L’Enfer – Chant XXX

Florin de Florence: pièce de 3,54 grammes d’or à 24 carats, Son nom (fiorino) provient du lys représenté sur une face, Saint Jean figurant sur l’autre.

Huitième cercle • Dixième Bolge • Faussaires de personnes: Gianni Schicchi, Myrrha • Batteurs de fausse monnaie: Maître Adam, les comtes de Romena • Faussaires en paroles: La femme de Putiphar, Sinon de Troie • Querelle entre damnés • Reproches de Virgile. 

En ce temps où Junon était furieuse

contre le sang thébain à cause de Sémélé,

comme elle le montra par au moins deux fois,•3

Athamas devint si fou,

que voyant sa femme et ses deux fils

qu’elle portait dans ses bras,•6

cria : « Tendons les rets, que je prenne

au débucher la lionne et ses deux lionceaux » ;

et puis allongeant ses griffes impitoyables,•9

il saisit l’un d’eux nommé Léarque,

le brise et le jette contre un rocher ;

et la femme se noya avec l’autre fardeau.•12

Et quand la fortune abaissa

la superbe des Troyens qui osaient tout,

de sorte que le roi fut anéanti avec le royaume,•15

Hécube affligée, misérable et captive,

lorsqu’elle vit Polyxène morte,

et le corps de son Polydore sur le rivage•18

de la mer, sa douleur fut telle,

que forcenée elle aboya comme un chien ;

tant la douleur égara son esprit.•21

Mais ni à Thèbes ni à Troie, jamais,

furies montrèrent autant de cruauté,

à meurtrir bêtes et corps humains,•24

que je le vis avec deux ombres blêmes et nues,

qui couraient en mordant comme fait

le porc lorsque s’ouvre la porcherie.•27

L’une se jeta sur Capocchio, et le mordit

à la gorge, de telle manière, qu’en le tirant

elle lui fit racler le ventre contre le fond dur.•30

Et l’Arétin immobile, tremblant

me dit : « Ce follet est Gianni Schicchi,

qui va enragé arrangeant ainsi les autres.»•33

« Oh », lui dis-je, « si l’autre ne te plante pas

les dents dans le dos, et si cela ne te fatigue pas

de dire qui il est, dit le moi avant qu’il ne disparaisse.»•36

Et lui à moi : « C’est l’antique âme

de la scélérate Myrrha, qui devint

de son père, hors du juste amour, l’amante.•39

Elle parvint à pécher ainsi avec lui,

en se travestissant en une autre,

comme celui qui là s’en va, osa,•42

pour gagner la reine du troupeau,

se déguiser en Buoso Donati

testant et donnant au testament forme légale.»•45

Et après que furent passés les deux enragés

sur lesquels j’avais l’œil fixé,

je me tournai pour regarder les autres mal nés.•48

J’en vis un, fait en forme de luth,

comme s’il avait été à l’aine

tronqué de l’autre partie que l’homme a fourchue.•51

La pesante hydropisie, qui par l’humeur

dépareille et déforme les membres,

et fait que visage et ventre ne correspondent pas•54

l’obligeait à tenir les lèvres ouvertes

comme fait l’hectisie, qui par la soif

replie l’une vers le menton et l’autre vers le nez.•57

« Ô vous qui êtes sans aucune peine,

et ne sais pourquoi, dans ce monde désolé »,

nous dit-il, « regardez et soyez attentif•60

à la misère de maître Adam ;

j’eus, vivant, à profusion ce que je voulais,

et maintenant, hélas !, je rêve d’une gouttelette d’eau.•63

Les ruisselets qui des vertes collines

du Casentino, descendent vers l’Arno,

rendant leurs vallées fraîches et humides,•66

sont toujours devant moi, et ce n’est pas en vain,

car leur image me dessèche beaucoup plus

que le mal qui me décharne le visage.•69

La rigide justice qui me châtie

prend occasion du lieu où j’ai péché,

pour rendre mes soupirs plus profonds.•72

Là est Romena, où je falsifiai

l’aloi qui fut scellé par le Baptiste ;

c’est pourquoi j’ai laissé mon corps sur le bûcher.•75

Mais si je voyais ici damnée l’âme

de Guido ou d’Alessandro ou de leur frère,

je n’en donnerais pas la vue pour la fontaine de Branda.•78

L’une d’entre elles est déjà ici, si les ombres

enragées qui vont tout autour disent vrai ;

mais quelle importance, mes membres sont entravés?•81

Si j’étais encore assez agile pour pouvoir

avancer ne serait-ce que d’un pouce en cent ans,

je me serais déjà mis en route,•84

le cherchant parmi ces gens défigurés,

bien que toute la bolge fasse onze milles,

et pas moins de la moitié d’un en largeur.•87

Par eux je suis dans une telle famille ;

ils m’entraînèrent à frapper des florins

qui avaient trois carats de métal vil.»•90

Et moi à lui : « Qui sont les deux misérables

qui fument comme une main mouillée en hiver

gisant serrés l’un contre l’autre, à ta droite?»•93

« Je les trouvai ici — et depuis ils n’ont pas bougé— »,

répondit-il, « quand je tombai dans ce fossé pierreux,

et je ne crois pas qu’ils bougeront de l’éternité.•96

L’une est la fourbe qui accusa Joseph ;

l’autre est le fourbe Sinon, Grec de Troie : à cause de

leur fièvre aiguë ils exhalent cette puanteur.»•99

Et l’un des deux, qui se sentit offensé 

peut-être d’être nommé de manière si sombre,

du poing lui frappa la panse durcie.•102

Celle-ci sonna comme un tambour ;

et, maître Adam le frappa en retour

de son bras, qui ne parut pas moins dur,•105

lui disant : « Bien que je ne puisse bouger

à cause du poids de mes membres,

j’ai le bras assez délié pour cette besogne.»•108

Alors l’autre répondit : « Quand tu allais

au feu, tu ne l’avais pas aussi agile ;

mais tu l’avais plus quand tu frappais monnaie.»•111

Et l’hydropique : « Tu dis vrai là-dessus ;

mais tu ne fus pas un si vrai témoin

lorsqu’à Troie on te demanda de dire le vrai.»•114

« Si j’ai dit faux, et tu as faussé le coin »,

dit Sinon ; « je suis ici pour une faute,

et toi pour plus qu’aucun autre démon.»•117

« Souviens-toi, parjure, du cheval »,

répondit celui qui avait le ventre gonflé ;

« et sois taraudé que tout le monde le sache!»•120

« Et toi sois taraudé par la soif qui te crève

la langue», dit le Grec, « et par l’eau pourrie

qui fait de ton ventre une haie devant tes yeux!»•123

Alors le monnayeur : « Ta bouche,

s’écorche à mal dire, comme d’habitude :

car, si j’ai soif et que d’humeur je m’emplis,•126

tu as la fièvre ardente, la migraine te fais souffrir,

et pour lécher le miroir de Narcisse,1

tu voudrais, pour être invité, peu de paroles.»•129

J’étais tout entier attaché à les écouter,

quand le maître me dit : « Continue à regarder,

et pour un peu je m’emporte contre toi.»•132

Lorsque je l’entendis me parler avec colère,

je me retournai vers lui avec tant de honte,

qu’elle tourne encore dans ma mémoire.•135

Comme celui qui rêve son malheur,

qui rêvant espère que ce soit un rêve,

désirant ce qui est, comme n’étant pas,•138

tel je devins, ne pouvant parler,

je désirais m’excuser, et je m’excusais

cependant, tout en croyant ne pas le faire.•141

« Moins de honte lave plus grande faute »,

dit le maître, « que n’a été la tienne ;

aussi délivre-toi de tout regret.•144

et pense que je suis toujours près de toi,

s’il advient de nouveau que la fortune te conduise

parmi des gens qui ont de telles disputes : 

car vouloir entendre cela est bas désir.»•148

Cerchio ottavo • Bolgia decima • Falsatori di persone: Gianni Schicchi, Mirra • Falsatori di monete: Maestro Adamo, conti di Romena • Falsatori di parole: la moglie di Putifarre, Sinone da Troia • Alterco tra i dannati • Rimproveri di Virgilio.

Nel tempo che Iunone era crucciata

per Semelè contra ’l sangue tebano,

come mostrò una e altra fïata,•3

Atamante divenne tanto insano,

che veggendo la moglie con due figli

andar carcata da ciascuna mano,•6

gridò : « Tendiam le reti, sì ch’io pigli

la leonessa e ’ leoncini al varco » ;

e poi distese i dispietati artigli,•9

prendendo l’un ch’avea nome Learco,

e rotollo e percosselo ad un sasso ;

e quella s’annegò con l’altro carco.•12

E quando la fortuna volse in basso

l’altezza de’ Troian che tutto ardiva,

sì che ’nsieme col regno il re fu casso,•15

Ecuba trista, misera e cattiva,

poscia che vide Polissena morta,

e del suo Polidoro in su la riva•18

del mar si fu la dolorosa accorta,

forsennata latrò sì come cane ;

tanto il dolor le fé la mente torta.•21

Ma né di Tebe furie né troiane

si vider mäi in alcun tanto crude,

non punger bestie, nonché membra umane,•24

quant’ io vidi in due ombre smorte e nude,

che mordendo correvan di quel modo

che ’l porco quando del porcil si schiude.•27

L’una giunse a Capocchio, e in sul nodo

del collo l’assannò, sì che, tirando,

grattar li fece il ventre al fondo sodo.•30

E l’Aretin che rimase, tremando

mi disse : « Quel folletto è Gianni Schicchi,

e va rabbioso altrui così conciando».•33

« Oh », diss’ io lui, « se l’altro non ti ficchi

li denti a dosso, non ti sia fatica

a dir chi è, pria che di qui si spicchi».•36

Ed elli a me : « Quell’ è l’anima antica

di Mirra scellerata, che divenne

al padre, fuor del dritto amore, amica.•39

Questa a peccar con esso così venne,

falsificando sé in altrui forma,

come l’altro che là sen va, sostenne,•42

per guadagnar la donna de la torma,

falsificare in sé Buoso Donati,

testando e dando al testamento norma».•45

E poi che i due rabbiosi fuor passati

sovra cu’ io avea l’occhio tenuto,

rivolsilo a guardar li altri mal nati.•48

Io vidi un, fatto a guisa di lëuto,

pur ch’elli avesse avuta l’anguinaia

tronca da l’altro che l’uomo ha forcuto.•51

La grave idropesì, che sì dispaia

le membra con l’omor che mal converte,

che ’l viso non risponde a la ventraia,•54

faceva lui tener le labbra aperte

come l’etico fa, che per la sete

l’un verso ’l mento e l’altro in sù rinverte.•57

« O voi che sanz’ alcuna pena siete,

e non so io perché, nel mondo gramo »,

diss’ elli a noi, « guardate e attendete•60

a la miseria del maestro Adamo ;

io ebbi, vivo, assai di quel ch’i’ volli,

e ora, lasso!, un gocciol d’acqua bramo.•63

Li ruscelletti che d’i verdi colli

del Casentin discendon giuso in Arno,

faccendo i lor canali freddi e molli,•66

sempre mi stanno innanzi, e non indarno,

ché l’imagine lor vie più m’asciuga

che ’l male ond’ io nel volto mi discarno.•69

La rigida giustizia che mi fruga

tragge cagion del loco ov’ io peccai

a metter più li miei sospiri in fuga.•72

Ivi è Romena, là dov’ io falsai

la lega suggellata del Batista ;

per ch’io il corpo sù arso lasciai.•75

Ma s’io vedessi qui l’anima trista

di Guido o d’Alessandro o di lor frate,

per Fonte Branda non darei la vista.•78

Dentro c’è l’una già, se l’arrabbiate

ombre che vanno intorno dicon vero ;

ma che mi val, c’ho le membra legate?•81

S’io fossi pur di tanto ancor leggero

ch’i’ potessi in cent’ anni andare un’oncia,

io sarei messo già per lo sentiero,•84

cercando lui tra questa gente sconcia,

con tutto ch’ella volge undici miglia,

e men d’un mezzo di traverso non ci ha.•87

Io son per lor tra sì fatta famiglia ;

e’ m’indussero a batter li fiorini

ch’avevan tre carati di mondiglia».•90

E io a lui : « Chi son li due tapini

che fumman come man bagnate ’l verno,

giacendo stretti a’ tuoi destri confini?»•93

« Qui li trovai — e poi volta non dierno — »,

rispuose, « quando piovvi in questo greppo,

e non credo che dieno in sempiterno.•96

L’una è la falsa ch’accusò Gioseppo ;

l’altr’ è ’l falso Sinon greco di Troia :

per febbre aguta gittan tanto leppo».•99

E l’un di lor, che si recò a noia

forse d’esser nomato sì oscuro,

col pugno li percosse l’epa croia.•102

Quella sonò come fosse un tamburo ;

e mastro Adamo li percosse il volto

col braccio suo, che non parve men duro,•105

dicendo a lui : « Ancor che mi sia tolto

lo muover per le membra che son gravi,

ho io il braccio a tal mestiere sciolto».•108

Ond’ ei rispuose : « Quando tu andavi

al fuoco, non l’avei tu così presto ;

ma sì e più l’avei quando coniavi».•111

E l’idropico : « Tu di’ ver di questo :

ma tu non fosti sì ver testimonio

là ’ve del ver fosti a Troia richesto».•114

« S ’io dissi falso, e tu falsasti il conio »,

disse Sinon ; « e son qui per un fallo,

e tu per più ch’alcun altro demonio!»•117

« Ricorditi, spergiuro, del cavallo »,

rispuose quel ch’avëa infiata l’epa ;

« e sieti reo che tutto il mondo sallo!»•120

« E te sia rea la sete onde ti crepa »,

disse ’l Greco, « la lingua, e l’acqua marcia

che ’l ventre innanzi a li occhi sì t’assiepa!»•123

Allora il monetier : « Così si squarcia

la bocca tua per tuo mal come suole ;

ché, s’i’ ho sete e omor mi rinfarcia,•126

tu hai l’arsura e ’l capo che ti duole,

e per leccar lo specchio di Narcisso,

non vorresti a ’nvitar molte parole».•129

Ad ascoltarli er’ io del tutto fisso,

quando ’l maestro mi disse : « Or pur mira,

che per poco che teco non mi risso!»•132

Quand’ io ’l senti’ a me parlar con ira,

volsimi verso lui con tal vergogna,

ch’ancor per la memoria mi si gira.•135

Qual è colui che suo dannaggio sogna,

che sognando desidera sognare,

sì che quel ch’è, come non fosse, agogna,•138

tal mi fec’ io, non possendo parlare,

che disïava scusarmi, e scusava

me tuttavia, e nol mi credea fare.•141

« Maggior difetto men vergogna lava »,

disse ’l maestro, « che ’l tuo non è stato ;

però d’ogne trestizia ti disgrava.•144

E fa ragion ch’io ti sia sempre allato,

se più avvien che fortuna t’accoglia

dove sien genti in simigliante piato :

ché voler ciò udire è bassa voglia».•148