Le Purgatoire – Chant XII
Lettrine, page 2, Dante, Guglielmo Rouillio, Lyon, 1551. – Photo Marc Mentré – CC-BY-SA-3.0
Première corniche • Les orgueilleux – Treize exemples d’orgueilleux figurés sur le pavement • L’ange de l’humilité • Montée à la deuxième corniche.
De pair, comme bœufs marchant sous le joug,
j’avançais avec cette âme chère,
tant que mon doux pédagogue le toléra.•3
Mais quand il dit : « Laisse-le et avance ;
car ici il est bon qu’avec les voiles et les rames,
autant qu’il le peut, chacun pousse sa barque»;•6
je me redressai comme fait une personne
qui veut marcher, mais mes pensées
demeuraient courbées et humiliées.•9
Je m’étais mis en route, et suivais volontiers
les pas de mon maître, et tous deux
faisions voir déjà comme nous étions légers;•12
et il me dit : « Regarde à terre :
cela te sera utile, et rendra ta route plus paisible,
de voir le lit que tu foules de tes pieds.»•15
Comme les pierres tombales des sépultures
portent la gravure de ceux qui vivaient avant,
et sont leur mémoire,•18
sur lesquelles viennent souvent pleurer
les âmes pieuses que seules talonne
l’aiguillon du souvenir;•21
ainsi je vis, mais d’une plus belle facture
artistique, tout l’espace qui s’étendait
et formait une route au bord du mont.•24
Je vis d’un côté celui qui fut créé
plus noble qu’aucune autre créature,
descendre du ciel comme la foudre.•27
Je vis Briarée transpercé par la foudre
couché, de l’autre côté,
pétrifié à terre par le gel mortel.•30
Je vis Thymbrée, je vis Pallas et Mars,
encore armés, autour de leur père,
regardant les membres dispersés des Géants.•33
Je vis Nemrod au pied du grand ouvrage,
quasi égaré, et regardant les hommes
qui à Sennar furent avec lui si orgueilleux.•36
Oh Niobé, avec quels yeux douloureux
je te vis représentée sur la route,
entre tes sept et sept enfants tués!•39
Oh Saül, tu m’apparus là mort
sur ta propre épée à Gelboé,
qui depuis n’a connu ni pluie ni rosée!•42
Oh folle Arachné, je te vis
déjà à moitié araignée, triste sur les lambeaux
de l’ouvrage qui fit ton malheur.•45
Oh Roboam, dont l’image ici ne menace
personne ; mais qu’un char emporte
rempli d’épouvante, sans personne à sa poursuite.•48
Il montrait encore le dur sol
comment Alcméon fit payer
cher à sa mère le collier fatal.1•51
Il montrait comment ses fils se jetèrent
sur Sennacherib dans le temple,
et comment, lui mort, ceux-ci le laissèrent.•54
Il montrait la ruine et le cruel massacre
que fit Thamyris, quand elle dit à Cyrus :
« De sang tu étais assoiffé, et moi de sang je te gorge».•57
Il montrait comment en déroute s’enfuyaient
les Assyriens, après que fut tué Holopherne,
et aussi les restes de son meurtre.•60
Je vis Troie en cendres et en ruines ;
oh Ilion, l’image qui s’y découvrait
montrait comme tu étais déchue et méprisable!•63
Quel maître du pinceau ou du crayon
aurait pu représenter ces figures et ces ombres
que pourrait admirer un esprit subtil?•66
Morts semblaient les morts et les vivants paraissaient vivants :
nul ne vit mieux que moi qui voit le vrai,
tout ce que je foulais, en allant courbé.•69
Orgueilleux, allez le regard altier,
fils d’Ève, et n’inclinez pas le visage
ainsi vous ne verrez pas votre mauvais chemin!•72
Nous avions tourné autour du mont
et le soleil accompli une grande partie de son chemin,
plus que mon esprit occupé ne se l’était imaginé,•75
quand celui qui toujours allait devant moi
attentif, commença : « Redresse la tête ;
il n’est plus temps de marcher si préoccupé.•78
Vois là-bas un ange qui s’apprête
à venir vers nous ; vois que revient
au service du jour la sixième servante.•81
Que ton visage et tes gestes soient respectueux,
afin qu’ils lui plaisent et qu’il nous permette de monter ;
pense que ce jour ne reviendra jamais!».•84
J’avais tant l’habitude qu’il m’avertisse
de ne pas perdre de temps, que sur cette
question il ne pouvait pas me parler obscurément.•87
Vers nous venait la belle créature
vêtue de blanc et au visage semblable
à la tremblante étoile du matin.•90
Elle ouvrit les bras, et puis ouvrit les ailes ;
elle dit : « Venez : ici les marches sont proches,
et désormais se montent facilement.•93
Très rares sont ceux qui se rendent à cette invitation :
oh humains, nés pour voler,
pourquoi tombez-vous ainsi au moindre vent?».•96
Il nous mena où la roche est taillée ;
là il battit ses ailes sur mon front ;
puis il me promit que le chemin était sûr.•99
Comme à droite, pour gravir le mont
où se trouve l’église qui au-dessus de Rubaconte
surplombe la bien gouvernée,•102
la raideur de la montée est rompue
par les marches construites à une époque
où les registres et les mesures étaient sûrs;•105
ainsi s’adoucit la rive qui dégringole
très raide de l’autre corniche ;
mais d’un côté et de l’autre elle touche la haute roche.•108
Pendant que nous nous en approchions,
“Beati pauperes spiritu !” chantaient des voix
d’une façon que nulle parole ne pourrait dire.•111
Ah comme sont différentes ces portes
de celles de l’enfer ! car ici on entre avec des chants
et là-bas avec les lamentations farouches.•114
Déjà nous montions par les escaliers saints,
et il me semblait être beaucoup plus léger
qu’auparavant sur le plat.•117
Aussi : « Maître, dis-je, quel poids
m’a été enlevé, que je ne ressens quasiment
plus de fatigue, en marchant?».•120
Il répondit : « Quand les P qui demeurent
encore sur ton visage presque effacés,
seront, comme l’est le premier, entièrement rasés,•123
tes pieds seront si soumis au bon vouloir
qu’ils ne sentiront plus de fatigue,
mais monter pour eux sera un plaisir.»•126
Alors je fis comme ceux qui portent
quelque chose sur la tête sans le savoir,
à moins qu’un signe d’un autre ne leur fasse suspecter;•129
pour cela il s’aide de la main pour s’en assurer,
et cherche et trouve et elle remplit cet office
que la vue ne peut procurer;•132
et avec les doigts écartés de la main droite
je ne trouvai plus que six des lettres
incisées sur mes tempes par l’ange aux clés;
observant cela, mon guide sourit.•136
Girone primo • I superbi • Molti esempi di superbia punita figurati sul pavimento • L’angelo dell’Umilità • Salita al secondo girone.
Di pari, come buoi che vanno a giogo,
m’andava io con quell’ anima carca,
fin che ’l sofferse il dolce pedagogo.•3
Ma quando disse : « Lascia lui e varca ;
ché qui è buono con l’ali e coi remi,
quantunque può, ciascun pinger sua barca»;•6
dritto sì come andar vuolsi rife’mi
con la persona, avvegna che i pensieri
mi rimanessero e chinati e scemi.•9
Io m’era mosso, e seguia volontieri
del mio maestro i passi, e amendue
già mostravam com’ eravam leggeri;•12
ed el mi disse : « Volgi li occhi in giùe :
buon ti sarà, per tranquillar la via,
veder lo letto de le piante tue».•15
Come, perché di lor memoria sia,
sovra i sepolti le tombe terragne
portan segnato quel ch’elli eran pria,•18
onde lì molte volte si ripiagne
per la puntura de la rimembranza,
che solo a’ pïi dà de le calcagne;•21
sì vid’ io lì, ma di miglior sembianza
secondo l’artificio, figurato
quanto per via di fuor del monte avanza.•24
Vedea colui che fu nobil creato
più ch’altra creatura, giù dal cielo
folgoreggiando scender, da l’un lato.•27
Vedëa Brïareo fitto dal telo
celestïal giacer, da l’altra parte,
grave a la terra per lo mortal gelo.•30
Vedea Timbreo, vedea Pallade e Marte,
armati ancora, intorno al padre loro,
mirar le membra d’i Giganti sparte.•33
Vedea Nembròt a piè del gran lavoro
quasi smarrito, e riguardar le genti
che ’n Sennaàr con lui superbi fuoro.•36
O Nïobè, con che occhi dolenti
vedea io te segnata in su la strada,
tra sette e sette tuoi figliuoli spenti!•39
O Saùl, come in su la propria spada
quivi parevi morto in Gelboè,
che poi non sentì pioggia né rugiada!•42
O folle Aragne, sì vedea io te
già mezza ragna, trista in su li stracci
de l’opera che mal per te si fé.•45
O Roboàm, già non par che minacci
quivi ’l tuo segno ; ma pien di spavento
nel porta un carro, sanza ch’altri il cacci.•48
Mostrava ancor lo duro pavimento
come Almeon a sua madre fé caro
parer lo sventurato addornamento.•51
Mostrava come i figli si gittaro
sovra Sennacherìb dentro dal tempio,
e come, morto lui, quivi il lasciaro.•54
Mostrava la ruina e ’l crudo scempio
che fé Tamiri, quando disse a Ciro :
« Sangue sitisti, e io di sangue t’empio».•57
Mostrava come in rotta si fuggiro
li Assiri, poi che fu morto Oloferne,
e anche le reliquie del martiro.•60
Vedeva Troia in cenere e in caverne ;
o Ilïón, come te basso e vile
mostrava il segno che lì si discerne!•63
Qual di pennel fu maestro o di stile
che ritraesse l’ombre e ’ tratti ch’ivi
mirar farieno uno ingegno sottile?•66
Morti li morti e i vivi parean vivi :
non vide mei di me chi vide il vero,
quant’ io calcai, fin che chinato givi.•69
Or superbite, e via col viso altero,
figliuoli d’Eva, e non chinate il volto
sì che veggiate il vostro mal sentero!•72
Più era già per noi del monte vòlto
e del cammin del sole assai più speso
che non stimava l’animo non sciolto,•75
quando colui che sempre innanzi atteso
andava, cominciò : « Drizza la testa ;
non è più tempo di gir sì sospeso.•78
Vedi colà un angel che s’appresta
per venir verso noi ; vedi che torna
dal servigio del dì l’ancella sesta.•81
Di reverenza il viso e li atti addorna,
sì che i diletti lo ’nvïarci in suso ;
pensa che questo dì mai non raggiorna!»•84
Io era ben del suo ammonir uso
pur di non perder tempo, sì che ’n quella
materia non potea parlarmi chiuso.•87
A noi venìa la creatura bella,
biancovestito e ne la faccia quale
par tremolando mattutina stella.•90
Le braccia aperse, e indi aperse l’ale ;
disse : « Venite : qui son presso i gradi,
e agevolemente omai si sale.•93
A questo invito vegnon molto radi :
o gente umana, per volar sù nata,
perché a poco vento così cadi?».•96
Menocci ove la roccia era tagliata ;
quivi mi batté l’ali per la fronte ;
poi mi promise sicura l’andata.•99
Come a man destra, per salire al monte
dove siede la chiesa che soggioga
la ben guidata sopra Rubaconte,•102
si rompe del montar l’ardita foga
per le scalee che si fero ad etade
ch’era sicuro il quaderno e la doga;•105
così s’allenta la ripa che cade
quivi ben ratta da l’altro girone ;
ma quinci e quindi l’alta pietra rade.•108
Noi volgendo ivi le nostre persone,
“Beati pauperes spiritu !” voci
cantaron sì, che nol diria sermone.•111
Ahi quanto son diverse quelle foci
da l’infernali! ché quivi per canti
s’entra, e là giù per lamenti feroci.•114
Già montavam su per li scaglion santi,
ed esser mi parea troppo più lieve
che per lo pian non mi parea davanti.•117
Ond’ io : « Maestro, dì, qual cosa greve
levata s’è da me, che nulla quasi
per me fatica, andando, si riceve?».•120
Rispuose : « Quando i P che son rimasi
ancor nel volto tuo presso che stinti,
saranno, com’ è l’un, del tutto rasi,•123
fier li tuoi piè dal buon voler sì vinti,
che non pur non fatica sentiranno,
ma fia diletto loro esser sù pinti».•126
Allor fec’ io come color che vanno
con cosa in capo non da lor saputa,
se non che ’ cenni altrui sospecciar fanno;•129
per che la mano ad accertar s’aiuta,
e cerca e truova e quello officio adempie
che non si può fornir per la veduta;•132
e con le dita de la destra scempie
trovai pur sei le lettere che ’ncise
quel da le chiavi a me sovra le tempie:
a che guardando, il mio duca sorrise.•136