Le Paradis – Chant XXI

Dante_et_Pierre_Damien_Pietro_Damiiano_Canto_chant_21—XXI
Dante et Béatrice rencontrent Pierre Damien au Chant XXI du Paradis. Giovanni di Paolo (1450).
Septième ciel • Ciel de Saturne • L’échelle d’or  et les esprits contemplatifs • Mystère de la prédestination • Saint Pierre Damien • Luxe et mollesse des prélats modernes • Un haut cri.

De nouveau mes yeux s’étaient fixés sur le visage

de ma dame, et mon âme avec eux  

s’était de toute autre pensée détachée.•3 

Elle ne riait pas ; mais « Si je riais » 

commença-t-elle, « tu deviendrais comme 

Sémélé quand elle fut réduite en cendres:1•6 

car ma beauté, plus je m’élève 

dans les degrés du palais éternel, 

comme tu l’as vu, s’embrase davantage,•9 

et si elle n’était tempérée, elle brillerait tant, 

que tes sens de mortel, à son éclat, 

serait branche que la foudre fend.•12 

Nous nous sommes élevés à la septième splendeur,2 

sous la poitrine du Lion ardent, 

qui, vers la terre, mêle ses rayons aux siens.3•15 

Fixe ton attention en tes yeux, 

et fais-en des miroirs de l’image 

que dans ce miroir tu verras apparaître».4 •18 

Qui saurait quelle nourriture était 

pour mon regard le visage bienheureux, 

quand je tournai mon attention vers autre chose,•21 

comprendrait combien me fut agréable 

d’obéir à ma céleste escorte, 

contrebalançant un côté par l’autre.5•24 

À l’intérieur du cristal qui porte le nom, 

tournant autour du monde, de son bien-aimé duc 

sous le règne duquel s’éteignit toute mal,6 •27 

je vis d’un or éblouissant sous les rayons 

une échelle dressée si haut, 

que mon regard n’en voyait pas la fin.•30 

Je vis aussi descendant par les barreaux 

tant de splendeurs, qu’il me sembla que toutes 

les lumières du ciel affluaient ici.7•33 

Et comme, par instinct naturel, 

les corneilles s’ébrouent ensemble, au début 

de la journée, pour réchauffer leurs plumes froides;•36 

puis les unes s’en vont sans retour, 

d’autres s’en retournent d’où elles sont parties, 

et d’autres tournent en cercle sans s’éloigner;•39 

il me sembla voir une même conduite 

dans ce scintillement venu tout ensemble, 

quand un certain degré fut atteint.•42 

Et celui qui se tenait le plus près de nous, 

se fit si brillant, que je pensais : 

“Je vois bien l’amour que tu me montres.8•45 

Mais celle dont j’attend le quand et le comment 

pour parler ou me taire, est impassible ; c’est pourquoi, 

contre mon désir, je fais bien de ne rien demander”.•48 

Alors celle qui voyait mon silence 

dans le regard de celui qui voit tout, 

me dit : « Satisfait ton brûlant désir».9•51 

Et je commençai : « Mon mérite 

ne me fait pas digne de ta réponse ; 

mais par celle qui permet de demander,•54 

âme bienheureuse qui demeure cachée 

dans la lumière de ta joie, donne moi 

la raison qui t’a placée près de moi;•57 

et dis pourquoi se tait dans ce cercle 

la douce symphonie du paradis, qui en dessous, 

dans les autres, sonne si dévotement.»10•60 

 « Tu as l’ouïe d’un mortel comme la vue »,11 

me répondit-elle ; « Ici on ne chante pas 

pour la même raison que Béatrice n’a pas ri.•63 

J’ai descendu tant d’échelons 

de l’échelle sainte pour te faire fête 

avec mes paroles et la lumière qui me fait manteau;12•66 

Plus d’amour ne me fit pas plus preste, 

car à partir d’ici autant et plus d’amour se consume, 

comme ce flamboiement te le montre.•69 

Mais la haute charité, qui nous fait servir13  

promptement le conseil qui gouverne le monde,14

assigne à chacun ses tâches comme tu le vois.»•72 

« Je vois bien », dis-je, « lampe sacrée,15 

comme libre amour dans cette cour

suffit pour suivre l’éternelle providence;16•75 

mais ce qu’il m’est difficile de cerner, 

est pourquoi tu fus, toi seule, prédestinée17

à cet office parmi tes compagnes».•78 

Je n’en étais pas encore à l’ultime parole 

que la lumière pivota sur son centre, 

tournant sur soi comme meule rapide;•81 

puis l’âme d’amour qui était en elle répondit : 

« La lumière divine darda sur moi, 

pénétrant dans celle où je m’enventre,18•84 

et sa vertu, jointe à ma vision, 

m’éleva tant au dessus de moi, que je vis 

l’essence suprême de laquelle elle émane.19•87 

De là vient l’allégresse par laquelle je flamboie ; 

parce que ma vue, quand je vois clair, 

égale la clarté de la flamme.•90 

Mais cette âme qui, dans le ciel, resplendit le plus20  

ce séraphin dont le regard pénètre le plus en Dieu,21  

à ta demande ne pourrait satisfaire,•93 

car ce que tu demandes22 

s’enfonce dans l’abîme de l’éternel décret, 

séparé de la vue de tout être créé.•96 

Et au monde mortel, quand tu retourneras, 

rapporte ceci, afin qu’il n’ait plus la prétention 

désormais d’atteindre un tel but.•99 

L’esprit, qui est ici lumière, est sur terre fumée ; 

donc regarde comment se pourrait sur terre 

ce qui ne l’est ici alors que le ciel l’accueille.»23•102 

Ses paroles furent si définitives, 

que j’abandonnai ma question et me limitai 

à lui demander humblement qui il était.•105 

« Entre les deux rives de l’Italie un mont rocheux,  

s’élève, à peu de distance de ta patrie,24

si haut que les orages tonnent plus bas,•108 

et forme un mamelon qui s’appelle Catria,25 

en bas duquel est consacré un ermitage, 

dédié au seul culte divin.»26 •111 

Il commença ainsi son troisième discours ; 

puis, continuant, il dit: « Là, au service de Dieu 

je me consacrais avec fermeté,•114 

et avec pour seule nourriture de l’huile d’olive27

je passais avec facilité chaleurs et gels, 

heureux dans mes pensées contemplatives.28•117 

Ce cloître faisait de fertiles récoltes29

pour ces cieux ; maintenant il est stérile, 

et cela sera bientôt révélé.30•120 

En ce lieu je fus Pierre Damien31

et Pierre Pécheur fus dans la maison32 

de Notre Dame sur la côte adriatique.33•123 

Il me restait peu de vie mortelle, 

quand je fus appelé et poussé à ce chapeau,34 

qui depuis se transmet de mal en pis.35•126 

Vint Cephas et vint le grand vase36  

du Saint Esprit, maigres et déchaussés,37  

prenant leur nourriture en quelconque maison.•129 

Maintenant ils veulent qu’on les soutienne 

de part et d’autre, les modernes pasteurs, et qui les mène, 

tant ils sont lourds, par derrière les soulève.38•132 

Ils couvrent de leurs manteaux leurs palefrois, 

de sorte que sous une seule peau vont deux bêtes:39

oh patience, tu supportes tant!».40•135 

À cette voix je vis nombre de flammes descendrent 

de degré en degré tournant sur elles-mêmes 

et chaque tour les rendait plus belles.41•138 

Elles entourèrent celle-ci et s’arrêtèrent, 

et lancèrent un cri si puissant,42

que l’on ne peut sur terre en trouver de semblable; 

je ne le compris pas, ainsi le tonnerre me vainquit.•142

Ciel settimo • Cielo di Saturno • Scala d’oro e gli spiriti contemplati • Mistero della predestinazione • San Pietro Damiano • Lusso e mollezza dei prelati moderni • Un alto grido.
Già eran li occhi miei rifissi al volto

de la mia donna, e l’animo con essi,

e da ogne altro intento s’era tolto.•3 

E quella non ridea ; ma « S’io ridessi »,

mi cominciò, « tu ti faresti quale

fu Semelè quando di cener fessi:•6 

ché la bellezza mia, che per le scale

de l’etterno palazzo più s’accende,

com’ hai veduto, quanto più si sale,•9 

se non si temperasse, tanto splende,

che ’l tuo mortal podere, al suo fulgore,

sarebbe fronda che trono scoscende.•12 

Noi sem levati al settimo splendore,

che sotto ’l petto del Leone ardente

raggia mo misto giù del suo valore.•15 

Ficca di retro a li occhi tuoi la mente,

e fa di quelli specchi a la figura

che ’n questo specchio ti sarà parvente».•18 

Qual savesse qual era la pastura

del viso mio ne l’aspetto beato

quand’ io mi trasmutai ad altra cura,•21 

conoscerebbe quanto m’era a grato

ubidire a la mia celeste scorta,

contrapesando l’un con l’altro lato.•24 

Dentro al cristallo che ’l vocabol porta,

cerchiando il mondo, del suo caro duce

sotto cui giacque ogne malizia morta,•27 

di color d’oro in che raggio traluce

vid’ io uno scaleo eretto in suso

tanto, che nol seguiva la mia luce.•30 

Vidi anche per li gradi scender giuso

tanti splendor, ch’io pensai ch’ogne lume

che par nel ciel, quindi fosse diffuso.•33 

E come, per lo natural costume,

le pole insieme, al cominciar del giorno,

si movono a scaldar le fredde piume;•36 

poi altre vanno via sanza ritorno,

altre rivolgon sé onde son mosse,

e altre roteando fan soggiorno;•39 

tal modo parve me che quivi fosse

in quello sfavillar che ’nsieme venne,

sì come in certo grado si percosse.•42 

E quel che presso più ci si ritenne,

si fé sì chiaro, ch’io dicea pensando :

“Io veggio ben l’amor che tu m’accenne.•45 

Ma quella ond’ io aspetto il come e ’l quando

del dire e del tacer, si sta ; ond’ io,

contra ’l disio, fo ben ch’io non dimando”.•48 

Per ch’ella, che vedëa il tacer mio

nel veder di colui che tutto vede,

mi disse : « Solvi il tuo caldo disio».•51 

E io incominciai : « La mia mercede

non mi fa degno de la tua risposta ;

ma per colei che ’l chieder mi concede,•54 

vita beata che ti stai nascosta

dentro a la tua letizia, fammi nota

la cagion che sì presso mi t’ha posta;•57 

e dì perché si tace in questa rota

la dolce sinfonia di paradiso,

che giù per l’altre suona sì divota».•60 

« Tu hai l’udir mortal sì come il viso »,

rispuose a me ; « onde qui non si canta

per quel che Bëatrice non ha riso.•63 

Giù per li gradi de la scala santa

discesi tanto sol per farti festa

col dire e con la luce che mi ammanta;•66 

né più amor mi fece esser più presta,

ché più e tanto amor quinci sù ferve,

sì come il fiammeggiar ti manifesta.•69 

Ma l’alta carità, che ci fa serve

pronte al consiglio che ’l mondo governa,

sorteggia qui sì come tu osserve».•72 

« Io veggio ben », diss’ io, «sacra lucerna,

come libero amore in questa corte

basta a seguir la provedenza etterna;•75 

ma questo è quel ch’a cerner mi par forte,

perché predestinata fosti sola

a questo officio tra le tue consorte».•78 

Né venni prima a l’ultima parola,

che del suo mezzo fece il lume centro,

girando sé come veloce mola;•81 

poi rispuose l’amor che v’era dentro :

« Luce divina sopra me s’appunta,

penetrando per questa in ch’io m’inventro,•84 

la cui virtù, col mio veder congiunta,

mi leva sopra me tanto, ch’i’ veggio

la somma essenza de la quale è munta.•87 

Quinci vien l’allegrezza ond’ io fiammeggio ;

per ch’a la vista mia, quant’ ella è chiara,

la chiarità de la fiamma pareggio.•90 

Ma quell’ alma nel ciel che più si schiara,

quel serafin che ’n Dio più l’occhio ha fisso,

a la dimanda tua non satisfara,•93 

però che sì s’innoltra ne lo abisso

de l’etterno statuto quel che chiedi,

che da ogne creata vista è scisso.•96 

E al mondo mortal, quando tu riedi,

questo rapporta, sì che non presumma

a tanto segno più mover li piedi.•99 

La mente, che qui luce, in terra fumma ;

onde riguarda come può là giùe

quel che non pote perché ’l ciel l’assumma».•102 

Sì mi prescrisser le parole sue,

ch’io lasciai la quistione e mi ritrassi

a dimandarla umilmente chi fue.•105 

« Tra ’ due liti d’Italia surgon sassi,

e non molto distanti a la tua patria,

tanto che ’ troni assai suonan più bassi,•108 

e fanno un gibbo che si chiama Catria,

di sotto al quale è consecrato un ermo,

che suole esser disposto a sola latria».•111 

Così ricominciommi il terzo sermo ;

e poi, continüando, disse : « Quivi

al servigio di Dio mi fe’ sì fermo,•114 

che pur con cibi di liquor d’ulivi

lievemente passava caldi e geli,

contento ne’ pensier contemplativi.•117 

Render solea quel chiostro a questi cieli

fertilemente ; e ora è fatto vano,

sì che tosto convien che si riveli.•120 

In quel loco fu’ io Pietro Damiano,

e Pietro Peccator fu’ ne la casa

di Nostra Donna in sul lito adriano.•123 

Poca vita mortal m’era rimasa,

quando fui chiesto e tratto a quel cappello,

che pur di male in peggio si travasa.•126 

Venne Cefàs e venne il gran vasello

de lo Spirito Santo, magri e scalzi,

prendendo il cibo da qualunque ostello.•129 

Or voglion quinci e quindi chi rincalzi

li moderni pastori e chi li meni,

tanto son gravi, e chi di rietro li alzi.•132 

Cuopron d’i manti loro i palafreni,

sì che due bestie van sott’ una pelle :

oh pazïenza che tanto sostieni!».•135 

A questa voce vid’ io più fiammelle

di grado in grado scendere e girarsi,

e ogne giro le facea più belle.•138 

Dintorno a questa vennero e fermarsi,

e fero un grido di sì alto suono,

che non potrebbe qui assomigliarsi ; 

né io lo ’ntesi ; sì mi vinse il tuono.•142