DANTE – From Inferno to Paradise est un très beau et très personnel opéra composé et écrit par Patrick Cassidy, un amoureux du poète florentin auquel il a emprunté les vers pour en écrire le livret. Cette œuvre a été créée à Hof, en Allemagne en juin 2024, dans une mise en scène contemporaine. 

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Dante (Minseok Kim) chante l’exil auquel il est destiné. Photo: Harold Dietz

Par un tweet sur X (ex Twitter) le 28 juin j’ai appris l’existence de DANTE – From Inferno to Paradise, l’opéra de Patrick Cassidy. Par le même tweet, j’ai su que le Théâtre de Hof accueillait cette création. Quelques jours plus tard, j’étais dans les rues de cette petite ville de Bavière, voisine de la prestigieuse Bayreuth. Un voyage en terre d’opéra donc. 

«Dante devait apparaître habillé en soldat dans la scène d’ouverture», explique Patrick Cassidy. Nous sommes loin du costume des feditori, ces jeunes cavaliers jettés au cœur des féroces batailles d’Italie au XIIIe siècle. C’est un Dante (Minseok Kim), austère, tout de noir vêtu qui apparaît au premier acte. La scène elle-même est sombre et les choristes vêtus d’un ample vêtement noir. 

Vide Cor Meum ouvre l’opéra

Béatrice est là. Sa longue robe rouge aux reflets moirés tranche. Impossible de ne pas reconnaître le thème musical, que Patrick Cassidy avait déjà esquissé en 2001 pour le film Hannibal. Les notes, le rythme et la mélodie de Vide Cor Meum se déploient dans toute leur majestueuse harmonie dans la salle du TheaterHof. 

Patrick Cassidy fait en effet débuter la narration de DANTE – From Inferno to Paradise par le rêve raconté dans la Vita Nuova:  Amour —Seigneur à l’apparence effrayante («di pauroso aspetto»)— tient Béatrice, seulement enveloppée d’un drap rouge, tandis qu’il brandit un cœur enflammé en disant à Dante «Vide cor Tuum» (Voici ton cœur). Cette scène devait inspirer au poète le célèbre sonnet A ciascun’alma presa e gentil core («À toutes âmes éprises et nobles cœurs»)1 et donc inspirer aussi quelques siècles plus tard un compositeur irlandais du comté de Mayo, Patrick Cassidy.

Le chant du désespoir de Dante

La scène suivante noue le —les— drames, qui poursuivront Dante toute sa vie. Béatrice meurt et sa chère Florence est occupée par des troupes brandissant le lys français. Au noir de la scène répond le noir de la musique. Le chant de Dante est celui du désespoir: «Il m’a semblé que le soleil s’était éteint et qu’une étoile était apparue»; celui de Béatrice de l’apaisement dans la mort: «Je suis en paix, Hosanna in excelsis

Dante prend le chemin de l’exil, obéissant à l’ordre impérieux que lui adresse le chœur: «Tu dois quitter Florence!» Une certaine Matelda le lui avait déjà annoncé: «Tu découvriras, le goût amer du pain étranger». Elle endosse ainsi dans la pièce le rôle prophétique du Cacciaguida de la Divine Comédie

Matelda dans l’opus complet a une présence autrement importante en particulier dans les scènes du Paradis. Mais Patrick Cassidy a dû retrancher —un crève-cœur— près de 40 minutes, car le théâtre de Hof voulait une pièce sans entracte, et de ce fait la durée ne devait pas dépasser une heure trente. Il a dû consentir également, alors que le livret de l’opéra est dans la langue de Dante, à un narratif en allemand sorte de guide de l’œuvre pour les spectateurs de Hof. Un ajout inutile pour qui connaît un tant soit peu l’œuvre de Dante, tant Patrick Cassidy en respecte la trame et en épouse les contours. 

Un choix guidé par la tessiture des voix

C’est, coiffée d’un casque de cheveux blancs brillants et appuyée sur une canne, “une” Virgile (Stefanie Rhaue) qui guide Dante dans les cercles de l’Enfer. Trouvaille étonnante de confier le rôle de Virgile à une femme. Un choix guidé par la tessiture des voix et qui se révèle une remarquable réussite tant celle de la mezzo soprano Stefanie Rhaue dialogue parfaitement avec celle du ténor Minesok Kim. 

Leurs chants vont ainsi se répondre lorsqu’ils croisent le chemin de Caron, le passeur de l’Achéron, de Paolo et Francesca, les deux amants unis pour l’éternité dans la tourmente infernale, quand ils s’approchent de Dis, et  rencontrent les trois furies aux cheveux de serpents qui gardent les remparts de la Cité. La pureté de leurs chants éclairent alors la noirceur de l’Enfer 

La musique, les chants de Dante et celui en contrepoint de Virgile, ceux d’Yvonne Prentki, qui endosse plusieurs rôles —Matelda, Francesca…—, la place essentielle du chœur donnent à l’opéra de Patrick Cassidy, dont la musique semble parfois nourrie de ses origines gaéliques une force et une profondeur singulière, qui ne serait pas sans rappeler par moment celle des grandes cérémonies liturgiques par leur ampleur mélodique. 

Une mise en scène d’une beauté sombre

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Patrick Cassidy: «Peut-être que Dieu est cela: la beauté. Qui sait?». Photo: Harold Dietz

Mais cette cérémonie liturgique —si tant est qu’elle en soit une— est aussi une comédie, retrouvant ainsi les racines de l’œuvre de Dante. C’est le cas, par exemple, lorsque l’on voit Nicolas III (Michal Rudziński), pape ridicule, traîner lui-même sur la scène son cercueil. «Je ne suis pas croyant comme l’était Dante, dit Patrick Cassidy. Les réponses étaient alors en “noir” ou “blanc”. Mais l’une des choses les plus fortes à propos de la croyance est qu’elle conduit à l’art et à la beauté. Et peut-être que Dieu est cela: juste la beauté, Qui sait?»

L’esthétique de la mise en scène —moderne— de Reinhardt Friese est délibérément sombre. Noirs sont les costumes des chanteurs et des chanteuses, à l’exception de quelques détails comme la chemise blanche de Virgile ou la robe rouge de Béatrice; noirs sont les vêtements des choristes, parfois éclairés d’un masque blanc; noirs sont les tenues des danseurs et des danseuses; noirs sont les décors qui s’ouvrent, en fond de scène, sur une large fenêtre lumineuse où s’affichent d’abord des visages grotesques et effrayants, des regards, des scènes sanglantes et qui au fur et à mesure que Dante progressera vers le Purgatoire, puis le Paradis s’éclairera.

Cette mise en scène proche de la science-fiction ou du fantastique, n’est pas pour déplaire à Patrick Cassidy, car, «oui dit-il, il s’agit de science-fiction, par exemple quand le comte Ugolino dévore le crâne». Cette scène, aux chants poignants, car s’y raconte l’histoire de la mort d’Ugolino et de ses enfants, est particulièrement réaliste. On y voit Ugolino brandir devant lui la tête ensanglantée de l’archevêque Ruggieri, dans un geste qui rappellera aux familiers de l’œuvre de Gustave Doré, celui de Bertrand de Born brandissant sa propre tête, dans un autre cercle de l’Enfer.

La joie de voir un rêve se concrétiser

Dante traverse donc l’Enfer jusqu’à cette scène dramatique de toute beauté, portée par le chœur, «Nous montons, lui le premier, moi le suivant, jusqu’à ce que je vois par un perthuis les belles choses du Ciel», qui voit Dante rencontrer Lucifer, le seigneur de l’Enfer aux trois visages, et quitter cet univers de bruit et de chaînes —symbole de la justice divine?— qui entravent et lient tous les damnés. 

Au Purgatoire, le décor s’éclaire progressivement au fur et à mesure que les “P”, ces «blessures», symboles des péchés, que l’ange a gravées sur le front de Dante s’effacent, après qu’il ait passé les «ombres (des orgueilleux) qui portent de lourds fardeaux», puis celles des envieux, puis… puis il rêve d’une sirène qui est chassée par Béatrice. 

Virgile s’efface. Nous sommes au Paradis. Dante et Virgile sont de nouveau réunis et montent vers les étoiles, le chœur entonnant «Et de ce cœur brûlant elle se nourrissait, craintif et humble» et Dante «Voici mon cœur»… l’opéra s’achève ainsi sur des notes apaisées reprenant le thème de Vide Cor Meum

L’espoir de revoir cet opéra en Italie ou en France

L’histoire de cet opéra est à la fois une grande joie pour Patrick Cassidy car il a vu après dix ans de travail, son rêve se concrétiser au TheaterHof en ces mois de juin-juillet 2024, avec une production de qualité, tant par les chanteurs, les choristes, les danseurs et l’orchestre. 

Mais, c’est aussi pour lui une grande douleur. En effet, Dante – From Inferno to Paradise, devait initialement être joué à Vérone (dans sa version longue), dans le cadre des festivités du 700e anniversaire de la mort de Dante en… 2021. Il fut malheureusement décommandé en raison de l’épidémie de Covid. Comble de malheur, Martha De Laurentiis (qui avait produit Hannibal avec son mari Dino de Laurentiis) la productrice du spectacle, devait s’éteindre en décembre 2021 compromettant un peu plus la création. 

Pour l’instant, cet opéra a connu seulement une quinzaine de représentations dans le seul TheaterHof. Il serait plus que dommage que l’aventure s’arrête là. Certes il n’est pas produit ou n’a pas été commandé par une institution comme l’Opéra de Paris, comme c’est le cas pour The Dante Project, le ballet de Wayne McGregor (partition de Thomas Adès), ou Il Viaggio Dante de Pascal Dusapin, ce qui rend plus difficile sa diffusion. Mais Patrick Cassidy souhaite qu’il soit de nouveau monté —dans sa version longue— en Italie et pourquoi pas en France, et travaille dans ce sens. 

En France, d’ailleurs, nous aurons peut-être bientôt la chance d’entendre The Mass, l’une des grandes œuvres de Patrick Cassidy dont nous ne connaissons ici que la version discographique interprétée par le London Symphonic Orchestra

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Le salut à la fin de la représentation par les interprètes de DANTE – From Inferno to Paradise. Photo: Marc Mentré

DANTE – From Inferno to Paradise 

  • Composition et livret de Patrick Cassidy, avec, dans la version donnée au TheaterHof, la participation de Lothar Krause pour le livret. 
  • Textes de Dante Alighieri tirés de Vita Nuova et de Divina Commedia
  • Mise en scène de Reinhardt Friese

Distribution

  • Dante, Minseok Kim
  • Béatrice, Inga Lisa Lehr
  • Virgile, Stefanie Rhaue
  • Matelda/Francesca/Sirène, Yvonne Prentki
  • Charon/Nicolas III, Michal Rudziński
  • Orchestre, Choeur et corps de ballet du TheaterHof

(Cet Opéra a été joué du 15 juin au 12 juillet)

  • Le site de Patrick Cassidy, très complet permet de retracer le parcours de ce compositeur irlandais et de découvrir ses principales compositions.