L’Enfer – Chant I
Photo: Marc Mentré
Chant d’ouverture • La forêt obscure • Une colline ensoleillée • Un léopard, un lion et une louve • Virgile, le guide • La prophétie du Veltro • Principes du voyage.
Au milieu du chemin de notre vie1,
je me retrouvai dans une forêt obscure,2
car la voie droite était perdue.3•3
Ah dire ce qu’elle était est chose dure
cette forêt sauvage et âpre et impénétrable,
qu’y penser renouvelle la peur!•6
Elle était si amère, que ne l’est guère plus la mort;4
mais pour parler du bien que j’y trouvai,
je dirai les autres choses qui m’y apparurent.•9
Je ne sais pas bien redire comment j’y entrai,
tant j’étais plein de sommeil en ce point
où j’abandonnai la voie vraie.5•12
Mais, arrivé au pied d’une colline
où se terminait cette vallée
qui de peur m’avait percé le cœur,6•15
je regardai en haut, et vis ses épaulements
déjà vêtus des rayons de la planète
qui guide droit chacun par chaque chemin.7•18
Alors la peur fut un peu calmée,
qui dans le lac du cœur m’avait duré
la nuit que j’avais passée avec tant d’angoisse.8•21
Et comme celui qui le souffle court
sorti de la mer, sur la rive
se tourne vers l’eau périlleuse et la fixe,•24
ainsi mon âme, qui fuyait encore,9
se retourna pour regarder le passage
qui jamais ne laissa personne en vie.10•27
Puis quand j’eus un peu reposé mon corps las,
je repris ma route par la plage déserte,11
le pied ferme étant toujours plus bas.12•30
Et voici, presque au début de la montée,
un léopard, léger et très rapide,
couvert d’un pelage tacheté;13•33
il ne s’écartait pas de mon visage,
et empêchait tant mon chemin,
que plusieurs fois je fus près de retourner.•36
C’était ce moment où le matin commence,
et où le soleil montait avec ces étoiles
qui l’entouraient quand l’amour divin•39
déplaça la première fois ces belles choses;14
si bien que m’étaient raisons d’espérer
cette bête au gai pelage,•42
l’heure et la douce saison;
mais la peur me vint
lorsqu’un lion m’apparut.15•45
Il semblait venir vers moi
avec la tête haute et avec faim enragée,
au point que l’air paraissait trembler.16•48
Et une louve, qui dans sa maigreur
semblait chargée de toutes les convoitises
et fit vivre autrefois tant de gens dans le chagrin,17•51
me jeta dans un tel abattement,
par la peur qui venait de son regard,18
que je perdis l’espoir de la hauteur.•54
Semblable à celui qui volontiers gagne,
mais arrive le temps qui lui fait tout perdre,
alors il pleure et toutes ses pensées sont tristes;19 •57
tel me fit la bête sans paix,
qui, venant près de moi, peu à peu
me repoussait là où le soleil se tait.20•60
Tandis que je me précipitais vers le bas,
fut offert à mes yeux
celui qui semblait affaibli par un long silence.21•63
Quand, je le vis dans le grand désert,22
« Miserere de moi », lui criai-je,
« qui que tu sois, ou ombre ou homme réel!».23•66
Il répondit : « Homme ne suis, jadis homme je fus24
et mes parents furent lombards,
mantouans de patrie tous deux.25•69
Je naquis sub Julio, bien que tard,
et vécus à Rome sous le bon Auguste,
au temps des dieux faux et menteurs.26•72
Je fus poète, et chantai ce juste
fils d’Anchise qui vint de Troie,
après que la superbe Ilion fut brûlée.27•75
Mais toi pourquoi retournes-tu à tant de peines?28
Pourquoi ne gravis-tu pas le délicieux mont,
qui est principe et cause de toute joie?»•78
« Serais-tu ce Virgile et cette source
d’où s’échappe un si large fleuve de langage ?»,
lui répondis-je la honte au front.29•81
« Ô honneur et lumière des autres poètes,
que m’aident la longue étude et le grand amour
qui m’a fait lire et relire ton œuvre.•84
Tu es mon maître et mon modèle,30
tu es le seul dont je tiens
le beau style qui m’a fait honneur.31 •87
Vois la bête qui me fait m’en retourner ;
aide-moi contre elle, sage fameux,32
elle fait trembler mes veines et mon sang.»•90
« Il te faut prendre une autre route »,
répondit-il, quand il me vit en larmes,
« si tu veux t’échapper de ce lieu sauvage;•93
car cette bête, pour laquelle tu cries,
ne laisse passer personne par son chemin,
mais tant l’empêche qu’elle le tue;•96
et sa nature est si mauvaise et perverse,
que jamais sa voracité n’est rassasiée,
et repue elle a encore plus faim.•99
Nombreux sont les hommes avec qui elle s’accouple33
et le seront plus encore, jusqu’à ce que vienne le veltro,
qui la fera mourir dans la douleur.34•102
Lui ni terre ni argent ne le nourriront,
mais sagesse, amour et vertu,
et sa patrie sera entre feltre et feltre.35•105
Il sera le salut de cette humble Italie36
pour qui moururent la vierge Camille,37
Euryale, Turnus et Nisus de leurs blessures.38•108
Il la chassera par toutes les villes,
jusqu’à ce qu’il l’ait remise en enfer,
d’où l’avait tiré d’abord l’envie.39•111
Donc je pense et estime qu’il est mieux pour toi
de me suivre, et je serai ton guide,
et je te délivrerai d’ici pour un lieu éternel;40•114
tu y entendras les cris désespérés,
tu verras les antiques esprits douloureux,
qui appellent chacun à la seconde mort;41•117
et tu verras ceux qui sont contents
dans le feu, parce qu’ils espèrent venir
un jour parmi les gens heureux.42•120
Et si vers eux ensuite tu veux t’élever,
une âme se trouvera plus digne de cela que moi:43
avec elle je te laisserai en partant;•123
car cet empereur qui règne là-haut,44
comme je fus rebelle à sa loi45
ne veut pas que l’on vienne par moi en sa cité.46•126
Partout il commande, et là il règne;
là est sa ville et son haut siège:
oh heureux celui qu’il y élit!»•129
Et moi à lui : « Poète, je te prie
par ce Dieu que tu n’as pas connu,
pour que je fuis ce mal et pire,•132
de me conduire là où tu viens de dire,
pour que je vois la porte de Saint Pierre,47
et ceux que tu fais si tourmentés.»
Alors il se mit en marche, et je le suivis.•136
Proemio generale • Nella selva oscura • Il colle illuminato • Le tre fiere : lonza, leone et lupa • Virgilio, la guida • La profezia del Veltro • Principio del gran viaggio
Nel mezzo del cammin di nostra vita
mi ritrovai per una selva oscura,
ché la diritta via era smarrita.•3
Ahi quanto a dir qual era è cosa dura
esta selva selvaggia e aspra e forte
che nel pensier rinova la paura!•6
Tant’ è amara che poco è più morte;
ma per trattar del ben ch’i’ vi trovai,
dirò de l’altre cose ch’i’ v’ho scorte.•9
Io non so ben ridir com’ i’ v’intrai,
tant’ era pien di sonno a quel punto
che la verace via abbandonai.•12
Ma poi ch’i’ fui al piè d’un colle giunto,
là dove terminava quella valle
che m’avea di paura il cor compunto,•15
guardai in alto e vidi le sue spalle
vestite già de’ raggi del pianeta
che mena dritto altrui per ogne calle.•18
Allor fu la paura un poco queta,
che nel lago del cor m’era durata
la notte ch’i’ passai con tanta pieta.•21
E come quei che con lena affannata,
uscito fuor del pelago a la riva,
si volge a l’acqua perigliosa e guata,•24
così l’animo mio, ch’ancor fuggiva,
si volse a retro a rimirar lo passo
che non lasciò già mai persona viva.•27
Poi ch’èi posato un poco il corpo lasso,
ripresi via per la piaggia diserta,
sì che ’l piè fermo sempre era ’l più basso.•30
Ed ecco, quasi al cominciar de l’erta,
una lonza leggiera e presta molto,
che di pel macolato era coverta;•33
e non mi si partia dinanzi al volto,
anzi ’mpediva tanto il mio cammino,
ch’i’ fui per ritornar più volte vòlto.•36
Temp’ era dal principio del mattino,
e ’l sol montava ’n sù con quelle stelle
ch’eran con lui quando l’amor divino•39
mosse di prima quelle cose belle;
sì ch’a bene sperar m’era cagione
di quella fiera a la gaetta pelle•42
l’ora del tempo e la dolce stagione;
ma non sì che paura non mi desse
la vista che m’apparve d’un leone.•45
Questi parea che contra me venisse
con la test’ alta e con rabbiosa fame,
sì che parea che l’aere ne tremesse.•48
Ed una lupa, che di tutte brame
sembiava carca ne la sua magrezza,
e molte genti fé già viver grame,•51
questa mi porse tanto di gravezza
con la paura ch’uscia di sua vista,
ch’io perdei la speranza de l’altezza.•54
E qual è quei che volontieri acquista,
e giugne ’l tempo che perder lo face,
che ’n tutti suoi pensier piange e s’attrista;•57
tal mi fece la bestia sanza pace,
che, venendomi ’ncontro, a poco a poco
mi ripigneva là dove ’l sol tace.•60
Mentre ch’i’ rovinava in basso loco,
dinanzi a li occhi mi si fu offerto
chi per lungo silenzio parea fioco.•63
Quando vidi costui nel gran diserto,
« Miserere di me », gridai a lui,
« qual che tu sii, od ombra od omo certo!».•66
Rispuosem i : « Non omo, omo già fui,
e li parenti miei furon lombardi,
mantoani per patrïa ambedui.•69
Nacqui sub Iulio, ancor che fosse tardi,
e vissi a Roma sotto ’l buono Augusto
nel tempo de li dèi falsi e bugiardi.•72
Poeta fui, e cantai di quel giusto
figliuol d’Anchise che venne di Troia,
poi che ’l superbo Ilïón fu combusto.•75
Ma tu perché ritorni a tanta noia ?
perché non sali il dilettoso monte
ch’è principio e cagion di tutta gioia?».•78
« Or se’ tu quel Virgilio e quella fonte
che spandi di parlar sì largo fiume ?»,
rispuos’ io lui con vergognosa fronte.•81
« O de li altri poeti onore e lume,
vagliami ’l lungo studio e ’l grande amore
che m’ha fatto cercar lo tuo volume.•84
Tu se’ lo mio maestro e ’l mio autore,
tu se’ solo colui da cu’ io tolsi
lo bello stilo che m’ha fatto onore.•87
Vedi la bestia per cu’ io mi volsi ;
aiutami da lei, famoso saggio,
ch’ella mi fa tremar le vene e i polsi».•90
« A te convien tenere altro vïaggio »,
rispuose, poi che lagrimar mi vide,
« se vuo’ campar d’esto loco selvaggio;•93
ché questa bestia, per la qual tu gride,
non lascia altrui passar per la sua via,
ma tanto lo ’mpedisce che l’uccide;•96
e ha natura sì malvagia e ria,
che mai non empie la bramosa voglia,
e dopo ’l pasto ha più fame che pria.•99
Molti son li animali a cui s’ammoglia,
e più saranno ancora, infin che ’l veltro
verrà, che la farà morir con doglia.•102
Questi non ciberà terra né peltro,
ma sapïenza, amore e virtute,
e sua nazion sarà tra feltro e feltro.•105
Di quella umile Italia fia salute
per cui morì la vergine Cammilla,
Eurialo e Turno e Niso di ferute.•108
Questi la caccerà per ogne villa,
fin che l’avrà rimessa ne lo ’nferno,
là onde ’nvidia prima dipartilla.•111
Ond’ io per lo tuo me’ penso e discerno
che tu mi segui, e io sarò tua guida,
e trarrotti di qui per loco etterno;•114
ove udirai le disperate strida,
vedrai li antichi spiriti dolenti,
ch’a la seconda morte ciascun grida;•117
e vederai color che son contenti
nel foco, perché speran di venire
quando che sia a le beate genti.•120
A le quai poi se tu vorrai salire,
anima fia a ciò più di me degna :
con lei ti lascerò nel mio partire;•123
ché quello imperador che là sù regna,
perch’ i’ fu’ ribellante a la sua legge,
non vuol che ‘n sua città per me si vegna.•126
In tutte parti impera e quivi regge;
quivi è la sua città e l’alto seggio:
oh felice colui cu’ ivi elegge!».•129
E io a lui : « Poeta, io ti richeggio
per quello Dio che tu non conoscesti,
a ciò ch’io fugga questo male e peggio,•132
che tu mi meni là dov’ or dicesti,
sì ch’io veggia la porta di san Pietro
e color cui tu fai cotanto mesti».
Allor si mosse, e io li tenni dietro.•136