«Una commedia per Dante» a été composée pour fêter l’anniversaire des 700 ans de la mort du poète. Elle a été commandée au compositeur et musicien de jazz, Federico Benedetti. Il a réussi un opéra-bouffe joyeux et moqueur qui interroge à sa manière les origines de la Divine Comédie. Cette œuvre, créée le 17 mai 2021 au Teatro Olimpico de Vicenza, est aujourd’hui accessible sur la chaîne YouTube du Conservatoire de Vicenza. 

Una_commedia_per_Dante_Federico_Benedetti_Vicenza

Una commedia per Dante, de Federico Benedetti. Dans cette scène Dante est entouré d’Amour, de Béatrice et de Guido Cavalcanti. (Capture d’écran).

À s’en tenir à la lettre de Una commedia per Dante, de Federico Benedetti, Dante n’aurait été qu’un Casanova de préfecture, le pâle plagiaire d’un auteur arabe, un pauvre versificateur dont la gloire ne serait dûe qu’à un pacte faustien. 

Il y a bien sûr du vrai dans ces péchés dont est chargé le poète florentin, mais l’opéra-bouffe de Federico Benedetti est d’abord et avant tout une plaisante pochade que l’on a un grand plaisir à regarder. 

Dans un interview à Proustonomics1 l’auteur a révélé le point de départ du livret: 

La culture européenne a été beaucoup influencée par l’Espagne musulmane, au point qu’une des œuvres de jeunesse de Dante, La Vita Nova, semble très inspirée d’un auteur musulman andalou du XIe siècle, Ibn Hazm, qui a écrit Le Collier de la Colombe, sorte de version arabe de La Vita Nova

Une osmose entre deux traditions littéraires

Cette influence musulmane est peut-être particulièrement marquée pour ce qui concerne la poésie provençale en raison de nombreux échanges entre l’Andalousie et la France méridionale du XIIe siècle. «Cela fait suspecter, écrit Massimo Campanini, qu’une osmose se soit produite, un échange, non admis peut-être, mais indubitable, entre deux traditions littéraires distinctes mais sur de nombreux points convergentes».2

Logiquement, Federico Benedetti tire ce fil et installe Ibn Hazm en justicier de la poésie. «Je suis venu te démasquer très cher imposteur», dit-il à Dante dans l’une des premières scènes de la pièce. Il explique au poète italien qu’il a écrit Le Collier de la Colombe, un récit 

moitié en vers, moitié en prose, dédié à un ami cher pour parler de l’amour et de mon expérience. J’y ai raconté comment l’amour élève l’âme au Ciel. (…) Avec Vita Nova tu as écrit à ta manière mon livre. 

Et la manière de Dante n’est pas celle d’Ibn Hazm:

La problématique de l’amour chez Ibn Hazm anticipe certains aspects du Stilnovo: une vision de l’amour qui oscille entre abandon sensuel et contrôle éthico-spirituel, même si évidemment chez l’auteur arabe il n’y a pas de nature angélique de la femme. Il est plus proche de Cavalcanti (ou Guittone) que de Dante.3

Un acte d’accusation cruel

Quoiqu’il en soit, les retrouvailles —sur scène— de Dante avec ses anciennes “amours” ne sont guère aimables, qu’il s’agisse de la donna pietosa, cette «noble jeune dame et très belle qui le regardait avec compassion» 4; de la donna specchio (ou schermo) cette jeune femme qui sera «un écran pour la vérité»5 et lui permettra de cacher son amour pour Béatrice; ou encore de la donna pietra (ou Petra, comme la nomme Dante), objet d’un amour tenace mais non partagé, et à laquelle Dante dédia quatre poèmes clairement identifiables. 

L’acte d’accusation est sévère: ce n’est pas avec ses propres vers qu’il a cherché à séduire ces jeunes dames, mais «en empruntant son arsenal aux poètes arabes et aux poètes provençaux».

Déjà attaqué comme plagiaire, avec l’apparition de Guido Cavalcanti, l’acte d’accusation s’enrichit de la trahison. Dante perd pied. Il avoue: «Comme tu as raison. À ce qui est vain j’ai donné de la valeur». 

Une proposition diabolique d’Amour

Il ne reste plus qu’à Béatrice —magnifique Sara Gramola— de planter le dernier clou en lui disant qu’il se retrouve «seul, narcissiste et immature». On retrouve là les accents du Chant XXX du Purgatoire: «e volse i passi suoi per via non vera, / imagini di ben seguendo false, / che nulla promession rendono intera» (“et il tourna ses pas vers une voie erronée / suivant des images fausses du bien, / qui ne tiennent aucune promesse entièrement — v. 130-132)

Comment retrouver sa gloire, redevenir le sommo Dante, alors que sa vie n’est plus que ruines et faux-semblants, c’est l’histoire de la fin de cette Commedia, dont la clé réside dans une suggestion diabolique d’Amour: 

que Dante écrive un long poème dans lequel il s’excusera et il sera pardonné. Il se confessera et obtiendra l’absolution

Sur les conditions de sa naissance ce long poème qu’est la Divine Comédie.qu’imagine Federico Benedetti nous ne dirons rien, et nous en resterons à la seule lecture de l’acte d’accusation. Le principe d’un opéra-bouffe est de proposer outre la fantaisie des situations et le jeu des quiproquos, un coup de théâtre final. 

C’est donc une jolie surprise que cette Commedia per Dante par son livret mais aussi par sa musique légère et entraînante. Il y a de belles réussites chantées, en particulier les deux duos entre Guido Cavalcanti et Dante pour le premier et entre Béatrice et Dante, où les voix se répondent et se superposent. 

UNA COMMEDIA PER DANTE

Opéra-Bouffe de Federico Benedetti titulaire de la chaire de Composition de Jazz au Conservatoire de Vicenza. ll est l’auteur du livret et de la musique. Cette œuvre a obtenu le patronage du Comité National pour la Célébration des 700 ans de la mort de Dante.

Dans la vidéo enregistrée dans le Teatro Olimpico di Vicenza, en l’absence de spectateur (en raison de la pandémie de Covid) le 17 mai 2021, la distribution est la suivante: 

  • Dante: Yumin Yang
  • Ibn Hazm / Amour / Diable: Diego Castello
  • Béatrice: Sara Gramola
  • Guido Cavalcanti: Alberto Zanetti 
  • La Donna Pietra: Lucìa Mariel Fernandez
  • La Donna Specchio: Hanna Kim
  • La Donna Pietosa: Chiara Selmo
  • La musique est interprétée par l’Ensemble du Conservatoire de musique de Vicenza, Arrigo Pedrollo.