Le Purgatoire – Chant VII
Maison de campagne sur l’Attersee (détails) — Gustave Klimt (1914) — photo Marc Mentré
Antépurgatoire • Dialogue entre Virgile et Sordello • Lois du Purgatoire • La vallée fleurie • Quelques princes négligents: L’Empereur Rodolphe, Ottokar II de Bohême, Philippe III le Hardi, Henri Ier de Navarre…
Après que l’accolade pudique et joyeuse
eut été répétée trois ou quatre fois,
Sordello se recula, et dit : « Vous, qui êtes-vous?».•3
« Avant qu’à ce mont soient menées
les âmes dignes de monter à Dieu,
mes os furent ensevelis par Octavien.•6
Je suis Virgile ; et par aucune autre faute
je n’ai perdu le ciel que celle de ne pas avoir la foi. »
Ainsi répondit alors mon guide.•9
Semblable à celui qui soudain
devant lui voit une chose qui l’émerveille,
y croit ou non, et dit : « C’est elle… ce n’est pas elle…»,•12
tel se montra Sordello ; puis il inclina ses yeux,
et humblement se tourna vers lui,
et l’embrassa là où le vassal le fait.•15
« Ô gloire des Latins », dit-il, « par qui
notre langue montra son pouvoir,
et fierté éternelle du lieu dont je fus,•18
par quel mérite ou quelle grâce te montres-tu à moi ?
Si je suis digne d’entendre tes paroles,
dis moi si tu viens de l’enfer, et de quel cloître.»•21
« Par tous les cercles du règne de douleur »,
répondit-il, « je suis venu jusqu’ici ;
vertu du ciel me pousse, et avec elle je viens.•24
Non pour faire, mais pour non faire j’ai perdu
la vue du haut Soleil que tu désires
et qui fut connu par moi trop tard.•27
Il est un lieu en bas que n’attristent pas les tourments,
mais les ténèbres seuls, où les plaintes
ne sonnent pas en cris, mais sont des soupirs.•30
Là je demeure avec les enfants innocents
mordus par les dents de la mort avant
d’être exemptés de la faute humaine;•33
là je demeure avec ceux qui ne se vêtirent pas
des trois saintes vertus, et sans vice
ont connu les autres et les ont toutes suivies.•36
Mais si tu sais et peux, donne nous
un indice qui puisse nous rapprocher plus vite
de la réelle entrée du purgatoire.»•39
Il répondit : « Aucun lieu n’est assigné ;
il m’est permis d’aller en haut et alentour ;
tant que je pourrai aller, je t’accompagnerai pour te guider.•42
Mais vois déjà comme le jour décline,
et il n’est pas possible de monter de nuit ;
pour cela il est bon de penser à un beau séjour.•45
À droite, des âmes sont à l’écart ;
si tu y consens, je te mènerai à elles,
et tu les connaîtras non sans plaisir.»•48
« Comment ? », fut la réponse. « Qui voudrait
monter de nuit, serait-il empêché
par quelqu’un, ou ne le pourrait-il pas?».•51
Et le bon Sordello traça du doigt un trait sur la terre,
disant : « Vois ? tu ne pourrais franchir
cette ligne dès le soleil parti;•54
car aucune autre cause, que les ténèbres nocturnes,
ne t’empêche de monter ;
celles-ci avec l’impuissance empêchent la volonté.•57
Avec elles on pourrait retourner vers le bas
et errer tout autour de la côte,
tandis que l’horizon tient le jour clos.»•60
Alors mon seigneur, admiratif,
« Mène-nous», dit-il, « vers cet endroit où tu dis
que l’on peut avoir plaisir à demeurer.»•63
Nous n’en étions pas très éloignés,
quand je m’aperçus que le mont était creusé,
comme les vallées sont creusées ici.•66
« Là », dit cette ombre, « nous irons
où la côte se fait giron ;
et là nous attendrons le nouveau jour.»•69
Entre le flanc raide et le replat un sentier en pente,
nous conduisit au flanc du creux,
là où le bord s’abaisse de plus de moitié.•72
Or et argent fin, carmin et céruse,
bois indigo sombre, et lumineux ;
fraîche émeraude au moment où elle se brise,•75
auprès de l’herbe et des fleurs, dans ce vallon,
leurs couleurs seraient fanées,
comme l”inférieur est vaincu par son supérieur.•78
Ici la nature n’avait pas seulement peint,
mais mille parfums suaves
se fondaient en un tout indistinct et inconnu.•81
Je vis, assises sur l’herbe et sur les fleurs,
des âmes qui chantaient “Salve Regina”
car elles n’étaient pas visibles de l’extérieur de la vallée.•84
« Avant que se couche le peu de soleil restant »,
commença le Mantouan qui nous avait guidé,
« ne me demandez pas de vous conduire à elles.•87
De ce rebord vous connaîtrez mieux
les attitudes et les visages de toutes,
que si elles vous avaient accueillis dans ce vallon.•90
Celui qui siège le plus haut et fait voir
qu’il a négligé ce qu’il devait faire,
et qui n’ouvre pas la bouche au chant des autres,•93
fut l’empereur Rodolphe, qui aurait pu
guérir les plaies dont meurt l’Italie,
et il est trop tard pour qu’un autre la ranime.•96
L’autre qui paraît le réconforter,
régna sur la terre où naît l’eau
qui porte la Moldova dans l’Elbe, et l’Elbe dans la mer;•99
Ottokar était son nom, et dès l’enfance
il valait mieux que son fils barbu
Wenceslas, luxurieux et fainéant.•102
Et celui au petit nez qui se tient en étroit conseil
avec celui qui a l’air si doux,
mourut en fuyant et en déshonorant le lys;•105
regardez comme il bat sa coulpe !
Voyez cet autre qui a couché sa joue
dans sa main, en soupirant.•108
Ils sont père et beau-père du mal de France :
ils savent sa vie dépravée et avilie,
et de là vient la douleur qui les lance.•111
Celui qui paraît si costaud et qui s’accorde,
en chantant, avec celui au nez fort,
est ceint de toutes les vertus;•114
s’il avait pu rester roi après lui
le jeune homme qui est assis derrière lui,
la vertu serait passée de père en fils,•117
ce qui ne peut se dire des autres héritiers :
Jacques et Frédéric ont les royaumes ;
mais aucun ne possède le meilleur de l’héritage.•120
Rarement l’humaine probité ressuscite
parmi les descendants ; et celui qui la donne
le veut ainsi, pour qu’on l’obtienne de lui par prières.•123
Mes paroles vont aussi aussi au nez fort
non moins qu’à l’autre, Pierre, qui chante avec lui,
déjà la Pouille et la Provence s’en plaignent.•126
La plante est aussi inférieure à sa semence,
que le mari de Béatrice et Marguerite
le sont à celui dont se vante Constance.•129
Voyez le roi de la vie simple
assis là seul, Henri d’Angleterre :
celui-ci a parmi ses descendants meilleure issue.•132
Celui qui est assis à terre plus bas que les autres,
regardant le ciel, est le marquis Guillaume,
pour qui Alexandrie et sa guerre
font pleurer Montferrat et Canavese».•136
Antipurgatorio • Dialogo tra Virgilio e Sordello • Leggi del Purgatorio • Una valletta fiorata • I principi negligenti: Rodolfo imperatore, Ottocaro II di Boemia, Filippo III di Francia, Enrico I di Navarra…
Poscia che l’accoglienze oneste e liete
furo iterate tre e quattro volte,
Sordel si trasse, e disse : « Voi, chi siete?»•3
« Anzi che a questo monte fosser volte
l’anime degne di salire a Dio,
fur l’ossa mie per Ottavian sepolte.•6
Io son Virgilio ; e per null’ altro rio
lo ciel perdei che per non aver fé ».
Così rispuose allora il duca mio.•9
Qual è colui che cosa innanzi sé
sùbita vede ond’ e’ si maraviglia,
che crede e non, dicendo « Ella è… non è…»,•12
tal parve quelli ; e poi chinò le ciglia,
e umilmente ritornò ver’ lui,
e abbracciòl là ’ve ’l minor s’appiglia.•15
« O gloria di Latin », disse, « per cui
mostrò ciò che potea la lingua nostra,
o pregio etterno del loco ond’ io fui,•18
qual merito o qual grazia mi ti mostra ?
S’io son d’udir le tue parole degno,
dimmi se vien d’inferno, e di qual chiostra».•21
« Per tutt’ i cerchi del dolente regno »,
rispuose lui, «son io di qua venuto ;
virtù del ciel mi mosse, e con lei vegno.•24
Non per far, ma per non fare ho perduto
a veder l’alto Sol che tu disiri
e che fu tardi per me conosciuto.•27
Luogo è là giù non tristo di martìri,
ma di tenebre solo, ove i lamenti
non suonan come guai, ma son sospiri.•30
Quivi sto io coi pargoli innocenti
dai denti morsi de la morte avante
che fosser da l’umana colpa essenti;•33
quivi sto io con quei che le tre sante
virtù non si vestiro, e sanza vizio
conobber l’altre e seguir tutte quante.•36
Ma se tu sai e puoi, alcuno indizio
dà noi per che venir possiam più tosto
là dove purgatorio ha dritto inizio».•39
Rispuose : « Loco certo non c’è posto ;
licito m’è andar suso e intorno ;
per quanto ir posso, a guida mi t’accosto.•42
Ma vedi già come dichina il giorno,
e andar sù di notte non si puote ;
però è buon pensar di bel soggiorno.•45
Anime sono a destra qua remote ;
se mi consenti, io ti merrò ad esse,
e non sanza diletto ti fier note».•48
« Com’ è ciò ? », fu risposto. « Chi volesse
salir di notte, fora elli impedito
d’altrui, o non sarria ché non potesse?».•51
E ’l buon Sordello in terra fregò ’l dito,
dicendo : « Vedi ? sola questa riga
non varcheresti dopo ’l sol partito:•54
non però ch’altra cosa desse briga,
che la notturna tenebra, ad ir suso ;
quella col nonpoder la voglia intriga.•57
Ben si poria con lei tornare in giuso
e passeggiar la costa intorno errando,
mentre che l’orizzonte il dì tien chiuso».•60
Allora il mio segnor, quasi ammirando,
« Menane », disse, « dunque là ’ve dici
ch’aver si può diletto dimorando».•63
Poco allungati c’eravam di lici,
quand’ io m’accorsi che ’l monte era scemo,
a guisa che i vallon li sceman quici.•66
« Colà », disse quell’ ombra, « n’anderemo
dove la costa face di sé grembo ;
e là il novo giorno attenderemo».•69
Tra erto e piano era un sentiero schembo,
che ne condusse in fianco de la lacca,
là dove più ch’a mezzo muore il lembo.•72
Oro e argento fine, cocco e biacca,
indaco, legno lucido e sereno,
fresco smeraldo in l’ora che si fiacca,•75
da l’erba e da li fior, dentr’ a quel seno
posti, ciascun saria di color vinto,
come dal suo maggiore è vinto il meno.•78
Non avea pur natura ivi dipinto,
ma di soavità di mille odori
vi facea uno incognito e indistinto.•81
“Salve, Regina” in sul verde e ’n su’ fiori
quindi seder cantando anime vidi,
che per la valle non parean di fuori.•84
« Prima che ’l poco sole omai s’annidi »,
cominciò ’l Mantoan che ci avea vòlti,
« tra color non vogliate ch’io vi guidi.•87
Di questo balzo meglio li atti e ’ volti
conoscerete voi di tutti quanti,
che ne la lama giù tra essi accolti.•90
Colui che più siede alto e fa sembianti
d’aver negletto ciò che far dovea,
e che non move bocca a li altrui canti,•93
Rodolfo imperador fu, che potea
sanar le piaghe c’hanno Italia morta,
sì che tardi per altri si ricrea.•96
L’altro che ne la vista lui conforta,
resse la terra dove l’acqua nasce
che Molta in Albia, e Albia in mar ne porta:•99
Ottacchero ebbe nome, e ne le fasce
fu meglio assai che Vincislao suo figlio
barbuto, cui lussuria e ozio pasce.•102
E quel nasetto che stretto a consiglio
par con colui c’ha sì benigno aspetto,
morì fuggendo e disfiorando il giglio:•105
guardate là come si batte il petto !
L’altro vedete c’ha fatto a la guancia
de la sua palma, sospirando, letto.•108
Padre e suocero son del mal di Francia :
sanno la vita sua viziata e lorda,
e quindi viene il duol che sì li lancia.•111
Quel che par sì membruto e che s’accorda,
cantando, con colui dal maschio naso,
d’ogne valor portò cinta la corda;•114
e se re dopo lui fosse rimaso
lo giovanetto che retro a lui siede,
ben andava il valor di vaso in vaso,•117
che non si puote dir de l’altre rede ;
Iacomo e Federigo hanno i reami ;
del retaggio miglior nessun possiede.•120
Rade volte risurge per li rami
l’umana probitate ; e questo vole
quei che la dà, perché da lui si chiami.•123
Anche al nasuto vanno mie parole
non men ch’a l’altro, Pier, che con lui canta,
onde Puglia e Proenza già si dole.•126
Tant’ è del seme suo minor la pianta,
quanto, più che Beatrice e Margherita,
Costanza di marito ancor si vanta.•129
Vedete il re de la semplice vita
seder là solo, Arrigo d’Inghilterra :
questi ha ne’ rami suoi migliore uscita.•132
Quel che più basso tra costor s’atterra,
guardando in suso, è Guiglielmo marchese,
per cui e Alessandria e la sua guerra
fa pianger Monferrato e Canavese ».•136
Notes
[6] «Mes os furent ensevelis par Octavien»
Son corps fut enseveli à Naples.
[15] «Et l’embrassa là où le vassal le fait»
On ignore quelle partie du corps embrasse Sordello. Ce ne peut être les joues ou le cou qui ne peut être embrassé que par un égal. C’est donc soit la poitrine, soit les genoux. L’hypothèse la plus probable est qu’il s’agit des pieds, car c’est ce que fera Stace [chant XXI, 130] lorsqu’il rencontrera à son tour Virgile
[17] «Notre langue»
[26] Le haut soleil
[34-35] «Les trois saintes vertus»
Il avait déjà expliqué dans son De Monarchia pourquoi il fallait être baptisé :
Il existe aussi des jugements de Dieu vers lesquels la raison humaine, bien qu’elle soit incapable de les atteindre de ses propres forces, s’élève avec l’aide de la foi qu’elle met dans les paroles des Saintes Écritures, comme celle-ci: que nul, si parfait soit-il moralement et intellectuellement, dans sa manière d’être comme dans ses actes, ne peut être sauvé sans la foi, à supposer qu’il n’ait jamais entendu parler du Christ.
La raison humaine, en effet, ne peut considérer cela comme juste par elle-même, mais elle le peut avec l’aide de la foi. Il est écrit en effet dans l’Épître aux Hébreux: «Il est impossible de plaire à Dieu sans la foi».
[La Monarchie, Livre II, VII, 4-5, traduction de Michèle Gally, éd. Belin, Paris, 1993]