L’Enfer – Chant XXV
Dante et Virgile dans la septième bolge de l’Enfer – Illustration de Stradanus (1587) – Domaine public.
Huitième cercle • Septième bolge • Voleurs • Blasphème et châtiment de Vanni Fucci • Le centaure Cacus • Cinq voleurs florentins • Prodigieuses métamorphoses.
Lorsqu’il eut fini de parler le voleur
leva les mains et fît la figue,
criant : « Prends, Dieu, elle est pour toi!»•3
Depuis les serpents furent mes amis,
car l’un d’eux s’enroula autour de son cou,
comme s’il disait : “Je ne veux plus que tu parles”;•6
et un autre à ses bras, et il le ligotait,
se nouant lui-même par devant de telle sorte
qu’il ne pouvait plus faire le moindre geste.•9
Ah Pistoia, Pistoia, pourquoi ne te résous-tu pas
à te réduire en cendres et ainsi disparaître,
puisqu’à malfaire tu dépasses tes fondateurs?•12
Par tous les sombres cercles de l’Enfer
je ne vis pas d’esprit si fier contre Dieu,
pas même celui qui tomba des murs de Thèbes.•15
Il s’enfuit sans dire un mot de plus ;
et je vis un Centaure plein de rage
venir criant : « Où est-il, où est-il le rebelle?»•18
Dans la Maremme je ne crois pas qu’il y ait tant :
de serpents qu’il en avait de la croupe
jusque-là où commence notre visage.•21
Sur ses épaules, derrière la nuque,
les ailes déployées reposait un dragon ;
et celui-ci embrase tout ce qu’il rencontre.•24
mon maître dit : « C’est Cacus,
qui, sous les rochers du mont Aventin,
fit souvent couler des lacs de sang.•27
Il ne va pas par le même chemin de ses frères,
pour avoir par fraude volé
le grand troupeau de son voisin;•30
voilà pourquoi ses actes infâmes s’achevèrent
sous la massue d’Hercule, qui peut-être
lui donna cent coups, et il n’en sentit pas dix.»•33
Pendant qu’il parlait, et que Caucus passait,
trois esprits vinrent en-dessous de nous,
sans que je ne m’en aperçoive ni mon guide,•36
jusqu’à ce qu’ils crient : « Qui êtes-vous ? » ;
cela arrêta notre conversation,
et aussitôt nous ne fîmes attention qu’à eux.•39
Je ne les connaissais pas ; mais il arriva,
comme il arrive par hasard,
que l’un deux ayant besoin de nommer un autre,•42
dit : « Où est resté Cianfa ? » ;
Alors, pour que le maître fût attentif,
je posais mon doigt sur ma bouche.•45
Si maintenant, lecteur, tu es lent à croire
ce que je dirai, ce ne sera pas étonnant,
car moi qui le vis, je le crois à peine.•48
Comme j’avais les yeux fixés sur eux,
un serpent à six pattes se lança
sur l’un d’eux, et tout entier s’accrocha à lui.•51
Avec ses pattes du milieu il lui ceintura le ventre
et avec celles de devant il prit ses bras ;
puis il mordit à pleines dents les deux joues;•54
il étendit ses pattes arrières sur les cuisses,
entre lesquelles il fit passer sa queue,
la redressant sur les reins.•57
Jamais lierre ne s’agrippa ainsi
à un arbre, comme l’horrible bête
entortilla ses membres autour de ceux de l’autre.•60
Puis ils se collèrent, comme s’ils étaient
de cire chaude, et leurs couleurs se mêlèrent,
ni l’une ni l’autre ne paraissant ce qu’elle avait été:•63
Comme gagne devant la flamme,
sur le papier, une couleur brune
qui n’est pas encore noire et où le blanc meurt.•66
Les deux autres le regardaient, et chacun
criait : « Hélas, Agnel, comme tu changes !
Vois déjà tu n’es ni deux ni un.»•69
Déjà les deux têtes n’en faisaient qu’une,
quand deux figures mêlées y apparurent
en un visage, où toutes deux étaient perdues.•72
Les quatre bras se firent deux lanières ;
les cuisses avec les jambes, le ventre avec le buste,
devinrent des membres comme on n’en vit jamais.•75
Tout aspect premier y avait disparu ;
l’image dénaturée semblait les deux et aucun ;
et comme telle elle s’en allait à pas lents.•78
Comme le lézard sous les coups de fouet
des jours de canicule, en changeant de haie,
traverse comme un éclair le chemin,•81
ainsi paru, venant vers le ventre
des deux autres, un serpentelet excité,
livide et noir comme un grain de poivre;•84
en cet endroit où nous prenons en premier
notre nourriture, il transperça l’un d’eux ;
puis tomba étendu devant lui.•87
Le transpercé le regarda, mais ne dit rien ;
plutôt, les pieds figés, il bâillait
comme s’il était assailli par le sommeil ou la fièvre.•90
Le serpent et lui se regardaient ;
l’un par la plaie et l’autre par la bouche
fumaient fort, et les fumées se rencontraient.•93
Que se taise désormais Lucain là où il parle
du malheureux Sabellus et de Nasidius,
et qu’il écoute à présent les paroles que je vais décocher.•96
Que se taise Ovide sur Cadmus et Aréthuse,
car si par la poésie celui-là en serpent et celle-ci
en fontaine il transforme, je ne l’envie pas;•99
car jamais deux natures l’une en l’autre
ne se métamorphosèrent comme ces formes
prêtes à échanger leur matière.•102
Les règles auxquelles elles se répondirent ensemble
firent que le serpent fendit sa queue en fourche,
et que le blessé comprima ensemble ses pieds.•105
Ses jambes et ses cuisses se fondirent
si intimement, qu’en peu de temps
aucune trace de la jointure n’était visible.•108
La queue fendue prenait la figure
qui là se perdait, et sa peau
s’amollissait, tandis que l’autre durcissait.•111
Je vis les bras entrer sous les aisselles,
et les deux pieds de la bête, qui étaient courts,
s’allonger autant que ceux-là se raccourcissaient.•114
Puis les pieds arrière, entortillés ensemble,
devinrent le membre que l’homme cache,
et le malheureux du sien eut deux pieds.•117
Tandis que la fumée voile l’un et l’autre
d’une couleur nouvelle, couvrant de poils
l’un d’eux et épilant l’autre,•120
l’un se lève, et l’autre tombe à terre,
sans détourner leurs yeux impies,
sous lesquels changeait leur museau.•123
Celui qui était debout, tira le museau
vers les tempes, et de ce trop de matière surgirent,
des joues lisses, des oreilles;•126
ce qui ne fut pas poussé derrière
et resta en superflu, fit un nez sur le visage,
et les lèvres grossirent autant qu’il convenait.•129
Celui qui gisait, chassa le museau vers l’avant,
et retira ses oreilles dans la tête,
comme font les cornes de la limace;•132
et la langue, qui avant était une et prête
à parler, se fendit, et la fourche
de celle de l’autre se referma ; et la fumée cessa.•135
L’âme devenue bête,
s’enfuit en sifflant par la vallée,
et l’autre, derrière elle, en parlant crache.•138
Puis il tourne ses épaules neuves,
et dit à l’autre : « Je veux que Buoso coure
à quatre pattes, comme je l’ai fait, par ce sentier.»•141
Ainsi je vis la lie du septième cercle
muer et transmuer ; et que la nouveauté
m’excuse si ma plume s’embrouille un peu.•144
Et bien que ma vue fut quelque peu
troublée et mon âme désorientée,
ceux-ci ne purent s’enfuir bien que dissimulés,•147
sans que je ne reconnusse Puccio Sciancato ;
et il était le seul, des trois compagnons
qui vinrent d’abord, à n’être pas transformé ;
l’autre était celui pour qui, Gaville, tu pleures.•151
Cerchio ottavo • Bolgia settima • Ladri • Bestemmia e castigo di Vanni Fucci • Il centauro Caco • Cinque ladri fiorentini • Prodigiose metamorfosi.
Al fine de le sue parole il ladro
le mani alzò con amendue le fiche,
gridando : « Togli, Dio, ch’a te le squadro!».•3
Da indi in qua mi fuor le serpi amiche,
perch’ una li s’avvolse allora al collo,
come dicesse “Non vo” che più diche’;•6
e un’altra a le braccia, e rilegollo,
ribadendo sé stessa sì dinanzi,
che non potea con esse dare un crollo.•9
Ahi Pistoia, Pistoia, ché non stanzi
d’incenerarti sì che più non duri,
poi che ’n mal fare il seme tuo avanzi?•12
Per tutt’ i cerchi de lo ’nferno scuri
non vidi spirto in Dio tanto superbo,
non quel che cadde a Tebe giù da’ muri.•15
El si fuggì che non parlò più verbo ;
e io vidi un centauro pien di rabbia
venir chiamando : « Ov’ è, ov’ è l’acerbo?».•18
Maremma non cred’ io che tante n’abbia,
quante bisce elli avea su per la groppa
infin ove comincia nostra labbia.•21
Sovra le spalle, dietro da la coppa,
con l’ali aperte li giacea un draco ;
e quello affuoca qualunque s’intoppa.•24
Lo mio maestro disse : « Questi è Caco,
che, sotto ’l sasso di monte Aventino,
di sangue fece spesse volte laco.•27
Non va co’ suoi fratei per un cammino,
per lo furto che frodolente fece
del grande armento ch’elli ebbe a vicino;•30
onde cessar le sue opere biece
sotto la mazza d’Ercule, che forse
gliene diè cento, e non sentì le diece».•33
Mentre che sì parlava, ed el trascorse,
e tre spiriti venner sotto noi,
de’ quai né io né ’l duca mio s’accorse,•36
se non quando gridar : « Chi siete voi ? » ;
per che nostra novella si ristette,
e intendemmo pur ad essi poi.•39
Io non li conoscea ; ma ei seguette,
come suol seguitar per alcun caso,
che l’un nomar un altro convenette,•42
dicendo : « Cianfa dove fia rimaso ? » ;
per ch’io, acciò che ’l duca stesse attento,
mi puosi ’l dito su dal mento al naso.•45
Se tu se’ or, lettore, a creder lento
ciò ch’io dirò, non sarà maraviglia,
ché io che ’l vidi, a pena il mi consento.•48
Com’ io tenea levate in lor le ciglia,
e un serpente con sei piè si lancia
dinanzi a l’uno, e tutto a lui s’appiglia.•51
Co’ piè di mezzo li avvinse la pancia
e con li anterïor le braccia prese ;
poi li addentò e l’una e l’altra guancia;•54
li diretani a le cosce distese,
e miseli la coda tra ’mbedue
e dietro per le ren sù la ritese.•57
Ellera abbarbicata mai non fue
ad alber sì, come l’orribil fiera
per l’altrui membra avviticchiò le sue.•60
Poi s’appiccar, come di calda cera
fossero stati, e mischiar lor colore,
né l’un né l’altro già parea quel ch’era:•63
come procede innanzi da l’ardore,
per lo papiro suso, un color bruno
che non è nero ancora e ’l bianco more.•66
Li altri due ’l riguardavano, e ciascuno
gridava : « Omè, Agnel, come ti muti !
Vedi che già non se’ né due né uno».•69
Già eran li due capi un divenuti,
quando n’apparver due figure miste
in una faccia, ov’ eran due perduti.•72
Fersi le braccia due di quattro liste ;
le cosce con le gambe e ’l ventre e ’l casso
divenner membra che non fuor mai viste.•75
Ogne primaio aspetto ivi era casso :
due e nessun l’imagine perversa
parea ; e tal sen gio con lento passo.•78
Come ’l ramarro sotto la gran fersa
dei dì canicular, cangiando sepe,
folgore par se la via attraversa,•81
sì pareva, venendo verso l’epe
de li altri due, un serpentello acceso,
livido e nero come gran di pepe;•84
e quella parte onde prima è preso
nostro alimento, a l’un di lor trafisse ;
poi cadde giuso innanzi lui disteso.•87
Lo trafitto ’l mirò, ma nulla disse ;
anzi, co’ piè fermati, sbadigliava
pur come sonno o febbre l’assalisse.•90
Elli ’l serpente e quei lui riguardava ;
l’un per la piaga e l’altro per la bocca
fummavan forte, e ’l fummo si scontrava.•93
Taccia Lucano ormai là dov’ e’ tocca
del misero Sabello e di Nasidio,
e attenda a udir quel ch’or si scocca.•96
Taccia di Cadmo e d’Aretusa Ovidio,
ché se quello in serpente e quella in fonte
converte poetando, io non lo ’nvidio;•99
ché due nature mai a fronte a fronte
non trasmutò sì ch’amendue le forme
a cambiar lor matera fosser pronte.•102
Insieme si rispuosero a tai norme,
che ’l serpente la coda in forca fesse,
e ’l feruto ristrinse insieme l’orme.•105
Le gambe con le cosce seco stesse
s’appiccar sì, che ’n poco la giuntura
non facea segno alcun che si paresse.•108
Togliea la coda fessa la figura
che si perdeva là, e la sua pelle
si facea molle, e quella di là dura.•111
Io vidi intrar le braccia per l’ascelle,
e i due piè de la fiera, ch’eran corti,
tanto allungar quanto accorciavan quelle.•114
Poscia li piè di rietro, insieme attorti,
diventaron lo membro che l’uom cela,
e ’l misero del suo n’avea due porti.•117
Mentre che ’l fummo l’uno e l’altro vela
di color novo, e genera ’l pel suso
per l’una parte e da l’altra il dipela,•120
l’un si levò e l’altro cadde giuso,
non torcendo però le lucerne empie,
sotto le quai ciascun cambiava muso.•123
Quel ch’era dritto, il trasse ver’ le tempie,
e di troppa matera ch’in là venne
uscir li orecchi de le gote scempie;•126
ciò che non corse in dietro e si ritenne
di quel soverchio, fé naso a la faccia
e le labbra ingrossò quanto convenne.•129
Quel che giacëa, il muso innanzi caccia,
e li orecchi ritira per la testa
come face le corna la lumaccia;•132
e la lingua, ch’avëa unita e presta
prima a parlar, si fende, e la forcuta
ne l’altro si richiude ; e ’l fummo resta.•135
L’anima ch’era fiera divenuta,
suffolando si fugge per la valle,
e l’altro dietro a lui parlando sputa.•138
Poscia li volse le novelle spalle,
e disse a l’altro : « I’ vo’ che Buoso corra,
com’ ho fatt’ io, carpon per questo calle».•141
Così vid’ io la settima zavorra
mutare e trasmutare ; e qui mi scusi
la novità se fior la penna abborra.•144
E avvegna che li occhi miei confusi
fossero alquanto e l’animo smagato,
non poter quei fuggirsi tanto chiusi,•147
ch’i’ non scorgessi ben Puccio Sciancato ;
ed era quel che sol, di tre compagni
che venner prima, non era mutato ;
l’altr’ era quel che tu, Gaville, piagni.•151