Camera delle Lacrime: les Sphères du Paradis à Ivry

Camera delle Lacrime: les Sphères du Paradis à Ivry

Deux longues années après Les Cercles de l’Enfer, l’ensemble La Camera delle Lacrime a présenté au théâtre Antoine Vitez d’Ivry le dernier volet de sa trilogie sur la Divine Comédie de Dante: Les Sphères du Paradis.

Nous avions laissé, il y a deux ans maintenant, le théâtre Antoine Vitez d’Ivry-sur Seine, sur les derniers vers de l’Enfer de Dante, avec une promesse: dans un an, la Camera delle Lacrime revenait sur la même scène avec un nouveau spectacle, La Montagne du Purgatoire. Puis, la pandémie du Covid est passée. Le confinement, les restrictions et les contraintes sanitaires ont fait que de Purgatoire à Ivry, en 2020, il n’y eut pas.

C’est donc avec un plaisir immense que ce 5 décembre 2021, il a été possible de renouer le fil de cette création musicale autour du troisième cantique de la Divine Comédie: Les sphères du Paradis.

Khaï-dong Luong, directeur artistique et Bruno Bonhoure, directeur musical, ont conservé les mêmes principes que lors de la création des Cercles de l’Enfer. Le dispositif scénique est simple avec une première ligne où sont disposés chanteuses et musiciennes avec en son centre Bruno Bonhoure, feu follet qui danse, chante, joue du tambour et de la harpe, véritable chef d’orchestre du spectacle. En fond, est disposé le chœur du Conservatoire d’Ivry, renforcé par quelques chanteurs venus de Saint-Denis.

Le spectateur est invité à un rêve

Mais mêmes principes ne veut pas dire même spectacle. Pour l’Enfer, les costumes sombres des acteurs, l’atmosphère ténébreuse et la voix caverneuse de Denis Lavant créaient une ambiance sombre. Rien de cela ici: tout le monde est vêtu de blanc, et les lumières illuminent la scène. C’est à un rêve qu’est invité le spectateur. Un songe dont  la chanson de Michel Berger, Le Paradis Blanc, ouvre les portes.

Après la nuit de l’Enfer, ses ombres et son âpre descente dans la profondeur de ses Cercles, les Sphères du Paradis se veut un hymne à la légèreté, à la douceur et à la grâce, porté par l’harmonie des laudes du manuscrit de Cortona

Puisque rêve il y a, le spectateur effleure quelques étoiles. Il s’arrête sur la Lune, sur Vénus où il rencontre le poète Foulque de Marseille celui pour qui «couché et levé de soleil / ont Bougie et la terre où je suis né». Un hymne, plus tard, célèbre François d’Assises. Nous sommes déjà dans la sphère du Soleil… 

Ce spectacle enchanteur est la conclusion du cycle Dante Troubadour consacré à la Divine Comédie. Il ne se résume pas aux seuls spectacles. La Camera delle Lacrime a produit aussi une suite discographique, Inferno, Purgatorio et Paradiso qui permettent, d’en écouter les musiques, les chants et les récitatifs, c’est-à-dire de retrouver la musique de la poésie de Dante.

Pour ce spectacle à Ivry

  • le récit du poète était dit par la comédienne Marion Noone;
  • Caroline Dangin-Bardot, soprano, était au chant;
  • Cristina Alís Raurich à l’organetto et aux percussions;
  • Stéphanie Petibon à la viola d’arco et au luth. 
  • Le site de La Camera delle Lacrime. Le nom de la compagnie trouve sa source dans Vita Nuova, l’ouvrage de jeunesse de Dante, dans ce passage où dans une cérémonie de noces, Dante aperçoit «la gentilissima Beatrice», ce qui le choque si fort qu’il ne peut que retourner dans cette «camera delle lagrime» qui lui sert de refuge. (Vita Nuova, XIV, 9).
  • Photo d’illustration: Marc Mentré
Camera delle Lacrime: Les Cercles de l’Enfer à Ivry

Camera delle Lacrime: Les Cercles de l’Enfer à Ivry

Le dimanche 17 novembre 2019, la Camera delle Lacrime avait posé ses valises sur la scène du Théâtre Antoine Vitez à Ivry, dans la banlieue parisienne. Au programme, Les Cercles de l’Enfer, premier volet d’un cycle Dante Troubadour, dont l’aboutissement sera les Sphères du Paradis.

Un dispositif scénique simple: au centre d’une scène plongée dans une sombre pénombre qu’éclairent parcimonieusement quelques ampoules électriques, un chanteur; à ses côtés un récitant; en arrière, en arc de cercle, trois musiciens; derrière encore, un chœur.

«8 avril de l’an 1300, l’ante-enfer, le vestibule de l’Enfer…» Denis Lavant emmène les spectateurs. Il est Dante ou Virgile par la seule magie d’un chapeau cabossé, posé ou rejeté. Il est aussi ce fil d’Ariane qui évite à tous de se perdre dans le labyrinthe de cet Enfer un peu particulier. C’est une visite en accéléré qui est proposée par la Camera delle Lacrime. En effet, donner le texte du cantique en son entier exigerait plusieurs heures. Ce serait alors un autre spectacle.

L’audace tient dans la création musicale

Pour autant, les familiers de l’œuvre de Dante ne sauraient être dépaysés. Ils retrouvent la poésie du Sommo poeta et croisent le comte Ugolin ou Bertrand de Born, dont on ne saurait dire «s’il existe un tourment plus cruel» que celui qu’il subit. Ils évitent cerbère «bête étrange et cruelle, aboyant comme un chien de son triple gosier» ou Minos «à l’horrible grimace», mais aussi le Styx, ce bourbier où «plonge des hommes nus recouverts par la fange et bouillant de courroux», ou encore ce «lieu dit Malefosse composé de rochers de la couleur du fer».

Mais l’audace est ailleurs. Elle tient dans la musique et dans le chant, justes contrepoints à la voix de Denis Lavant. Audace, car dans l’Enfer, il n’existe ni chant ni musique. C’est le lieu de la cacophonie, de ce «tumulte, qui toujours / tournoyait dans cet air éternellement obscur, / comme le sable quand souffle un tourbillon» ou encore de ces «nombreux soupirs» qui font «frissonner une brise éternelle».

C’est donc une création musicale reposant sur le texte de l’Enfer, qui est proposée pour ce spectacle. «Nous utilisons la matière dantesque comme une partition dont il manquerait la notation musicale», expliquent Bruno Bonhoure et Khaï-dong Luong, les deux fondateurs de la Camera delle Lacrime, dans le livret qui accompagne l’enregistrement du spectacle. 

Rien  de statique, d’ennuyeux ou de forcé dans ce spectacle virevoltant, où la viole de gambe répond au tambourin, où le toscan “illustre” chanté par Bruno Bonhoure et par le chœur des enfants et des adultes du Conservatoire d’Ivry reprend la voix de Denis Lavant tour à tour murmure doucereux, féroce imprécation, lente déclamation… 

Bref, on a hâte de voir le Purgatoire  deuxième volet du cycle Dante Troubadour. Il devrait être monté l’année prochaine à Ivry. 

  • Le site de La Camera delle Lacrime
  • Illustration: La Camera delle Lacrime et le chœur du Conservatoire d’Ivry — Théâtre Antoine Vitez, Ivry-sur-Seine, le 17 novembre 2019 — photo Marc Mentré.