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- L’Enfer, Chant IX, v. 36-51
- Illustration : Oreste poursuivit par les Furies, par Adolphe Bouguereau (1862)
Les trois Furies ou en grec Erinyes –Ἐρινύες– sont Mégère (la Haine), Tisiphone (la Vengeance) et Alecto (l’Implacable). Ces trois sœurs sont les filles de deux divinités primordiales: Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre).
Elles habitaient dans les profondeurs de l’enfer. Elles étaient chez les Grecs les gardiennes de l’ordre établi et poursuivaient impitoyablement tous ceux qui l’avaient transgressé que ce soit dans le monde des vivants comme dans celui des morts. Ovide les appelle «les Sœurs nées de la nuit, divinités terribles et sans pardon».1
Leur apparence est terrifiante. Stace décrit ainsi Tisiphone:
Cent cérastes, la crête dressée, ombragent son front, et c’est la moindre portion de sa chevelure; ses yeux enfoncés ont l’éclat d’un fer rouge, et ressemblent à la lune, lorsque, dans les enchantements de la Thessalie, elle se montre sanglante à travers les nues; sa peau est tendue de poison et gonflée d’un sang noir; de sa bouche hideuse s’exhale une vapeur de feu qui porte aux peuples la fièvre, les maladies, la famine, et toujours la mort. Un manteau velu se hérisse sur son dos, et des noeuds de serpents le rattachent sur la poitrine. Atropos et Proserpine elle-même renouvellent cette parure. Alors elle secoue ses deux mains; dans l’une brille la torche des bûchers, dans l’autre elle tient une hydre vivante, dont elle fouette les airs.2
Pour quelles raisons, les trois Furies apparaissent-elles dans le Chant IX de l’Enfer, paraissant garder l’enceinte de la cité de Dis et menaçant Dante de le transformer en pierre avec l’aide de Méduse?
Les trois Furies symbolisent les trois formes que le mal prend chez l’homme
Au XIXe siècle des commentateurs comme le britannique Arthur John Butler avançaient l’idée que les trois Furies représentaient le remord et la rencontre avec ces trois personnages était un point critique du voyage:
pour la première fois, nous sommes mis en contact avec des êtres sur lesquels le simple récit du commandement de Dieu n’a aucun pouvoir. Elles sont résolues à utiliser tous les moyens pour entraver la progression de Dante c’est-à-dire l’avancée de l’âme vers la vraie pénitence. Un des moyens les plus efficaces est de rappeler le souvenir des péchés passés (c’est le rôle des Furies) et de faire persister l’âme dans le péché, en poussant à désespérer de la mémoire de Dieu, indiquée ici par la Gorgone, qui transforme les hommes en pierre.» (Cité dans Dante Dictionnary de Paget Toynbee, Oxford, 1989, p. 218).
Mais si tel était le cas, il faudrait admettre que Dante ait eu une bonne connaissance de la mythologie grecque, ce dont il est permis de douter, puisque rappelons-le, il ne maîtrisait pas la langue grecque.
Il faut donc suivre une autre explication et se tourner vers les tous premiers commentateurs de la Comédie, par exemple son fils Pietro. Pour lui, les trois Furies sont «les trois formes que le mal prend chez l’homme». La première Alecto ne pouvant pas se reposer après une mauvaise pensée («nam prava cogitatio non sinit hominem pausare»), la deuxième Tisiphone après une “mauvaise parole” («prava elocutio») et la troisième Mégère après “un comportement vicieux” («prava operatio»).
Dernière interprétation possible, celle que signale Saverio Bellomo. Le voyage dantesque, rappelle-t-il peut être assimilé à celui d’Hercules Thésée ou de Piritoos, dans le fait que le vrai poète est caractérisé par un trinôme: vertu, sagesse et éloquence. L’opposition des Furies et de Méduse pourrait donc être assimilée à autant d’obstacles à ce voyage, car elle s’opposerait à chaque élément du trinôme.
Mais Saverio Bellomo ne s’étend guère sur cette explication et préfère lui aussi celle proposée par Pietro Alighieri.3