Le Purgatoire – Chant XXIX

Fresque minoenne représentant un griffon. Salle du trône du palais de Knossos, Crète – Photo: Juan Manuel Caicedo Carvajal (Cavorite) – CC BY-SA 2.0

Paradis terrestre • Le long de la rive du Léthé • Illumination et mélodie • Procession mystique • Les sept candélabres • Vingt-quatre vieillards • Personnages et animaux symboliques • Un char tiré par un griffon • Coup de tonnerre. 

Chantant comme le fait une amoureuse, 

elle poursuivit à la fin de ses paroles,

Beati quorum tecta sunt peccata!”.•3 

Et comme les nymphes errant seules 

par l’ombre de la forêt, désirant,  

l’une voir et l’autre fuir le soleil,•6 

alors elle remonta le ruisseau, marchant 

le long de la rive ; et moi comme elle,  

je suivais à petits pas ses pas menus.•9 

Nous n’avions pas fait cent pas entre les siens et les miens, 

que les rives tournèrent à angle droit,  

si bien que je revenais vers le levant.•12 

Nous avions peu avancé, 

quand la dame se retourna vers moi, 

en disant : « Mon frère, regarde et écoute».•15  

Et tout à coup un éclat de lumière parcourut 

de tous côtés la grande forêt,

tel qu’il me fit penser à un éclair.•18 

Mais alors que l’éclair s’éteint comme il vient, 

celui-ci, se prolongeant, resplendissait toujours plus, 

je pensais : “Qu’est-ce là?”.•21 

Et une douce mélodie courait

par l’air lumineux ; une juste colère 

me fit réprouver l’audace d’Ève,•24 

car là où la terre et le ciel obéissaient, 

une femme, seule et à peine créée,

ne souffrit pas le moindre voile;•27 

si, sous lui, elle était restée docile, 

j’aurais ressenti ces délices ineffables 

plus tôt et plus longtemps.•30 

Tandis que j’allais plein de stupeur 

parmi tant de prémices du plaisir éternel, 

et désireux, encore, de plus de liesse,•33 

l’air devant nous, sous les vertes ramures, 

devint comme un feu qui s’embrase ; 

et le doux son se fit chant.•36 

Ô Vierges sacro-saintes, si jamais j’ai souffert

pour vous la faim, le froid ou les veilles, 

nécessité me pousse à vous demander de l’aide.•39 

Il faut que pour moi l’Hélicon ruisselle, 

et qu’Uranie m’aide avec son chœur 

à mettre en vers choses difficiles.•42 

Un peu plus loin, apparence trompeuse,

en raison de la grande distance entre eux et nous,

ce qui semblait être sept arbres d’or;•45 

mais quand je fus près d’eux,

et que l’objet commun, qui trompe les sens,

par l’éloignement ne perdit aucun de ses traits,•48 

la vertu qui apporte jugement à la raison, 

m’apprit que ceux-ci étaient des candélabres,

et parmi les voix se chantait “Hosanna”.•51 

En hauteur le bel ensemble flamboyait

plus brillant qu’une lune pleine,

par une nuit sereine.•54 

Je me retournai plein d’admiration

vers le bon Virgile, et en réponse

son regard n’était pas moins stupéfait.•57 

Puis je regardai les nobles choses 

qui venaient vers nous si lentement,

que nouvelle épousée les aurait dépassées.•60 

La dame me tança : « Pourquoi, ne brûles-tu

de désir que pour les vives lumières,

et ne regardes-tu pas ce qui vient derrière?».•63 

Je vis alors des gens, vêtus de blanc,

marcher comme s’ils étaient derrière leurs chefs ;

et telle blancheur ne fut jamais sur terre.•66 

L’eau miroitait sur mon flanc gauche,

et si je la regardais, réfléchissait

mon côté gauche, comme dans un miroir.•69 

Quand sur ma rive j’atteignis ce poste,

où seule la rivière me séparait d’eux,

pour mieux voir j’arrêtai mes pas,•72 

et je vis les belles flammes avancer,

laissant derrière elles l’air peint,

comme par des traits de pinceaux;•75 

si bien qu’au-dessus demeuraient bien distincts

sept traînées de lumière, de toutes ces couleurs

qui font l’arc du Soleil et la ceinture de Diane.•78 

Ces étendards se perdaient au-delà

de ma vue ; et, à ce qu’il me semblait,

dix pas séparaient ceux qui étaient aux extrémités.•81 

Sous un ciel aussi beau que je le décris,

vingt-quatre vieillards, deux à deux,

venaient couronnés de fleurs de lys.•84 

Ils chantaient tous: « Bénie sois-tu 

entre les filles d’Adam, et que bénies

soient tes beautés pour l’éternité!».•87 

Après que les fleurs et les herbes fraîches

en face de moi sur l’autre berge

furent quittées par ces gens élus,•90 

comme lumière suit lumière dans le ciel,

vinrent derrière eux quatre animaux,

couronnés chacun de vert feuillage.•93 

Chacun avait six ailes couvertes de plumes ;

des plumes emplies d’yeux ; et les yeux d’Argos,

s’ils étaient encore vivants, seraient semblables.•96 

À les décrire je ne dépense plus de

rimes, lecteur ; car un autre devoir me presse, 

tant que que je ne puis plus les détailler;•99 

mais lis Ézéchiel, qui les dépeint

comme il les vit venir des froides régions

avec le vent, les nuages et le feu;•102 

et comme tu les trouveras dans ses écrits,

tels ils étaient ici, sauf pour les ailes

où Jean est en accord avec moi et s’écarte de lui.•105 

Un char triomphal à deux roues

emplissait l’espace entre eux quatre,

tiré par le col d’un griffon.•108 

Il levait sur la médiane l’une et l’autre de ses ailes tendues 

entre les trois —et trois— traînées de lumière 

si bien que passant entre elles, il n’en abîmait aucune.•111 

Elles montaient si haut qu’elles n’étaient plus visibles ;

ses membres d’oiseau étaient couleur d’or,

et les autres blancs, mêlés de vermeil.•114 

À Rome aucun char aussi beau

ne réjouit l’Africain, ou Auguste,

et celui du Soleil semblerait pauvre face à lui;•117 

celui du Soleil qui, égaré, fut brûlé

à la prière de la Terre pieuse,

quand Jupiter fut secrètement juste.•120 

Trois dames près de la roue droite

venaient en dansant ; l’une était si rouge

qu’on la remarquerait à peine dans le feu;•123 

l’autre était comme si ses chairs et

ses os étaient faits d’émeraude ;

la troisième semblait faite de neige fraîche;•126 

Et elles paraissaient guidées soit par la blanche,

soit par la rouge ; et sur le chant de celle-ci

les autres réglaient leur pas soit lent soit vif.•129 

À gauche quatre dansaient,

vêtues de pourpre, suivant le rythme

d’une des leurs qui avait trois yeux.•132 

Après tout ce groupe ici dépeint

je vis deux vieillards vêtus différemment,

mais identiques dans leur attitude digne et sévère.•135 

L’un paraissait être un des disciples

du grand Hippocrate que la nature fit naître

pour prendre soin de cet animal qui lui est le plus cher;•138 

l’autre montrait un soin opposé

avec une épée si resplendissante et aiguisée,

qu’elle me fit peur de l’autre côté du ruisseau.•141 

Puis j’en vis quatre d’humble apparence ;

et derrière tous, venait en dormant

un vieillard seul au visage expressif.•144 

Ces sept étaient vêtus comme la

première troupe, de lys

leurs têtes n’étaient pas couronnées,•147 

mais leurs fronts ornés de roses et autres fleurs vermeilles ;

on aurait juré en les regardant de loin

que tous brûlaient au-dessus des sourcils.•150 

Et quand le char fut en face de moi,

un tonnerre éclata, et ces saintes gens

semblèrent voir leur marche interdite, 

et ils s’arrêtèrent avec les premières enseignes.•154

Paradiso terrestre • Lungo le rive del Leté • Illuminazione e melodia • Mirabile Processione • Sette candelabri • Ventiquattro vegliardi • Personaggi et animali simbolici • Un carro tirato da un grifone • Tuono e fermata del corteo. 

Cantando come donna innamorata, 

continüò col fin di sue parole : 

Beati quorum tecta sunt peccata!”.•3 

E come ninfe che si givan sole 

per le salvatiche ombre, disïando 

qual di veder, qual di fuggir lo sole,•6 

allor si mosse contra ’l fiume, andando 

su per la riva ; e io pari di lei, 

picciol passo con picciol seguitando.•9  

Non eran cento tra ’ suoi passi e ’ miei, 

quando le ripe igualmente dier volta, 

per modo ch’a levante mi rendei.•12 

Né ancor fu così nostra via molta, 

quando la donna tutta a me si torse, 

dicendo : « Frate mio, guarda e ascolta».•15 

Ed ecco un lustro sùbito trascorse 

da tutte parti per la gran foresta, 

tal che di balenar mi mise in forse.•18 

Ma perché ’l balenar, come vien, resta, 

e quel, durando, più e più splendeva, 

nel mio pensier dicea : “Che cosa è questa?”.•21 

E una melodia dolce correva 

per l’aere luminoso; onde buon zelo 

mi fé riprender l’ardimento d’Eva,•24 

che là dove ubidia la terra e ’l cielo, 

femmina, sola e pur testé formata, 

non sofferse di star sotto alcun velo;•27 

sotto ’l qual se divota fosse stata, 

avrei quelle ineffabili delizie 

sentite prima e più lunga fïata.•30 

Mentr’ io m’andava tra tante primizie 

de l’etterno piacer tutto sospeso, 

e disïoso ancora a più letizie,•33 

dinanzi a noi, tal quale un foco acceso, 

ci si fé l’aere sotto i verdi rami ; 

e ’l dolce suon per canti era già inteso.•36 

O sacrosante Vergini, se fami, 

freddi o vigilie mai per voi soffersi, 

cagion mi sprona ch’io mercé vi chiami.•39 

Or convien che Elicona per me versi, 

e Uranìe m’aiuti col suo coro 

forti cose a pensar mettere in versi.•42 

Poco più oltre, sette alberi d’oro 

falsava nel parere il lungo tratto 

del mezzo ch’era ancor tra noi e loro;•45 

ma quand’ i’ fui sì presso di lor fatto, 

che l’obietto comun, che ’l senso inganna, 

non perdea per distanza alcun suo atto,•48 

la virtù ch’a ragion discorso ammanna, 

sì com’ elli eran candelabri apprese, 

e ne le voci del cantare “Osanna”.•51 

Di sopra fiammeggiava il bello arnese 

più chiaro assai che luna per sereno 

di mezza notte nel suo mezzo mese.•54 

Io mi rivolsi d’ammirazion pieno 

al buon Virgilio, ed esso mi rispuose 

con vista carca di stupor non meno.•57 

Indi rendei l’aspetto a l’alte cose 

che si movieno incontr’ a noi sì tardi, 

che foran vinte da novelle spose.•60 

La donna mi sgridò : « Perché pur ardi 

sì ne l’affetto de le vive luci, 

e ciò che vien di retro a lor non guardi?».•63 

Genti vid’ io allor, come a lor duci, 

venire appresso, vestite di bianco ; 

e tal candor di qua già mai non fuci.•66 

L’acqua imprendëa dal sinistro fianco, 

e rendea me la mia sinistra costa, 

s’io riguardava in lei, come specchio anco.•69 

Quand’ io da la mia riva ebbi tal posta, 

che solo il fiume mi facea distante, 

per veder meglio ai passi diedi sosta,•72 

e vidi le fiammelle andar davante, 

lasciando dietro a sé l’aere dipinto, 

e di tratti pennelli avean sembiante;•75 

sì che lì sopra rimanea distinto 

di sette liste, tutte in quei colori 

onde fa l’arco il Sole e Delia il cinto.•78 

Questi ostendali in dietro eran maggiori 

che la mia vista ; e, quanto a mio avviso, 

diece passi distavan quei di fori.•81 

Sotto così bel ciel com’ io diviso, 

ventiquattro seniori, a due a due, 

coronati venien di fiordaliso.•84 

Tutti cantavan : « Benedicta tue 

ne le figlie d’Adamo, e benedette 

sieno in etterno le bellezze tue!»•87 

Poscia che i fiori e l’altre fresche erbette 

a rimpetto di me da l’altra sponda 

libere fuor da quelle genti elette,•90 

sì come luce luce in ciel seconda, 

vennero appresso lor quattro animali, 

coronati ciascun di verde fronda.•93 

Ognuno era pennuto di sei ali ; 

le penne piene d’occhi ; e li occhi d’Argo, 

se fosser vivi, sarebber cotali.•96 

A descriver lor forme più non spargo 

rime, lettor ; ch’altra spesa mi strigne, 

tanto ch’a questa non posso esser largo;•99 

ma leggi Ezechïel, che li dipigne 

come li vide da la fredda parte 

venir con vento e con nube e con igne;•102 

e quali i troverai ne le sue carte, 

tali eran quivi, salvo ch’a le penne 

Giovanni è meco e da lui si diparte.•105 

Lo spazio dentro a lor quattro contenne 

un carro, in su due rote, trïunfale, 

ch’al collo d’un grifon tirato venne.•108 

Esso tendeva in sù l’una e l’altra ale 

tra la mezzana e le tre e tre liste, 

sì ch’a nulla, fendendo, facea male.•111 

Tanto salivan che non eran viste ; 

le membra d’oro avea quant’ era uccello, 

e bianche l’altre, di vermiglio miste.•114 

Non che Roma di carro così bello 

rallegrasse Affricano, o vero Augusto, 

ma quel del Sol saria pover con ello;•117 

quel del Sol che, svïando, fu combusto 

per l’orazion de la Terra devota, 

quando fu Giove arcanamente giusto.•120 

Tre donne in giro da la destra rota 

venian danzando ; l’una tanto rossa 

ch’a pena fora dentro al foco nota;•123 

l’altr’ era come se le carni e l’ossa 

fossero state di smeraldo fatte ; 

la terza parea neve testé mossa;•126 

e or parëan da la bianca tratte, 

or da la rossa ; e dal canto di questa 

l’altre toglien l’andare e tarde e ratte.•129 

Da la sinistra quattro facean festa, 

in porpore vestite, dietro al modo 

d’una di lor ch’avea tre occhi in testa.•132 

Appresso tutto il pertrattato nodo 

vidi due vecchi in abito dispari, 

ma pari in atto e onesto e sodo.•135 

L’un si mostrava alcun de’ famigliari 

di quel sommo Ipocràte che natura 

a li animali fé ch’ell’ ha più cari;•138 

mostrava l’altro la contraria cura 

con una spada lucida e aguta, 

tal che di qua dal rio mi fé paura.•141 

Poi vidi quattro in umile paruta ; 

e di retro da tutti un vecchio solo 

venir, dormendo, con la faccia arguta.•144 

E questi sette col primaio stuolo 

erano abitüati, ma di gigli 

dintorno al capo non facëan brolo,•147 

anzi di rose e d’altri fior vermigli ; 

giurato avria poco lontano aspetto 

che tutti ardesser di sopra da’ cigli.•150 

E quando il carro a me fu a rimpetto, 

un tuon s’udì, e quelle genti degne 

parvero aver l’andar più interdetto, 

fermandosi ivi con le prime insegne.•154

Psaume 31 - Beati quorum tecta sunt peccata

par Chant Grégorien

Source : World of Dante – Public Domain