L’Enfer – Chant XXIV
Serpents – Photo Pixabay – CC 0
Huitième Cercle • Fraudeurs • Septième bolge • Voleurs • Les serpents • Morsures et métamorphoses • Vanni Fucci de Pistoia • Prophétie.
En cette partie de l’année toute jeune
où le soleil tiédit sa crinière sous le Verseau
et où les nuits, déjà, sont proches de la moitié du jour,•3
quand le givre recopie sur la terre,
l’image de sa blanche sœur,
mais que dure peu l’encre de sa plume,•6
le pauvre paysan à qui le fourrage manque,
se lève, regarde, et voit la campagne
toute blanchie ; alors il se bat les flancs,•9
rentre dans sa maison, et se lamente de-ci de-là,
comme le miséreux qui ne sait que faire ;
puis il ressort, et reprend espoir,•12
voyant que le monde a changé de face
en quelques heures, il saisit sa houlette
et pousse ses brebis vers la pâture.•15
Ainsi le maître me fit m’effrayer,
en voyant son visage si troublé,
mais aussi vite l’emplâtre fut posée sur la blessure;•18
car, comme nous arrivions au pont écroulé,
le guide se tourna vers moi avec cette douce
expression que je vis auparavant, au pied du mont.•21
Il ouvrit les bras, et après avoir
réfléchi en observant bien
la ruine, il me saisit.•24
Et comme celui qui agit et évalue à la fois,
qui semble toujours tout penser à l’avance,
ainsi, me portant vers la cime•27
d’une arête, il vit un autre roc,
et me dit : « Accroche-toi ensuite à celui-là ;
mais auparavant voit s’il peut te porter.»•30
Ce n’était pas chemin pour qui est vêtu d’une cape,
car, lui léger et moi poussé, nous pouvions
à peine monter de rocher en rocher.•33
Et n’eût été que de ce côté de l’enceinte
la pente était plus courte que de l’autre,
je ne sais pas pour lui, mais moi j’aurais été vaincu.•36
Mais parce que Malebolge est incliné
vers l’entrée du puits le plus enfoncé,
cela fait que dans chaque vallée•39
un flanc s’élève et l’autre s’abaisse ;
nous parvînmes cependant au sommet
d’où la dernière pierre s’était éboulée.•42
J’étais si hors d’haleine,
lorsque j’y fus, que je ne ne pus aller plus loin,
et je m’assis à la première occasion.•45
« Maintenant il convient, que tu secoues ta paresse »,
dit le maître ; « car, ce n’est pas couché dans la plume,
et sous la couette, que s’acquiert la renommée;•48
celui qui consume sa vie sans elle,
laisse sur la terre une trace dans l’air
semblable à la fumée, et dans l’eau à l’écume.•51
Lève-toi donc ; vaincs l’angoisse
avec cet âme qui vainc dans chaque combat,
si elle ne s’affaisse pas sous le poids du corps.•54
Il faudra gravir une plus longue échelle ;
avoir laissé celle-ci ne suffira pas.
Si tu m’entends, que cela ait de la valeur pour toi.»•57
Je me levai alors, me montrant
plus en souffle que je ne me sentais,
et je dis : « Va, je suis fort et hardi.»•60
Sur le rocher nous prîmes le chemin
qui était piégeux, étroit et malaisé,
et bien plus raide que le précédent.•63
J’allais en parlant pour ne pas paraître faible ;
quand une voix sortit de la nouvelle fosse,
malhabile à former des mots.•66
Je ne savais pas ce qu’elle disait, bien que je fusse
déjà au sommet de l’arc qui s’avance là ;
mais, au son de sa voix colérique, il semblait avancer.•69
Je m’étais penché, mais mes yeux d’homme vivant
ne pouvaient voir le fond à cause de l’obscurité ;
alors je dis : « Maître, fais que tu viennes•72
de l’autre enceinte et que nous descendions du pont ;
car, ici j’entends et ne comprends pas,
comme je regarde en bas et ne distingue rien.»•75
« Je ne te donnerai d’autre réponse », dit-il,
« que le faire ; car à la demande honnête
l’action doit suivre sans autre parole.»•78
Nous descendîmes le pont par l’extrémité
où il se joint à la huitième rive,
et alors la bolge se découvrit à moi:•81
et j’y vis un terrible amas
de serpents, d’espèces si diverses
que le souvenir m’en glace encore le sang.•84
Que la Libye ne se vante plus de son sable ;
car si elle produit, chelydres, jaculus
et pharées, et les cenchris avec les amphisbœnes,•87
jamais telle peste si venimeuse
elle ne montra en y joignant toute l’Ethiopie,
et toutes les contrées qui bordent la mer Rouge.1 •90
Au milieu de cette masse cruelle et sinistre
couraient des gens nus et épouvantés,
sans espoir de refuge ou d’héliotrope:•93
Leurs mains étaient liées par derrière par des serpents ;
ceux-ci s’accrochaient par la queue
et la tête dans leurs reins, pour se nouer devant.•96
Et voilà que sur l’un d’eux, qui était de notre côté,
se jeta un serpent le transperçant
là où le cou s’attache aux épaules.•99
Ni O ni I ne s’écrivent aussi vite,
qu’il s’enflamma et brûla, et en cendres
il devait s’écrouler tout entier;•102
et quand il fut à terre ainsi détruit,
d’elle même la poussière se rassembla,
et d’un coup redevint le même corps.•105
ainsi comme les grands sages le confessent,
le phénix meurt et puis renaît,
lorsqu’il approche de sa cinq centième année;•108
durant sa vie il se nourrit ni d’herbe ni de grain,
mais seulement de larmes d’encens et de cardamome,
et le nard et la myrrhe sont son dernier linceul.•111
Et tel est celui qui tombe, et ne sait comment,
par la force du démon qui l’attire à terre,
ou d’un autre mal qui paralyse l’homme,•114
quand il se relève, regarde autour,
tout perdu par la grande angoisse
qu’il a soufferte, et regardant, soupire:•117
tel était le pécheur après s’être relevé.
Ô puissance de Dieu, comme tu es sévère,
qui martèle de tels coups par vengeance!•120
Le guide lui demanda alors qui il était ;
il répondit : « Je suis tombé de la Toscane
il y a peu, dans cette gorge féroce.•123
Une vie bestiale sans rien d’humain me plaisait,
comme un mulet que je fus ; je suis Vanni Fucci
la bête, et Pistoia fut ma digne tanière.»•126
Et moi au guide : « Dis-lui de ne pas s’enfuir,
et demande-lui quelle faute l’a poussé ici bas ;
car je l’ai vu homme sanguin et querelleur.»•129
Et le pécheur, qui m’entendit, ne feignit pas,
mais tourna vers moi son âme et son visage,
qui se colora d’une honte mauvaise;•132
puis il dit : « Il m’est plus douloureux
que tu m’aies trouvé dans la misère où tu me vois,
que lorsque l’autre vie me fut ôtée.•135
Je ne peux refuser ce que tu demandes :
je suis placé si bas parce que ce fut moi
qui volait dans la sacristie les beaux ornements,•138
et de cela fut faussement accusé un autre.
Mais pour que d’une telle vue tu ne puisses jouir,
si jamais tu sors de ces sombres lieux,•141
ouvre l’oreille à mon annonce, et écoute :
Pistoia d’abord s’amaigrit des Noirs ;
puis Florence renouvelle hommes et manière de gouverner.•144
Mars lance un éclair du Val de Magra
tout enveloppé de nuages obscurs ;
et avec la furie d’une tempête impétueuse et âpre•147
sur le Campo Picen on se bat ;
et subitement l’éclair déchire la nuée,
si bien que tout Blanc est blessé.
Et je l’ai dit pour que la douleur te hante!».•151
Cerchio ottavo • Fraudolenti • Bolgia Settima • Ladri • Discesa estenuante • I serpenti • Morsi e Metamorfosi • Vanni Fucci di Pistoia • Predizione.
In quella parte del giovanetto anno
che ’l sole i crin sotto l’Aquario tempra
e già le notti al mezzo dì sen vanno,•3
quando la brina in su la terra assempra
l’imagine di sua sorella bianca,
ma poco dura a la sua penna tempra,•6
lo villanello a cui la roba manca,
si leva, e guarda, e vede la campagna
biancheggiar tutta ; ond’ ei si batte l’anca,•9
ritorna in casa, e qua e là si lagna,
come ’l tapin che non sa che si faccia ;
poi riede, e la speranza ringavagna,•12
veggendo ’l mondo aver cangiata faccia
in poco d’ora, e prende suo vincastro
e fuor le pecorelle a pascer caccia.•15
Così mi fece sbigottir lo mastro
quand’ io li vidi sì turbar la fronte,
e così tosto al mal giunse lo ’mpiastro;•18
ché, come noi venimmo al guasto ponte,
lo duca a me si volse con quel piglio
dolce ch’io vidi prima a piè del monte.•21
Le braccia aperse, dopo alcun consiglio
eletto seco riguardando prima
ben la ruina, e diedemi di piglio.•24
E come quei ch’adopera ed estima,
che sempre par che ’nnanzi si proveggia,
così, levando me sù ver’ la cima•27
d’un ronchione, avvisava un’altra scheggia
dicendo : « Sovra quella poi t’aggrappa ;
ma tenta pria s’è tal ch’ella ti reggia».•30
Non era via da vestito di cappa,
ché noi a pena, ei lieve e io sospinto,
potavam sù montar di chiappa in chiappa.•33
E se non fosse che da quel precinto
più che da l’altro era la costa corta,
non so di lui, ma io sarei ben vinto.•36
Ma perché Malebolge inver’ la porta
del bassissimo pozzo tutta pende,
lo sito di ciascuna valle porta•39
che l’una costa surge e l’altra scende ;
noi pur venimmo al fine in su la punta
onde l’ultima pietra si scoscende.•42
La lena m’era del polmon sì munta
quand’ io fui sù, ch’i’ non potea più oltre,
anzi m’assisi ne la prima giunta.•45
« Omai convien che tu così ti spoltre »,
disse ’l maestro ; « ché, seggendo in piuma,
in fama non si vien, né sotto coltre;•48
sanza la qual chi sua vita consuma,
cotal vestigio in terra di sé lascia,
qual fummo in aere e in acqua la schiuma.•51
E però leva sù ; vinci l’ambascia
con l’animo che vince ogne battaglia,
se col suo grave corpo non s’accascia.•54
Più lunga scala convien che si saglia ;
non basta da costoro esser partito.
Se tu mi ’ntendi, or fa sì che ti vaglia».•57
Leva’mi allor, mostrandomi fornito
meglio di lena ch’i’ non mi sentia,
e dissi : « Va, ch’i’ son forte e ardito».•60
Su per lo scoglio prendemmo la via,
ch’era ronchioso, stretto e malagevole,
ed erto più assai che quel di pria.•63
Parlando andava per non parer fievole ;
onde una voce uscì de l’altro fosso,
a parole formar disconvenevole.•66
Non so che disse, ancor che sovra ’l dosso
fossi de l’arco già che varca quivi ;
ma chi parlava ad ire parea mosso.•69
Io era vòlto in giù, ma li occhi vivi
non poteano ire al fondo per lo scuro ;
per ch’io : « Maestro, fa che tu arrivi•72
da l’altro cinghio e dismontiam lo muro ;
ché, com’ i’ odo quinci e non intendo,
così giù veggio e neente affiguro».•75
« Altra risposta », disse, « non ti rendo
se non lo far ; ché la dimanda onesta
si de’ seguir con l’opera tacendo».•78
Noi discendemmo il ponte da la testa
dove s’aggiugne con l’ottava ripa,
e poi mi fu la bolgia manifesta:•81
e vidivi entro terribile stipa
di serpenti, e di sì diversa mena
che la memoria il sangue ancor mi scipa.•84
Più non si vanti Libia con sua rena ;
ché se chelidri, iaculi e faree
produce, e cencri con anfisibena,•87
né tante pestilenzie né sì ree
mostrò già mai con tutta l’Etïopia
né con ciò che di sopra al Mar Rosso èe.•90
Tra questa cruda e tristissima copia
corrëan genti nude e spaventate,
sanza sperar pertugio o elitropia:•93
con serpi le man dietro avean legate ;
quelle ficcavan per le ren la coda
e ’l capo, ed eran dinanzi aggroppate.•96
Ed ecco a un ch’era da nostra proda,
s’avventò un serpente che ’l trafisse
là dove ’l collo a le spalle s’annoda.•99
Né O sì tosto mai né I si scrisse,
com’ el s’accese e arse, e cener tutto
convenne che cascando divenisse;•102
e poi che fu a terra sì distrutto,
la polver si raccolse per sé stessa
e ’n quel medesmo ritornò di butto.•105
Così per li gran savi si confessa
che la fenice more e poi rinasce,
quando al cinquecentesimo anno appressa;•108
erba né biado in sua vita non pasce,
ma sol d’incenso lagrime e d’amomo,
e nardo e mirra son l’ultime fasce.•111
E qual è quel che cade, e non sa como,
per forza di demon ch’a terra il tira,
o d’altra oppilazion che lega l’omo,•114
quando si leva, che ’ntorno si mira
tutto smarrito de la grande angoscia
ch’elli ha sofferta, e guardando sospira:•117
tal era ’l peccator levato poscia.
Oh potenza di Dio, quant’ è severa,
che cotai colpi per vendetta croscia!•120
Lo duca il domandò poi chi ello era ;
per ch’ei rispuose : « Io piovvi di Toscana,
poco tempo è, in questa gola fiera.•123
Vita bestial mi piacque e non umana,
sì come a mul ch’i’ fui ; son Vanni Fucci
bestia, e Pistoia mi fu degna tana».•126
E ïo al duca : « Dilli che non mucci,
e domanda che colpa qua giù ’l pinse ;
ch’io ’l vidi uomo di sangue e di crucci».•129
E ’l peccator, che ’ntese, non s’infinse,
ma drizzò verso me l’animo e ’l volto,
e di trista vergogna si dipinse;•132
poi disse : « Più mi duol che tu m’hai colto
ne la miseria dove tu mi vedi,
che quando fui de l’altra vita tolto.•135
Io non posso negar quel che tu chiedi ;
in giù son messo tanto perch’ io fui
ladro a la sagrestia d’i belli arredi,•138
e falsamente già fu apposto altrui.
Ma perché di tal vista tu non godi,
se mai sarai di fuor da’ luoghi bui,•141
apri li orecchi al mio annunzio, e odi.
Pistoia in pria d’i Neri si dimagra ;
poi Fiorenza rinova gente e modi.•144
Tragge Marte vapor di Val di Magra
ch’è di torbidi nuvoli involuto ;
e con tempesta impetüosa e agra•147
sovra Campo Picen fia combattuto ;
ond’ ei repente spezzerà la nebbia,
sì ch’ogne Bianco ne sarà feruto.
E detto l’ho perché doler ti debbia!».•151