Soupes, souppes, suppe

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Au vers 36 du Chant XXXIII du Purgatoire, Dante écrit : «creda / che vendetta di dio non teme suppe» Le terme suppe et ce qu’il recouvre est l’objet de débats infinis.

L’interprétation la plus courante, liée au fait que Dante parle de la vendetta di Dio, tiendrait, comme l’explique dans son Vocabulario Dantesco Ludwig Gottfried Blanc:

à une superstition populaire de ces temps portant que si l’assassin parvenait à manger dans les neufs premiers jours après la mort de sa victime sur son tombeau, la vengeance ne pouvait l’atteindre.

Cette interprétation est confortée par Giuseppe Vandelli, qui fait remonter cette coutume à la Grèce antique, et explique qu’une pratique similaire était d’usage à Florence.1

L‘encyclopédie en ligne Treccani cite l’explication —un peu tirée par les cheveux—  avancée par Guido Mazzoni. Il voit un lien possible entre la phrase et la polémique anti-française chère à Dante. G. Mazzoni fait remarquer que « soupe », en français, désigne un morceau de pain coupé pour être ensuite immergé dans un liquide. Après avoir rappelé l’habitude blasphématoire du roi Philippe Auguste qui affichait une caricature du dernier souper du Christ chaque fois qu’il partait se battre, il explique:

Quiconque est responsable de l’abjection actuelle de l’Église sait que les faux serments n’arrêtent jamais la vengeance de Dieu; même si ces serments sont un simulacre de la Sainte Cène».2

André Pézard dans son commentaire sur La Comédie3 balaie toutes ces explications:

La superstition « grecque” des soupes mangées sur une tombe (…) est due à la lecture absurde d’une note de saint Jérôme.

Il préfère partir du Livre de Daniel (14, 31 et suivants). Le prophète fut jeté dans la fosse aux lions par ses ennemis. Il y resta dix jours et ne fut pas dévoré par eux. Il ne mourut pas de faim non plus car Habaquq —porté par un ange— lui donna le repas qu’il venait de faire pour ses moissonneurs: «une bouillie et du pain en petits morceaux dans une corbeille». Cette « souppe » sauva donc de la faim Daniel. Il sera sorti ensuite de la fosse par le Roi, frappé par ce miracle, qui y fit jeter les adversaires du prophète et nous dit le Livre «ils furent aussitôt dévorés». 

André Pézard traduit ce passage par «sachent les coupables / que Dieu se venge et de souppes n’a crainte», et il explique: «Dieu ne craint pas de patienter ni perdre ses serviteurs, car il ne manque pas de moyens pour les défendre et assurer sa vengeance.»