Dante: deux siècles pour une amnistie

Dante: deux siècles pour une amnistie

Ce n’est que le 31 décembre 1494 que la République de Florence, celle de Savonarole, leva la condamnation à mort de Dante Alighieri et de ses descendants. Il fallut donc près de deux siècles —et une révolution— pour que Florence amnistie son prestigieux poète.

Dans un article de L’Arena, journal de Vérone, Gian Paolo Marchi, professeur de littérature italienne, remet en mémoire le fait historique que fut cette levée de la condamnation de Dante et sa famille. Elle s’inscrivait dans le cadre de l’amnistie générale souhaitée, quinze jours auparavant (le 14 décembre 1494) dans un sermon, par Savonarole, l’éphémère dirigeant de la République. La décision de la Signora de Florence, qui n’avait pas été prise à l’unanimité, statuait alors: 

que le dit messer Dante est libre et est libéré de quelque interdiction, relégation ou rébellion ou quelque autre préjudice qu’il encourait de quelque manière ou de quelque temps qu’il soit (…) il est réputé être rendu dans cet état et au grade où il se trouverait, si lui et ses ascendants n’avaient pas été banni, relégué et fait rebelle.

Il y a «pardon» certes, mais une administration reste une administration et la dimension fiscale n’était pas oubliée. Le texte ne prévoyait pas d’exemption de taxes et impôts. Ceux-ci devaient être payés dans les deux mois qui suivraient le retour, sans oublier les « frais d’enregistrement » de l’acte qui s’élevaient à quatre «larghi», c’est-à-dire quatre florins d’or, la monnaie de Florence. 

Les Alighieri étaient alors des notables de Vérone

L’Alighieri qui bénéficia de cette mesure portait le même prénom que son illustre ancêtre. Dante III Alighieri vécut une grande partie de sa vie à Vérone. Né dans cette ville vers 1462/1463, il fit de solides études, notamment sous la direction de l’humaniste Giannantonio Panteo. Il est probable qu’il apprit le latin, comme les enfants bien nés de l’époque.

En effet, les Alighieri étaient alors des notables de la ville. Pietro, le fils de Dante, avait installé sa famille à Vérone —sans doute sous la protection de della Scala— et lui-même, après de solides études de droit à Bologne, était devenu délégué au Podestà de Vérone, puis juge. 

S’il occupa de nombreux emplois publics. Il fut aussi poète. S’il n’eut pas le génie de son prestigieux ancêtre, ses poésies —rédigées pour l’essentiel en latin— reçurent bon accueil. Il recevra la couronne de laurier des mains de son maître Giannantonio Panteo en 1484. Mais son talent poétique sera aussi reconnu à Florence. 

Dans une lettre envoyée datée du 5 juin 1490, Angelo Poliziano, qui était l’ami et le précepteur des enfants de Laurent le Magnifique, écrit à ce dernier

Je vous envoie une élégie d’un descendant de Dante Alighieri, qui s’appelle Dante, cinquième (génération) du Poète, et troisième du nom, qui est Mandovi, et que j’ai rencontré à Vérone; et vous verrez une lettre de sa main, où il se rappelle à moi.

Lettre et poème se sont perdus regrette Gian Paolo Marchi, qui publie cet extrait dans son article. On ignore donc si Dante III demandait l’amnistie pour son ancêtre à Laurent le Magnifique, même si cela est probable. Les temps n’étaient pas sans doute pas encore venus. 

Il Libro del Chiodo
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Le Libro del Chiodo ainsi nommé parce qu’un clou est planté dans sa couverture.

Mais au fait que contenait de la condamnation du 27 janvier 1302 et en quoi était-elle injuste? Nous le savons grâce au Libro del Ciodo. Cet épais volume en parchemin est ainsi nommé parce qu’un clou est fixé dans sa couverture arrière. Il doit sa célébrité au fait qu’il contient le texte de deux condamnations prononcées les 27 janvier et 3 mars 1302 à l’encontre de guelfes blancs, parmi lesquels un certain Dante Alighieri. 

Nous savons donc que le procès fut vite expédié. Dans sa décision le Podestà à la solde des guelfes noirs, Cante de’ Gabrielli da Gubbio, ne masque même pas la légèreté de la procédure. Pas de preuves, écrit-il, la rumeur publique suffit:

À nos oreilles, écrit Cante de’ Gabrielli, et à celles de la Cour parvint de la rumeur publique (souligné par nous) la nouvelle que les prévenus, quand tous ou l’un d’eux étaient en charge comme prieurs, ou après avoir quitté leur charge, commirent pour leur bénéfice propre ou pour d’autres, escroqueries, concussion, injustes extorsions en argent ou objets; et que ceux-ci, ou l’un d’eux ou tous, reçurent argent ou autre pour influer sur l’élection des nouveaux prieurs et gonfaloniers; et qu’ils commirent ou firent commettre fraudes ou escroqueries en argent ou objets de la commune de Florence, ou que cela sera donné ou dépensé contre le souverain pontife et messer Carlo (Charles de Valois – Ndr), pour résister à son entrée ou contre la paix de la cité de Florence et du Parti guelfe…»

«Brûlés jusqu’à ce que mort s’ensuive»

Dante ne digéra jamais non plus d’avoir été non pas accusé —mais bel et bien condamné!— pour avoir abusé de sa charge. Douce revanche? Dans l’Enfer, les concussionnaires, escrocs et autres fraudeurs sont plongés dans la poix bouillante de la cinquième bolge (Chant XXII). 

Et pour ajouter l’injustice à l’injustice, ce jugement fut rendu par contumace, en son absence, ne lui laissant pas le loisir de se défendre. Cela explique pour partie la rancune tenace qu’il porta à l’encontre du pape Boniface VIII, qu’il accusa de l’avoir retenu à Rome.

La peine était nominative et prévoyait que chacun des condamnés devait payer dans un délai de trois jours cinq mille florins piccoli1 et restituer les biens volés. S’ils s’exécutaient les condamnés seraient malgré tout exilés deux ans «hors de la province de Toscane» et interdits à vie de tout emploi public. En revanche, si l’amende n’était pas réglée dans le délai imparti, les avoirs et biens des condamnés seraient détruits et confisqués.

Le 10 mars le Podestà constatait que quinze accusés, parmi lesquels un certain Dante Alighieri, ne s’étaient pas présentés et n’avaient pas payé leur amende. Conséquence:  «talis perveniens igne comburatur sic quod moriatur»  que l’on peut traduire par, “ceux-ci seront brûlés jusqu’à ce que mort s’ensuive”…

Pour charger encore une barque qui déjà débordait, une mesure votée le 9 juin de la même année infligeait la même peine aux enfants des condamnés, s’ils avaient quatorze ans ou lorsqu’ils atteindraient cet âge. Ceci explique que Pietro et Iacopo, deux de ses enfants, aient suivi le poète dans son exil à Vérone d’abord, auprès de Cangrande della Scala, puis à Ravenne.

La nouvelle humiliation de 1315

Pour Dante une opportunité de lever cette condamnation se fit jour au cours de l’été 1315. Les Florentins avaient été défaits lors de la bataille de Monteccatini, le 29 août, par l’alliance gibeline des villes de Lucques et Pise. Les dirigeants de la ville décidèrent alors «d’ouvrir les portes de la ville aux proscrits en leur accordant une nouvelle amnistie». Las, il y avait deux conditions à ce retour: le paiement d’une amende et la cérémonie de l’hommage à saint Jean. Pour obtenir l’absolution, 

les prisonniers de droit commun devaient se rendre à l’église Saint-Jean vêtus d’une robe de bure, coiffés d’une mitre et un cierge à la main ; il en était de même pour les détenus politiques qui, cependant, étaient dispensés de cet humiliant accoutrement»2

Dante rejeta cette offre. Il en donna les raisons dans une lettre à un «ami florentin». Ce dernier ne fut jamais identifié mais il devait être proche, puisque dans l’épître, il l’appelle «père».

Est-ce donc là la grâce accordée à Dante Alighieri pour qu’il puisse retourner dans sa patrie après avoir souffert l’exil pendant presque trois lustres? Est-ce donc là la récompense de tant de travail, de tant de temps consacré aux études? C’est une humiliation indigne d’un familier de la philosophie d’accepter d’être «offert», presque en chaînes à la manière d’un Ciolo3 quelconque et tant d’autres infâmes. C’est indigne d’un homme qui prêche la justice et qui a été victime de l’injustice de récompenser avec de l’argent les auteurs de l’injustice, comme si c’étaient des bienfaiteurs!4

Dante voulait revenir à Florence en toute gloire.

Pourtant, Dante ne renoncera jamais à revenir à Florence, mais pour lui le retour devait être sans condition et en toute gloire, comme il le dit au début du Chant XXV du Paradis (v. 1-9):

Se mai continga che ‘l poema sacro

al quale ha posto mano e cielo e terra,

sì che m’ha fatto per molti anni macro,

vinca la crudeltà che fuor mi serra

del bello ovile ov’ io dormi’ agnello,

nimico ai lupi che li danno guerra;

con altra voce omai, con altro vello

ritornerò poeta, e in sul fonte

del mio battesmo prenderò ‘l cappello;

(S’il advient jamais que ce poème sacré / auquel le ciel et la terre ont mis la main / me faisant pendant de longues années maigrir / vainque la cruauté qui m’enferme hors / du beau bercail où je dormis agneau, / ennemi des loups qui la ravagent; / avec une autre voix désormais, avec une autre toison / j’y retournerai poète, et sur les fonds / de mon baptême prendrai la couronne;)

Cette lettre montre que Dante conservait des liens avec des amis et relations florentins, et que ceux-ci n’étaient pas brisés. Ils le furent d’autant moins que la famille Alighieri —et Dante lui-même— y conservait des biens, dont sa maison familiale située sur la piazza di S. Martino del Vescovo5.

Pietro Alighieri fera souche à Vérone

Et puis, il y avait aussi son épouse Gemma. Il est probable qu’elle n’accompagna pas le poète dans son incertain et difficile exil. Elle avait très certainement auprès d’elle ses enfants, du moins tant que ceux-ci  n’avaient pas atteint la limite fatidique des quatorze ans révolus. Il est très probable aussi qu’elle conserva quelque biens et lutta pour récupérer ce qui était possibile. En 1329, soit huit ans après la mort de Dante, Gemma réclamait encore auprès des autorités florentines la part de sa dot qui avait été confisquée à son mari.

Quoiqu’il en soit, après la mort de leur père à Ravenne, Pietro et Iacopo retournèrent vivre à Florence en 1322, sans doute auprès de leur mère Gemma. Et les autorités firent alors un premier pas vers le pardon. C’est à ce moment que les chemins des deux frères se séparèrent.

Iacopo, qui resta à Florence, bénéficia «d’une pleine réhabilitation juridique à la suite du décret du 11 octobre 1325 de “sbandimento” (amnistie) décidé par la Commune»;6 Pietro lui quitta la ville —sans doute avant le décret— pour aller étudier le droit avant de s’installer à Vérone, sous la protection des della Scala. Il y fera souche comme le montre le tableau ci-dessous:

Descendance de Dante Alighieri

La descendance de Dante et Pietro Alighieri. Ne figurent que les épouses légitimes et les héritiers désignés comme tels dans le testament de leur père.

Il faudra donc presque deux siècles pour que les Alighieri réussissent à obtenir que Florence efface la condamnation «injuste» de leur aïeul.

«Je lui fis connaître de nombreux détails qu’il ignorait»

Leur meilleur atout était sans nul doute l’aura qui entourait l’œuvre et la personnalité de Dante. Pietro s’attacha à promouvoir, notamment à travers son “Commentaire” de La Comédie, cette œuvre, lui donnant une dimension patrimoniale.

On ignore si son fils, Dante II, en dépit d’un prénom qui semble prédestiné, accompli des démarches auprès de Florence et lesquelles. Il est essentiellement connu pour avoir agrandi les propriétés qu’avait commencé à constituer son père à Gargagnago, à côté de Valpolicella7.

Un domaine que devait agrandir son fils et héritier, Leonardo. Mais Florence demeurait dans la culture familiale. Dans son petit opuscule, Della vita, studi e costumi di Dante, l’historien et philosophe florentin Leonardo Bruni (appelé aussi Leonardo Aretino, 1370-1444) raconte une visite à Florence de «Leonardo et d’autres jeunes Véronais»:

Il vint me rencontrer, en tant qu’ami de la mémoire de son aïeul Dante; et je lui ai montré la maison de Dante et de ses ancêtres, et je lui donnais de nombreux détails qu’il ignorait, pour être lui et les siens éloignés de la patrie. Et ainsi Fortune fait tourner ce monde, et fait changer les habitants en tournant sa roue.

À Florence, l’image d’un Dante humaniste, philosophe et moraliste s’impose 

Les Alighieri s’enracinent à Vérone et deviennent une famille de notables installés. Ils y acquièrent des biens. Pietro III siège au conseil de la ville de Vérone, comme auparavant son père Leonardo. Florence semble n’être plus qu’un souvenir lointain, même si la tache de la condamnation «injuste» demeure.

Pendant ce temps, le souvenir du Sommo Poeta reste prégnant à Florence et l’attitude des Florentins vis-à-vis de celui qu’ils ont banni évolue.

Le souvenir du Dante homme politique partisan s’estompe. Certes, la distinction entre guelfes et gibelins subsiste encore au XVe siècle, mais une page se tourne; la vie politique de Florence est désormais dominée par l’ascension de la famille Médicis. Sur le plan culturel, l’image d’un Dante humaniste, philosophe et moraliste s’impose progressivement.

Les Lecturæ Dantis, initiées par Boccace en 1373, ne sont pas étrangères à ce changement de perception. Des Lecturæ que poursuivent des personnalités comme Leonardo Bruni, ou Francesco Filelfo. Participe aussi à ce mouvement, par exemple, la biographie que consacra au poète le diplomate florentin Gianozzo Manetti.

Les conditions d’un pardon se mettaient en place mais les choses vont s’accélérer à partir de la moitié du XVe siècle. Déjà près de 150 ans se sont écoulés depuis la condamnation.

Pietro III envoya un exemplaire de la «Vita Dantis» à Laurent le Magnifique

En 1447, Gian Mario Filelfo, le fils de Francesco Filelfo, que les péripéties de la vie avaient conduit à Vérone, fit dans cette ville des Lecturæ Dantis. Il se lia d’amitié avec Pietro III Alighieri auprès duquel il recueillit de nombreuses informations qui lui permirent d’écrire une Vita Dantis. Malheureusement, la qualité de cette biographie est sujette à caution. Par exemple, G. M. Filelfo n’hésita pas à inventer, parce que cela l’arrangeait, le début de La Monarchie et De l’éloquence en vulgaire.8

Quoiqu’il en soit, il dédia cette Vita à son protecteur, Pietro III. Ce dernier, selon Luigi Polidori,9 souhaitait revenir avec sa famille à Florence. Cela lui était, rappelons-le, interdit en raison de la condamnation de son aïeul. «Pour cette raison, il envoya une copie à Pierre de Médicis et à Tommaso Soderini, gentilhomme florentin (…) il l’envoya en cadeau afin que ceux-ci et d’autres puissent la lire et connaître son désir d’être présent dans leur mémoire par l’intermédiaire de celle de Dante.» Ce courrier est daté du 20 décembre 1467.

La réponse s’il y en une, s’est perdue. En tout cas, Pierre et son fils Laurent le Magnifique ne firent rien pour accéder aux demandes de Pietro, dont les espoirs furent déçus.

Quelques années plus tard, le relais est donc pris par son fils Dante III. Que fit ce dernier? Relança-t-il les tentatives avortées de son père? Joua-t-il de ses relations, de son statut social à Vérone ou du fait qu’il était un poète reconnu? Pour le moment, les informations manquent.

Seule certitude il fallut que la république de Florence change de régime politique avec le départ de Laurent le Magnifique et l’arrivée au pouvoir de Savonarole. Il fallut que ce dernier lance un appel à l’amnistie général le 14 décembre 1494 pour qu’enfin le 31 décembre  Dante III et tous les descendants de celui qui était considéré comme un « fugitif gibelin » soient libérés de toute poursuite et cela quelle soit émise par la ville, le contado ou le district (“distretto”) de Florence. 

  • Illustration: Le monument dédié à Dante Alighieri —Vérone — Photo (détail): Giampetroph — CC-A-SA-4.0
  • Pour aller plus loin:
  1. Le Libro del Chiovo a été réédité en 2004 (plus exactement reproduit en fac-similé) avec une introduction de Francesca Klein. Edizioni Polistampa
  2. Pour en savoir plus la famille Serego Alighieri, on peut se référer à I Serego Alighieri a Gargagnago di Valpolicella, de Pierpaolo Brugnoli, un livre édité à l’occasion des 650 ans de la présence de la famille Alighieri à Gargagnago. (Fondazione Liberale, 2003)
  3. On peut aussi consulter la Casa di Pietro di Dante in Verona di Giulio Sancassani, in Atti e Memorie dell’Accademia di  Agricoltura Scienze e lettere di Verona, Anno Accademico 1971-1972 – Serie VI – Vol.XXIII, que l’on peut trouver à la Bibliothèque d’Histoire de l’Université de Padoue. Quelques informations tirées de cet ouvrage se trouvent sur la page Breve profilo di Pietro di Dante e Notizie dei suoi Discendenti . 

 

 

Une nouvelle lettre de Dante découverte?

Une nouvelle lettre de Dante découverte?

Jusqu’il y a peu, seules treize “épîtres” rédigées de la main de Dante étaient connues. On comprend donc l’émotion suscitée par Paolo Pellegrini, professeur de philologie et de linguistique à l’université de Vérone, lorsqu’il a avancé avoir identifié une nouvelle lettre. Une découverte devant laquelle il faut multiplier les prudences et les points d’interrogation.

La découverte de Paolo Pellegrini porte sur une lettre que le seigneur de Vérone, Cangrande della Scala, envoya à l’Empereur Henri VII en 1312. Cette lettre est connue; elle fait partie d’un recueil de textes10 établi par le notaire et maître en ars dictminis (l’art de bien écrire) Pietro dei Boattieri, qui vécut à Bologne à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle. 

Le contenu de la lettre porte sur un sujet politiquement très sensible. Henri VII est alors en Italie pour y rétablir le pouvoir impérial laissé vacant depuis 1250, l’année de la mort de Frédéric II Hohenstauffen. Mais de nombreuses villes italiennes, en particulier Florence, s’opposent à cette restauration. Ce sont donc deux camps qui s’opposent, mais celui d’Henri VII se fracture. C’est en tout cas ce que veut porter à la connaissance de l’Empereur, celui qui était alors son Vicaire pour Vérone et Vicence. Il explique dans la lettre que Philippe I de Savoie-Achaïe, Vicaire impérial de Pavie, et Werner von Homberg, Lieutenant général pour la Lombardie, en sont venus aux mains. Seule l’intervention de témoins de la scène a empêché que l’altercation tourne au drame.

La lettre est donc particulièrement délicate à rédiger et, explique Paolo Pelligrini, Cangrande della Scala se serait tourné vers l’une des meilleures plumes de son époque, Dante Alighieri. Il n’apporte pas de preuve formelle à son assertion, seulement un faisceau d’éléments troublants.

Il note en particulier le recours à deux passages du Variae di Cassidorio11 que Dante a utilisé à plusieurs reprises: dans sa lettre « Aux Seigneurs d’Italie »12, dans laquelle Dante leur demande d’accueillir favorablement Henri VII, et plus encore explique-t-il à La Repubblica «dans l’exorde d’un acte de paix signé en octobre 1306 dans le Lunigiana où le poète apparaît à la première personne, en qualité de « procureur » des Malaspina». Il voit aussi une correspondance entre l’expression latine vasa scelerum utilisée dans la lettre de Cangrande, désignant les auteurs responsables des discordes impériales, et vasel d’ogni frodà qui qualifie frère Gomita13 au Chant XXII de l’Enfer. 

Si l’hypothèse soulevée par Paolo Pellegrini devait se vérifier, elle aurait pour conséquence de modifier la biographie actuellement connue de Dante. Cette lettre a en effet été écrite en 1312, or à cette époque, on connaît mal le lieu de résidence de Dante. Certains le voit à Pise, d’autres dans le Lunigiana auprès des Malaspina. C’est sans doute à cette époque14 où Henri VII parcourait l’Italie pour essayer de la reconquérir, que Dante écrivit son essai sur l’Empire universel De Monarchia. 

Paolo Pellegrini rappelle d’ailleurs que Leonardo Bruni15 auteur d’une importante Vita de Dante, affirmait que le poète ne se trouvait pas en Toscane en 1312, alors qu’Henri VII préparait le siège de Florence. Il se serait donc trouvé (si l’hypothèse de la lettre « découverte » est validée) à Vérone auprès de Cangrande della Scala.

À suivre donc… 

  • Illustration: Cangrande della Scala, seigneur de Vérone – Carlo Borde – Domaine public.