Le Purgatoire – Chant XXXI

Matelda aidant Dante à passer la rivière Léthée – Gustave Doré,
Paradis terrestre • Confession de Dante • Jugement sévère de Béatrice • Honte et repentir de Dante • Dante s’évanouit • Matelda immerge Dante dans le Léthée • Béatrice lève son voile. 
« Ô toi qui est au delà du fleuve sacré »1

tournant d’estoc sa parole vers moi, 

qui déjà de taille m’était parue mordante,2•3 

elle recommença, sans aucun répit, 

« dis, dis si cela est vrai ; à une telle accusation 

ta confession doit être jointe»3.•6 

Mon esprit4, car était en une telle confusion, 

que ma voix s’élança, et s’éteignit 

avant d’être sortie de ma gorge.•9 

Elle attendit un peu ; puis dit : « Que penses-tu ? 

Réponds-moi ; l’eau n’a pas encore 

chassé de toi les tristes souvenirs»5.•12 

Peur et confusion mêlées 

chassèrent un tel « si » de ma bouche, 

que pour l’entendre il aurait fallu des yeux.•15 

Comme l’arbalète casse, quand au décocher 

la corde et l’arc sont trop tendus 

et qu’avec moins de force le carreau touche la cible,6•18 

ainsi j’éclatai sous la lourde charge 

répandant larmes et soupirs, 

ma voix s’étranglant dans ma gorge.•21 

Alors elle à moi : « En dépit des désirs 

que j’ai suscité en toi, qui te conduisaient à aimer 

le bien au-delà duquel on n’aspire plus à rien,7•24 

quels fossés ou quelles chaînes se trouvèrent 

sur ton chemin, pour que tu abandonnes ainsi 

l’espérance d’aller plus avant?•27 

Et quelles facilités et avantages 

montraient les autres désirs 

pour que tu leur aies ainsi fait la cour?».8•30 

Après avoir poussé un soupir amer, 

j’eus à peine la voix pour répondre, 

et avec peine mes lèvres la formèrent.9•33 

En pleurant, je dis : « Les choses de ce monde 

et leurs faux plaisirs10 détournèrent mes pas 

dès que votre visage disparu.»•36 

Et elle : « Si tu taisais ou si tu niais 

ce que tu confesses, ta faute n’en serait 

pas moins consignée : ce juge la sait!11•39 

Mais quand jaillit de sa propre bouche 

l’aveu du péché, dans notre cour 

la meule se tourne contre le fil du glaive.12•42 

Toutefois, afin que tu éprouves maintenant 

de la honte pour ton erreur, et pour qu’à l’avenir, 

tu sois plus fort, en entendant les sirènes,13•45 

laisse la source de tes pleurs et écoute : 

tu entendras ainsi comment ma chair mise en terre 

aurait dû t’entraîner sur le chemin opposé.•48 

Jamais nature et art14 ne t’offrirent 

telle beauté que les beaux membres 

où j’étais enclose, et qui sont en terre épars;•51 

et si, avec ma mort, la beauté suprême 

te manquait, quelle chose mortelle 

pouvais-tu par la suite désirer?•54 

Tu devais bien, au premier coup 

des choses fausses, t’élever 

derrière moi qui n’était plus de la Terre.•57 

Tu ne devais pas baisser les ailes, 

en attendant plus grand coup, d’une jeunette15

ou d’une autre nouveauté à l’usage aussi bref.•60 

L’oisillon nouveau-né en attend deux ou trois16

mais contre ceux qui ont leurs plumes17 

c’est en vain qu’on tend des rets ou tire des flèches.»•63 

Comme les enfants, honteux, muets 

les yeux fixés vers la terre, écoutant, 

reconnaissant leur faute et repentis,•66 

ainsi je me tenais ; et elle dit : « Comme 

m’écouter t’afflige, lève ta barbe, 

et tu auras encore plus de douleur en me regardant».•69 

On déracine18 avec moins de résistance 

un chêne robuste, par la Tramontane19

ou par le vent soufflant de la terre d’Iarbas20•72 

que je ne levai le menton à son commandement ; 

et quand elle dit «la barbe» au lieu du visage, 

je reconnus bien le venin derrière le mot.21•75 

Et comme mon visage se redressait, 

je vis que les premières créatures22

avaient cessé leur lancer de fleurs;•78 

et mes yeux, encore peu assurés, 

virent Béatrice tournée vers la bête 

qui était une seule personne en deux natures23.•81 

Sous son voile et de l’autre côté de la rivière 

elle me parut vaincre son ancienne beauté, 

et ici vaincre les autres femmes, plus que lorsqu’elle était.•84 

L’ortie du repentir me piqua tant, 

que toutes les choses qui m’avaient le plus détourné 

de son amour, me devinrent encore plus ennemies.•87 

Un tel remord me mordit le cœur, 

que je tombais vaincu24 ; et ce que je devins alors, 

elle le sait celle25 qui en fut la cause.•90 

Puis, quand je repris mes esprits, 

je vis au-dessus de moi la dame que j’avais 

trouvée seule26 ; elle me disait : « Tiens-moi, tiens-moi!».•93 

Elle m’avait plongé dans la rivière jusqu’au cou, 

et me tirant par derrière, elle s’en allait 

sur l’eau légère comme une nacelle27.•96 

Quand je fus proche du rivage bienheureux, 

j’entendis si doucement “Asperges me28

que je ne saurais m’en souvenir, ni l’écrire.•99 

La belle dame ouvrit ses bras ; 

elle m’embrassa le front et me plongea 

m’obligeant à avaler l’eau.•102 

Puis elle m’en tira, et tout baigné m’offrit 

à la danse des quatre belles29

et chacune de son bras me couvrit30.•105 

« Ici nous sommes nymphes et dans le ciel étoiles31

avant que Béatrice ne descende au monde, 

nous fûmes ordonnées pour être ses servantes32.•108 

Nous te mènerons à ses yeux ; mais à leur joyeuse 

lumière, ils aiguiseront les tiens, 

les trois là-bas, qui voient plus profond33».•111 

Elle commencèrent ainsi en chantant ; et puis 

elles m’amenèrent au poitrail du griffon, 

où Béatrice était tournée vers nous.•114 

Elles dirent : « N’épargne pas ta vue ; 

nous t’avons mis devant les émeraudes34 

d’où Amour lança vers toi ses flèches».•117 

Mille désirs plus brûlants que la flamme 

rivèrent mes yeux aux yeux brillants 

qui restaient fixés sur le griffon.•120 

Comme le soleil dans le miroir, et non autrement, 

la double bête y rayonnait, 

sous une forme, ou sous une autre.35•123 

Pense lecteur, si je m’émerveillais, 

quand je voyais la chose en elle-même rester tranquille, 

et son image se métamorphoser.36•126 

Tandis que mon âme pleine de joie et 

de stupeur goûtait cette nourriture 

qui, rassasiant, ravive la faim,•129 

se montrant d’un ordre plus élevé 

par leur attitude, les trois autres37 s’avancèrent, 

en dansant sur leur chant angélique.38•132 

« Tourne, Béatrice, tourne tes yeux saints », 

telle était leur chanson, « vers ton fidèle 

qui, pour te voir, a tant marché!•135 

Par grâce fais nous la grâce de lui dévoiler 

ta bouche, pour qu’il discerne 

la seconde beauté39 que tu caches».•138 

Ô splendeur de vive lumière éternelle, 

celui qui a pâli dans l’ombre 

du Parnasse, ou bu dans sa fontaine,•141 

semblerait embarrassé et te ternirait 

en tentant de te rendre telle que tu paraissais 

là où le ciel s’harmonise, 

quand tu te découvris dans l’air libre.40 •145

Paradiso terrestre • Confessione di Dante • Rampogne severe di Beatrice • Rimorso e pentimento di Dante • Dante sviene • Immersione di Dante nel Letè per opera di Matelda • Beatrice si toglie il velo.
« O tu che se’ di là dal fiume sacro », 

volgendo suo parlare a me per punta, 

che pur per taglio m’era paruto acro,•3 

ricominciò, seguendo sanza cunta, 

« dì, dì se questo è vero ; a tanta accusa 

tua confession conviene esser congiunta».•6 

Era la mia virtù tanto confusa, 

che la voce si mosse, e pria si spense 

che da li organi suoi fosse dischiusa.•9 

Poco sofferse ; poi disse : « Che pense ? 

Rispondi a me ; ché le memorie triste 

in te non sono ancor da l’acqua offense».•12 

Confusione e paura insieme miste 

mi pinsero un tal « sì » fuor de la bocca, 

al quale intender fuor mestier le viste.•15 

Come balestro frange, quando scocca 

da troppa tesa, la sua corda e l’arco, 

e con men foga l’asta il segno tocca,•18 

sì scoppia’ io sottesso grave carco, 

fuori sgorgando lagrime e sospiri, 

e la voce allentò per lo suo varco.•21 

Ond’ ella a me : « Per entro i mie’ disiri, 

che ti menavano ad amar lo bene 

di là dal qual non è a che s’aspiri,•24 

quai fossi attraversati o quai catene 

trovasti, per che del passare innanzi 

dovessiti così spogliar la spene?•27 

E quali agevolezze o quali avanzi 

ne la fronte de li altri si mostraro, 

per che dovessi lor passeggiare anzi?».•30 

Dopo la tratta d’un sospiro amaro, 

a pena ebbi la voce che rispuose, 

e le labbra a fatica la formaro.•33 

Piangendo dissi : « Le presenti cose 

col falso lor piacer volser miei passi, 

tosto che ’l vostro viso si nascose».•36 

Ed ella : « Se tacessi o se negassi 

ciò che confessi, non fora men nota 

la colpa tua : da tal giudice sassi!•39 

Ma quando scoppia de la propria gota 

l’accusa del peccato, in nostra corte 

rivolge sé contra ’l taglio la rota.•42 

Tuttavia, perché mo vergogna porte 

del tuo errore, e perché altra volta, 

udendo le serene, sie più forte,•45 

pon giù il seme del piangere e ascolta : 

sì udirai come in contraria parte 

mover dovieti mia carne sepolta.•48 

Mai non t’appresentò natura o arte 

piacer, quanto le belle membra in ch’io 

rinchiusa fui, e che so’ ’n terra sparte;•51 

e se ’l sommo piacer sì ti fallio 

per la mia morte, qual cosa mortale 

dovea poi trarre te nel suo disio?•54 

Ben ti dovevi, per lo primo strale 

de le cose fallaci, levar suso 

di retro a me che non era più tale.•57 

Non ti dovea gravar le penne in giuso, 

ad aspettar più colpo, o pargoletta 

o altra novità con sì breve uso.•60 

Novo augelletto due o tre aspetta ; 

ma dinanzi da li occhi d’i pennuti 

rete si spiega indarno o si saetta».•63 

Quali fanciulli, vergognando, muti 

con li occhi a terra stannosi, ascoltando 

e sé riconoscendo e ripentuti,•66 

tal mi stav’ io ; ed ella disse : « Quando 

per udir se’ dolente, alza la barba, 

e prenderai più doglia riguardando».•69 

Con men di resistenza si dibarba 

robusto cerro, o vero al nostral vento 

o vero a quel de la terra di Iarba,•72 

ch’io non levai al suo comando il mento ; 

e quando per la barba il viso chiese, 

ben conobbi il velen de l’argomento.•75 

E come la mia faccia si distese, 

posarsi quelle prime creature 

da loro aspersïon l’occhio comprese;•78 

e le mie luci, ancor poco sicure, 

vider Beatrice volta in su la fiera 

ch’è sola una persona in due nature.•81 

Sotto ’l suo velo e oltre la rivera 

vincer pariemi più sé stessa antica, 

vincer che l’altre qui, quand’ ella c’era.•84 

Di penter sì mi punse ivi l’ortica, 

che di tutte altre cose qual mi torse 

più nel suo amor, più mi si fé nemica.•87 

Tanta riconoscenza il cor mi morse, 

ch’io caddi vinto ; e quale allora femmi, 

salsi colei che la cagion mi porse.•90 

Poi, quando il cor virtù di fuor rendemmi, 

la donna ch’io avea trovata sola 

sopra me vidi, e dicea : « Tiemmi, tiemmi!».•93 

Tratto m’avea nel fiume infin la gola, 

e tirandosi me dietro sen giva 

sovresso l’acqua lieve come scola.•96 

Quando fui presso a la beata riva, 

Asperges me” sì dolcemente udissi, 

che nol so rimembrar, non ch’io lo scriva.•99 

La bella donna ne le braccia aprissi ; 

abbracciommi la testa e mi sommerse 

ove convenne ch’io l’acqua inghiottissi.•102 

Indi mi tolse, e bagnato m’offerse 

dentro a la danza de le quattro belle ; 

e ciascuna del braccio mi coperse.•105 

« Noi siam qui ninfe e nel ciel siamo stelle ; 

pria che Beatrice discendesse al mondo, 

fummo ordinate a lei per sue ancelle.•108 

Merrenti a li occhi suoi ; ma nel giocondo 

lume ch’è dentro aguzzeranno i tuoi 

le tre di là, che miran più profondo».•111 

Così cantando cominciaro ; e poi 

al petto del grifon seco menarmi, 

ove Beatrice stava volta a noi.•114 

Disser : « Fa che le viste non risparmi ; 

posto t’avem dinanzi a li smeraldi 

ond’ Amor già ti trasse le sue armi».•117 

Mille disiri più che fiamma caldi 

strinsermi li occhi a li occhi rilucenti, 

che pur sopra ’l grifone stavan saldi.•120 

Come in lo specchio il sol, non altrimenti 

la doppia fiera dentro vi raggiava, 

or con altri, or con altri reggimenti.•123 

Pensa, lettor, s’io mi maravigliava, 

quando vedea la cosa in sé star queta, 

e ne l’idolo suo si trasmutava.•126 

Mentre che piena di stupore e lieta 

l’anima mia gustava di quel cibo 

che, saziando di sé, di sé asseta,•129 

sé dimostrando di più alto tribo 

ne li atti, l’altre tre si fero avanti, 

danzando al loro angelico caribo.•132 

« Volgi, Beatrice, volgi li occhi santi », 

era la sua canzone, « al tuo fedele 

che, per vederti, ha mossi passi tanti!•135 

Per grazia fa noi grazia che disvele 

a lui la bocca tua, sì che discerna 

la seconda bellezza che tu cele».•138 

O isplendor di viva luce etterna, 

chi palido si fece sotto l’ombra 

sì di Parnaso, o bevve in sua cisterna,•141 

che non paresse aver la mente ingombra, 

tentando a render te qual tu paresti 

là dove armonizzando il ciel t’adombra

quando ne l’aere aperto ti solvesti?•145