Le Purgatoire – Chant XXVI

Vol de grues – Pixabay – CC-0

Septième corniche • Les luxurieux • Deux cortèges • Joyeuse rencontre • Exemples de luxure • Guido Guinizelli • Admiration de Dante •  Arnaut Daniel, le troubadour provençal.

Tandis que sur le bord, nous avançions, 

l’un derrière l’autre, le bon maître me disait 

souvent : « Soit attentif : que mes avis te servent » ;•3 

Le soleil frappait mon épaule droite, 

et déjà, de ses rayons, le bleu céleste

devenait blanc dans tout l’occident ;•6

avec mon ombre je faisais paraître d’un rouge

plus ardent la flamme ; et à ce seul signe

je vis de nombreuses ombres, qui, avançant, étaient attentives.•9

Ceci leur donna l’occasion 

de parler de moi ; elles commencèrent 

à dire entre elles : « Celui-ci ne semble pas un corps factice»;•12 

puis certaines essayèrent de s’approcher de moi, 

autant que possible, toujours en faisant attention 

de ne pas sortir là où le feu ne les brûlait pas.•15 

« Ô toi qui va, non par paresse, 

mais peut-être par déférence, derrière les autres, 

réponds moi qui brûle de soif et de feu.•18 

Ta réponse n’est pas nécessaire à moi seul ; 

car tous ceux-ci en ont plus soif 

que les Indiens et les Éthiopiens d’eau fraîche.•21 

Dis-nous comment tu fais obstacle 

au soleil, comme si tu n’étais pas encore 

pris dans les rets de la mort.»•24 

Ainsi me parlait l’un d’eux ; et moi je me serais 

déjà manifesté, si une autre nouveauté ne m’était 

alors apparue, attirant mon attention ;•27 

par le milieu du chemin en flammes 

venaient des gens dans le sens opposé aux premiers, 

et je les regardais avec attention, l’esprit occupé.•30 

Je vis de toute part en se hâtant

toutes les ombres s’embrasser l’une avec l’autre 

sans s’arrêter, heureuses de cette brève fête ;•33 

ainsi dans leur longue file brune 

les fourmis s’effleurent du museau l’une l’autre, 

peut-être pour se renseigner du chemin et de leur sort.•36 

Aussitôt que cesse l’amicale accolade, 

avant qu’elles fassent un premier pas, 

chacune s’écrie de toutes ses forces:•39 

les nouveaux venus : « Sodome et Gomorrhe ! » 

et les autres : «Pasiphaé entre dans la vache, 

pour que le taureau coure à sa luxure.»•42 

Puis comme les grues s’envolent pour partie 

vers les monts Riphée, pour partie vers le sable, 

les unes rejetant le gel, les autres le soleil,•45 

une troupe s’en va, et l’autre s’en vient ; 

et elles reviennent, pleurant, aux premiers chants 

et au cri qui leur convenaient le plus;•48

et se rapprochant de moi, comme auparavant,

les mêmes qui m’avaient prié, 

me semblaient alors prêtes à m’écouter.•51 

Et moi qui deux fois avait vu leur désir, 

je commençai : « Ô âmes certaines 

d’être, tôt ou tard, en paix,•54 

ni verts ni mûrs mes membres 

ne sont pas restés là-bas, mais ils sont ici 

avec leur sang et leurs jointures.•57 

Aussi je monte pour ne plus être aveugle ; 

une dame là-haut m’a acquis cette grâce, 

de porter un corps mortel par votre monde.•60 

Mais que votre plus grand désir soit 

rassasié au plus tôt, afin que le vaste ciel 

qui est plein d’amour vous accueille,•63 

dites-moi, pour que je couche sur le papier, 

qui vous êtes, et quelle est cette foule 

qui s’en va en vous tournant le dos.»•66 

Le montagnard ne se montre pas moins 

stupéfait, demeurant muet, 

quand rustre et sauvage il va en ville,•69 

que ne parut alors chacune des ombres ; 

mais après qu’elles furent délivrées de leur stupeur, 

qui s’éteint vite dans les cœurs nobles,•72 

« Bienheureux sois-tu, qui de nos contrées »,

recommença celui qui m’avait déjà questionné,

« en gagne l’expérience, pour mourir meilleur!•75

Les ombres qui ne vont pas avec nous, péchèrent

par ce pourquoi César, triomphant,

s’entendit appeler “Reine”:•78

mais ils s’en vont en criant “Sodome”,

se le reprochant à eux-mêmes comme tu l’as entendu,

et renforce de leur honte la brûlure.•81

Notre péché fut d’être hermaphrodite ;

mais comme nous n’observions pas les lois humaines

en suivant notre appétit comme des bêtes,•84 

dans notre ignominie, nous nous récitions, 

quand nous nous séparions, le nom de celle 

qui se fit bête dans la bête de bois.•87 

À présent tu sais nos péchés et nos actes : 

et peut-être veux-tu connaître nos noms, 

le temps manque pour les dire, et je ne saurai pas.•90 

Pour moi, je te contenterai : 

je suis Guido Guinizzelli, et déjà je me purge 

pour avait fait acte de contrition avant la fin.»•93

Tels, dans le détresse de Lycurgue,

se firent deux fils en revoyant leur mère,

tel je me fis, mais sans m’enhardir à ce point,•96

quand j’entendis se nommer mon père

et celui d’autres meilleurs que moi qui

écrivirent des rimes d’amour gracieuses et douces;•99

et sans entendre et dire j’allais pensif

le regardant à de longues reprises,

sans m’approcher plus, à cause du feu.•102

Puis m’étant rassasié de regarder,

je m’offris tout entier à son service

avec ce serment qui fait que l’on vous croit.•105

Et lui à moi : « Tu laisses en moi une telle empreinte, 

pour ce que j’ai entendu, et si claire, 

que le Léthé ne pourra ni l’enlever ni l’obscurcir.•108

Mais si tes paroles ont juré la vérité, 

dis-moi la raison pour laquelle tu me montres,

par la parole et le regard, que je te suis cher.»•111

Et moi à lui : « Vos doux écrits, 

tant que durera le langage moderne,

feront que leur encre sera chérie.»•114 

« Ô frère », dit-il, « celui que je te montre 

du doigt », et il désigna un esprit devant, 

« fut meilleur ouvrier du parler maternel.•117

En vers d’amour et prose de roman 

il surpassa tous les autres ; et laisse dire les sots 

qui croient l’homme du Limousin devant.•120 

Ils se fient à la réputation plus qu’au vrai, 

et ainsi assoient leur opinion

avant d’écouter l’art ou la raison.•123

C’est ainsi que, de clameur en clameur,

beaucoup d’anciens donnèrent à Guittone le prix,

mais finalement avec plus de personnes le vrai a gagné.•126 

À présent si tu as si ample privilège, 

que tu es autorisé à aller au cloître 

où Christ est l’abbé du collège des élus,•129 

fais-le dire pour moi un notre-père, 

dont nous avons tant besoin dans ce monde, 

où le pouvoir de pécher n’est plus nôtre.»•132

Puis, peut-être pour laisser place à un autre

qu’il avait près de lui, il disparut dans le feu,

comme le poisson descend au fond de l’eau.•135

Je m’avançai un peu vers celui qui avait été désigné,

et dis qu’à son nom mon désir

apprêtait une place gracieuse.•138

Il commença librement à dire :

« Tant me plaît votre courtoise demande,

que je ne peux ni ne veux me cacher de vous.•141

Je suis Arnaut, qui pleure et va chantant ;

je vois avec souci ma folie passée,

et devant moi la joie dont j’espère jouir.•144

Maintenant je vous prie, au nom de cette valeur

qui vous guide jusqu’au sommet de l’échelle,

de vous souvenir à temps de ma douleur ! »

Puis il disparut dans le feu qui les purifie.•148

Girone settimo • Lussuriosi • Una domanda • Una seconda schiera • Festoso incontro • Esempi di Lussuria • Guido Guinizelli • Affetto e ammirazione • Arnaut Daniel. 

Mentre che sì per l’orlo, uno innanzi altro, 

ce n’andavamo, e spesso il buon maestro 

diceami : « Guarda : giovi ch’io ti scaltro»;•3 

feriami il sole in su l’omero destro, 

che già, raggiando, tutto l’occidente 

mutava in bianco aspetto di cilestro;•6 

e io facea con l’ombra più rovente 

parer la fiamma ; e pur a tanto indizio 

vidi molt’ ombre, andando, poner mente.•9 

Questa fu la cagion che diede inizio 

loro a parlar di me ; e cominciarsi 

a dir : « Colui non par corpo fittizio»;•12 

poi verso me, quanto potëan farsi, 

certi si fero, sempre con riguardo 

di non uscir dove non fosser arsi.•15 

« O tu che vai, non per esser più tardo, 

ma forse reverente, a li altri dopo, 

rispondi a me che ’n sete e ’n foco ardo.•18 

Né solo a me la tua risposta è uopo ; 

ché tutti questi n’hanno maggior sete 

che d’acqua fredda Indo o Etïopo.•21 

Dinne com’ è che fai di te parete 

al sol, pur come tu non fossi ancora 

di morte intrato dentro da la rete».•24 

Sì mi parlava un d’essi ; e io mi fora 

già manifesto, s’io non fossi atteso 

ad altra novità ch’apparve allora;•27 

ché per lo mezzo del cammino acceso 

venne gente col viso incontro a questa, 

la qual mi fece a rimirar sospeso.•30 

Lì veggio d’ogne parte farsi presta 

ciascun’ ombra e basciarsi una con una 

sanza restar, contente a brieve festa;•33 

così per entro loro schiera bruna 

s’ammusa l’una con l’altra formica, 

forse a spïar lor via e lor fortuna.•36 

Tosto che parton l’accoglienza amica, 

prima che ’l primo passo lì trascorra, 

sopragridar ciascuna s’affatica:•39 

la nova gente : « Soddoma e Gomorra » ; 

e l’altra : « Ne la vacca entra Pasife, 

perché ’l torello a sua lussuria corra».•42 

Poi, come grue ch’a le montagne Rife 

volasser parte, e parte inver’ l’arene, 

queste del gel, quelle del sole schife,•45 

l’una gente sen va, l’altra sen vene ; 

e tornan, lagrimando, a’ primi canti 

e al gridar che più lor si convene;•48 

e raccostansi a me, come davanti, 

essi medesmi che m’avean pregato, 

attenti ad ascoltar ne’ lor sembianti.•51 

Io, che due volte avea visto lor grato, 

incominciai : « O anime sicure 

d’aver, quando che sia, di pace stato,•54 

non son rimase acerbe né mature 

le membra mie di là, ma son qui meco 

col sangue suo e con le sue giunture.•57 

Quinci sù vo per non esser più cieco ; 

donna è di sopra che m’acquista grazia, 

per che ’l mortal per vostro mondo reco.•60 

Ma se la vostra maggior voglia sazia 

tosto divegna, sì che ’l ciel v’alberghi 

ch’è pien d’amore e più ampio si spazia,•63 

ditemi, acciò ch’ancor carte ne verghi, 

chi siete voi, e chi è quella turba 

che se ne va di retro a’ vostri terghi ».•66 

Non altrimenti stupido si turba 

lo montanaro, e rimirando ammuta, 

quando rozzo e salvatico s’inurba,•69 

che ciascun’ ombra fece in sua paruta ; 

ma poi che furon di stupore scarche, 

lo qual ne li alti cuor tosto s’attuta,•72 

« Beato te, che de le nostre marche », 

ricominciò colei che pria m’inchiese, 

« per morir meglio, esperïenza imbarche!•75 

La gente che non vien con noi, offese 

di ciò per che già Cesar, trïunfando, 

“Regina” contra sé chiamar s’intese:•78 

però si parton “Soddoma” gridando, 

rimproverando a sé com’ hai udito, 

e aiutan l’arsura vergognando.•81 

Nostro peccato fu ermafrodito ; 

ma perché non servammo umana legge, 

seguendo come bestie l’appetito,•84 

in obbrobrio di noi, per noi si legge, 

quando partinci, il nome di colei 

che s’imbestiò ne le ’mbestiate schegge.•87 

Or sai nostri atti e di che fummo rei : 

se forse a nome vuo’ saper chi semo, 

tempo non è di dire, e non saprei.•90 

Farotti ben di me volere scemo : 

son Guido Guinizzelli, e già mi purgo 

per ben dolermi prima ch’a lo stremo».•93 

Quali ne la tristizia di Ligurgo 

si fer due figli a riveder la madre, 

tal mi fec’ io, ma non a tanto insurgo,•96 

quand’ io odo nomar sé stesso il padre 

mio e de li altri miei miglior che mai 

rime d’amore usar dolci e leggiadre;•99 

e sanza udire e dir pensoso andai 

lunga fïata rimirando lui, 

né, per lo foco, in là più m’appressai.•102 

Poi che di riguardar pasciuto fui, 

tutto m’offersi pronto al suo servigio 

con l’affermar che fa credere altrui.•105 

Ed elli a me : « Tu lasci tal vestigio, 

per quel ch’i’ odo, in me, e tanto chiaro, 

che Letè nol può tòrre né far bigio.•108 

Ma se le tue parole or ver giuraro, 

dimmi che è cagion per che dimostri 

nel dire e nel guardar d’avermi caro ».•111 

E io a lui : « Li dolci detti vostri, 

che, quanto durerà l’uso moderno, 

faranno cari ancora i loro incostri».•114 

« O frate », disse, « questi ch’io ti cerno 

col dito », e additò un spirto innanzi, 

« fu miglior fabbro del parlar materno.•117 

Versi d’amore e prose di romanzi 

soverchiò tutti ; e lascia dir li stolti 

che quel di Lemosì credon ch’avanzi.•120 

A voce più ch’al ver drizzan li volti, 

e così ferman sua oppinïone 

prima ch’arte o ragion per lor s’ascolti.•123 

Così fer molti antichi di Guittone, 

di grido in grido pur lui dando pregio, 

fin che l’ha vinto il ver con più persone.•126 

Or se tu hai sì ampio privilegio, 

che licito ti sia l’andare al chiostro 

nel quale è Cristo abate del collegio,•129 

falli per me un dir d’un paternostro, 

quanto bisogna a noi di questo mondo, 

dove poter peccar non è più nostro ».•132 

Poi, forse per dar luogo altrui secondo 

che presso avea, disparve per lo foco, 

come per l’acqua il pesce andando al fondo.•135 

Io mi fei al mostrato innanzi un poco, 

e dissi ch’al suo nome il mio disire 

apparecchiava grazïoso loco.•138 

El cominciò liberamente a dire : 

« Tan m’abellis vostre cortes deman, 

qu’ieu no me puesc ni voill a vos cobrire.•141 

Ieu sui Arnaut, que plor e vau cantan ; 

consiros vei la passada folor, 

e vei jausen lo joi qu’esper, denan.•144 

Ara vos prec, per aquella valor 

que vos guida al som de l’escalina, 

sovenha vos a temps de ma dolor ! »

Poi s’ascose nel foco che li affina.•148

Notes
[4] «Le soleil frappait mon épaule droite…»
Le soleil décline puisque ses rayons touchent l’épaule droite de Dante. Souvenons-nous qu’au début du chant précédent, au moment où Dante et ses deux compagnons s’apprêtaient à monter sur cette septième corniche il était déjà midi [Chant XXV, 1-3]. On peut en déduire que la fin de la journée est proche.

 

 

Deuxième indication; Dante est parti de la plage, en tournant vers le soleil levant, c’est-à-dire l’est [l’Orient], or maintenant les rayons du Soleil couchant le frappent sur l’épaule droite, on peut déduire qu’il a fait la moitié de la circonférence du mont.

[7-8] «Je faisais paraître d'un rouge plus ardent la flamme…»
Dante avec son corps masque le soleil, ce qui rend les flammes plus sombres. Cela intriguent les ombres qui sont « dans » ces flammes, mais elles se gardent d’en sortir pour ne pas rallonger leur temps de pénitence. 
[20] «Tous ceux-ci en ont plus soif…»
Aureus Epternacensis-Lazare-riche-parabole

Codex Aureus Epternacensis. Parabole du riche et du mendiant Lazare.

La «soif» [“sete”] que ressentent les ombres est réelle, mais elle a aussi une dimension métaphorique. C’est un rappel de la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare tirée de l’évangile selon Saint Luc [Luc, 16, 19-27]. Un homme riche faisait chaque jour des festins somptueux nous dit cet évangile. À sa porte se trouvait un pauvre, Lazare, couvert d’ulcères qui aurait aimer manger les restes de ces festins. Mais le riche ne lui donnait rien. 

Lazare mourut, puis le riche. Ce dernier se trouva alors en proie aux tourments. Il vit de loin Abraham avec à ses côtés Lazare. Il s’écria, dit Saint Luc: «Père Abraham ait pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue car je suis à la torture dans dans ces flammes

Abraham répondit : «Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare pareillement ses maux; maintenant donc il trouve ici consolation, et toi, tu es à la torture

[40] Sodome et Gomorrhe

Chroniques de Nuremberg, Lot fuit Sodome, gravure sur bois, 1432

Sodome est la ville symbole du péché « contre nature » des hommes. Elle sera détruite par Yahvé qui «fit pleuvoir sur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu (…), et il renversa ces villes et toute la plaine, avec tous les habitants des villes et la végétation au sol.» Seuls survivront à ce désastre Loth, le fils d’Abraham, et ses deux filles. La femme de Loth fit l’erreur de regarder en arrière et fut transformer en statue de sel. [Genèse 18-19]

[41] Pasiphaé
Pasiphae-pompei-dedale

Dédale présente la fausse vache à Pasiphaé. – Maison des Vettii, Pompéi, 1er siècle.

Pasiphaé était la fille d’Hélios et de la nymphe Persé et l’épouse de Minos le roi de Crète. Ils auront plusieurs enfants, dont Ariane, Glaucos, Androgée et Phèdre. 

L’histoire se noue lorsque Minos demande à Poséidon de faire surgir de la mer un taureau, en lui promettant qui lui sera immédiatement sacrifié. Flatté, Poséidon envoie un superbe taureau blanc. Minos le trouve tellement magnifique, qu’il décide d’épargner l’animal et sacrifie à sa place une autre bête.

Poséidon furieux d’avoir été trompé inspire à Pasiphaé un amour passionné pour le taureau. Pour le satisfaire, elle demande à Dédale de lui construire une vache en bois. Elle se plaça à l’intérieur et par ce stratagème réussit à s’accoupler avec le taureau. De cette union naquit un être à tête de taureau et corps d’homme, le Minotaure. Ce monstre sera enfermé dans le labyrinthe construit par Dédale. 

[44] Les grues s'envolent vers les monts Riphée
Très belle image des grues qui s’envolent soit vers le Sud et les sables des déserts d’Afrique où vers le Nord et les monts Riphée. Dans la réalité, les grues ne se croisent pas au cours de leurs migrations.

Les monts Riphée (ou Riphées, ou Rhipées, Ripées) marquent pour les auteurs classiques grecs et romains, les limites septentrionales de l’Europe. Pour plusieurs d’entre eux, c’est là que souffle Borée. Virgile les citent dans ses Géorgiques, mais aussi Brunetto Latino dans son Trésor [i. 124], où il semble les confondre avec les monts Hyperboréens et les placer un peu à l’ouest de l’Oural:

A l’entrée d’orient est la terre de Scite, desor est mont Riphey et l’Yperborey

[58] «Je monte pour ne plus être aveugle…»
Dante monte vers l’Empyrée pour ne plus être «aveugle», c’est-à-dire pour pouvoir être capable de distinguer le mal du bien.
[59] «Une dame là-haut…»
La «dame» [“donna”] est sans doute Béatrice, et non Marie comme certains commentateurs le supposent. Cette dernière n’est mentionnée explicitement qu’en tout début du poème, au Chant II de l’Enfer [94-96] et à la fin au Chant XXXIII du Paradis [1 et suivant] n’apparaît que très peu. 

 

À l’inverse Béatrice est présentée dans l’Enfer et le Purgatoire comme la «donna del cielo».

[67] Le montagnard
Les «montagnard(s)» [“lo montanaro”] qui découvraient pour la première fois Florence où l’une des autres grandes cités du nord de l’Italie au Moyen Âge devaient être éblouis par le luxe des palais, les vêtements. 

Stupido” ne veut dire “stupide”, mais se traduit plutôt par “stupéfait”.

[77-78] «César, triomphant, s’entendit appeler “Reine”…»
César était célèbre pour ses relations avec des hommes, en particulier le roi de Bithynie, Nicomède. Ses adversaires l’appelèrent souvent « reine » dans leurs discours et lors de l’un de ses triomphes les soldats entonnèrent une chanson sur ce thème.
[92] «Je suis Guido Guinizelli»
Manuscrit Guinizelli

Manuscrit du poème “Al cor gentil rempaira sempre amore”, le poème manifeste du Dolce Stil Nuovo.

Guido Guinizelli était l’un des descendants d’une importante famille noble de Bologne [dei Magnani]. Né vers 1230 à Bologne, Il devra quitter la ville en 1274, comme les autres gibelins et mourut, sans doute en exil, à Monselice, près de Venise, en 1276. Il avait épousé Beatrice della Frata et ils eurent un fils Guido.

 Il fut en Italie, dans doute le plus célèbre poète en langue vulgaire avant Dante. De son œuvre il ne reste qu’un modeste canzionere composé de cinq chansons et quinze sonnets, mais son importance est extrême, Dante n’hésitant pas à le présenter comme le “père” du dolce stil novo.

Au début il sera influencé par la poésie sicilienne et aussi au début par Guittone d’Arezzo, un poète au style considéré comme obscur et artificiel.

Le tournant sera marqué par la célèbre canzone Al cor gentil [V], qui est lu maintenant comme le manifeste du dolce stil nuovo. En voici le début:

Al co gentil ripara sempre Amore

com’a la selva augello in la verdura ;

né fe’ Amore anti che gentil core,

né gentil core anti ch’Amor natura,

ch’adesso com fu il sole,

si tosto lo splendore fu lucente

né fu davanti il sole ;

Dans le cœur noble amour toujours s’abrite / comme en forêt l’oiseau sous le feuillage ; / Et nature n’a pas créé Amour / avant le cœur, ni le cœur avant Amour, / dès que fut le soleil, / aussitôt resplendit la lumière, / qui ne fut pas avant le soleil.

On remarquera la simplicité cristalline de sa poésie, l’absence de préciosité et le thème dominant de l’Amour.

Dernier point, sa rupture avec Guittone d’Arezzo sera marquée par un sonnet qui sous une apparence d’hommage est en fait d’une ironie mordante. Guinizzelli se moque en effet de l’appartenance de Guittone à l’ordre des Frati della Beata Gloriosa Vergine Maria, plus connu sous le nom de Frati Gaudenti, qui peut se traduire littéralement par « les frères de la jubilation », mais signifiait plus probablement « frères paillards », car ces frères n’avaient de religieux que le nom, s’affranchissant joyeusement des règles monastiques. D’ailleurs, Dante va placer des « frate gaudenti » en Enfer, au Chant XXIII, où se trouvent les hypocrites engoncés dans leur manteau de plomb.

C’est donc à ce « cher père » que rend hommage Guido Guinizzelli dans un sonnet qui est nettement à double sens:

O caro padre meo, di vostra laude

non bisogna ch’alcun omo s’embarchi,

ché in vostra mente intrar vizio non aude,

che for di sé vostro saver non l’archi.

A ciascun reo sì la porta claude,

che, sembr’, ha più via che Venezi’ ha Marchi ;

entr a Gaudenti ben vostr alma gaude,

ch’al me’ parer li gaudii han sovralarchi.

Prendete la canzon, la qual io porgo

al saver vostro, che l’aguinchi e cimi,

ch’a voi ciò solo com’ a mastr’ accorgo,

ch’ell’ è congiunta certo a debel’ vimi :

però mirate di lei ciascun borgo

per vostra correzion lo vizio limi.

Ô mon cher père, à votre louange / il n’est pas nécessaire que quelqu’un s’embarque, / car dans votre esprit n’ose pas entrer le vice, / sans que vous ne le chassiez par votre sagesse. / Ainsi fermez la porte à chaque vice, / qui semblent plus nombreux que les Marc à Venise ; / et parmi les Frères Gaudenti votre âme se réjouit certainement, / tant il semble que les joies soient nombreuses. / Acceptez ma chanson / que j’offre à votre sagesse, pour que vous la corrigiez et l’amélioriez, / parce que vous seul pouvez le faire comme maître, / parce qu’elle est serrée par des liens faibles / donc l’analyser dans chaque recoin / pour que toute imperfection soit éliminée par votre correction.

[94-95] La détresse de Lycurgue
Isiphile est la nourrice de l’enfant du roi Lycurgue. il fait une terrible chaleur. Une troupe de guerriers grecs entrent dans le jardin où se trouve Isiphile avec l’enfant. Elle le pose sur l’herbe et part guider les soldats vers une rivière. Pendant son absence, un serpent pénètre dans le jardin et mort l’enfant, qui meurt. 

 

Lycurgue rendu furieux par la perte de son enfant condamne à mort Isiphile. Mais ses deux fils Thoas et Eunée surviennent et se jettent dans ses bras en la reconnaissant. Ému, Lycurgue décide de l’épargner. 

Dante, à l’inverse des enfants d’Isiphile n’ose pas se jeter dans les bras de Guido Guinizelli, effrayé par le feu.

[120] L'homme du Limousin
Il s’agit de Giraut de Bornelh, un troubadour provençal. Né à Excideuil, vers 1175, un village proche de notre actuel Périgord, il mourut vers 1220. Il fut certainement célèbre et était considéré comme «miglior trovatore che alcun altro di quali» [“meilleur troubadour qu’aucun autre”]. Dante lui-même le cite dans son De Vulgari [Livre II, II, 8]comme l’un de ces «hommes illustres [qui] ont composé en vers vulgaires» aux côtés de Bertrand de Born, d’Arnaut Daniel et de Cino da Pistoia. 

Dans ce passage de la Comédie, Dante établit —par la voix de Guinizelli— une hiérarchie des poètes, et très clairement prend position contre l’opinion courante qui trouvait difficile la poésie raffinée d’Arnaut Daniel. 

Voici le début d’un des rares poèmes qui nous soit parvenu. Il est célèbre par la reprise de “bel compagno” au début de chaque strophe de la mélodie. 

Reis glorios, verays lums e clardatz,
Dieus poderos, senher, si a vos plaz,
al mieu companh siatz fizels aiuda,
qu’ieu non lo vi, pos la nuechs fon venguda,
et ades sera l’alba!

[Roi glorieux, véritable lumière et splendeur, / Dieu puissant, seigneur, si vous voulez, / mon compagnon est d’un secours fidèle, / parce que je ne l’ai pas revu depuis la nuit, et bientôt ce sera l’aube. ]

Bel companho, si dormetz o velhatz?
Cal que fazatz, en estans vos levatz, 
qu’en orient vey l’estela creguda
qu’amena·l jorn, qu’ieu l’ai ben conoguda,
et ades sera l’alba! 

[Beau compagnon, dormez-vous ou êtes-vous éveillé? / Quoi que vous fassiez, levez-vous, / parce qu’en orient je vois que s’est levé / l’étoile qui porte le jour: je l’ai bien reconnue, / et bientôt ce sera l’aube.

[142] «Je suis Arnaut…»
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