L’Enfer – Chant VIII

Mud pot dans le parc de Yellowstone – Photo: David Monniaux – CC BY-SA 3.0

Cinquième cercle • Coléreux et Indolents • Phlégyas • La traversée du Styx • Filippo Argenti • Les murs de Dité • Opposition des diables.

Je dis, continuant, que bien avant1 

d’être au pied de la haute tour,2 

nos regards se tournèrent vers son sommet•3 

car nous vîmes deux courtes flammes s’y poser, 

et une autre au loin leur répondre, 

si éloignée que l’œil pouvait à peine la discerner.3•6 

Et je me tournai vers la mer de toute sagesse, 

et demandai: « Que signifie ceci ? Et que répond 

cet autre feu ? Et qui les a faits?».•9 

Et lui à moi: « Sur les eaux bourbeuses, 

tu peux déjà découvrir ce qui nous attend, 

si la brume du marais ne te le masque pas.»4•12 

Jamais corde ne décocha de flèche 

qui, à travers les airs, vola aussi vite5 

qu’une toute petite barque que je vis•15 

venir vers nous sur cette eau à cet instant, 

gouvernée par un seul marin,6 

qui criait: « Te voilà donc prise, âme impie!».7•18 

« Phlégyas, Phlégyas, tu cries en vain »,8 

dit mon seigneur, « cette fois: 

tu ne nous tiendras que pour passer le marais.»9•21 

Comme celui qui écoute une duperie 

qui lui est faite, et en est amer, 

Phlégyas contint sa colère.10•24 

Mon guide descendit dans la barque, 

et puis m’y fit entrer après lui; 

et seulement quand je fus dedans, elle parut chargée.11•27 

Dès que le guide et moi fûmes dans la barque, 

l’antique proue va fendant l’eau 

plus profondément qu’avec d’autres.12•30 

Tandis que nous courions l’eau morte, 

devant moi se leva un damné couvert de fange, 

et il dit: « Qui es-tu, toi qui vient avant l’heure?».13•33 

Et moi à lui: « Si je viens, je ne reste pas; 

mais toi qui es-tu, qui t’es fait si répugnant ?»14 

Il répliqua: « Tu vois que je suis un qui pleure».•36 

Et moi à lui: « Avec ta peine et avec tes plaintes, 

esprit maudit, reste ici; je te reconnais, 

bien que tu sois souillé de la tête aux pieds».15•39 

Alors il tendit vers la barque ses deux mains; 

sur ses gardes le maître le repoussa, 

disant: « Va-t-en avec les autres chiens!».16•42 

Puis il entoura mon cou de ses bras; 

il me baisa le visage et dit: « Âme indignée, 

bénie soit celle qui te porta!17•45 

Celui-ci fut personne orgueilleuse dans le monde; 

aucune bonté n’orne son souvenir: 

aussi son ombre est ici furieuse.18•48 

Combien là-haut s’estiment de grands rois, 

et seront ici comme des porcs dans la fange, 

ne laissant d’eux qu’horrible mépris!».19•51 

Et moi: « Maître, je serais très désireux 

de le voir s’enfoncer dans cette bourbe, 

avant que nous ne sortions du lac.»20•54 

Et lui à moi: « Avant que le rivage 

ne se laisse voir, tu seras contenté; 

d’un tel désir il faut que tu jouisses».•57 

Peu après je vis une tel traitement 

lui être infligé par la fangeuse foule, 

qu’encore j’en loue Dieu et l’en remercie.•60 

Tous criaient: « Sus à Filippo Argenti !»; 

et cet esprit florentin irascible21 

se déchirait lui-même de ses dents.•63 

Nous le laissâmes là, et plus n’en parlerai; 

mais un cri de douleur frappa mon oreille, 

et je portai vers l’avant un regard attentif.22•66 

Le bon maître dit: « Maintenant, mon fils, 

s’approche la cité qui a pour nom Dis,23 

avec ses citoyens lourds de péchés, avec sa grande armée».24•69 

Et moi: « Maître, déjà je discerne très clairement 

dans la vallée ses mosquées, 

vermeilles comme au sortir du feu.25•72 

Et il me dit: « Le feu éternel 

qu’y en embrase l’intérieur la fait paraître rouge, 

comme tu le vois dans ce bas enfer».•75 

Nous arrivâmes alors dans les profonds fossés 

qui défendent cette terre désolée: 

les murs me semblaient de fer.26•78 

Non sans faire d’abord de grands détours, 

nous vînmes en un endroit où le nocher 

cria avec force: « Sortez, ici est l’entrée.»27•81 

Je vis au-dessus des portes plus de mille 

de ceux qui tombèrent du ciel en pluie, et rageusement28

disaient: « Qui est celui-ci qui sans être mort,•84 

va par le royaume des morts?»  

Et mon sage maître fit signe 

de vouloir leur parler en secret.•87 

Alors un peu se calma leur grande fureur, 

et ils dirent: « Viens toi seul, et qu’il s’en aille 

celui qui fut si hardi d’entrer dans ce règne.•90 

Seul qu’il s’en retourne par la route des insensés:29 

qu’il essaie, s’il sait; car tu resteras ici, 

toi qui l’a guidé par cette contrée obscure».30•93 

Pense, lecteur, comme je fus atterré31 

en entendant ces paroles maudites, 

car je crus ne jamais m’en retourner.•96 

« Ô mon cher guide, qui plus de sept 

fois m’a rendu confiance et libéré32 

du terrible péril qui se dressa devant moi,•99 

ne me laisse pas », dis-je, « ainsi défait; 

et s’il nous est interdit d’aller plus avant, 

vite, retournons ensemble sur nos pas».•102 

Et ce seigneur qui m’avait conduit ici, 

me dit: « N’aie crainte; car notre passage 

nul ne peut l’interdire: celui-ci nous l’accorde.33•105 

Mais attends-moi ici, réconforte 

ton esprit las et nourris-le de bonne espérance, 

je ne te laisserai pas dans le monde d’en bas».•108 

Ainsi s’en va, et m’abandonne 

le doux père, et je demeure dans le doute, 

car les oui et les non s’affrontent dans ma tête.•111 

Je ne pus entendre ce qu’il leur dit; 

mais il resta peu de temps avec eux, 

car tous rivalisant à l’envi rentrèrent.•114 

Nos ennemis fermèrent les portes 

au nez de mon seigneur, qui resta dehors34 

et il revint vers moi à pas lents.•117 

Les yeux à terre et le sourcil privé35 

de toute hardiesse, il disait en soupirant: 

« Qui m’a refusé les demeures douloureuses!»36•120 

Et il me dit: « Toi, de ma colère

ne t’effraie pas, car je vaincrai l’épreuve, 

quelque soit la défense mise en place à l’intérieur.•123 

Cette arrogance ne leur est pas nouvelle; 

ils en usèrent jadis à une porte moins secrète, 

qui se trouve encore aujourd’hui sans serrure.37•126 

Sur elle, tu as vu l’inscription de mort:38  

déjà l’ayant franchie il descend la pente, 

passant les cercles sans escorte, 

celui par qui la ville sera ouverte».•130

 

 

Cerchio quinto • Iracondi et Accidiosi • Flegias • L’attraversamento dello Stige • Filippo Argenti • Le mura di Dite • Opposizione dei Diavoli. 

Io dico, seguitando, ch’assai prima

che noi fossimo al piè de l’alta torre,

li occhi nostri n’andar suso a la cima•3 

per due fiammette che i vedemmo porre, 

e un’altra da lungi render cenno, 

tanto ch’a pena il potea l’occhio tòrre.•6

E io mi volsi al mar di tutto ’l senno ; 

dissi : « Questo che dice ? e che risponde 

quell’ altro foco ? e chi son quei che ’l fenno?».•9 

Ed elli a me : « Su per le sucide onde 

già scorgere puoi quello che s’aspetta, 

se ’l fummo del pantan nol ti nasconde».•12 

Corda non pinse mai da sé saetta 

che sì corresse via per l’aere snella, 

com’ io vidi una nave piccioletta•15 

venir per l’acqua verso noi in quella, 

sotto ’l governo d’un sol galeoto, 

che gridava: «Or se’ giunta, anima fella!».•18 

« Flegïàs, Flegïàs, tu gridi a vòto », 

disse lo mio segnore, « a questa volta : 

più non ci avrai che sol passando il loto».•21 

Qual è colui che grande inganno ascolta 

che li sia fatto, e poi se ne rammarca, 

fecesi Flegïàs ne l’ira accolta.•24 

Lo duca mio discese ne la barca, 

e poi mi fece intrare appresso lui ; 

e sol quand’ io fui dentro parve carca.•27 

Tosto che ’l duca e io nel legno fui, 

segando se ne va l’antica prora 

de l’acqua più che non suol con altrui.•30 

Mentre noi corravam la morta gora, 

dinanzi mi si fece un pien di fango, 

e disse : « Chi se’ tu che vieni anzi ora?».•33 

E io a lui : « S’i’ vegno, non rimango ; 

ma tu chi se’, che sì se’ fatto brutto ? » 

Rispuose : « Vedi che son un che piango ».•36 

E io a lui : « Con piangere e con lutto, 

spirito maladetto, ti rimani ; 

ch’i’ ti conosco, ancor sie lordo tutto».•39 

Allor distese al legno ambo le mani ; 

per che ’l maestro accorto lo sospinse, 

dicendo : « Via costà con li altri cani!».•42 

Lo collo poi con le braccia mi cinse ; 

basciommi ’l volto e disse : « Alma sdegnosa, 

benedetta colei che ’n te s’incinse!•45 

Quei fu al mondo persona orgogliosa ; 

bontà non è che sua memoria fregi : 

così s’è l’ombra sua qui furïosa.•48 

Quanti si tegnon or là sù gran regi 

che qui staranno come porci in brago, 

di sé lasciando orribili dispregi!».•51 

E io : « Maestro, molto sarei vago 

di vederlo attuffare in questa broda 

prima che noi uscissimo del lago».•54 

Ed elli a me : « Avante che la proda 

ti si lasci veder, tu sarai sazio : 

di tal disïo convien che tu goda».•57 

Dopo ciò poco vid’ io quello strazio 

far di costui a le fangose genti, 

che Dio ancor ne lodo e ne ringrazio.•60 

Tutti gridavano : « A Filippo Argenti ! » ; 

e ’l fiorentino spirito bizzarro 

in sé medesmo si volvea co’ denti.•63 

Quivi il lasciammo, che più non ne narro ; 

ma ne l’orecchie mi percosse un duolo, 

per ch’io avante l’occhio intento sbarro.•66 

Lo buon maestro disse : « Omai, figliuolo, 

s’appressa la città c’ha nome Dite, 

coi gravi cittadin, col grande stuolo».•69 

E io : « Maestro, già le sue meschite 

là entro certe ne la valle cerno, 

vermiglie come se di foco uscite•72 

fossero ». Ed ei mi disse : « Il foco etterno 

ch’entro l’affoca le dimostra rosse, 

come tu vedi in questo basso inferno».•75 

Noi pur giugnemmo dentro a l’alte fosse 

che vallan quella terra sconsolata : 

le mura mi parean che ferro fosse.•78 

Non sanza prima far grande aggirata, 

venimmo in parte dove il nocchier forte 

« Usciteci », gridò : « qui è l’intrata».•81 

Io vidi più di mille in su le porte 

da ciel piovuti, che stizzosamente 

dicean : « Chi è costui che sanza morte•84 

va per lo regno de la morta gente ? » 

E ’l savio mio maestro fece segno 

di voler lor parlar segretamente.•87 

Allor chiusero un poco il gran disdegno 

e disser : « Vien tu solo, e quei sen vada 

che sì ardito intrò per questo regno.•90 

Sol si ritorni per la folle strada : 

pruovi, se sa ; ché tu qui rimarrai, 

che li ha’ iscorta sì buia contrada».•93 

Pensa, lettor, se io mi sconfortai 

nel suon de le parole maladette, 

ché non credetti ritornarci mai.•96 

« O caro duca mio, che più di sette 

volte m’hai sicurtà renduta e tratto 

d’alto periglio che ’ncontra mi stette,•99 

non mi lasciar », diss’ io, « così disfatto ; 

e se ’l passar più oltre ci è negato,

ritroviam l’orme nostre insieme ratto».•102 

E quel segnor che lì m’avea menato, 

mi disse : « Non temer ; ché ’l nostro passo 

non ci può tòrre alcun : da tal n’è dato.•105 

Ma qui m’attendi, e lo spirito lasso 

conforta e ciba di speranza buona, 

ch’i’ non ti lascerò nel mondo basso».•108 

Così sen va, e quivi m’abbandona 

lo dolce padre, e io rimagno in forse, 

che sì e no nel capo mi tenciona.•111 

Udir non potti quello ch’a lor porse ; 

ma ei non stette là con essi guari, 

che ciascun dentro a pruova si ricorse.•114 

Chiuser le porte que’ nostri avversari 

nel petto al mio segnor, che fuor rimase 

e rivolsesi a me con passi rari.•117 

Li occhi a la terra e le ciglia avea rase 

d’ogne baldanza, e dicea ne’ sospiri : 

« Chi m’ha negate le dolenti case!».•120 

E a me disse : « Tu, perch’ io m’adiri, 

non sbigottir, ch’io vincerò la prova, 

qual ch’a la difension dentro s’aggiri.•123 

Questa lor tracotanza non è nova ; 

ché già l’usaro a men segreta porta,

la qual sanza serrame ancor si trova.•126 

Sovr’ essa vedestù la scritta morta : 

e già di qua da lei discende l’erta, 

passando per li cerchi sanza scorta, 

tal che per lui ne fia la terra aperta».•130