Dantedì: Flânerie dans les pas de Dante à Florence

Dantedì: Flânerie dans les pas de Dante à Florence

Quelques heures de liberté à Florence suffisent à mettre ses pas dans ceux de Dante Alighieri. Une flânerie à la recherche de quelques-unes des traces qu’il a laissées dans sa ville. Une promenade toujours inachevée mais qui prend toute sa saveur à la veille du Dantedì, la journée que les Italiens consacrent au Sommo poeta. 

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La statue de Dante, sur la place Santa Croce à Florence, est l’œuvre d’Enrico Pazzi. Elle fut inaugurée en 1865. Photo: Marc Mentré

Au fond de la place Santa Croce à Florence, sur le côté de l’église éponyme, se dresse un Dante gigantesque, couronné des lauriers du poète. Il est hissé sur un piédestal massif qui arbore fièrement en dédicace “A DANTE ALIGHIERI L’ITALIA” suivi d’une date en chiffres romains “ M DCCC LXV”. Quatre lions se dressent chacun à un coin de ce socle tenant une carapace de tortue. Sur chacune d’elle est gravé le titre aujourd’hui difficilement lisible d’une œuvre “mineure”: Vita Nuova, Convivio, De vulgari eloquentia et Monarchia

C’est Dante lui-même qui tient dans sa main droite un exemplaire de la Divine Comédie. Derrière, un aigle, symbole de l’Empire romain, semble veiller sur lui. Le poète ne paraît guère joyeux. On le sent soucieux, mais on lit sur son visage une grande détermination. 

L’inauguration du monument, le 14 mai 1865 par le roi Victor-Emmanuel II, et une foule venue de toute l’Italie, ne fut pas seulement l’occasion de fêter le 600e anniversaire de la mort du poète. C’était aussi le “père fondateur” de l’idée même d’Italie —et de sa langue— qui était célébré. 

Une machine à remonter le temps

En quittant la lumineuse piazza Santa Croce pour s’engager dans les rues étroites, le promeneur s’engage dans une machine à remonter le temps. Certes Florence à l’apparence d’une ville de la Renaissance, mais avec un peu d’attention, on décèle facilement les traces des constructions médiévales ne serait-ce que par ces murs et façades de gros moellons de pierre brune qui affleurent partout.

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La maison de Dante. Photo Marc Mentré

La maison de Dante est au cœur de ce vieux Florence, cœur historique de la ville. On la découvre au détour d’une ruelle, bâtisse austère de trois étages construite au bord d’une placette. Précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas à proprement parler de LA maison où vécut le poète, mais d’une maison où l’on installa un musée à lui dédié pour le… 700e anniversaire de sa naissance ! Il a donc —logiquement— ouvert ses portes en 1965. 

Dans la Florence contemporaine, où l’expression “sur-tourisme” n’est pas vaine, ce musée apparaît comme un havre de paix. Pas de groupes menés par un guide brandissant son oriflamme, cette modeste bâtisse ne saurait les accueillir. On y croise des individus solitaires, des familles, des grands-mères qui expliquent à leurs petits-enfants la vie du poète… 

La sanglante bataille de Campaldino

Ce musée a été réaménagé il y a quelques années avec l’idée d’en rendre la visite plus interactive. Celui qui a connu l’ancien aménagement regrettera que l’immense plan en bois de la Florence médiévale et celui qui représentait la bataille de Campaldino aient disparu. 

Après avoir gravi un long escalier de pierre, le visiteur entre dans une pièce nue, où un panneau affiche les dates essentielles de la vie du poète. Derrière une tenture noire se cache une autre pièce où nous sommes censés revivre à grands coups de hennissements et de bruits de ferraille la sanglante bataille de Campaldino (1289) qui vit la victoire des troupes florentines et de leurs alliées contre celles d’Arezzo, scellant la victoire des guelfes sur les gibelins.

Le poète y participa au premier rang des feditori, les cavaliers chargés de recevoir la charge de la cavalerie arétine, les généraux florentins ayant choisi une stratégie défensive. Les cavaliers gibelins, au nombre de 300 environ, s’alignèrent sur deux ou trois rangs si serrés «que le vent ne devait pas passer entre les lances». Ils avancèrent d’abord doucement pour se lancer ensuite au grand galop au cri de «San Donato cavaliere!» et enfoncer les lignes guelfes. Par miracle, Dante sortit vivant de cette effroyable mêlée, mais les images de combat, les horribles blessures des combattants, les lâchetés de certains et le courage d’autres le hantèrent toute sa vie. Sa Comédie est aussi un récit de guerre.1 

Au même étage, on trouve des jeux qui permettent d’entrer dans l’histoire des arti, ces puissantes corporations qui faisaient à l’époque de Dante la politique de la ville. Bien sûr, on est particulièrement attentif à celle des Medici e Specializi (Médecins et pharmaciens) à laquelle appartint le poète et qui lui permit de jouer un important rôle politique dans la ville, jusqu’à être élu prieur de mi-juin à mi-août 1300. Une table interactive retrace aussi le conflit qui opposa les Guelfes et les Gibelins et qui ensanglanta pendant près d’un siècle les rues de la ville.

La douce polyphonie des récitants

Mais, l’essentiel, pour l’amoureux de Dante se trouve à l’étage supérieur consacré à la Divine Comédie. Le visiteur passe d’abord devant une bibliothèque qui occupe tout un mur et abrite d’innombrables éditions de la Divine Comédie dans toutes les éditions et traductions imaginables, sans doute pour dire que cette œuvre est devenue universelle. Puis on entre dans une pièce où sont projetées sur un mur d’immenses reproductions des illustrations de Gustave Doré, accompagnées d’une récitation d’extraits du poème. L’essentiel n’est pas dans ce dispositif. Il est de se trouver accompagné par d’autres visiteurs qui récitent à voix basse ces extraits, créant une douce polyphonie. 

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Le cercle étroit de Florence au temps de Dante

Sortant de ce lieu apaisé, on se prend à chercher les traces de la Florence médiévale et de l’univers dantesque. Quelques pas et c’est fait. La piazza dei Donati est à côté, et si l’on avance un peu on tombe sur la rue dei Cerchi. On se souvient alors que les deux familles, ennemies mortelles lorsque s’affrontaient les guelfes blancs et les guelfes noirs, étaient voisines. Que toutes ces familles étaient du même quartier de Florence, le sestiere de la Porta san Pietro.

Remonter vers ce qui est aujourd’hui la Biblioteca delle Oblate, traverser la via Folco Portinari, nous rappellera que c’est peut-être là «che questa mirabile donna apparve a me vestita di colore bianchissimo». Merveilleuse apparition de Béatrice, alors âgée d’environ 18 ans, telle que Dante la raconte dans la Vita Nuova.2 Poursuivre un peu le long de cette rue nous mène devant l’hôpital Santa Maria Nuova, celui-là même qui fut fondé par Folco Portinari (le père de Béatrice) en 1286. Il entra en service deux années plus tard.3 

Une trentaine de plaques pour célèbrer le poète 

Pour accompagner cette recherche d’une Florence oubliée, en 1907, la commune avait décidé d’installer une cinquantaine de plaques commémoratives, sur les murs de la ville célébrant le poète et son œuvre.Il en reste une trentaine. Il en est une par exemple, via del Corso à deux pas de la maison du poète, où l’on peut lire un célèbre passage de l’Enfer, celui où le colérique Filippo Argenti, après avoir vainement essayé d’entraîner Dante dans les eaux bourbeuses du Styx, alors qu’il est poursuivi par les autres damnés, décide de se déchirer lui-même les chairs:

Tutti gridavano : «A Filippo Argenti !»

E ‘l Fiorentino spirito bizzaro 

in se’ medesmo si volgea co’ denti 4

Cette plaque est installée sur le mur d’une maison qui appartint à la puissante famille des Adimari, à laquelle F. Argenti était apparenté. Mais de la maison d’époque il ne reste rien. Elle fut saccagée et brûlée en 1343. 

Toutefois, toutes les constructions de l’époque ne furent pas détruites, même si nous ne pouvons qu’imaginer aujourd’hui la «forêt de tours» qu’était avant 1250 Florence. «Certaines hautes de 120 brasses (70 mètres), soit plus des deux tiers de la hauteur de la coupole de Brunelleschi», dit John Majemy.5. Leur hauteur était proportionnelle au niveau de richesse de chacune des familles. Outre cette marque de puissance, elles étaient aussi un moyen de se protéger à la moindre émeute. Les deux tours jumelles, l’Asinelli, pour la plus grande, et la Garisenda pour la plus petite, symboles de Bologne, donnent une idée concrète de la hauteur que pouvaient atteindre ces édifices. 

Des tours d’une hauteur limitée à 29 mètres

En 1250, le gouvernement du Primo popolo mit un frein à cette escalade, en ordonnant qu’aucune tour ne dépasse 50 brasses (29 mètres), et ne domine le nouveau Palazzo del popolo (l’actuel Bargello) construit à cette époque. Il s’agissait de mettre au pas les familles nobles de Florence, en les privant de ce qui était aussi un outil de guérilla urbaine. Mais même ainsi bridées, les Magnati de Florence ne renoncèrent pas pour autant à leurs tours.

Aujourd’hui, il est toujours possible d’en voir de quasiment intactes, comme la Torre della Castagna, même s’il lui manque les éléments extérieurs comme les escaliers et les balcons qui étaient en bois. Il est vrai que c’est dans cette tour —qui se trouve également à moins de 200 mètres de la maison de Dante— que se réunissaient les prieurs avant la construction de ce que l’on appelle aujourd’hui le Palazzo Vecchio. Peut-être est-ce en passant devant cette tour, que la conscience et l’ambition politique du poète sont nées…

Béatrice a épousé un banquier de la puissante famille Bardi. Celle-ci s’était installée Oltrarno, c’est-à-dire de l’autre côté du fleuve. Il faut alors emprunter le Ponte Vecchio pour s’y rendre.. 

 «Cosa fatta, capo ha!»

Difficile d’oublier que c’est ici, au milieu de ce pont que le jour de Pâques 1215,6, le jeune Buondelmonte tout vêtu de blanc, monté sur un cheval blanc et la tête couronnée d’une guirlande de fleurs allait inconscient vers son destin. Le malheureux (ou l’imbécile) avait décidé de son propre chef d’épouser une fanciulla Donati, alors que son mariage avec une Amadei était prévu et organisé. Ce faisant, il avait bousculé les usages, brisé une alliance qui devait réconcilier plusieurs familles, et aussi humilié les Amadei et leurs alliés. 

Ceux-ci s’étaient réunis la veille du crime et avaient scellé le sort du jeune impudent. C’est lors de cette réunion que Mosca dei Lamberti avait proposé de s’en débarrasser «et de mettre une pierre dessus», concluant d’une expression encore utilisée aujourd’hui « Cosa fatta, capo ha!». Elle signifie que lorsqu’un acte, quelqu’il soit, a été commis, il n’est pas possible de revenir en arrière et il faut en accepter les conséquences. 

Un violent coup de masse à la tête jeta Buondelmonte à terre. Les autres assaillants se jetèrent sur lui et lui tranchèrent la gorge. Il fut laissé pour mort et dit la chronique «son vêtement de soie blanche devint un horrible chiffon sanglant». L’émotion fut énorme et ce crime déclencha une terrible vendetta. C’est ainsi —dit-on— qu’à Florence commença l’affrontement entre Guelfes et Gibelins. 

Les vers de Dante pour se souvenir

De cet épisode, il nous reste aujourd’hui, les vers de Dante

Gridò : Ricorderaiti anche del Mosca, 

chi dissi, lasso “Capo ha cosa fatta

che fu il mal seme del gente tosca7

et une pierre gravée sur le Ponte Vecchio rappelant où se trouvait une statue romaine de Mars, le premier protecteur de Florence. Elle est alors installée sur le pont et c’est à ses pieds que Buondelmonte trouva la mort. La statue sera emportée par une crue en 1233. Aujourd’hui, il ne nous reste qu’une terzina du Paradis gravée sur une autre plaque installée “côté ville”, On peut lire: 

…Convienasi a quella pietra scema 

che guarda il ponte, che fiorenza fesse

vittima della sua pace postrema8

Et Béatrice? La maison des Bardi (il n’est pas mention de “tour” dans les chroniques) où, peut-être, elle est morte a disparu. Il reste une via dei Bardi que l’on emprunte en tournant à droite au débouché du Ponte Vecchio

Cette rue nous emmène via les jardins Bardini vers san Miniato al Monte d’où l’on peut découvrir toute la ville de Florence, avec en son centre Santa Maria del Fiore et à son côté, le Baptistère. Le jeune Durante Alighieri y reçut sans doute le sacrement du baptême en 1266. Il était d’usage alors de baptiser tous les nouveaux-nés de l’année dans une cérémonie collective le samedi saint. Au XIVe siècle, de 5500 à 6000 enfants étaient ainsi baptisés.9Mais pour parler de cela plus en détails, un autre voyage sera nécessaire en prenant, pourquoi pas, comme point de départ le Baptistère.

Baptistère_Florence

Le plafond du Baptistère, avec le Christ rédempteur au centre. Photo Marc Mentré

  • Illustration de première page: La Madonna della Misericordia (atelier de Bernardo Daddi) date de 1352. Elle est la plus ancienne représentation de Florence.
La Divina Commedia, Opera musical

La Divina Commedia, Opera musical

Depuis plusieurs années le spectacle, La Divina Commedia Opera musical tourne dans les plus grandes salles italiennes. Nous sommes allés voir ce spectacle musical total à Rome. C’est une magnifique réussite.

La troupe de La Divina Commedia Opera musical remercie les spectateurs du teatro Brancaccio à Rome.

«Bellissima!!» L’exclamation derrière nous ne trompe pas. La Divina Commedia Opera musical a ravi le public romain venu ce jeudi soir en nombre dans l’immense salle du teatro Brancaccio. 

Faire de la Divine Comédie une comédie musicale, l’idée peut paraître audacieuse, voire iconoclaste. Pour en rester à quelques questions : est-il possible d’adapter le texte de Dante à la scène? Les personnages qui peuplent le texte paraîtront-ils caricaturaux, voire grotesques? La poésie ne sera-t-elle pas trahie? Etc.

Ces interrogations sont balayées lorsque l’on assiste au spectacle. Certes, on pourra toujours pinailler sur tel ou tel point, se dire par exemple que le spectacle cède à la facilité car les scènes et les personnages retenus sont les plus connus: Francesca qui nous conte son malheur, Ugolino la faim qui le tue, Pierre de la Vigne son désespoir, Ulysse son naufrage… 

Un spectacle “total” de deux heures

Durant deux heures, ce musical entraîne tous les spectateurs. Elle s’ouvre par un vortex vertigineux dans le temps: partant d’une photo des rues bondées de Florence, il nous emmène d’étape en étape, de grand nom de l’Italie en grand nom —Léonard de Vinci, Michel Ange— dans l’intimité de l’atelier du poète. 

«Nel mezzo del cammin di nostra vita mi ritrovai…», les premiers mots de la Commedia dansent sur le rideau de scène. Le voyage proprement dit commence. Dante erre dans la selva selvaggia, au milieu de gigantesques branches nues et d’épines qui envahissent tout le plateau. Il chante son désespoir, la via smarrita, avant que n’apparaisse un Virgile d’abord lointain et évanescent («parea fioco»), puis de prendre plus d’épaisseur; appuyé sur son bâton de berger, il sera le guide du poète dans son voyage dans l’au-delà. 

Sans spoiler le spectacle, il faut souligner une mise en scène superbe et innovante avec un mélange d’effets spéciaux 3D et de ressources plus classiques. Nous voyons la barque de Charon se construire sous nos yeux, les esprits embarqués de force avant d’être éblouis par un violent éclair et tétanisés d’un violent coup de tonnerre, celui qui fait tomber Dante «come l’uom cui sonno piglia».

La scène devient la mer du naufrage d’Ulysse

Sans nous laisser reprendre notre souffle, nous voici dans le cercle où tournent, pris dans une tornade, les “Luxurieux”. Francesca et Paolo s’en détachent à la rencontre de  Dante. La scène se joue alors sur plusieurs plans: devant se chante le drame, tandis qu’en arrière, se danse le pas de deux de la séduction, avec sur le côté, posé sur un meuble, un livre qui n’est autre que «Galeotto fu ‘l libro e chi lo scrisse».

Magnifique aussi la cité de Dité et ses murailles de feu avec l’apparition des trois Erinyes aux longs cheveux de serpent, ou encore le récit d’Ulysse dont le bateau s’engloutit dans un drap bleu devenu la tempête du naufrage, ou encore celui d’Ugolino prisonnier d’un labyrinthe d’escaliers dans sa tour de la faim …  

La Divina Commedia Opera musical ne s’arrête pas à l’Enfer, elle nous emmène aussi au Purgatoire sur la plage duquel nous rencontrons un Caton plus général romain incorruptible que jamais, puis plus haut sur le mont dans le “feu des poètes” Guido Guinizelli et Arnaut Daniel, avant que Virgile ne quitte Dante dans une scène touchante.

Déjà nous voici avec Matelda au Paradis terrestre, puis avec Béatrice elle-même. Le spectacle se déploie alors dans la salle, parmi les spectateurs, pour les scènes finales qui nous emmènent au Paradis céleste. 

Les mots du poète

Au Paradis nous le sommes d’autant plus que nous avons reconnu les mots du poète de la celebrissime Preghiera alla Vergine qui ouvre le Chant XXXIII du Paradis, comme ce fut le cas auparavant lors du chant d’Ulysse et dans tant d’autres passages. 

Peut-être faut-il redire que ce spectacle est une comédie musicale où l’on chante et l’on danse et où la musique tient une place essentielle. Celle-ci a été composée par un prêtre italien, Mgr Marco Prisina. 

En 2007, celui qui est déjà l’auteur de nombreuses compositions musicales religieuses, s’est attelé à une transposition musicale du poème de Dante, concentrant cette œuvre immense en un “opéra théâtral” de deux heures, avec le scénariste et prêtre Gianmario Pagano.

Cet opéra après avoir été mis en scène à plusieurs reprises est devenu à l’occasion du 700e anniversaire de la mort du poète florentin ce spectacle “kolossal” comme aime à le dire la presse italienne, grâce aux jeux de lumière, changements de costume multiples, chorégraphies soignées et jeu des acteurs-chanteurs. 

Un “musical” proche de l’Opéra

Et s’il convient de dire “comédie musicals”, nous ne sommes toutefois très proche de l’opéra grâce, en particulier, aux interprètes. Antonio Angiolillo (Dante), Andrea Ortis (Virgile) et Myriam Soma (Béatrice) se partagent les rôles principaux. Il ne faut pas oublier également Leonardo di Minno qui est successivement Ulysse, Caton et Guido Guinizelli, Gipeto qui endosse les rôles de Charon, Ugolino, César et saint Bernard, Valentina Gullace, qui compose une délicate Francesca et une séduisante Matelda, Antonio Sorrentino qui est un poignant Pierre de la Vigne et un fier Arnaut Daniel et enfin Sonia Caselli, douce Pia De’ Tolomei. 

Tous sont de magnifiques artistes qui donnent corps et vie à leurs personnages dans un spectacle que les danseuses et les danseurs transforment en spectacle total. 

Cet “Opera musical” continue de tourner en Italie comme c’est le cas depuis quatre ans maintenant. Mais il faut se dépêcher, il n’y a plus que deux dates prévues en 2024: Turin dans le Piémont du 29 février au 3 mars et Catanzaro en Calabre du 7 au 9 mars. 

2023 – 2024, Arrêt sur images

2023 – 2024, Arrêt sur images

Alors que l’année 2023 s’éloigne et que s’ouvre 2024, ce premier jour de janvier est l’occasion de faire un “arrêt sur images” sur l’actualité autour de Dante et son œuvre et aussi de ce site consacré au poète florentin. 

Éphéméride Année 2023, deuxième partie

Dante en paysage de Bernard Chambaz et Florence Hinneburg – Your rainbow panorama de Olafur Eliasson – Les Rencontres de Chaminadour, Guéret (Creuse) — Hommage à Dante (Purgatoire) de Anne et Patrick Poirier, Milan — The Dante Project de Wayne McGregor, Opéra de Paris — Photos: Marc Mentré

Le 700e anniversaire de la mort du poète a encore marqué l’année 2023, même si l’on sent que doucement les lumières des festivités s’éteignent. Un effet retard provoqué sans aucun doute par la pandémie du Covid. De ce fait, de nombreux projets ne se sont concrétisés qu’après des délais pouvant atteindre plusieurs mois ou années. 

On en voudra pour preuve l’extraordinaire triptyque, Hommage à Dante, Enfer, Purgatoire et Paradis, de Anne et Patrick Poirier exposé en trois lieux différents de Milan au début de l’année 2023. Une œuvre née “pendant le confinement”, mais aussi “du confinement” comme l’ont raconté les artistes: 

Immédiatement nous avons pensé à ces tableaux (…) nous devions faire quelque chose que nous n’avions jamais fait de notre vie.

The Dante Project: un enchantement

Une geste artistique d’une ampleur comparable se retrouve dans The Dante Project, créé par Wayne Mcgregor, et monté pour la première fois en mai à l’Opéra de Paris. La chorégraphie, la musique originale de Thomas Adès, les décors de Tacita Dean, les costumes et surtout l’interprétation des danseuses et danseurs de l’Opéra dont les étoiles Germain Louvet et Guillaume DIop… tout dans ce ballet en trois actes, qui nous fait cheminer de l’Enfer au Paradis, est un enchantement. 

Une même exigence s’est retrouvée dans Les Rencontres de Chaminadour de septembre. Dans cet étonnant et exigeant festival littéraire installé à Guéret dans la Creuse, des auteur(e)s contemporain(e)s dialoguent et racontent un écrivain du passé. Cette année était consacrée à Dante, l’écrivain invité étant Mathieu Larnaudie. Ce dernier s’était entouré d’une pléiade d’auteurs et d’autrices, Jérôme Ferrari, Hélène Frappat, Yannick Haennel, Didier Ottaviani, René de Cecatty, Muriel Pic…  Certains racontèrent l’expérience personnelle ou familiale qui leur ouvrit les portes de la poésie dantesque, d’autres le rapport intellectuel, philosophique, artistique et littéraire qu’ils —ou elles— construisirent, oubliant les siècles qui les séparaient du Sommo poeta

Deux ouvrages majeurs

Si des lectures d’œuvres irriguées par la poésie dantesque ont été lues à Guéret, quelques mois plus tôt— le poète avait été célébré dans un petit livre à la couverture rouge, Dante en paysage. Le texte profond et nostalgique de Bernard Chambaz y trouve un écho dans les délicates gravures empreintes de mystère de Florence Hinneburg. 

Deux ouvrages majeurs parus en ce début d’année ont un tout autre objet. Il s’agit tout d’abord de la traduction et édition critique du Banquet par Bruno Pinchard, premier tome des Œuvres complètes de Dante1. Une édition devenue dès sa parution une référence. 

Dans le même esprit, Benoît Grévin continue son exploration de la Correspondance de Dante —du moins des treize lettres qui nous sont parvenues— dans un deuxième tome où il traduit et commente les Épîtres de ce qu’il convient d’appeler Le songe impérial, car elles ont été rédigées lors de la venue d’Henri VII en Italie2. La qualité de cet ouvrage rend encore plus impatient la venue du troisième tome qui sera consacré aux trois dernières lettres du poète. 

«Pensa per te, lettore»

L’année “éditoriale” s’est close sur l’essai du médiéviste et philosophe Pierre Bouretz intitulé sobrement Sur Dante3 dans lequel il étudie et médite la radicale modernité de l’œuvre du poète, laquelle, écrit-il «n’était déjà plus (à sa parution) un objet de son siècle». Il poursuit: 

En l’écrivant, Dante affirmait la souveraineté d’un artiste qui ne s’autorise que de lui-même et n’attend de jugement que de ses lecteurs. Par ce geste neuf, il disait de facto adieu au Moyen-Âge.

Ce «geste neuf», ce «pensa per te, lettore» Serge Maggiani en a fait le cœur de son spectacle, Nous n’irons pas au Paradis ce soir qu’il a joué tout au long du mois d’avril au théâtre de la Reine Blanche à Paris. En quelques mots et une grande économie de geste, il fait revivre l’univers de la Toscane d’il y a sept siècles, et restitue la force du poème. 

Dante n’est pas seulement vivant aujourd’hui en France, mais aussi en Europe, où l’on trouve sa trace partout, comme chacune et chacun de nous peut, au gré de ses voyages et de ses promenades, le constater. C’est le cas à Malmö, en Suède, c’est la façade d’un petit restaurant, baptisé Le Dante, qui attire l’œil. 

Ailleurs, à Aarhus au Danemark, c’est l’impressionnant ARoS Aarhus Kunstmuseum, dont l’architecture est inspirée pour partie de la Divine Comédie qui retient l’attention. Une galerie y fait référence au neuf cercles de l’Enfer tout comme un escalier en spirale qui rappelle le chemin entre ces cercles, tandis que le toit en terrasse représente la lumière divine après la sortie de l’enfer. Petite pointe piquante, au détour de la visite on découvre un portrait torturé de Dante réalisé par l’artiste finlandais Erró

Sur les toits d’Aarhus, une impression de Paradis

L’impression pour le visiteur d’atteindre le Paradis au sommet du musée  est renforcée par la passerelle circulaire, Your rainbow panorama, de Olafur Eliasson qui permet d’admirer le paysage urbain comme si l’on était au cœur d’un arc en ciel. On se souvient alors des mots du poète: 

E come l’aere, quand’è ben pïorno,

per l’altrui raggio che ‘n sé si reflette,

di diversi color diventa addorno.

(Et comme l’air, saturé de pluie, / par les rayons du soleil qui s’y reflètent, / se pare de couleurs diverses. — Le Purgatoire, Chant XXV, v. 91-93)

En Italie, Dante continue d’être une puissante source d’inspiration pour tous les créateurs. Par exemple,  cette année le morceau Intro alla Divina Commedia de l’album du rappeur Tedua  est un tube, dans le pays. 

La Divina Cometa, un film en forme de rêve éveillé

C’est le cas aussi au cinéma. Après le didactique Dante de Pupi Avati, cette année a vu la sortie sur grand écran d’un film d’une rare beauté inspiré de la Divine Comédie. Mimmo Paladino avec La Divina Cometa a créé un conte de Noël où se mêlent la tradition napolitaine du presepe, et l’univers dantesque. Ce film en forme de rêve éveillé est un voyage extraordinaire, au sens plein du terme. Malheureusement, il ne semble pas que ce film —ni celui de Pupi Avati— soit diffusé dans un avenir proche en France… 

On le voit, l’actualité dantesque est toujours importante et de grande qualité. Encore faut-il dans cet éphéméride d’une année passée, évoquer la Société dantesque de France. Après les difficiles années Covid, elle a repris, sous l’impulsion de son président Bruno Pinchard, une activité soutenue, avec d’un côté un séminaire, Dante et la philosophie d’une grande qualité et de l’autre des conférences et des Lectura Dantis animées par des “lecteurs” remarquables comme Zygmunt Baransky de l’Université de Notre Dame (États-Unis), Donato Pirovano de l’Univeristà degli Studi de Milan, ou encore plus proche de nous Jean-Louis Poirier et Manuele Gragnolati. 

Un retard à rattraper en 2024

Un dernier mot sur ce site. Autant l’activité “révision” de la traduction et des commentaires du texte de la Divine Comédie continue d’avancer lentement mais sûrement —(la nouvelle version du Chant XVII de l’Enfer a été mise en ligne en décembre—, autant la partie “actualité” est en retard, faute de temps et d’énergie à y consacrer. De ce fait, je n’ai pas rendu compte des Rencontres de Chaminadour, qui étaient pourtant un évènement dantesque exceptionnel et rare dans notre pays, ni traité de manière détaillée d’ouvrages aussi importants que la nouvelle édition du Banquet ou les deux premiers tomes de la Correspondance de Dante. 

Ce retard devrait être bientôt rattrapé, c’est en tout cas mon seul vœu pour 2024 et j’en profite pour souhaiter à tous les lectrices et lecteurs de ce site (vous êtes un peu plus de 3000 chaque mois à le visiter!) une Bonne et Heureuse Année 2024.

 

 

The Dante Project à l’Opéra de Paris

The Dante Project à l’Opéra de Paris

The Dante Project de Wayne McGregor est une œuvre ambitieuse. Créé à Londres en 2021, à l’occasion du 700e anniversaire de la mort de Dante, ce ballet est monté pour la première fois à l’Opéra de Paris en ce mois de mai 2023. Nous sommes allés le voir le 6 mai.

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Le salut final des danseurs à la fin de la représentation du 6 mai 2023 de The Dante Project, à l’Opéra de Paris.

C’est au moment où son directeur musical, Gustavo Dudamel, annonce qu’il quitte l’Opéra de Paris, que triomphe sur la scène de Garnier The Dante Project, une commande dont il est à l’origine. 

Le ballet en trois actes de Wayne McGregor respecte la division en trois cantiques de la Divine Comédie de Dante Alighieri, mais aussi la logique profonde de l’œuvre qui est le cheminement du poète des profondeurs de l’Enfer à l’éblouissante rédemption du Paradis. 

Les danseurs de l’Opéra de Paris en embrassent la dramaturgie, portés par la musique de Thomas Adès, qui épouse chacun des actes, Inferno, Purgatorio, Paradiso. Cette dernière est tour à tour torturée et âpre, puis de cette «Dolce color d’orïental zaffiro, / che s’accoglieva nel sereno aspetto / del mezzo»1, avant de s’essayer à la douceur élégiaque du Paradis.

Un paysage en noir et blanc dessiné à la craie par Tacita Dean

Tout est sombre dans Inferno, le premier acte de The Dante Project. Le décor, immense tableau gris et noir rehaussé de blanc, barre le plateau de l’Opéra Garnier. Les pics des montagnes plongent vers le sol. Les danseuses et danseurs, en combinaison où le bistre se brouille avec le noir, se fondent dans ce décor à l’éclairage avare. 

Nous sommes plongés dans ce «loco d’ogne luce muto, / che mugghia come fa mar per tempesta, / se da contrari venti è combattuto2 Seule la tunique turquoise de Dante, le seul vivant de ce monde de l’au-delà, apporte une touche de couleur. 

L’œuvre de Wayne McGregor est d’abord cette plongée dans un univers oppressant. La musique de Thomas Adès renforce encore le sentiment de désolation et fait écho au désespoir des damnés. Elle emprunte largement à Liszt que Adès considère comme «le maître des enfers et du démoniaque». 

Dante —le danseur étoile Germain Louvet— et Virgile —Irek Mukhamedov— assistent d’abord au ballet des damnés avant parfois de s’y mêler. Une réserve qui rappelle que tous deux ne sont que de passage dans l’Enfer, comme l’explique Wayne McGregor:

le premier acte pourrait aussi bien s’appeler «Pèlerin», car cette partie décrit un passage à travers les différents cercles de l’Enfer dont Dante est le seul témoin et parfois l’acteur.3

Une danse exigeante

La chorégraphie reste étonnamment lisible et proche du thème de chacun des tableaux qui peuplent cet Inferno. Les danseuses et danseurs du corps de ballet de l’Opéra s’emparent de cette danse exigeante en offrant une interprétation où la puissance ne le cède pas à l’élégance. Les pas de deux, par exemple celui de Francesca et Paolo dansé par la Première danseuse Bleuenn Battistoni et le danseur étoile Guillaume Diop, s’enchaînent avec des ballets plus complexes comme Les Ulysses ou la Forêt des Suicidés. 

Dans cette première partie, la mise en scène fourmille de trouvailles heureuses comme ce grand miroir qui inverse les montagnes dessinées à la craie par Tacita Dean ou encore cette scène finale où un rayon lumineux mime le «pertugio tondo» par lequel Dante et Virgile vont «riveder le stelle».

Le deuxième acte, plus court, Purgatorio, est d’une tonalité radicalement différente. Les plis et replis noirs et blancs du décor d’Inferno cèdent la place à un lumineux et immense tableau figurant un arbre aux feuilles fournies émergeant d’un paysage urbain contemporain à peine esquissé. 

Trois Béatrice et trois Dante réunis sur la même scène

Une grande sérénité s’en dégage, magnifiée par la partition largement inspirée de l’Orient à laquelle se mêlent des chants liturgiques hébraïques enregistrés dans la synagogue Ades de Jérusalem. Un choix auquel le compositeur veut donner un sens particulier explique Hélène Cao: 

(c’est) un des rares lieux de culte dont la congrégation conserve la tradition des bakkashot: des prières chantées le jour du shabbat, très tôt le matin, jusqu’à ce que l’aube se lève. Or, pour (Thomas) Adès le voyage de Dante au Purgatoire précède lui aussi l’aube et l’arrivée au Paradis.4

Dans cette atmosphère apaisée se déploie une danse plus douce, voire par moment tendre. L’un des moments forts de ce deuxième acte est cet étonnant ballet où Béatrice —interprétée par la danseuse étoile Hannah O’Neill—  convoque la Béatrice jeune femme —Bleuenn Battistoni—  et la Béatrice enfant mais aussi le Dante jeune et le Dante enfant. Ce moment de grâce marqué par une danse toute en cercle et en douceur est sans doute l’un des moments les plus réussis de cette œuvre. 

Le Paradis est pour les créateurs un piège. L’Enfer et le Purgatoire leur permettent de s’emparer d’éléments, de scènes et de personnages concrets et figuratifs. Il en va tout autrement avec le troisième cantique de la Divine Comédie qui est le royaume de l’abstraction. Dante lui-même lance d’ailleurs un avertissement à ceux qui voudraient le suivre et seraient insuffisamment préparés: «L’acqua ch’io prendo già mai non si corse».5 

Une triple spirale

Paradiso, tout aussi court que Purgatorio, est construit sur une triple spirale. Une spirale musicale avec la reprise d’un motif de quatre notes qui se déploie en cercles concentriques. Une spirale visuelle avec la projection, sur un écran suspendu au-dessus de la scène, d’une création visuelle de Tacita Dean, où s’entremêlent des courbes et des impressions multicolores et qui se veut hypnotisante. Enfin et surtout, la spirale mouvante des danseurs dont les combinaisons sont éclaboussées de lumières changeantes. 

Dans cette apothéose, ce Poema Sacro,  tout se veut légèreté comme si la pesanteur était abolie. Il ne reste plus à Dante qu’à disparaître dans une gerbe de lumière. 

The Dante Project est une franche réussite esthétique et musicale auquel les danseuses et danseurs de l’Opéra de Paris donnent une expression forte et profonde. En assistant à ce spectacle, on peut se dire que sept siècles après sa mort, la poésie de Dante n’a jamais été aussi vivante et… inspirante. 

Notes

The Dante Project

  • Ballet en trois actes: Inferno-Pèlerin, Purgatorio-Amour, Paradiso-Poema sacro
  • D’après Dante Alighieri, la Divine Comédie
  • Chorégraphie: Wayne McGregor
  • Musique: Thomas Adès
  • Décors et costumes: Tacita Dean
  • Le ballet a été créé le 14 octobre 2021 par le Royal Ballet au Royal Opera House (Londres) — Mai 2023, entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris.

Principaux danseuses et danseurs lors de la représentation du 6 mai 2023.

Acte I

  • Dante: Germain Louvet (étoile) — Virgile: Irek Mukhamedov (danseur invité) — Les passeurs: Sylvia Saint-Martin (Première danseuse), Marc Moreau (étoile) — Francesca et Paolo: Bleuenn Battistoni (Première danseuse), Guillaume Diop (étoile) — Didon et Énée: Hohyun Kang, Pablo Legasa (Premier danseur) — Satan: Valentine Colasante (étoile), Germain Louvet

Acte II

  • Dante: Germain Louvet et Virgile: Irek Mukhamedov — Dante jeune: Loup Marcault-Derouard — Dante enfant: Jean-Baptiste Roblain Chollet — Béatrice: Hannah O’Neill (étoile) — Béatrice jeune: Bleuenn Battistoni — Béatrice enfant; Constance Hénaff

Acte III

  • Dante: Germain Louvet et Béatrice: Hannah O’Neill

 

La Divina Cometa, un film de Mimmo Paladino

La Divina Cometa, un film de Mimmo Paladino

La Divina Cometa est le nouveau film d’un réalisateur rare, Mimmo Paladino. Dans ce conte fantastique, un Dante silencieux rencontre les personnages de sa Divine Comédie et du presepe napolitain. Nous sommes allés le voir en salle à Milan le 11 mai 2023. 

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Scène extraite de la bande annonce du film La Divina Cometa

L’histoire commence ainsi: une mer transparente, un ciel immaculé et une barque qui traverse lentement l’écran. Une fanfare joue doucement la comptine enfantine Tu scendi delle stelle. À côté du mât, se détache, tout aussi roide que celui-ci,  la silhouette d’un homme vêtu d’une ample robe rouge.

Ainsi va Dante dans La Divina Cometa. Solitaire et muet il parcourt les cercles de l’Enfer et cherche «à revoir les étoiles». Il n’est pas seul dans cette quête. Il croise une famille de sans abri qui erre à la recherche d’un toit, cinq mages, un disciple de Pythagore, et aussi Francesca, Paolo et Ugolino, Giordano Bruno… 

Il faut se laisser porter par la beauté et la poésie du film

Le film de Mimmo Paladino est un rêve où se mélangent et se confondent la Divine Comédie et les personnages du presepe napolitain, cette crèche de la piété populaire où se revit la scène de l’adoration des mages dans une grotte dont l’entrée est surmontée d’une comète scintillante.

S’il faut chercher une histoire et une logique, le synopsis du film peut faire office de refuge:

Le comte Ugolino et Paolo et Francesca racontent leurs souffrances, au milieu d’anecdotes de l’histoire de la photographie et de la peinture, entre symboles et mots, entre Pontormo et Glenn Gould. Dante, sans voix, traverse les guerres, les blasphèmes et les misères, dans un voyage dans le temps et l’espace de la créativité et des idées les plus hérétiques.

Mais le monde de Mimmo Paladino n’est pas celui de Descartes et il est préférable de se laisser porter par la beauté et la poésie des images, le charme déroutant du napolitain archaïsant qui se frotte à l’italien classique. 

Un puzzle qui s’ordonne progressivement

À son début, le film est un pêle-mêle de scènes apparemment sans lien entre elles: quel est ce trio familial qui erre dans une ville? Pourquoi cherche-t-il le «vingt-cinq»? Que font-ils dans le salon d’une dame noble? Pourquoi Dante et cette famille se retrouvent-ils dans une église? Que font un âne et un bœuf dans cette église? 

Progressivement pourtant le puzzle s’ordonne, les lignes entre les histoires se tendent et se nouent. Les personnages de ce voyage à proprement parler “extraordinaire” se mettent en place. Nous sommes à la fois dans un passé lointain, celui vieux de sept siècles de la Divine Comédie et de la tradition du presepe née il y a huit cents ans mais aussi dans une actualité brûlante avec cette famille errante de sans abri. 

Mimmo Paladino n’est pas prisonnier de la tradition. Il se joue des codes. À l’image traditionnelle des trois mages censés apporter l’or, la myrrhe et l’encens, ce sont cinq mages que nous rencontrons dans La Divina Cometa: Le mage de la peinture, celui de la musique, celui de la poésie, celui du théâtre et «il maggio nulla» composent une petite troupe qui se rassemble doucement et qui jamais ne rejoindra le presepe. Mais était-ce réellement leur but? 

Mimmo Paladino est un artiste du Transavangerde 

La Divina Cometa est un film d’auteur au sens fort du terme. Il est à l’image de son réalisateur, Mimmo Paladino, l’un des plus importants représentants de ce mouvement artistique né dans les années 1970 en Italie, le Transavangarde. Il est tout à la fois un peintre, un sculpteur et un graveur reconnu et ses œuvres sont exposées à Bologne, à Naples ou à New York. 

La beauté plastique et formelle de La Divina Cometa doit beaucoup à cet héritage. Le choix des décors, une gare abandonnée, un stade, une cave, une fonderie, le sanctuaire de San Michele Archangelo lieu de pèlerinage ou encore Hortus Conculusus, une installation qu’il a créée en 1992 au Couvent San Domenico à Bénévent… composent autant de tableaux. Car c’est en peintre que Mimmo Paladino filme, même s’il s’en défend mollement:

J’ai toujours pensé qu’un film ne remplaçait pas la peinture, il ne se superposait pas à elle, c’était simplement autre chose. Mais en même temps, si on regarde dans l’objectif, dans le rectangle de l’appareil photo, on peut imaginer que c’est l’espace de la toile.1

Film réalisé sans grands moyens, La Divina Cometa réunit pourtant un casting étonnant. On y croise quelques-uns des plus grands acteurs italiens comme Toni Servillo qui endosse le rôle d’Ugolino, Francesco De Gregori, celui du mage de la musique, Nino D’Angelo qui est le mage de la poésie et Sergio Vitolo qui est Dante. Il est porté par une bande-son étonnante avec des chansons de Brian Eno et de Philip Glass mais aussi des Fratelli Mancuso, des chanteurs traditionnels siciliens. 

Bref, on a hâte de voir ce film sortir en France.