Jusqu’il y a peu, seules treize “épîtres” rédigées de la main de Dante étaient connues. On comprend donc l’émotion suscitée par Paolo Pellegrini, professeur de philologie et de linguistique à l’université de Vérone, lorsqu’il a avancé avoir identifié une nouvelle lettre. Une découverte devant laquelle il faut multiplier les prudences et les points d’interrogation.
La découverte de Paolo Pellegrini porte sur une lettre que le seigneur de Vérone, Cangrande della Scala, envoya à l’Empereur Henri VII en 1312. Cette lettre est connue; elle fait partie d’un recueil de textes1 établi par le notaire et maître en ars dictminis (l’art de bien écrire) Pietro dei Boattieri, qui vécut à Bologne à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle.
Le contenu de la lettre porte sur un sujet politiquement très sensible. Henri VII est alors en Italie pour y rétablir le pouvoir impérial laissé vacant depuis 1250, l’année de la mort de Frédéric II Hohenstauffen. Mais de nombreuses villes italiennes, en particulier Florence, s’opposent à cette restauration. Ce sont donc deux camps qui s’opposent, mais celui d’Henri VII se fracture. C’est en tout cas ce que veut porter à la connaissance de l’Empereur, celui qui était alors son Vicaire pour Vérone et Vicence. Il explique dans la lettre que Philippe I de Savoie-Achaïe, Vicaire impérial de Pavie, et Werner von Homberg, Lieutenant général pour la Lombardie, en sont venus aux mains. Seule l’intervention de témoins de la scène a empêché que l’altercation tourne au drame.
La lettre est donc particulièrement délicate à rédiger et, explique Paolo Pelligrini, Cangrande della Scala se serait tourné vers l’une des meilleures plumes de son époque, Dante Alighieri. Il n’apporte pas de preuve formelle à son assertion, seulement un faisceau d’éléments troublants.
Il note en particulier le recours à deux passages du Variae di Cassidorio2 que Dante a utilisé à plusieurs reprises: dans sa lettre « Aux Seigneurs d’Italie »3, dans laquelle Dante leur demande d’accueillir favorablement Henri VII, et plus encore explique-t-il à La Repubblica «dans l’exorde d’un acte de paix signé en octobre 1306 dans le Lunigiana où le poète apparaît à la première personne, en qualité de « procureur » des Malaspina». Il voit aussi une correspondance entre l’expression latine vasa scelerum utilisée dans la lettre de Cangrande, désignant les auteurs responsables des discordes impériales, et vasel d’ogni frodà qui qualifie frère Gomita4 au Chant XXII de l’Enfer.
Si l’hypothèse soulevée par Paolo Pellegrini devait se vérifier, elle aurait pour conséquence de modifier la biographie actuellement connue de Dante. Cette lettre a en effet été écrite en 1312, or à cette époque, on connaît mal le lieu de résidence de Dante. Certains le voit à Pise, d’autres dans le Lunigiana auprès des Malaspina. C’est sans doute à cette époque5 où Henri VII parcourait l’Italie pour essayer de la reconquérir, que Dante écrivit son essai sur l’Empire universel De Monarchia.
Paolo Pellegrini rappelle d’ailleurs que Leonardo Bruni6 auteur d’une importante Vita de Dante, affirmait que le poète ne se trouvait pas en Toscane en 1312, alors qu’Henri VII préparait le siège de Florence. Il se serait donc trouvé (si l’hypothèse de la lettre « découverte » est validée) à Vérone auprès de Cangrande della Scala.
À suivre donc…
- Illustration: Cangrande della Scala, seigneur de Vérone – Carlo Borde – Domaine public.