L’Enfer – Chant XXVI

Ulysse résistant aux chants des Sirènes. (200-280) – Dougga, Maison de Dyonisos et Ulysse – Photo: Marc Mentré – CC – BY – SA 

Huitième cercle • Huitième bolge • Conseillers perfides • Invective contre Florence • Les damnés vêtus d’une flamme • Ulysse et Diomède • Dernier voyage et mort d’Ulysse.

Réjouis-toi, Florence, puisque tu es si grande

que sur mer et sur terre battent tes ailes,

et que dans l’enfer ton nom se répand!•3

Parmi les voleurs je trouvai cinq de tes citoyens

de bonne lignée ce qui me fait honte,

et toi tu n’y gagnes pas grand honneur.•6

Mais si vers l’aube on rêve le vrai,

tu ressentiras, d’ici peu,

ce que Prato, et bien d’autres te souhaitent.•9

Et si cela était déjà, ce ne serait pas trop tôt.

Que cela soit, puisque cela doit être !

car plus je vieillirai, plus cela me pèsera.•12

Nous partîmes, et sur ces marches

faites des saillies du rocher descendues avant,

mon maître remonta m’entraînant après lui;•15

et nous poursuivîmes notre route solitaire,

à travers les rocs et les écueils de la roche,

où le pied sans la main ne pouvait se dépêtrer.•18

Alors je souffris, et maintenant je souffre de nouveau,

quand je repense à ce que je vis,

et je contiens mon esprit plus que de coutume,•21

pour qu’il ne coure pas sans que vertu le guide ;

afin que, si une bonne étoile ou la grâce divine

m’a donné un don, je ne me l’envie pas.•24

Le paysan qui se repose sur la colline,

pendant que celui qui éclaire le monde

nous cache un peu sa face,•27

lorsque la mouche cède sa place au moustique,

combien voit-il de lucioles dans la vallée,

peut-être là où il vendange et laboure:•30

d’autant de flammes resplendissait toute

la huitième bolge, comme je m’en aperçus

dès que le fond m’apparut.•33

Et comme celui que les ours vengèrent

vit le char d’Élie à son départ,

quand les chevaux se dressèrent vers le ciel,•36

si bien qu’il ne pouvait le suivre des yeux,

et ne vit qu’une flamme seule,

qui comme une petite nuée, s’élevait:•39

ainsi chacune avançait par le creux

de la fosse, sans montrer son butin,

et chaque flamme emportait un pécheur.•42

Je me tenais debout sur le pont pour voir,

et si je ne m’étais agrippé à un rocher,

je serais tombé sans être poussé.•45

Et le guide, qui me vit si attentif,

dit : « Dans ces feux sont les âmes ;

chacune est enveloppée de ce qui la brûle.»•48

« Mon maître », lui répondis-je, « à t’entendre

j’en suis plus certain ; mais déjà je m’étais aperçu

qu’il en était ainsi, et je voulais te dire:•51

qui est dans ce feu qui vient si divisé

à son sommet, qu’il semble s’élever du bûcher

où fut mis Étéocle avec son frère?»•54

Il me répondit : « Là-dedans sont martyrisés 

Ulysse et Diomède, et ensemble ils vont

au châtiment comme ils allaient à la colère;•57

et dans leur flamme ils gémissent

sur le piège du cheval qui ouvrit la porte

d’où sortit la noble semence des Romains.•60

Ils y pleurent la ruse par laquelle, morte,

Déidamie se plaint encore d’Achille,

et y portent la peine du Palladium.»•63

« S’ils peuvent au milieu de ces flammes

parler », dis-je, «  maître, je te prie

et te prie encore, que ma prière en vaille mille,•66

ne me refuse pas d’attendre ici

jusqu’à ce que la flamme fourchue vienne ;

vois de quel désir je m’incline vers elle!»•69

Et lui à moi : « Ta prière est digne

de grande louange, et pour cela je l’accepte ;

mais fais que ta langue se retienne.•72

Laisse-moi parler, j’ai compris

ce que tu veux ; ils pourraient mépriser,

car ils furent Grecs, ton discours.»•75

Puis quand la flamme fut venue là

où il sembla à mon guide que c’était le moment et le lieu,

je l’entendis parier de la sorte:•78

« Ô vous qui êtes deux dans un feu,

si j’ai mérité de vous quand je vivais,

si j’ai mérité de vous peu ou prou•81

lorsque dans le monde j’écrivis mes hauts vers,

ne vous éloignez pas ; mais que l’un de vous dise

où perdu il alla mourir.»•84

La plus haute pointe de l’antique flamme

commença à faseyer en marmonnant,

semblable à celle que tourmente le vent;•87

alors agitant sa cime ça et là,

comme langue qui parle,

elle força au dehors une voix et dit: «Quand•90

je quittai Circé, qui m’enleva

plus d’un an là près de Gaëte,

avant qu’Énée la nommât ainsi,•93

ni la douceur du fils, ni la piété

pour mon vieux père, ni le devoir d’amour

qui aurait dû rendre Pénélope heureuse,•96

ne purent vaincre en moi l’ardeur

que j’eus à devenir instruit du monde

et des vices des hommes et de leurs vertus;•99

mais je me lançais sur la haute mer ouverte

seul avec un navire et cette petite compagnie

qui jamais ne m’a abandonné.•102

Je vis une rive et l’autre jusqu’à l’Espagne,

jusqu’au Maroc, et l’île des Sardes,

et les autres que baigne cette mer tout autour.•105

Moi et mes compagnons étions vieux et lents,

quand nous arrivâmes à ce détroit étroit

où Hercule posa ses bornes,•108

afin que l’homme n’aille pas plus avant ;

à main droite je laissai Séville,

de l’autre Ceuta m’avait déjà laissé.•111

“Ô frères”, dis-je, “qui par cent mille

périls êtes parvenus jusqu’à l’Occident,

à qui si courte veillée•114

de nos sens demeure

ne refusez pas l’expérience

en suivant le soleil, du monde sans habitant.•117

Pensez à votre origine ; vous n’avez

pas été faits pour vivre comme des bêtes,

mais pour suivre la vertu et la connaissance.”•120

Je rendis mes compagnons si avides,

par ce bref discours, à poursuivre la route,

qu’à peine ensuite pouvais-je les retenir;•123

et tournant notre poupe contre le matin,

des rames nous fîmes des ailes pour ce vol fou,

gagnant toujours du côté gauche.•126

La nuit je voyais toutes les étoiles

de l’autre pôle, et le nôtre si bas,

qu’il ne dépassait plus la surface de la mer.•129

Cinq fois s’était rallumée et autant de fois éteinte

la lumière sous la lune,

depuis que nous étions entrés dans ce difficile voyage,•132

quand nous apparut une montagne, brune

par la distance, et qui me parut plus élevée

qu’aucune autre que je n’avais jamais vue.•135

Nous nous réjouîmes, mais vite ce furent des larmes,

car de la terre nouvelle naquit un tourbillon

qui frappa le navire par son avant.•138

Trois fois il le fit tournoyer avec tous les flots ;

à la quatrième il fit se dresser la poupe

et enfonça la proue, comme il plut à un autre,

jusqu’à ce que la mer se fût refermée sur nous.»•142

Cerchio ottavo • Bolgia ottava • Consiglieri fraudolenti • Sgrida contro Firenze • I dannati vestiti di fiamme • Ulisse e Diomedes • Ultimo viaggio e morte di Ulisse.

Godi, Fiorenza, poi che se’ sì grande

che per mare e per terra batti l’ali,

e per lo ’nferno tuo nome si spande!•3

Tra li ladron trovai cinque cotali

tuoi cittadini onde mi ven vergogna,

e tu in grande orranza non ne sali.•6

Ma se presso al mattin del ver si sogna,

tu sentirai, di qua da picciol tempo,

di quel che Prato, non ch’altri, t’agogna.•9

E se già fosse, non saria per tempo.

Così foss’ ei, da che pur esser dee !

ché più mi graverà, com’ più m’attempo.•12

Noi ci partimmo, e su per le scalee

che n’avea fatto iborni a scender pria,

rimontò ’l duca mio e trasse mee;•15

e proseguendo la solinga via,

tra le schegge e tra ’ rocchi de lo scoglio

lo piè sanza la man non si spedia.•18

Allor mi dolsi, e ora mi ridoglio

quando drizzo la mente a ciò ch’io vidi,

e più lo ’ngegno affreno ch’i’ non soglio,•21

perché non corra che virtù nol guidi ;

sì che, se stella bona o miglior cosa

m’ha dato ’l ben, ch’io stessi nol m’invidi.•24

Quante ’l villan ch’al poggio si riposa,

nel tempo che colui che ’l mondo schiara

la faccia sua a noi tien meno ascosa,•27

come la mosca cede a la zanzara,

vede lucciole giù per la vallea,

forse colà dov’ e’ vendemmia e ara:•30

di tante fiamme tutta risplendea

l’ottava bolgia, sì com’ io m’accorsi

tosto che fui là ’ve ’l fondo parea.•33

E qual colui che si vengiò con li orsi

vide ’l carro d’Elia al dipartire,

quando i cavalli al cielo erti levorsi,•36

che nol potea sì con li occhi seguire,

ch’el vedesse altro che la fiamma sola,

sì come nuvoletta, in sù salire:•39

tal si move ciascuna per la gola

del fosso, ché nessuna mostra ’l furto,

e ogne fiamma un peccatore invola.•42

Io stava sovra ’l ponte a veder surto,

sì che s’io non avessi un ronchion preso,

caduto sarei giù sanz’ esser urto.•45

E ’l duca che mi vide tanto atteso,

disse : « Dentro dai fuochi son li spirti ;

catun si fascia di quel ch’elli è inceso».•48

« Maestro mio », rispuos’ io, « per udirti

son io più certo ; ma già m’era avviso

che così fosse, e già voleva dirti:•51

chi è ’n quel foco che vien sì diviso

di sopra, che par surger de la pira

dov’ Eteòcle col fratel fu miso?»•54

Rispuose a me : « Là dentro si martira

Ulisse e Dïomede, e così insieme

a la vendetta vanno come a l’ira;•57

e dentro da la lor fiamma si geme

l’agguato del caval che fé la porta

onde uscì de’ Romani il gentil seme.•60

Piangevisi entro l’arte per che, morta,

Deïdamìa ancor si duol d’Achille,

e del Palladio pena vi si porta».•63

« S’ei posson dentro da quelle faville

parlar », diss’ io, « maestro, assai ten priego

e ripriego, che ’l priego vaglia mille,•66

che non mi facci de l’attender niego

fin che la fiamma cornuta qua vegna ;

vedi che del disio ver’ lei mi piego!»•69

Ed elli a me : « La tua preghiera è degna

di molta loda, e io però l’accetto ;

ma fa che la tua lingua si sostegna.•72

Lascia parlare a me, ch’i’ ho concetto

ciò che tu vuoi ; ch’ei sarebbero schivi,

perch’ e’ fuor greci, forse del tuo detto».•75

Poi che la fiamma fu venuta quivi

dove parve al mio duca tempo e loco,

in questa forma lui parlare audivi:•78

« O voi che siete due dentro ad un foco,

s’io meritai di voi mentre ch’io vissi,

s’io meritai di voi assai o poco•81

quando nel mondo li alti versi scrissi,

non vi movete ; ma l’un di voi dica

dove, per lui, perduto a morir gissi».•84

Lo maggior corno de la fiamma antica

cominciò a crollarsi mormorando,

pur come quella cui vento affatica;•87

indi la cima qua e là menando,

come fosse la lingua che parlasse,

gittò voce di fuori e disse : « Quando•90

mi diparti’ da Circe, che sottrasse

me più d’un anno là presso a Gaeta,

prima che sì Enëa la nomasse,•93

né dolcezza di figlio, né la pieta

del vecchio padre, ’l debito amore

lo qual dovea Penelopè far lieta,•96

vincer potero dentro a me l’ardore

ch’i’ ebbi a divenir del mondo esperto

e de li vizi umani e del valore;•99

ma misi me per l’alto mare aperto

sol con un legno e con quella compagna

picciola da la qual non fui diserto.•102

L’un lito e l’altro vidi infin la Spagna,

fin nel Morrocco, e l’isola d’i Sardi,

e l’altre che quel mare intorno bagna.•105

Io e ’ compagni eravam vecchi e tardi

quando venimmo a quella foce stretta

dov’ Ercule segnò li suoi riguardi•108

acciò che l’uom più oltre non si metta ;

da la man destra mi lasciai Sibilia,

da l’altra già m’avea lasciata Setta.•111

“O frati”, dissi, “che per cento milia

perigli siete giunti a l’occidente,

a questa tanto picciola vigilia•114

d’i nostri sensi ch’è del rimanente

non vogliate negar l’esperïenza,

di retro al sol, del mondo sanza gente.•117

Considerate la vostra semenza :

fatti non foste a viver come bruti,

ma per seguir virtute e canoscenza”.•120

Li miei compagni fec’ io sì aguti,

con questa orazion picciola, al cammino,

che a pena poscia li avrei ritenuti;•123

e volta nostra poppa nel mattino,

de’ remi facemmo ali al folle volo,

sempre acquistando dal lato mancino.•126

Tutte le stelle già de l’altro polo

vedea la notte, e ’l nostro tanto basso,

che non surgëa fuor del marin suolo.•129

Cinque volte racceso e tante casso

lo lume era di sotto da la luna,

poi che ’ntrati eravam ne l’alto passo,•132

quando n’apparve una montagna, bruna

per la distanza, e parvemi alta tanto

quanto veduta non avëa alcuna.•135

Noi ci allegrammo, e tosto tornò in pianto ;

ché de la nova terra un turbo nacque

e percosse del legno il primo canto.•138

Tre volte il fé girar con tutte l’acque ;

a la quarta levar la poppa in suso

e la prora ire in giù, com’ altrui piacque,

infin che ’l mar fu sovra noi richiuso».•142