Le Paradis – Chant XIX

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L’aigle du Chant XIX du Paradis, par Gustave Doré (1861)
Sixième ciel • Ciel de Jupiter • Doute de Dante • L’aigle parle d’une seule voix • La justice divine est insondable • La doctrine du salut • Indignité des souverains chrétiens.

Les ailes ouvertes paraissait devant moi 

la belle figure que dans leur douce jouissance1

formaient, joyeuses, les âmes enchâssées;•3 

chacune paraissait un fin rubis où 

s’enflammait un rayon du soleil si ardent, 

qu’il se réfléchissait dans mes yeux.2 •6 

Et ce qu’il me faut retracer maintenant, 

aucune voix ne l’a porté, ni aucune encre écrite, 

ni par aucune imagination ne fut jamais conçu;•9 

car je vis et j’entendis parler le bec, 

et dans la voix sonner «je» et «mien», 

alors que dans mon esprit c’était “nous” et “nôtre”.3•12 

Et il commença : « Pour avoir été juste et pieux 

je suis ici élevé à cette gloire 

que ne peut surpasser aucun désir humain;4•15

et sur terre j’ai laissé mémoire 

si grande, que les gens mauvais 

la loue, mais n’en suive pas l’exemple».•18 

Comme de maintes braises une seule chaleur 

se fait sentir, des nombreux amours 

de cette figure un seul son sortait.•21 

Alors je repris : « Ô fleurs perpétuelles 

de l’éternelle félicité, qui me font paraître 

comme un seul tous vos parfums,•24 

déliez moi, de votre souffle, du grand jeûne 

qui longtemps m’a tenu affamé, 

ne trouvant sur terre aucune nourriture.•27 

Je sais que, si au ciel la justice divine 

se reflète dans un autre royaume, 

le vôtre l’apprend sans voile.5•30 

Vous savez avec quel soin je m’apprête 

à écouter ; vous savez quel est 

ce doute qui m’est une faim si ancienne».•33 

Comme un faucon que l’on déchaperonne,6

secoue la tête et bat des ailes, 

montrant son envie et se faisant beau,•36 

je vis faire ce signe,7 qui des louanges 

de la grâce divine était tissé, avec des chants 

que savent ceux qui se réjouissent là-haut.8•39 

Puis, il commença : « Celui qui tourna le compas9 

pour marquer les limites du monde, et à l’intérieur 

distingua l’occulte et le manifeste,10•42 

ne put imprimer sa valeur 

dans l’univers tout entier, de sorte que 

son verbe resta infiniment en excès.11•45 

Et preuve en est que le premier des orgueilleux, 

qui fut au sommet de toutes les créatures, 

pour ne pas avoir attendu la lumière, tomba immature;12•48 

de là il apparaît que toutes les natures inférieures 

sont réceptacles trop petits pour ce bien 

qui est infini et ne se mesure qu’à lui seul.13•51 

Donc votre vue, qui ne saurait14 

être que quelques rais de l’esprit 

dont toutes choses sont emplies,•54 

ne peut de par sa nature être assez puissante, 

pour discerner de Dieu, 

au delà de ce qu’elle en perçoit.•57 

Donc, dans la justice éternelle 

la vue que reçoit votre monde, 

comme l’œil dans la mer, pénètre;•60 

mais, si du rivage il voit le fond, 

en haute mer il ne le voit pas ; toutefois, 

celui-ci est là, mais la profondeur lui cache.15•63 

Il n’est de lumière, si elle ne vient du ciel serein, 

qui ne se trouble jamais ; hors cela est ténèbres, 

ou ombre de la chair ou son poison.16•66 

Maintenant t’est ouverte la cache profonde 

qui te cachait la justice vivante, sur laquelle 

tu posais des questions si fréquentes;•69 

car tu disais : “Un homme naît sur la rive 

de l’Indus, et là il n’est personne qui parle 

du Christ, ni l’enseigne ni n’écrit sur lui;17•72 

et ses volontés et actes sont tous 

bons, autant que l’esprit humain puisse le voir, 

sans péché dans ses actes ou en paroles;•75 

Il meurt non baptisé et sans la foi : 

où est cette justice qui le condamne ? 

où est sa faute, s’il ne croit pas?”•78 

Mais toi qui es-tu,18 qui veut t’asseoir sur la chaire,19

pour juger d’aussi loin que mille milles 

avec ta courte vue qui porte à un empan?20•81 

Certes celui qui, en moi, à comprendre 

s’évertue, si l’Écriture n’était au-dessus de vous,21 

aurait toutes les raisons de douter.•84 

Ô animaux terrestres ! Ô esprits grossiers!22

La volonté première, qui est bonne en soi, 

toujours immuable, qui est le bien suprême.•87

Tout ce qui s’accorde avec elle est juste ;   

nul bien créé ne l’attire à lui, 

mais elle, en rayonnant, le produit».23•90 

Telle tournoie au-dessus du nid 

la cigogne après avoir nourri ses fils, 

et tel le cigogneau rassasié la contemple;•93 

ainsi elle devint, et ainsi je levai les yeux, 

l’image bénie,24 qui déployait ses ailes 

poussée par tant de conseils.25•96 

Elle chantait en tournoyant, et dit : « Ceci 

sont mes paroles pour toi, qui ne les comprends pas, 

car tel est le jugement éternel pour vous mortels».•99 

Puis ils se turent ces brasiers resplendissants 

de l’Esprit Saint encore dans ce signe 

qui fit respecter les Romains du monde,•102 

puis il reprit : « À ce règne 

n’accède jamais qui ne croit pas en Christ, 

ni avant ni après qu’il ait été cloué au bois.26•105 

Mais vois : bien des gens crient “Christ, Christ !”, 

qui seront au jugement moins proches 

de lui, que tel qui ne connaît pas le Christ;•108 

et l’Éthiopien damnera de tels Chrétiens,27 

quand ils se partageront en deux collèges,

l’un dans l’éternelle richesse et l’autre pauvre.28 •111

Que pourront dire les Perses à vos rois,29

lorsqu’ils verront ouvert ce livre

dans lequel sont écrites toutes leurs turpitudes?30•114 

Là se verra l’entreprise d’Albert, 

celle qui bientôt fera courir la plume,

qui fera le royaume de Prague désert.31 •117

Là se verra la douleur que sur la Seine

amène, falsifiant la monnaie, 

celui qui mourra d’un coup de couenne.32•120

Là se verra l’orgueil qui assoiffe tant,

rendant l’Écossais et l’Anglais fou, 

qu’il ne supporte pas de rester dans ses frontières.33•123 

Se verront la luxure et la mollesse 

de celui d’Espagne34  et de celui de Bohème,35

qui jamais valeur n’ont connue ni voulue.•126 

Se verront du Boiteux de Jérusalem 

marqué d’un I sa bonté, 

quand l’opposé sera marqué d’un M.36•129 

Se verront l’avarice et la lâcheté 

de celui qui garde l’île du feu, 

où Anchise finit sa longue vie;37•132 

et pour faire comprendre son insignifiance 

son écriture sera de lettres tronquées, 

où beaucoup sera noté en peu d’espace.38•135 

Et apparaîtront à tous les œuvres indignes 

de l’oncle39  du frère,40 qui, une illustre 

nation et deux couronnes, ont déshonoré.  •138 

Et celui du Portugal41 et de Norvège42 

seront connus là, et celui de la Rascie43  

qui pour son mal contrefit la monnaie de Venise.44•141 

Ô heureuse Hongrie, si elle ne se laisse45 

plus maltraiter ! et heureuse Navarre, 

si elle s’armait du mont qui l’entoure!46•144 

Et chacun doit croire que déjà, pour présage 

d’un tel sort, Nicosie et Famagouste 

contre leur bête se lamentent et crient, 

qui des autres ne dépare pas».47•148

Cielo sesto • Cielo di Giove • Dubbio di Dante • L’aquila parla con una sola voce • La giustizia divina è imperscrutabile • Dottrina della salvazione • Bestialità dei regnanti christiani.
Parea dinanzi a me con l’ali aperte

la bella image che nel dolce frui

liete facevan l’anime conserte;•3

parea ciascuna rubinetto in cui

raggio di sole ardesse sì acceso,

che ne’ miei occhi rifrangesse lui.•6

E quel che mi convien ritrar testeso,

non portò voce mai, né scrisse incostro,

né fu per fantasia già mai compreso;•9

ch’io vidi e anche udi’ parlar lo rostro,

e sonar ne la voce e « io » e « mio »,

quand’ era nel concetto e ”noi” e “nostro”.•12

E cominciò : « Per esser giusto e pio

son io qui essaltato a quella gloria

che non si lascia vincere a disio;•15

e in terra lasciai la mia memoria

sì fatta, che le genti lì malvage

commendan lei, ma non seguon la storia».•18

Così un sol calor di molte brage

si fa sentir, come di molti amori

usciva solo un suon di quella image.•21

Ond’ io appresso : « O perpetüi fiori

de l’etterna letizia, che pur uno

parer mi fate tutti vostri odori,•24

solvetemi, spirando, il gran digiuno

che lungamente m’ha tenuto in fame,

non trovandoli in terra cibo alcuno.•27

Ben so io che, se ’n cielo altro reame

la divina giustizia fa suo specchio,

che ’l vostro non l’apprende con velame.•30

Sapete come attento io m’apparecchio

ad ascoltar ; sapete qual è quello

dubbio che m’è digiun cotanto vecchio».•33

Quasi falcone ch’esce del cappello,

move la testa e con l’ali si plaude,

voglia mostrando e faccendosi bello,•36

vid’ io farsi quel segno, che di laude

de la divina grazia era contesto,

con canti quai si sa chi là sù gaude.•39

Poi cominciò : « Colui che volse il sesto

a lo stremo del mondo, e dentro ad esso

distinse tanto occulto e manifesto,•42

non poté suo valor sì fare impresso

in tutto l’universo, che ’l suo verbo

non rimanesse in infinito eccesso.•45

E ciò fa certo che ’l primo superbo,

che fu la somma d’ogne creatura,

per non aspettar lume, cadde acerbo;•48

e quinci appar ch’ogne minor natura

è corto recettacolo a quel bene

che non ha fine e sé con sé misura.•51

Dunque vostra veduta, che convene

esser alcun de’ raggi de la mente

di che tutte le cose son ripiene,•54

non pò da sua natura esser possente

tanto, che suo principio non discerna

molto di là da quel che l’è parvente.•57

Però ne la giustizia sempiterna

la vista che riceve il vostro mondo,

com’ occhio per lo mare, entro s’interna;•60

che, ben che da la proda veggia il fondo,

in pelago nol vede ; e nondimeno

èli, ma cela lui l’esser profondo.•63

Lume non è, se non vien dal sereno

che non si turba mai ; anzi è tenèbra

od ombra de la carne o suo veleno.•66

Assai t’è mo aperta la latebra

che t’ascondeva la giustizia viva,

di che facei question cotanto crebra;•69

ché tu dicevi : “Un uom nasce a la riva

de l’Indo, e quivi non è chi ragioni

di Cristo né chi legga né chi scriva;•72

e tutti suoi voleri e atti buoni

sono, quanto ragione umana vede,

sanza peccato in vita o in sermoni.•75

Muore non battezzato e sanza fede :

ov’ è questa giustizia che ’l condanna ?

ov’ è la colpa sua, se ei non crede?”.•78

Or tu chi se’, che vuo’ sedere a scranna,

per giudicar di lungi mille miglia

con la veduta corta d’una spanna?•81

Certo a colui che meco s’assottiglia,

se la Scrittura sovra voi non fosse,

da dubitar sarebbe a maraviglia.•84

Oh terreni animali ! oh menti grosse !

La prima volontà, ch’è da sé buona,

da sé, ch’è sommo ben, mai non si mosse.•87

Cotanto è giusto quanto a lei consuona :

nullo creato bene a sé la tira,

ma essa, radïando, lui cagiona».•90

Quale sovresso il nido si rigira

poi c’ha pasciuti la cicogna i figli,

e come quel ch’è pasto la rimira;•93

cotal si fece, e sì leväi i cigli,

la benedetta imagine, che l’ali

movea sospinte da tanti consigli.•96

Roteando cantava, e dicea : « Quali

son le mie note a te, che non le ’ntendi,

tal è il giudicio etterno a voi mortali».•99

Poi si quetaro quei lucenti incendi

de lo Spirito Santo ancor nel segno

che fé i Romani al mondo reverendi,•102

esso ricominciò : « A questo regno

non salì mai chi non credette ’n Cristo,

né pria né poi ch’el si chiavasse al legno.•105

Ma vedi : molti gridan “Cristo, Cristo !”,

che saranno in giudicio assai men prope

a lui, che tal che non conosce Cristo;•108

e tai Cristian dannerà l’Etïòpe,

quando si partiranno i due collegi,

l’uno in etterno ricco e l’altro inòpe.•111

Che poran dir li Perse a’ vostri regi,

come vedranno quel volume aperto

nel qual si scrivon tutti suoi dispregi?•114

Lì si vedrà, tra l’opere d’Alberto,

quella che tosto moverà la penna,

per che ’l regno di Praga fia diserto.•117

Lì si vedrà il duol che sovra Senna

induce, falseggiando la moneta,

quel che morrà di colpo di cotenna.•120

Lì si vedrà la superbia ch’asseta,

che fa lo Scotto e l’Inghilese folle,

sì che non può soffrir dentro a sua meta.•123

Vedrassi la lussuria e ’l viver molle

di quel di Spagna e di quel di Boemme,

che mai valor non conobbe né volle.•126

Vedrassi al Ciotto di Ierusalemme

segnata con un i la sua bontate,

quando ’l contrario segnerà un emme.•129

Vedrassi l’avarizia e la viltate

di quei che guarda l’isola del foco,

ove Anchise finì la lunga etate;•132

e a dare ad intender quanto è poco,

la sua scrittura fian lettere mozze,

che noteranno molto in parvo loco.•135

E parranno a ciascun l’opere sozze

del barba e del fratel, che tanto egregia

nazione e due corone han fatte bozze.•138

E quel di Portogallo e di Norvegia

lì si conosceranno, e quel di Rascia

che male ha visto il conio di Vinegia.•141

Oh beata Ungheria, se non si lascia

più malmenare! e beata Navarra,

se s’armasse del monte che la fascia!•144

E creder de’ ciascun che già, per arra

di questo, Niccosïa e Famagosta

per la lor bestia si lamenti e garra,

che dal fianco de l’altre non si scosta»•148