L’Enfer – Chant XXVIII

Musée national d’Islande, Reykjavík – Photo: Marc Mentré – CC – BY- SA 3.0

Huitième cercle • Neuvième bolge • Semeurs de discorde et de schismes • Mahomet et Ali • Avis à frère Dolcin • Pier da Medicina • Noyade de la Cattolica • Curion • Mosca de Lamberti • Bertrand de Born.

Qui pourrait jamais, même en prose,

dire pleinement ce que je vis de sang

et de plaies, même en le disant et le redisant?•3

Toute langue n’en aurait, c’est certain, la force

car nos paroles et notre esprit manquent

des capacités nécessaires pour tant embrasser.•6

Si l’on rassemblait tous ceux

qui jadis, dans la terre fameuse

des Pouilles, pleurèrent leur sang versé•9

pour les Troyens et par la longue guerre

qui des anneaux fit si grand butin,

comme écrit Tite-Live, qui ne se trompe pas,•12

ceux qui sentirent la douleur des blessures

en combattant Robert Guiscard ;

et les autres dont on recueille encore les os•15

à Ceprano, où fut traître

chaque Apulien, et à Tagliacozzo,

où sans armes vainquit le vieil Alard;•18

et que l’un montre ses membres percés

et l’autre ses moignons, cela ne serait rien

en regard de l’abjecte neuvième bolge.•21

Jamais tonneau, perdant sa douelle ou son fond,

s’ouvrit ainsi, comme j’en vis un,

fendu du menton jusqu’où l’on pète.•24

Entre les jambes pendaient les boyaux ;

foie, rate et poumons étaient à découvert et le sac infâme

qui fait de la merde avec ce que l’on avale.•27

Tandis que je m’attache tout entier à le scruter,

il me regarde et avec les mains s’ouvre la poitrine,

disant : « Vois comme je me déchire!•30

vois comme est mutilé Mahomet !

Devant moi s’en va se lamentant Ali,

le visage fendu du menton jusqu’aux cheveux.•33

Et tous les autres que tu vois ici,

de leur vivant semèrent discordes

et schismes, et pour cela ils sont ainsi fendus.•36

Un diable est là derrière qui nous apprête

cruellement, faisant passer

chacun de cette troupe au fil de l’épée,•39

quand il a parcouru le tour de douleur ;

car les blessures sont refermées

avant de revenir devant lui.•42

Mais qui es-tu toi qui musardes sur le rocher,

peut-être pour retarder la peine

à laquelle tu es condamnée après tes aveux?»•45

« Ni mort ne l’a encore atteint, ni faute ne le mène

à être tourmenté », répondit mon maître ;

« mais, pour lui donner pleine expérience,•48

je dois, moi qui suis mort, le conduire

à travers l’enfer jusqu’au fond de cercle en cercle ;

et ceci est aussi vrai que je te parle.»•51

Ils furent plus de cent qui, l’entendant,

s’arrêtèrent dans la fosse à me regarder

stupéfaits, oubliant leur martyr.•54

« Dis à frère Dolcin qu’il se pourvoie,

toi qui peut-être verras bientôt le soleil,

s’il ne veut pas me suivre rapidement ici,•57

de vivres, pour que la neige épaisse

ne donne pas la victoire aux Navarrais,

qui autrement ne serait pas facile à obtenir.»•60

Mahomet me dit ces paroles après

qu’il ait levé un pied pour s’en aller ;

puis le posant à terre il s’éloigna.•63

Un autre, qui avait la cou transpercé

et le nez tranché jusqu’aux sourcils,

et qui n’avait plus qu’une seule oreille,•66

était resté stupéfait à regarder

avec les autres, et avant les autres il ouvrit la gorge

qui au dehors était toute vermeille,•69

et il dit : « Ô toi qu’aucune faute ne condamne

et que je vis sur la terre latine,

si trop grande ressemblance ne me trompe pas•72

souviens-toi de Pier da Medicina,

si jamais tu devais revoir la douce plaine

qui descend de Vercelli à Marcabo.•75

Et fais savoir aux deux meilleurs de Fano,

à messire Guido et aussi à Angiolello,

que, si la prévision ici n’est pas vaine,•78

ils seront jetés hors de leur vaisseau,

et noyés avec pierre au cou près de Cattolica

par la trahison d’un cruel tyran.•81

Entre l’île de Chypre et celle de Majorque

jamais Neptune ne vit crime si grand

commis par des pirates ou par des gens d’Argos.•84

Ce traître qui ne voit que d’un oeil,

et qui tient la terre qu’un damné ici

avec moi voudrait n’avoir jamais vue,•87

les fera venir pour conférer avec lui ;

puis il fera en sorte, qu’au vent de Focara

ils n’aient besoin ni de vœux ni de prières.»•90

Et moi à lui : « Montre-moi et dis-moi,

si tu veux que je porte là-haut nouvelle de toi,

quel est celui qui eut cette vue amère.»•93

Alors il posa la main sur la mâchoire

d’un de ses compagnons et lui ouvrit la bouche,

criant : « C’est lui, et il ne parle pas.•96

Celui-ci, banni, dissipa les doutes

de César, affirmant qu’il est toujours

nuisible d’attendre quand on est prêt.»•99

O combien il me parut effrayé

avec la langue tranchée dans la gorge

Curion, qui fut si hardi à parler!•102

Et un qui avait les mains tranchées,

levant ses moignons dans l’air obscur,

de sorte que son visage était souillé de sang,•105

cria : « Souviens toi aussi de Mosca,

qui dit, hélas ! “Ce qui est fait n’est plus à faire”,

ce qui fut le germe du mal chez les Toscans.»1•108

Et j’ajoutai : « Et la mort de ta lignée » ;

alors celui-ci, accumulant le deuil à la douleur,

s’en alla comme fait une personne accablée et folle.•111

Mais je restai à regarder la troupe,

et je vis une chose que j’aurai peur,

sans plus de preuve, de raconter;•114

si n’était que ma conscience me rassure,

cette bonne compagne qui libère l’homme

derrière cette armure qui le fait se sentir pur.•117

Je vis certainement, et encore il me semble le voir,

un buste sans tête aller comme

allaient les autres de la triste troupe;•120

et le tronc tenait la tête par les cheveux,

suspendue à la main comme une lanterne :

et elle nous regardait et disait : « Hélas!»•123

De lui il faisait une lampe pour lui,

et ils étaient deux en un et un en deux ;

comment cela se peut, le sait celui qui gouverne.•126

Quand il fut au droit du pied du pont,

il leva haut le bras avec toute la tête,

pour approcher de nous ses paroles,•129

qui furent : « Vois la peine abominable,

toi qui, respirant, vas regardant les morts :

vois s’il en est une aussi grande que celle-là.•132

Et pour que de moi tu portes des nouvelles,

sache que je suis Bertrand de Born, celui

qui donna au jeune roi les mauvais conseils.•135

Je fis entre eux le père et le fils ennemis ;

Achitofel ne fit pas plus entre Absalon

et David par ses mauvais aiguillons.•138

Pour avoir divisé des personnes si proches,

divisé je porte mon cerveau, hélas !,

séparé de son principe, qui est dans ce tronc.

Ainsi s’observe en moi le contrapasso.»•142

Cerchio ottavo • Bolgia nona • Seminatori di scandalo e scismatici • Maometto e Ali • Avvertimento a fra Dolcino • Pier da Medicina • Annegamento a Cattolica • Mosca de’ Lamberti • Bertram dal Bornio. 

Chi poria mai pur con parole sciolte

dicer del sangue e de le piaghe a pieno

ch’i’ ora vidi, per narrar più volte?•3

Ogne lingua per certo verria meno

per lo nostro sermone e per la mente

c’hanno a tanto comprender poco seno.•6

S’el s’aunasse ancor tutta la gente

che già, in su la fortunata terra

di Puglia, fu del suo sangue dolente•9

per li Troiani e per la lunga guerra

che de l’anella fé sì alte spoglie,

come Livïo scrive, che non erra,•12

con quella che sentio di colpi doglie

per contastare a Ruberto Guiscardo ;

e l’altra il cui ossame ancor s’accoglie•15

a Ceperan, là dove fu bugiardo

ciascun Pugliese, e là da Tagliacozzo,

dove sanz’ arme vinse il vecchio Alardo;•18

e qual forato suo membro e qual mozzo

mostrasse, d’aequar sarebbe nulla

il modo de la nona bolgia sozzo.•21

Già veggia, per mezzul perdere o lulla,

com’ io vidi un, così non si pertugia,

rotto dal mento infin dove si trulla.•24

Tra le gambe pendevan le minugia ;

la corata pareva e ’l tristo sacco

che merda fa di quel che si trangugia.•27

Mentre che tutto in lui veder m’attacco,

guardommi e con le man s’aperse il petto,

dicendo : « Or vedi com’ io mi dilacco!•30

vedi come storpiato è Mäometto !

Dinanzi a me sen va piangendo Alì,

fesso nel volto dal mento al ciuffetto.•33

E tutti li altri che tu vedi qui,

seminator di scandalo e di scisma

fuor vivi, e però son fessi così.•36

Un diavolo è qua dietro che n’accisma

sì crudelmente, al taglio de la spada

rimettendo ciascun di questa risma,•39

quand’ avem volta la dolente strada ;

però che le ferite son richiuse

prima ch’altri dinanzi li rivada.•42

Ma tu chi se’ che ’n su lo scoglio muse,

forse per indugiar d’ire a la pena

ch’è giudicata in su le tue accuse?»•45

« Né morte ’l giunse ancor, né colpa ’l mena »,

rispuose ’l mio maestro, « a tormentarlo ;

ma per dar lui esperïenza piena,•48

a me, che morto son, convien menarlo

per lo ’nferno qua giù di giro in giro ;

e quest’ è ver così com’ io ti parlo».•51

Più fuor di cento che, quando l’udiro,

s’arrestaron nel fosso a riguardarmi

per maraviglia, oblïando il martiro.•54

« Or dì a fra Dolcin dunque che s’armi,

tu che forse vedra’ il sole in breve,

s’ello non vuol qui tosto seguitarmi,•57

sì di vivanda, che stretta di neve

non rechi la vittoria al Noarese,

ch’altrimenti acquistar non saria leve».•60

Poi che l’un piè per girsene sospese,

Mäometto mi disse esta parola ;

indi a partirsi in terra lo distese.•63

Un altro, che forata avea la gola

e tronco ’l naso infin sotto le ciglia,

e non avea mai ch’una orecchia sola,•66

ristato a riguardar per maraviglia

con li altri, innanzi a li altri aprì la canna,

ch’era di fuor d’ogne parte vermiglia,•69

e disse : « O tu cui colpa non condanna

e cu’ io vidi su in terra latina,

se troppa simiglianza non m’inganna,•72

rimembriti di Pier da Medicina,

se mai torni a veder lo dolce piano

che da Vercelli a Marcabò dichina.•75

E fa saper a’ due miglior da Fano,

a messer Guido e anco ad Angiolello,

che, se l’antiveder qui non è vano,•78

gittati saran fuor di lor vasello

e mazzerati presso a la Cattolica

per tradimento d’un tiranno fello.•81

Tra l’isola di Cipri e di Maiolica

non vide mai sì gran fallo Nettuno,

non da pirate, non da gente argolica.•84

Quel traditor che vede pur con l’uno,

e tien la terra che tale qui meco

vorrebbe di vedere esser digiuno,•87

farà venirli a parlamento seco ;

poi farà sì, ch’al vento di Focara

non sarà lor mestier voto né preco».•90

E io a lui : « Dimostrami e dichiara,

se vuo’ ch’i’ porti sù di te novella,

chi è colui da la veduta amara».•93

Allor puose la mano a la mascella

d’un suo compagno e la bocca li aperse,

gridando : « Questi è desso, e non favella.•96

Questi, scacciato, il dubitar sommerse

in Cesare, affermando che ’l fornito

sempre con danno l’attender sofferse».•99

Oh quanto mi pareva sbigottito

con la lingua tagliata ne la strozza

Curïo, ch’a dir fu così ardito!•102

E un ch’avea l’una e l’altra man mozza,

levando i moncherin per l’aura fosca,

sì che ’l sangue facea la faccia sozza,•105

gridò : « Ricordera’ti anche del Mosca,

che disse, lasso !, “Capo ha cosa fatta”,

che fu mal seme per la gente tosca».•108

E io li aggiunsi : « E morte di tua schiatta » ;

per ch’elli, accumulando duol con duolo,

sen gio come persona trista e matta.•111

Ma io rimasi a riguardar lo stuolo,

e vidi cosa ch’io avrei paura,

sanza più prova, di contarla solo;•114

se non che coscïenza m’assicura,

la buona compagnia che l’uom francheggia

sotto l’asbergo del sentirsi pura.•117

Io vidi certo, e ancor par ch’io ’l veggia,

un busto sanza capo andar sì come

andavan li altri de la trista greggia;•120

e ’l capo tronco tenea per le chiome,

pesol con mano a guisa di lanterna:

e quel mirava noi e dicea : « Oh me!»•123

Di sé facea a sé stesso lucerna,

ed eran due in uno e uno in due ;

com’ esser può, quei sa che sì governa.•126

Quando diritto al piè del ponte fue,

levò ’l braccio alto con tutta la testa

per appressarne le parole sue,•129

che fuoro : « Or vedi la pena molesta,

tu che, spirando, vai veggendo i morti :

vedi s’alcuna è grande come questa.•132

E perché tu di me novella porti,

sappi ch’i’ son Bertram dal Bornio, quelli

che diedi al re giovane i ma’ conforti.•135

Io feci il padre e ’l figlio in sé ribelli ;

Achitofèl non fé più d’Absalone

e di Davìd coi malvagi punzelli.•138

Perch’ io parti’ così giunte persone,

partito porto il mio cerebro, lasso !,

dal suo principio ch’è in questo troncone.

Così s’osserva in me lo contrapasso».•142