L’Enfer – Chant XXII

Masque en bois découvert à Stóraborg, Islande – Musée national – Reykjavick – Photo Marc Mentré.

Huitième cercle • Fraudeurs • Cinquième Bolge • Escrocs • La compagnie des dix diables • Ciampolo de Navarre • Frate Gomita et Michel Zante • Fuite de Ciampolo • Alichino et Calabrina se battent et tombent dans la poix.

J’ai déjà vu des soldats lever le camp, 

pour commencer l’assaut, pour défiler, 

et quelquefois pour battre en retraite;•3 

j’ai vu des soudards dans votre cité, 

ô Arétins, et j’ai vu des éclaireurs aller, 

des tournois se combattre et des joutes se courir;•6 

tantôt avec des trompettes, tantôt avec des cloches, 

avec des tambours et avec des signaux des châteaux forts, 

et avec des choses qui sont nôtres et d’autres étrangères;•9  

mais jamais avec si étrange chalumeau 

je ne vis avancer cavaliers ou fantassins, 

ou navires guidés par la terre ou les étoiles.•12 

Nous allions avec les dix démons. 

Ah terrible compagnie ! mais à l’église 

avec les saints, et à la taverne avec les truands.•15 

En permanence j’étais attentif à la poix, 

pour voir de la bolge tout l’aspect 

et ceux qui étaient brûlés dedans.•18 

Comme les dauphins, quand ils font signe 

aux marins en arquant leur échine  

pour qu’ils s’efforcent de sauver leur bateau,•21 

ainsi alors, pour alléger leur peine, 

quelques pécheurs montraient leur dos  

puis se cachaient le temps d’un éclair.•24 

Et comme sur le bord de l’eau d’un fossé 

se tiennent les grenouilles le museau à l’air,

mais cachant leurs pieds et le gros de leurs corps,•27 

de tous côtés se tenaient ainsi les pécheurs ; 

mais quand Barbariccia s’approchait, 

aussitôt ils se réfugiaient dans la poix bouillante.•30 

J’en vis un, et mon cœur en frémit encore, 

attendre ainsi, comme il arrive 

qu’une grenouille reste et l’autre s’enfuit;•33 

Graffiacan, qui était le plus près de lui, 

l’agrippa par ses cheveux englués 

et le tira dehors ; il me sembla une loutre.•36 

Je savais déjà le nom de tous, 

l’ayant noté quand ils furent choisis, 

et attentif depuis, à la manière dont ils s’appelaient entre eux.•39  

« O Rubicante, enfonce-lui 

tes griffes dans le dos, afin que tu l’écorches ! » 

criaient tous ensemble ces maudits.•42 

Et moi : « Maître, essaie, si tu le peux, 

de savoir qui est l’infortuné 

tombé aux mains de ses ennemis.»•45 

Mon guide s’approcha de lui ; 

lui demanda d’où il était, et celui-ci répondit : 

« Je suis né dans le royaume de Navarre.•48 

Ma mère qui m’avait eu d’un ribaud, 

qui ruina sa vie et ses biens 

me mit au service d’un seigneur.•51 

Puis je fus domestique du bon roi Thibaut ; 

là, je me livrai à l’escroquerie 

et j’en rends compte dans cette fournaise.»•54 

Et Cirïatto, dont une défense 

sortait de chaque côté de la bouche comme un sanglier, 

lui fit sentir comme une seule déchire.•57 

La souris était venue parmi les méchants chats ; 

mais Barbariccia l’enferma dans ses bras 

et dit : « Restez là, pendant que je le tiens.»•60 

Et il tourna son visage vers mon maître ; 

« Demande encore », dit-il, « si tu désires 

en savoir plus, avant que les autres le déchirent.»•63 

Le maître alors : « Dis : des autres pécheurs 

en connais-tu un qui soit latin  

sous la poix ? » Et lui : « J’ai quitté,•66 

il y a peu, un qui était proche d’ici. 

Que ne suis-je encore avec lui à couvert, 

je ne craindrais ni les griffes ni les crocs!»•69 

Et Libicocco « Nous avons trop supporté », 

dit-il ; et il lui prit le bras avec son croc, 

et, le déchirant, en emporta un lambeau.•72 

Draghignazzo voulut aussi l’attraper  

par les jambes ; alors leur décurion 

regarda tout autour de lui d’un air mauvais.•75 

Lorsqu’ils furent un peu calmés, 

mon guide demanda immédiatement 

à celui, qui regardait encore sa plaie,•78 

« Qui fut celui que tu quittas pour ton malheur 

dis-tu pour venir sur la rive ? » 

Et il répondit : « Ce fut frère Gomita,•81 

de Gallura, réceptacle de toute fraude, 

qui eut en main les ennemis de son seigneur, 

et fit si bien, que tous s’en félicitèrent.•84 

Il leur prit de l’argent, et les laissa di piano

comme il dit ; et dans ses autres emplois  

d’escroc il ne fut pas médiocre, mais souverain.•87 

Avec lui converse Dom Michel Zanche 

de Logodoro ; et de parler de la Sardaigne 

leurs langues ne se fatiguent pas.•90 

Oh, Voyez l’autre qui montre les dents ; 

je parlerais encore, mais je crains qu’il 

ne s’apprête à me massacrer.»•93 

Et ce grand chef, se tournant vers Farfarello

qui roulait des yeux prêt à frapper, 

dit : « Éloigne-toi, mauvais oiseau!».•96 

« Si vous voulez voir ou entendre », 

reprit ensuite le terrorisé, 

« des Toscans ou des Lombards, j’en ferai venir;•99 

mais que les Malebranche se tiennent un peu à l’écart, 

afin qu’ils ne craignent pas leur vengeance ; 

et moi, restant assis ici même,•102 

pour un que je suis, j’en ferai venir sept 

quand je sifflerai, comme c’est notre coutume 

lorsqu’un de nous se met dehors.»•105 

Cagnazzo à ces mots leva le museau 

en secouant la tête, et dit : « Écoute la ruse 

qu’il a imaginée pour se jeter en bas!».•108 

Alors l’autre, qui avait plus d’un tour dans son sac, 

répondit : « Je suis trop rusé, 

quand je cause aux miens plus grande souffrance.»•111 

Alichino ne se contint pas et, à l’inverse 

des autres, lui dit : « Si tu plonges, 

je ne te poursuivrai pas au galop,•114 

mais sur la poix je volerai. 

Laissons le bord, et sur la berge hors de la vue, 

voyons si toi seul vaut plus que nous.»•117 

Ô toi qui lis, tu vas entendre un nouveau tour : 

chacun regarda vers l’autre rive, 

vers le premier, le plus réticent.•120 

Le Navarrais choisit bien son moment : 

il appuya ses pieds sur le sol, et dans l’instant 

sauta et du grand chef se délivra.•123 

Chacun de la faute se sentit coupable, 

mais plus celui qui avait provoqué la bourde, 

aussi il s’élança et cria : « Tu es pris!»•126 

Mais il en profita peu : les ailes ne peuvent 

aller plus vite que la peur ; l’un s’enfonça, 

et l’autre en volant se redressa:•129 

de même le canard tout à coup 

plonge, quand le faucon approche, 

pour s’en retourner énervé et défait.•132 

Furieux de ce mauvais tour Calcabrina, 

vola derrière eux, désireux 

qu’il s’échappe pour pouvoir se battre;•135 

et quand l’escroc eut disparu, 

il retourna ses griffes contre son compagnon, 

et ils s’affrontèrent au-dessus de la fosse.•138 

Mais l’autre vrai épervier féroce 

réussit à bien le blesser, et tous deux 

tombèrent dans l’étang bouillonnant.•141 

La chaleur soudain les sépara ; 

mais se relever était impossible, 

tant leurs ailes étaient engluées.•144 

Barbariccia, affligé comme les siens, 

en fit voler quatre vers l’autre rive 

avec tous les harpons, et très prestement,•147 

d’ici, de là ils descendirent à leur poste ; 

ils tendirent les fourches vers les piégés, 

qui déjà étaient cuits dans la croûte. 

Et nous les laissâmes ainsi empêtrés.•151

Cerchio ottavo • Fraudolenti • Bolgia quinta • Barattieri • I dieci diavoli • Ciampolo di Navarra • Frate Gomita e Michel Zante • Inganno e fuga del Navarrese • Zuffa di Alichino e Calcabrina e sue consequenze.

Io vidi già cavalier muover campo, 

e cominciare stormo e far lor mostra, 

e talvolta partir per loro scampo;•3  

corridor vidi per la terra vostra, 

o Aretini, e vidi gir gualdane, 

fedir torneamenti e correr giostra;•6 

quando con trombe, e quando con campane, 

con tamburi e con cenni di castella, 

e con cose nostrali e con istrane;•9 

né già con sì diversa cennamella 

cavalier vidi muover né pedoni, 

né nave a segno di terra o di stella.•12 

Noi andavam con li diece demoni. 

Ahi fiera compagnia ! ma ne la chiesa 

coi santi, e in taverna coi ghiottoni.•15 

Pur a la pegola era la mia ’ntesa, 

per veder de la bolgia ogne contegno 

e de la gente ch’entro v’era incesa.•18 

Come i dalfini, quando fanno segno 

a’ marinar con l’arco de la schiena 

che s’argomentin di campar lor legno,•21 

talor così, ad alleggiar la pena, 

mostrav’ alcun de’ peccatori ’l dosso 

e nascondea in men che non balena.•24 

E come a l’orlo de l’acqua d’un fosso 

stanno i ranocchi pur col muso fuori, 

sì che celano i piedi e l’altro grosso,•27 

sì stavan d’ogne parte i peccatori ; 

ma come s’appressava Barbariccia, 

così si ritraén sotto i bollori.•30 

I’ vidi, e anco il cor me n’accapriccia, 

uno aspettar così, com’ elli ’ncontra 

ch’una rana rimane e l’altra spiccia;•33 

e Graffiacan, che li era più di contra, 

li arruncigliò le ’mpegolate chiome 

e trassel sù, che mi parve una lontra.•36 

I’ sapea già di tutti quanti ’l nome, 

sì li notai quando fuorono eletti, 

e poi ch’e’ si chiamaro, attesi come.•39 

« O Rubicante, fa che tu li metti 

li unghioni a dosso, sì che tu lo scuoi ! », 

gridavan tutti insieme i maladetti.•42 

E io : « Maestro mio, fa, se tu puoi, 

che tu sappi chi è lo sciagurato 

venuto a man de li avversari suoi».•45 

Lo duca mio li s’accostò allato ; 

domandollo ond’ ei fosse, e quei rispuose : 

« I’ fui del regno di Navarra nato.•48 

Mia madre a servo d’un segnor mi puose, 

che m’avea generato d’un ribaldo, 

distruggitor di sé e di sue cose.•51 

Poi fui famiglia del buon re Tebaldo ; 

quivi mi misi a far baratteria, 

di ch’io rendo ragione in questo caldo».•54 

E Cirïatto, a cui di bocca uscia 

d’ogne parte una sanna come a porco, 

li fé sentir come l’una sdruscia.•57 

Tra male gatte era venuto ’l sorco ; 

ma Barbariccia il chiuse con le braccia 

e disse : « State in là, mentr’ io lo ’nforco».•60 

E al maestro mio volse la faccia ; 

« Domanda », disse, « ancor, se più disii 

saper da lui, prima ch’altri ’l disfaccia».•63 

Lo duca dunque : « Or dì : de li altri rii 

conosci tu alcun che sia latino 

sotto la pece ? ». E quelli : « I’ mi partii,•66 

poco è, da un che fu di là vicino. 

Così foss’ io ancor con lui coperto, 

ch’i’ non temerei unghia né uncino!».•69 

E Libicocco « Troppo avem sofferto », 

disse ; e preseli ’l braccio col runciglio, 

sì che, stracciando, ne portò un lacerto.•72 

Draghignazzo anco i volle dar di piglio 

giuso a le gambe; onde ’l decurio loro 

si volse intorno intorno con mal piglio.•75 

Quand’ elli un poco rappaciati fuoro, 

a lui, ch’ancor mirava sua ferita, 

domandò ’l duca mio sanza dimoro:•78 

« Chi fu colui da cui mala partita 

di’ che facesti per venire a proda ? » 

Ed ei rispuose : « Fu frate Gomita,•81 

quel di Gallura, vasel d’ogne froda, 

ch’ebbe i nemici di suo donno in mano, 

e fé sì lor, che ciascun se ne loda.•84 

Danar si tolse e lasciolli di piano, 

sì com’ e’ dice ; e ne li altri offici anche 

barattier fu non picciol, ma sovrano.•87 

Usa con esso donno Michel Zanche 

di Logodoro ; e a dir di Sardigna 

le lingue lor non si sentono stanche.•90 

Omè, vedete l’altro che digrigna ; 

i’ direi anche, ma i’ temo ch’ello 

non s’apparecchi a grattarmi la tigna».•93 

E ’l gran proposto, vòlto a Farfarello 

che stralunava li occhi per fedire, 

disse : « Fatti ’n costà, malvagio uccello!».•96 

« Se voi volete vedere o udire », 

ricominciò lo spaürato appresso, 

« Toschi o Lombardi, io ne farò venire;•99 

ma stieno i Malebranche un poco in cesso, 

sì ch’ei non teman de le lor vendette ; 

e io, seggendo in questo loco stesso,•102 

per un ch’io son, ne farò venir sette 

quand’ io suffolerò, com’ è nostro uso 

di fare allor che fori alcun si mette».•105 

Cagnazzo a cotal motto levò ’l muso, 

crollando ’l capo, e disse : « Odi malizia 

ch’elli ha pensata per gittarsi giuso!».•108 

Ond’ ei, ch’avea lacciuoli a gran divizia, 

rispuose : « Malizioso son io troppo, 

quand’ io procuro a’ mia maggior trestizia».•111 

Alichin non si tenne e, di rintoppo 

a li altri, disse a lui : « Se tu ti cali, 

io non ti verrò dietro di gualoppo,•114 

ma batterò sovra la pece l’ali. 

Lascisi ’l collo, e sia la ripa scudo, 

a veder se tu sol più di noi vali».•117 

O tu che leggi, udirai nuovo ludo : 

ciascun da l’altra costa li occhi volse, 

quel prima, ch’a ciò fare era più crudo.•120 

Lo Navarrese ben suo tempo colse ; 

fermò le piante a terra, e in un punto 

saltò e dal proposto lor si sciolse.•123 

Di che ciascun di colpa fu compunto, 

ma quei più che cagion fu del difetto ; 

però si mosse e gridò : « Tu se’ giunto!».•126 

Ma poco i valse : ché l’ali al sospetto 

non potero avanzar ; quelli andò sotto, 

e quei drizzò volando suso il petto:•129 

non altrimenti l’anitra di botto, 

quando ’l falcon s’appressa, giù s’attuffa, 

ed ei ritorna sù crucciato e rotto.•132 

Irato Calcabrina de la buffa, 

volando dietro li tenne, invaghito 

che quei campasse per aver la zuffa;•135 

e come ’l barattier fu disparito, 

così volse li artigli al suo compagno, 

e fu con lui sopra ’l fosso ghermito.•138 

Ma l’altro fu bene sparvier grifagno 

ad artigliar ben lui, e amendue 

cadder nel mezzo del bogliente stagno.•141 

Lo caldo sghermitor sùbito fue ; 

ma però di levarsi era neente, 

sì avieno inviscate l’ali sue.•144 

Barbariccia, con li altri suoi dolente, 

quattro ne fé volar da l’altra costa 

con tutt’ i raffi, e assai prestamente•147 

di qua, di là discesero a la posta ; 

porser li uncini verso li ’mpaniati, 

ch’eran già cotti dentro da la crosta. 

E noi lasciammo lor così ’mpacciati.•151