L’Enfer – Chant XXIX
L’Alchimiste — Pieter Brueghel l’Ancien (1558) — Domaine public
Huitième cercle • Neuvième bolge • Semeurs de discorde et de schismes • Geri del Bello // Dixième bolge • Faussaires de métaux • Alchimistes • Gisants couverts de lèpre • Griffolino d’Arezzo • Capocchio fiorentino.
avaient tant enivré mes yeux,
qu’à présent ils ne désiraient que pleurer.•3
Mais Virgile me dit : « Que regardes-tu encore ?
Pourquoi ta vue s’arrête-t-elle encore
parmi les tristes ombres mutilées?•6
Tu n’as pas fait ainsi dans les autres bolges ;
réfléchis, si tu crois les compter,
que la vallée a vingt-deux milles de tour.•9
Et déjà la lune est sous nos pieds ;
le temps qui nous est accordé est court désormais,
et autre chose est à voir, que tu n’as pas vu.»•12
« Si tu avais », répondis-je ensuite,
« fait attention à la raison pour laquelle je regardais,
peut-être m’aurais-tu encore permis de m’arrêter.»•15
Pendant ce temps mon guide s’en allait,
et moi derrière en lui faisant cette réponse,
et ajoutant : « Dans cette fosse•18
où je tenais mes yeux ainsi fixés,
je crois qu’un esprit de mon sang pleure
la faute, qui là au fond lui coûte si cher.»•21
Alors le maître dit : « Ne te casse plus
la tête désormais à son propos.
Soit attentif à autre chose, et laisse-le là;•24
car je l’ai vu au pied du petit pont
te montrer du doigt et te menacer fortement,
et l’ai entendu être nommé Geri del Bello.•27
Tu étais alors à ce point occupé par celui
qui tenait autrefois Hautefort, que tu n’as pas
regardé de ce côté, jusqu’à ce qu’il soit parti.»•30
« O mon maître, la mort violente
qui n’est pas encore vengée », dis-je,
« par un qui partage sa honte,•33
l’a rendu furieux ; c’est pourquoi il s’en est allé
sans me parler, je le pense ainsi :
et en cela il m’a fait encore plus pitié.»•36
Ainsi nous parlâmes jusqu’à cet endroit
où du rocher on découvre l’autre vallée,
dont l’on verrait le fond, avec plus de lumière.•39
Quand nous fûmes au-dessus du dernier cloître
de Malebolge, de sorte que ses convers
purent apparaître à notre vue,•42
d’étranges cris me frappèrent,
dont les flèches étaient ferrées de pitié ;
alors des mains je me couvris les oreilles.•45
Quelle plainte cela ferait, si des hôpitaux
de Valdichiana de juillet à septembre,
et de la Maremme et de la Sardaigne les maux•48
étaient réunis en une seule fosse ;
celle-ci était telle, et il en sortait une puanteur
comme celle qui vient des membres pourris.•51
Nous descendîmes sur la dernière digue
du long rocher, toujours à main gauche ;
et alors ma vue se fit plus vive•54
plus bas vers le fond, là où la ministre
du Seigneur tout-puissant, l’infaillible justice,
punit les faussaires dont elle tient registre.•57
Je ne crois pas qu’il y eut plus grande tristesse
de voir en Egine, tout le peuple malade,
quand l’air fût à ce point morbide,•60
que les animaux, jusqu’au plus petit ver,
périrent tous, et qu’ensuite le peuple antique,
selon ce que les poètes tiennent pour certain,•63
se reconstitua de la semence des fourmis ;
qu’à voir dans cette obscure vallée,
languir les esprits en différents tas.•66
Sur le ventre et sur les épaules
l’un et l’autre gisaient, et à croupetons
d’autres se traînaient par le lugubre sentier.•69
Pas à pas nous allions sans parler,
regardant et écoutant les malades
qui ne pouvaient soulever leur corps.•72
J’en vis deux assis appuyés l’un à l’autre,
comme on appuie les poêlons pour les chauffer,
et, de la tête aux pieds, maculés de croûtes;•75
et jamais je ne vis manier l’étrille
par un garçon d’écurie que son seigneur attend,
où par celui qui ne veut pas veiller,•78
comme chacun se grattait fébrilement
avec ses ongles rendu enragé
par le prurit, qui n’a pas de remède;•81
et avec leurs ongles raclait les croûtes de lèpre,
comme le couteau les écailles de la brème
ou de tout autre poisson qui en a de plus larges.•84
« O toi qui te démailles avec tes doigts »,
dit mon guide à l’un d’eux,
« et en fait quelquefois des tenailles,•87
dis-nous si quelque latin est parmi ceux
qui sont ici, et que tes ongles te durent
éternellement pour ce travail.»•90
« Latins nous sommes, nous que tu vois si défigurés
tous les deux », répondit l’un d’eux en pleurant ;
« Mais toi, qui es-tu, qui t’enquiers de nous?»•93
Mon guide lui dit : « Je suis un qui descend
avec ce vivant de cercle en cercle,
et j’entends lui montrer l’Enfer.»•96
Alors leur mutuel appui se rompit ;
et tremblant chacun se tourna vers moi
avec d’autres qui avaient entendu indirectement.•99
Le bon maître se rapprocha de moi,
disant : « Dis-leur ce que tu voudras » ;
Et puisqu’il le voulût, je commençai:•102
« Que votre mémoire ne s’éteigne pas
dans le premier monde où se trouve l’esprit des hommes,
mais qu’elle y vive sous de nombreux soleils,•105
dites-moi qui vous êtes et de quelle région ;
votre peine défigurante et répugnante
ne vous empêche pas de vous découvrir à moi.»•108
« Je fus d’Arezzo, et Albert de Sienne »,
répondit l’un, « me livra au feu ;
mais ce pourquoi je mourus n’est pas ce qui m’a conduit ici.•111
Il est vrai que je lui dis, en plaisantant :
“Je saurais m’élever dans l’air en volant” ;
et lui, qui était curieux et peu sensé,•114
voulut que je lui enseigne cette science ; et comme
je ne fis pas de lui Dédale, il me fit
brûler par celui qui le tenait pour son fils.•117
Mais à la dernière des dix bolges
à cause de l’alchimie que je pratiquais dans le monde,
me condamna Minos, qui ne peut se tromper.»•120
Et je dis au poète : « Fut-il jamais des gens
aussi vains que ceux de Sienne ?
Certes pas les Français à beaucoup près!»•123
Alors l’autre lépreux, qui m’entendit,
répondit : « Fais exception pour Stricca
qui sut modérer ses dépenses,•126
et Niccolò qui découvrit le premier
la riche coutume du clou de girofle
dans le jardin où cette semence germe;•129
et aussi la brigade où Caccia d’Ascanio
dilapida vignes et fermes,
et l’Abbagliato manifesta son bon sens.•132
Mais pour que tu saches qui te seconde
contre les Siennois, aiguise ton regard,
afin que mon visage te réponde bien;•135
tu verras que je suis l’ombre de Capocchio,
qui falsifiait les métaux avec l’alchimie ;
et tu dois te souvenir, si je te reconnais bien,
comme, de la nature, je fus bon singe.»•139
Cerchio ottavo • Bolgia nona • Seminatori di scandalo e scismatici • Geri del Bello // Bolgia decima • Falsatori di metalli & Alchimisti • Coperti di lebbra • Griffolino d’Arezzo • Capocchio fiorentino.
La molta gente e le diverse piaghe
avean le luci mie sì inebrïate,
che de lo stare a piangere eran vaghe.•3
Ma Virgilio mi disse : « Che pur guate ?
perché la vista tua pur si soffolge
là giù tra l’ombre triste smozzicate?•6
Tu non hai fatto sì a l’altre bolge ;
pensa, se tu annoverar le credi,
che miglia ventidue la valle volge.•9
E già la luna è sotto i nostri piedi ;
lo tempo è poco omai che n’è concesso,
e altro è da veder che tu non vedi».•12
« Se tu avessi », rispuos’ io appresso,
« atteso a la cagion per ch’io guardava,
forse m’avresti ancor lo star dimesso».•15
Parte sen giva, e io retro li andava,
lo duca, già faccendo la risposta,
e soggiugnendo : « Dentro a quella cava•18
dov’ io tenea or li occhi sì a posta,
credo ch’un spirto del mio sangue pianga
la colpa che là giù cotanto costa».•21
Allor disse ’l maestro : « Non si franga
lo tuo pensier da qui innanzi sovr’ ello.
Attendi ad altro, ed ei là si rimanga;•24
ch’io vidi lui a piè del ponticello
mostrarti e minacciar forte col dito,
e udi’ ’l nominar Geri del Bello.•27
Tu eri allor sì del tutto impedito
sovra colui che già tenne Altaforte,
che non guardasti in là, sì fu partito».•30
« O duca mio, la vïolenta morte
che non li è vendicata ancor », diss’ io,
« per alcun che de l’onta sia consorte,•33
fece lui disdegnoso ; ond’ el sen gio
sanza parlarmi, sì com’ ïo estimo :
e in ciò m’ha el fatto a sé più pio».•36
Così parlammo infino al loco primo
che de lo scoglio l’altra valle mostra,
se più lume vi fosse, tutto ad imo.•39
Quando noi fummo sor l’ultima chiostra
di Malebolge, sì che i suoi conversi
potean parere a la veduta nostra,•42
lamenti saettaron me diversi,
che di pietà ferrati avean li strali ;
ond’ io li orecchi con le man copersi.•45
Qual dolor fora, se de li spedali
di Valdichiana tra ’l luglio e ’l settembre
e di Maremma e di Sardigna i mali•48
fossero in una fossa tutti ’nsembre,
tal era quivi, e tal puzzo n’usciva
qual suol venir de le marcite membre.•51
Noi discendemmo in su l’ultima riva
del lungo scoglio, pur da man sinistra ;
e allor fu la mia vista più viva•54
giù ver’ lo fondo, la ’ve la ministra
de l’alto Sire infallibil giustizia
punisce i falsador che qui registra.•57
Non credo ch’a veder maggior tristizia
fosse in Egina il popol tutto infermo,
quando fu l’aere sì pien di malizia,•60
che li animali, infino al picciol vermo,
cascaron tutti, e poi le genti antiche,
secondo che i poeti hanno per fermo,•63
si ristorar di seme di formiche ;
ch’era a veder per quella oscura valle
languir li spirti per diverse biche.•66
Qual sovra ’l ventre e qual sovra le spalle
l’un de l’altro giacea, e qual carpone
si trasmutava per lo tristo calle.•69
Passo passo andavam sanza sermone,
guardando e ascoltando li ammalati,
che non potean levar le lor persone.•72
Io vidi due sedere a sé poggiati,
com’ a scaldar si poggia tegghia a tegghia,
dal capo al piè di schianze macolati;•75
e non vidi già mai menare stregghia
a ragazzo aspettato dal segnorso,
né a colui che mal volontier vegghia,•78
come ciascun menava spesso il morso
de l’unghie sopra sé per la gran rabbia
del pizzicor, che non ha più soccorso;•81
e sì traevan giù l’unghie la scabbia,
come coltel di scardova le scaglie
o d’altro pesce che più larghe l’abbia.•84
« O tu che con le dita ti dismaglie »,
cominciò ’l duca mio a l’un di loro,
« e che fai d’esse talvolta tanaglie,•87
dinne s’alcun Latino è tra costoro
che son quinc’ entro, se l’unghia ti basti
etternalmente a cotesto lavoro».•90
« Latin siam noi, che tu vedi sì guasti
qui ambedue», rispuose l’un piangendo ;
« ma tu chi se’ che di noi dimandasti?»•93
E ’l duca disse : « I’ son un che discendo
con questo vivo giù di balzo in balzo,
e di mostrar lo ’nferno a lui intendo».•96
Allor si ruppe lo comun rincalzo ;
e tremando ciascuno a me si volse
con altri che l’udiron di rimbalzo.•99
Lo buon maestro a me tutto s’accolse,
dicendo : « Dì a lor ciò che tu vuoli » ;
e io incominciai, poscia ch’ei volse:•102
« Se la vostra memoria non s’imboli
nel primo mondo da l’umane menti,
ma s’ella viva sotto molti soli,•105
ditemi chi voi siete e di che genti ;
la vostra sconcia e fastidiosa pena
di palesarvi a me non vi spaventi».•108
« Io fui d’Arezzo, e Albero da Siena »,
rispuose l’un, « mi fé mettere al foco ;
ma quel per ch’io mori’ qui non mi mena.•111
Vero è ch’i’ dissi lui, parlando a gioco :
“I’ mi saprei levar per l’aere a volo” ;
e quei, ch’avea vaghezza e senno poco,•114
volle ch’i’ li mostrassi l’arte ; e solo
perch’ io nol feci Dedalo, mi fece
ardere a tal che l’avea per figliuolo.•117
Ma ne l’ultima bolgia de le diece
me per l’alchìmia che nel mondo usai
dannò Minòs, a cui fallar non lece».•120
E io dissi al poeta : « Or fu già mai
gente sì vana come la sanese ?
Certo non la francesca sì d’assai!»•123
Onde l’altro lebbroso, che m’intese,
rispuose al detto mio : « Tra’mene Stricca
che seppe far le temperate spese,•126
e Niccolò che la costuma ricca
del garofano prima discoverse
ne l’orto dove tal seme s’appicca;•129
e tra’ne la brigata in che disperse
Caccia d’Ascian la vigna e la gran fonda,
e l’Abbagliato suo senno proferse.•132
Ma perché sappi chi sì ti seconda
contra i Sanesi, aguzza ver’ me l’occhio,
sì che la faccia mia ben ti risponda:•135
sì vedrai ch’io son l’ombra di Capocchio,
che falsai li metalli con l’alchìmia ;
e te dee ricordar, se ben t’adocchio,
com’ io fui di natura buona scimia».•139