisi de stupeur, tremblant, brisé,•36 

sans l’avoir encore reconnue de mes yeux, 

par la vertu cachée qui venait d’elle, 

sentit la grande force de l’ancien amour.14•39 

Aussitôt que frappa mon visage 

la haute vertu qui déjà m’avait transpercé 

avant que je sorte de l’âge puéril15,•42 

je me tournai sur ma gauche avec l’attente 

avec laquelle le petit enfant court vers sa maman 

quand il a peur ou quand il est chagrin,16•45 

pour dire à Virgile : “Moins d’une once 

de mon sang me reste qui ne tremble pas : 

je reconnais les traces du feu dont j’ai brûlé”.•48 

Mais Virgile nous avait laissé privé 

de sa compagnie, Virgile très doux père, 

Virgile à qui pour mon salut je m’étais abandonné;17•51 

tout ce que perdit l’antique mère18

n’empêcha pas mes joues lavées de larmes, 

de se rembrunir19, en pleurant.•54 

« Dante20, parce que Virgile s’en va 

ne pleure pas encore, ne pleure pas encore ; 

car il te faudra pleurer pour un autre coup21•57 

Comme un amiral qui de la poupe ou de la proue22 

vient observer les gens qui servent 

sur les autres navires, et les exhorte à bien faire;•60 

ainsi sur le bord gauche du char, 

quand je me tournai à l’appel de mon nom, 

que j’écris ici par nécessité,•63 

je vis la dame qui auparavant 

m’était apparue voilée sous l’angélique fête23

fixer les yeux sur moi par delà le ruisseau.•66 

Bien que le voile qui tombait de son front, 

ceint des rameaux de Minerve24

ne laissait pas voir ses expressions,•69 

royale dans son maintien altier 

elle poursuivit et, comme fait l’orateur, 

garda le plus brûlant pour la fin:•72 

« Regarde bien ! Je suis bien, je suis bien Béatrice25

Comment t’es-tu jugé digne d’accéder à ce mont ? 

ne sais-tu pas qu’ici est l’homme bienheureux26?».•75 

Mon regard défaillit vers le clair ruisseau ; 

mais en m’y voyant, je le tournai vers l’herbe, 

tant la honte27 me pesait sur le front.•78 

Comme au fils la mère paraît sévère,

telle elle me parut ; car la saveur 

de cet amour mordant est teintée d’amertume.•81 

Elle se tut ; et les anges chantèrent 

aussitôt “In te, Domine, speravi5

mais ne dépassèrent pas “pedes meos”.•84 

Comme la neige gèle sur l’échine 

de l’Italie entre les arbres vifs, 

soufflée et tassée par les vents schiavi28,•87 

puis, rendue liquide, coule en elle-même, 

lorsque souffle la terre où l’ombre se perd29

comme la chandelle fondue par la flamme;•90 

ainsi je fus sans larmes ni soupirs 

avant le chant de ceux30 qui suivent toujours 

la partition des cercles éternels;•93 

mais les entendant en leurs douces harmonies31 

avoir compassion pour moi, mieux que s’ils avaient dit : 

“Dame, pourquoi l’accable-tu ainsi?”,•96 

la glace qui serrait mon cœur, 

se fit soupir et eau, et avec angoisse 

sortit de ma poitrine par la bouche et les yeux.•99 

Elle, toujours debout et immobile 

sur le bord du char, s’adressa alors 

aux pieux élus32:•102 

« Vous qui veillez dans le jour éternel, 

si bien que ni nuit ni sommeil ne vous cachent 

un seul pas que fait le monde sur ses voies;•105 

aussi ma réponse et faite 

pour que m’entende celui qui pleure là-bas, 

et que sa douleur soit à la mesure de sa faute33.•108 

Non par l’action des grandes sphères, 

qui dirige chacun vers ses fins 

selon les étoiles qui l’accompagnent34,•111 

mais par largesses des grâces divines, 

qui pleuvent de si hautes nuées, 

que notre regard ne peut s’en approcher,•114 

celui-ci fut tel dans sa jeunesse35 

que, potentiellement, chaque talent heureux 

aurait produit en lui un effet admirable.•117 

Mais d’autant plus méchant et sauvage 

devient le terrain mal semé et non cultivé, 

quand il a plus de vigueur terrestre.•120 

Quelque temps36je le soutins de mon visage : 

en lui montrant mes jeunes yeux, 

je le menais avec moi sur la voie droite37.•123 

Mais sitôt que je fus arrivée au seuil 

de mon second âge et que je changeai de vie38,  

il se détourna de moi, et se donna à d’autres39.•126 

Quand je me fus élevé de chair à esprit, 

et qu’en moi croissaient beauté et vertu, 

je lui fus moins chère et moins agréable;•129 

et il tourna ses pas vers une voie erronée40

suivant des images fausses du bien, 

qui ne tiennent aucune promesse entièrement.•132 

J’obtins41 en vain de l’inspirer, 

et ainsi par des songes et autrement42 

de le rappeler ; peu lui importait!•135 

Il tomba si bas, que tous les moyens  

pour le sauver étaient déjà trop courts, 

sauf à lui montrer les damnés43.•138 

Pour cela je visitai l’entrée des morts44

pour porter, en pleurant, mes prières, 

à celui45 qui l’a conduit jusqu’ici.•141 

La volonté de Dieu serait rompue, 

si le Léthé était passé46 et si cet aliment 

était goûté sans qu’aucun écot 

de repentir ne fasse verser des pleurs.»•145 

Paradiso terrestre • Apparizione di Beatrice sul carro • Scomparsa di Virgilio • Gli angeli cantano parole di compassione • Parole d’accusa di Beatrice contro Dante.

Quando il settentrïon del primo cielo, 

che né occaso mai seppe né orto 

né d’altra nebbia che di colpa velo,•3 

e che faceva lì ciascuno accorto 

di suo dover, come ’l più basso face 

qual temon gira per venire a porto,•6 

fermo s’affisse : la gente verace, 

venuta prima tra ’l grifone ed esso, 

al carro volse sé come a sua pace;•9 

e un di loro, quasi da ciel messo, 

“Veni, sponsa, de Libano” cantando 

gridò tre volte, e tutti li altri appresso.•12 

Quali i beati al novissimo bando 

surgeran presti ognun di sua caverna, 

la revestita voce alleluiando,•15 

cotali in su la divina basterna 

si levar cento, ad vocem tanti senis, 

ministri e messaggier di vita etterna.•18 

Tutti dicean : “Benedictus qui venis !”, 

e fior gittando e di sopra e dintorno, 

“Manibus, oh, date lilïa plenis!”.•21 

Io vidi già nel cominciar del giorno 

la parte orïental tutta rosata, 

e l’altro ciel di bel sereno addorno;•24 

e la faccia del sol nascere ombrata, 

sì che per temperanza di vapori 

l’occhio la sostenea lunga fïata:•27 

così dentro una nuvola di fiori 

che da le mani angeliche saliva 

e ricadeva in giù dentro e di fori,•30 

sovra candido vel cinta d’uliva 

donna m’apparve, sotto verde manto 

vestita di color di fiamma viva.•33 

E lo spirito mio, che già cotanto 

tempo era stato ch’a la sua presenza 

non era di stupor, tremando, affranto,•36 

sanza de li occhi aver più conoscenza, 

per occulta virtù che da lei mosse, 

d’antico amor sentì la gran potenza.•39 

Tosto che ne la vista mi percosse 

l’alta virtù che già m’avea trafitto 

prima ch’io fuor di püerizia fosse,•42 

volsimi a la sinistra col respitto 

col quale il fantolin corre a la mamma 

quando ha paura o quando elli è afflitto,•45 

per dicere a Virgilio : “Men che dramma 

di sangue m’è rimaso che non tremi : 

conosco i segni de l’antica fiamma”.•48 

Ma Virgilio n’avea lasciati scemi 

di sé, Virgilio dolcissimo patre, 

Virgilio a cui per mia salute die’mi;•51 

né quantunque perdeo l’antica matre, 

valse a le guance nette di rugiada 

che, lagrimando, non tornasser atre.•54 

« Dante, perché Virgilio se ne vada, 

non pianger anco, non piangere ancora ; 

ché pianger ti conven per altra spada».•57 

Quasi ammiraglio che in poppa e in prora 

viene a veder la gente che ministra 

per li altri legni, e a ben far l’incora;•60 

in su la sponda del carro sinistra, 

quando mi volsi al suon del nome mio, 

che di necessità qui si registra,•63 

vidi la donna che pria m’appario 

velata sotto l’angelica festa, 

drizzar li occhi ver’ me di qua dal rio.•66 

Tutto che ’l vel che le scendea di testa, 

cerchiato de le fronde di Minerva, 

non la lasciasse parer manifesta,•69 

regalmente ne l’atto ancor proterva 

continüò come colui che dice 

e ’l più caldo parlar dietro reserva:•72 

« Guardaci ben ! Ben son, ben son Beatrice. 

Come degnasti d’accedere al monte ? 

non sapei tu che qui è l’uom felice?».•75 

Li occhi mi cadder giù nel chiaro fonte ; 

ma veggendomi in esso, i trassi a l’erba, 

tanta vergogna mi gravò la fronte.•78 

Così la madre al figlio par superba, 

com’ ella parve a me ; perché d’amaro 

sente il sapor de la pietade acerba.•81 

Ella si tacque ; e li angeli cantaro 

di sùbito “In te, Domine, speravi” ; 

ma oltre “pedes meos” non passaro.•84 

Sì come neve tra le vive travi 

per lo dosso d’Italia si congela, 

soffiata e stretta da li venti schiavi,•87 

poi, liquefatta, in sé stessa trapela, 

pur che la terra che perde ombra spiri, 

sì che par foco fonder la candela;•90 

così fui sanza lagrime e sospiri 

anzi ’l cantar di quei che notan sempre 

dietro a le note de li etterni giri;•93 

ma poi che ’ntesi ne le dolci tempre 

lor compatire a me, par che se detto 

avesser : “Donna, perché sì lo stempre?”,•96 

lo gel che m’era intorno al cor ristretto, 

spirito e acqua fessi, e con angoscia 

de la bocca e de li occhi uscì del petto.•99 

Ella, pur ferma in su la detta coscia 

del carro stando, a le sustanze pie 

volse le sue parole così poscia:•102 

« Voi vigilate ne l’etterno die, 

sì che notte né sonno a voi non fura 

passo che faccia il secol per sue vie;•105 

onde la mia risposta è con più cura 

che m’intenda colui che di là piagne, 

perché sia colpa e duol d’una misura.•108 

Non pur per ovra de le rote magne, 

che drizzan ciascun seme ad alcun fine 

secondo che le stelle son compagne,•111 

ma per larghezza di grazie divine, 

che sì alti vapori hanno a lor piova, 

che nostre viste là non van vicine,•114 

questi fu tal ne la sua vita nova 

virtüalmente, ch’ogne abito destro 

fatto averebbe in lui mirabil prova.•117 

Ma tanto più maligno e più silvestro 

si fa ’l terren col mal seme e non cólto, 

quant’ elli ha più di buon vigor terrestro.•120 

Alcun tempo il sostenni col mio volto : 

mostrando li occhi giovanetti a lui, 

meco il menava in dritta parte vòlto.•123 

Sì tosto come in su la soglia fui 

di mia seconda etade e mutai vita, 

questi si tolse a me, e diessi altrui.•126 

Quando di carne a spirto era salita, 

e bellezza e virtù cresciuta m’era, 

fu’ io a lui men cara e men gradita;•129 

e volse i passi suoi per via non vera, 

imagini di ben seguendo false, 

che nulla promession rendono intera.•132 

Né l’impetrare ispirazion mi valse, 

con le quali e in sogno e altrimenti 

lo rivocai : sì poco a lui ne calse!•135 

Tanto giù cadde, che tutti argomenti 

a la salute sua eran già corti, 

fuor che mostrarli le perdute genti.•138 

Per questo visitai l’uscio d’i morti, 

e a colui che l’ha qua sù condotto, 

li preghi miei, piangendo, furon porti.•141 

Alto fato di Dio sarebbe rotto, 

se Letè si passasse e tal vivanda 

fosse gustata sanza alcuno scotto 

di pentimento che lagrime spanda».•145