L’Enfer – Chant XXIII

Photo: CC-0 – Domaine public

Huitième cercle • Fraudeurs • Sixième bolge • Hypocrites • Fuite de Dante et Virgile • Cortège de damnés en chapes de plomb doré • Deux frères joyeux: Catalano et Loderingo • Caïphe crucifié. 

Silencieux, seuls, sans escorte1 

nous allions l’un devant et l’autre derrière, 

comme les frères mineurs2 vont par les routes.•3 

Il était une fois la fable d’Ésope3

où il parle du rat et de la grenouille4 

à laquelle la présente rixe5 me fait penser;•6 

car “mo” e “issa”6 se ressemblent autant  

que l’une et l’autre, tant le commencement 

et la fin s’assemblent si l’on a l’esprit attentif.•9 

et comme une pensée jaillit d’une autre, 

ainsi de celle-ci en naquit une autre 

qui redoubla ma première peur7.•12 

Je pensais ainsi : « Ceux-ci qui à cause 

de nous ont été tant bernés et moqués 

je crois qu’ils en sont furieux.•15 

Si colère et mauvais vouloir se mettent en pelote8

ils nous pourchasseront plus cruels 

que le chien qui essaie de mordre le lièvre.»•18 

Je sentais déjà tous mes poils se hérisser 

de peur et je me tenais derrière attentif, 

quand je dis : « Maître, cache-nous•21 

très vite toi et moi, ces Malebranche 

m’épouvantent. Nous les avons déjà à nos trousses ; 

je les imagine si fort, que déjà je les sens.»•24 

Et lui : « Si j’étais un miroir, 

l’image de ton corps ne se refléterait pas plus vite, 

que j’obtiens celle de ton âme.•27 

À l’instant tes pensées se mêlaient aux miennes, 

si semblables de geste et de visage, 

que de toutes deux j’ai fait une seule résolution.•30 

Si la berge à droite s’abaisse, 

et que nous puissions descendre dans l’autre bolge, 

nous échapperons à la chasse imaginée9•33 

Il n’avait pas achevé d’exprimer sa résolution 

que non loin de nous je les vis venir 

à tire d’aile, pour s’emparer de nous.•36 

Mon guide subitement me saisit, 

comme la mère que les crépitements réveillent, 

et qui à côté d’elle voit les flammes embrasées,•39 

prend son fils et fuit et ne s’arrête pas, 

ayant plus soin de lui que d’elle, 

habillée seulement d’une chemise;•42 

du sommet de la dure digue 

il dévala le rocher pentu 

qui sépare une bolge de l’autre.•45 

Jamais eau ne courut si vite dans la conduite 

qui fait tourner la roue d’un moulin10 

quand elle est près des aubes,•48 

que le maître sur ce bord, 

me portant sur sa poitrine, 

comme son fils, non comme son compagnon.•51 

À peine nos pieds touchèrent le sol 

du fond11, qu’ils12 furent sur le col 

au-dessus de nous ; mais il n’y avait rien à craindre:•54 

car la haute providence qui les voulut 

pour gardiens de la cinquième fosse, 

leur ôte à tous le pouvoir d’en sortir.•57 

Là nous trouvâmes une troupe peinte13

qui tournait à pas lents, pleurant 

et d’apparence14 épuisée et abattue.•60 

Ils avaient des capes aux capuchons baissés 

devant les yeux, faites sur le modèle 

de celles que l’ont fait à Cluny15 pour les moines.•63 

Dehors elles sont dorées, tant qu’elles éblouissent ; 

mais dedans toutes de plomb, et si lourdes, 

que celles de Frédéric16 auraient semblé de paille.•66 

Ô manteau éternellement épuisant ! 

Nous tournâmes nous aussi à gauche 

avec eux, attentifs à la triste plainte;•69 

mais en raison du poids, cette troupe lasse 

allait si lentement, que nous avions 

une nouvelle compagnie à chaque pas.•72 

Alors à mon guide : « Essaie de trouver 

quelqu’un dont l’action ou le nom soit connu, 

et tout en marchant, regarde tout autour.»•75 

Et un qui entendit le parler toscan, 

cria derrière nous : « Ralentissez le pas, 

vous qui courez ainsi par l’air obscur!•78 

Peut-être auras-tu de moi ce que tu demandes. » 

Alors le guide se retourna et dit : « Attends, 

et puis marche à son pas.»•81 

Je m’arrêtai, et j’en vis deux montrant leur désir 

pressant, en apparence17, d’être avec moi ; 

mais la charge et le chemin étroit les retardaient.•84 

Quand ils furent près, de leurs yeux torves18 

ils me regardèrent avec attention sans parler ; 

puis se tournèrent l’un vers l’autre, et dirent entre eux:•87 

« Au mouvement de sa gorge celui-ci semble vivant ; 

et s’ils sont morts, par quel privilège 

vont-ils sans être vêtus de la lourde étole19?».•90 

Puis ils me dirent : « Ô Toscan, venu 

dans la réunion des tristes hypocrites, 

ne dédaigne pas de dire qui tu es.»•93 

Et moi à eux : « Je suis né et j’ai grandi 

sur le beau fleuve Arno dans la grande cité20

et j’ai le corps que j’ai toujours possédé.•96 

Mais vous qui êtes vous, à qui tant de larmes 

de douleur, autant que je vois, coulent sur les joues ? 

et quelle peine vous rend si étincelants21?».•99 

Et l’un deux me répondit : « Ces chapes dorées22 

sont de plomb si épais, que leur poids 

fait ainsi grincer les balances.•102 

Nous fûmes des frères joyeux23, et de Bologne ; 

je m’appelais Catalano24, et lui Loderingo25

élus ensemble par ta ville,•105 

alors qu’il est de coutume de ne prendre qu’un seul homme, 

pour conserver sa paix ; et nous nous comportâmes ainsi 

que cela se voit encore près du Gardingo26•108 

Je commençai : « Oh frères, vos mauvaises… » ; 

Mais je ne dis pas plus, étant surpris  

par un27, crucifié en terre par trois pieux.•111 

Lorsqu’il me vit, il se tordit de rage, 

soupirant et soufflant dans sa barbe ; 

et le frère Catalano, qui s’en aperçut,•114 

me dit : « Ce captif que tu regardes 

conseilla aux Pharisiens d’envoyer 

un homme au martyr pour le peuple.•117 

Placé en travers du chemin, nu, 

comme tu le vois, il doit sentir 

au passage de quiconque, combien il pèse.•120 

Et de cette manière est tourmenté son beau-père28 

dans cette fosse, et les autres du conseil29 

qui fut pour les Juifs mauvaise semence.»•123 

Alors je vis Virgile s’étonner30

devant celui qui était étendu en croix, 

de manière si vile dans l’exil éternel.•126 

Il adressa au frère ces paroles : 

« S’il ne vous déplaît pas, s’il vous est permis, dites-nous  

si à main droite se trouve quelque passage•129 

par où pourrions sortir tous deux, 

sans contraindre les anges noirs 

à nous tirer de ce gouffre.»•132 

Il répondit donc : « Plus près que tu n’espères 

est un rocher qui part du grand cercle 

et traverse tous les affreux vallons,•135 

excepté celui-ci où il est rompu et qu’il ne ferme pas ; 

vous pourrez monter par la ruine 

qui forme un tas dont la pente s’élève du fond.»•138 

Le guide se tint un peu tête baissée ; 

puis il dit : « Il contait mal l’affaire 

celui qui harponne les pêcheurs.»•141 

Et le frère : « J’ai ouïs dire jadis à Bologne 

que le diable a bien des vices, et, entre autres 

qu’il est menteur et père du mensonge.»•144 

Après cela, le guide à grands pas s’en alla, 

le visage légèrement troublé par la colère ; 

et moi je quittai ceux écrasés sous leur charge, 

suivant la trace des pieds aimés.•148

Cerchio ottavo • Fraudolenti • Bolgia sesta • Ipocriti • Discesa precipita nella sesta bolgia • Lenta processione degli ipocriti vestiti di cape di piombo • I frati godenti Catalano e Loderingo • Caifas crocifisso • 

Taciti, soli, sanza compagnia 

n’andavam l’un dinanzi e l’altro dopo, 

come frati minor vanno per via.•3 

Vòlt’ era in su la favola d’Isopo 

lo mio pensier per la presente rissa, 

dov’ el parlò de la rana e del topo;•6 

ché più non si pareggia “mo” e “issa” 

che l’un con l’altro fa, se ben s’accoppia 

principio e fine con la mente fissa.•9 

E come l’un pensier de l’altro scoppia, 

così nacque di quello un altro poi, 

che la prima paura mi fé doppia.•12 

Io pensava così : « Questi per noi 

sono scherniti con danno e con beffa 

sì fatta, ch’assai credo che lor nòi.•15 

Se l’ira sovra ’l mal voler s’aggueffa, 

ei ne verranno dietro più crudeli 

che ’l cane a quella lievre ch’elli acceffa».•18 

Già mi sentia tutti arricciar li peli 

de la paura e stava in dietro intento, 

quand’ io dissi : « Maestro, se non celi•21 

te e me tostamente, i’ ho pavento 

d’i Malebranche. Noi li avem già dietro ; 

io li ’magino sì, che già li sento».•24 

E quei : « S’i’ fossi di piombato vetro, 

l’imagine di fuor tua non trarrei 

più tosto a me, che quella dentro ’mpetro.•27 

Pur mo venieno i tuo’ pensier tra ’ miei, 

con simile atto e con simile faccia, 

sì che d’intrambi un sol consiglio fei.•30 

S’elli è che sì la destra costa giaccia, 

che noi possiam ne l’altra bolgia scendere, 

noi fuggirem l’imaginata caccia».•33 

Già non compié di tal consiglio rendere, 

ch’io li vidi venir con l’ali tese 

non molto lungi, per volerne prendere.•36 

Lo duca mio di sùbito mi prese, 

come la madre ch’al romore è desta 

e vede presso a sé le fiamme accese,•39 

che prende il figlio e fugge e non s’arresta, 

avendo più di lui che di sé cura, 

tanto che solo una camiscia vesta;•42 

e giù dal collo de la ripa dura 

supin si diede a la pendente roccia, 

che l’un de’ lati a l’altra bolgia tura.•45 

Non corse mai sì tosto acqua per doccia 

a volger ruota di molin terragno, 

quand’ ella più verso le pale approccia,•48 

come ’l maestro mio per quel vivagno, 

portandosene me sovra ’l suo petto, 

come suo figlio, non come compagno.•51 

A pena fuoro i piè suoi giunti al letto 

del fondo giù, ch’e’ furon in sul colle 

sovresso noi ; ma non lì era sospetto:•54

ché l’alta provedenza che lor volle 

porre ministri de la fossa quinta, 

poder di partirs’ indi a tutti tolle.•57 

Là giù trovammo una gente dipinta 

che giva intorno assai con lenti passi, 

piangendo e nel sembiante stanca e vinta.•60 

Elli avean cappe con cappucci bassi 

dinanzi a li occhi, fatte de la taglia 

che in Clugnì per li monaci fassi.•63 

Di fuor dorate son, sì ch’elli abbaglia ; 

ma dentro tutte piombo, e gravi tanto, 

che Federigo le mettea di paglia.•66 

Oh in etterno faticoso manto ! 

Noi ci volgemmo ancor pur a man manca 

con loro insieme, intenti al tristo pianto;•69 

ma per lo peso quella gente stanca 

venìa sì pian, che noi eravam nuovi 

di compagnia ad ogne mover d’anca.•72 

Per ch’io al duca mio : « Fa che tu trovi 

alcun ch’al fatto o al nome si conosca, 

e li occhi, sì andando, intorno movi».•75 

E un che ’ntese la parola tosca, 

di retro a noi gridò : « Tenete i piedi, 

voi che correte sì per l’aura fosca!•78 

Forse ch’avrai da me quel che tu chiedi ». 

Onde ’l duca si volse e disse : « Aspetta, 

e poi secondo il suo passo procedi».•81 

Ristetti, e vidi due mostrar gran fretta 

de l’animo, col viso, d’esser meco ; 

ma tardavali ’l carco e la via stretta.•84 

Quando fuor giunti, assai con l’occhio bieco 

mi rimiraron sanza far parola ; 

poi si volsero in sé, e dicean seco:•87 

« Costui par vivo a l’atto de la gola ; 

e s’e’ son morti, per qual privilegio 

vanno scoperti de la grave stola?».•90 

Poi disser me : « O Tosco, ch’al collegio 

de l’ipocriti tristi se’ venuto, 

dir chi tu se’ non avere in dispregio».•93 

E io a loro : « I’ fui nato e cresciuto 

sovra ’l bel fiume d’Arno a la gran villa, 

e son col corpo ch’i’ ho sempre avuto.•96 

Ma voi chi siete, a cui tanto distilla 

quant’ i’ veggio dolor giù per le guance ? 

e che pena è in voi che sì sfavilla?».•99 

E l’un rispuose a me : « Le cappe rance 

son di piombo sì grosse, che li pesi 

fan così cigolar le lor bilance.•102 

Frati godenti fummo, e bolognesi ; 

io Catalano e questi Loderingo 

nomati, e da tua terra insieme presi•105 

come suole esser tolto un uom solingo, 

per conservar sua pace ; e fummo tali, 

ch’ancor si pare intorno dal Gardingo».•108 

Io cominciai : « O frati, i vostri mali… » ; 

ma più non dissi, ch’a l’occhio mi corse 

un, crucifisso in terra con tre pali.•111 

Quando mi vide, tutto si distorse, 

soffiando ne la barba con sospiri ; 

e ’l frate Catalan, ch’a ciò s’accorse,•114 

mi disse : « Quel confitto che tu miri, 

consigliò i Farisei che convenia 

porre un uom per lo popolo a’ martìri.•117 

Attraversato è, nudo, ne la via, 

come tu vedi, ed è mestier ch’el senta 

qualunque passa, come pesa, pria.•120 

E a tal modo il socero si stenta 

in questa fossa, e li altri dal concilio 

che fu per li Giudei mala sementa».•123 

Allor vid’ io maravigliar Virgilio 

sovra colui ch’era disteso in croce 

tanto vilmente ne l’etterno essilio.•126 

Poscia drizzò al frate cotal voce : 

« Non vi dispiaccia, se vi lece, dirci 

s’a la man destra giace alcuna foce•129 

onde noi amendue possiamo uscirci, 

sanza costrigner de li angeli neri 

che vegnan d’esto fondo a dipartirci».•132 

Rispuose adunque : « Più che tu non speri 

s’appressa un sasso che da la gran cerchia 

si move e varca tutt’ i vallon feri,•135 

salvo che ’n questo è rotto e nol coperchia ; 

montar potrete su per la ruina, 

che giace in costa e nel fondo soperchia».•138 

Lo duca stette un poco a testa china ; 

poi disse : « Mal contava la bisogna 

colui che i peccator di qua uncina».•141 

E ’l frate : « Io udi’ già dire a Bologna 

del diavol vizi assai, tra ’ quali udi’ 

ch’elli è bugiardo e padre di menzogna».•144 

Appresso il duca a gran passi sen gì, 

turbato un poco d’ira nel sembiante ; 

ond’ io da li ’ncarcati mi parti’ 

dietro a le poste de le care piante.•148