Le Paradis – Chant XXII

Saint_Benoit_saint_Maur
Saint Benoît délivre la règle de son ordre à saint Maur et d’autres moines — Monastère de saint Gilles, Nîmes (1129).
Septième ciel • Ciel de Saturne • Stupeur de Dante et réconfort de Béatrice • Saint Benoît • La corruption dans les monastères // Huitième ciel • Ciel des étoiles • Triomphe du Christ • Invocation aux Gémeaux • Regard vers les planètes et la terre.

Accablé de stupeur, vers ma guide1

je me tournai, comme le bambin a recours

toujours en qui il se fie le plus;•3 

et celle-ci, comme la mère secourt

aussitôt son fils pâle et haletant 

et de sa seule voix le rassure,2 •6 

me dit : « Ne sais-tu pas que tu es au ciel?3 

et ne sais-tu pas que tout au ciel est saint, 

et que ce que l’on y fait vient d’un bon zèle?•9 

Combien t’aurait bouleversé le chant, 

et moi riant, maintenant tu peux le penser, 

alors que le cri t’as tant ébranlé;4•12 

si tu avais entendu ses prières,5

déjà te serait connue la vengeance 

que tu verras avant de mourir.6•15 

L’épée d’ici, en haut, ne tranche ni trop tôt 

ni trop tard, sauf au gré de celui 

qui avec désir ou avec crainte l’attend.7•18 

Mais à présent tourne-toi vers autrui ; 

tu verras nombre d’esprits illustres, 

si tu adresses ton regard comme je dis.»•21 

Comme il lui plut, je tournai mon regard, 

et je vis des centaines de petites sphères qui8   

de leurs rayons croisés s’embellissaient.9•24 

J’étais comme celui qui, en lui, réprime 

l’aiguillon du désir, et ne se risque pas 

à demander, craignant d’abuser;•27 

et la plus grande et la plus resplendissante 

de ces perles s’avança,10 

pour contenter par son dire mon désir.•30 

Puis j’entendis en elle : « Si tu voyais 

comme moi la charité qui brûle en nous, 

tu aurais déjà exprimé tes pensées.11•33 

Mais pour que, m’attendant, tu 

ne retardes pas le noble but, je répondrai12 

à la pensée, dont tu te gardes.•36 

Ce mont, qui a Cassino sur le flanc,13

fut fréquenté autrefois sur son sommet 

par la gent trompée et hostile;14 •39 

et je fus le premier qui y porta 

le nom de celui qui sur terre amena 

la vérité qui nous élève tant;15•42 

et tant de grâce brilla sur moi, 

que je détournai les gens alentour16  

du culte impie qui avait séduit le monde.•45 

Ces autres feux furent tous des hommes 

contemplatifs, enflammés de cette ardeur 

qui fait naître les fleurs et les fruits saints.17•48 

Ici est Macaire,18 ici est Romuald,19

ici sont mes frères qui dans les cloîtres 

arrêtèrent leurs pas, et tinrent leur cœur ferme.»20•51 

Et moi à lui : « L’affection que tu montres 

en me parlant, et la bienveillance 

que je vois et remarque en toutes vos ardeurs,•54 

a renforcé ma confiance, 

comme le soleil fait que la rose 

s’épanouit autant qu’elle le peut.•57 

Aussi je te prie, et toi, père, de m’assurer 

que je puisse obtenir tant de grâce, que je 

te vois avec la figure découverte.»•60 

Alors lui : « Frère, ton noble désir 

sera exaucé dans l’ultime sphère,21 

là où sont exaucés tous les autres et le mien.•63 

Là chaque désir est parfait, 

mûr et entier;22 seul dans celle-ci 

chaque partie est là où elle a toujours été,23•66 

car elle n’a pas de lieu et pas de pôle;24

et notre échelle arrive jusqu’à elle,25 

c’est pourquoi de ta vue elle s’échappe.•69 

Le patriarche Jacob la vit 

jusque là-haut allonger sa partie supérieure, 

quand elle lui parut si chargée d’anges.26•72 

Mais, pour la gravir, personne à présent 

ne détache ses pieds de la terre, et ma règle 

ne reste que pour gaspiller du papier.27•75 

Les murs utilisés comme abbayes 

sont devenus des cavernes,28 et les habits 

des sacs pleins de farine gâtée.•78 

Mais la grave usure n’est pas autant 

opposée à la volonté de Dieu que ce fruit 

qui rend le cœur des moines fou;29•81 

car tout ce que l’Église garde, tout 

est à la gent qui demande au nom de Dieu ; 

non aux  parents ni à d’autres pires.30•84 

La chair des mortels est si faible, 

que sur terre bon commencement ne dure pas 

de la naissance du chêne au gland.31 •87 

Pierre commença sans or et sans argent, 

et moi avec l’oraison et le jeûne, 

comme François humblement son couvent;32•90 

et si tu regardes chacun à son principe 

puis que tu regardes où il en est arrivé, 

tu verras du blanc devenu brun.33•93 

En vérité le Jourdain s’en retournant, 

et la mer fuyant, quand Dieu le voulut, furent plus 

merveilleux à voir que l’est ici le secours.»34•96 

Il me parla ainsi, et puis rejoignit 

sa compagnie, et la compagnie se serra ; 

puis tous, dans un tourbillon, s’envolèrent.•99 

La douce dame derrière eux me poussa 

d’un seul signe sur cette échelle, 

tant sa vertu vainquit ma nature;35•102 

jamais ici-bas où on monte et on descend 

selon les lois naturelles, ne fut mouvement si prompt 

qu’il puisse se comparer à mon aile.36•105 

Puissé-je jamais retourner, lecteur, à ce saint 

triomphe pour lequel souvent je pleure 

mes péchés et me frappe la poitrine,37•108 

car tu n’aurais pas retiré et mis

du feu ton doigt aussi vite que je vis le signe 

qui suit le Taureau et que je fus en lui.38•111

Ô glorieuses étoiles, ô lumière pleine 

de grande vertu, desquelles je reconnais 

tenir tout mon génie, quoi qu’il vaille,39•114 

avec vous naissait et avec vous se cachait 

celui qui est père de toute vie mortelle,40 

quand je sentis pour la première fois l’air toscan;41•117 

et puis, quand la grâce me fut accordée 

d’entrer dans la haute sphère qui vous entraîne, 

votre région me fut assignée.42•120 

Vers vous, avec dévotion mon âme soupire 

maintenant, pour acquérir la force 

en vue du rude passage qui la tire à lui.43•123 

« Tu es si près de l’ultime salut »,44 

commença Béatrice, « que tu dois 

avoir la vue claire et pénétrante;45•126 

et aussi, avant que tu entres plus en lui  

regarde en bas, et vois quelle part de l’univers, 

est déjà, sous tes pieds, de mon fait;46•129 

afin que ton cœur, autant qu’il le peut, 

se présente joyeux à la foule triomphante 

qui, gaie, vient par ce cercle d’éther.»47•132 

Du regard je retournai dans

les sept sphères, et je vis ce globe 

tel, que je souris de sa vile apparence;48•135 

et j’approuve pour meilleur le jugement 

qui l’estime le moins ; et qui songe à un autre lieu49 

peut en vérité être déclaré probe.•138 

Je vis la fille de Latone enflammée 

sans cette ombre qui fut la raison 

pour laquelle je la crus rare et dense.50•141 

L’aspect de ton fils, Hypérion, 

ici je le soutins, et je vis comment tournent 

autour de lui vos enfants Maia et Dioné.51•144 

Puis m’apparut Jupiter tempéré 

entre le père et le fils;52 et alors me furent clair 

leurs changements de place;•147 

et tous les sept me montrèrent 

combien ils sont grands et combien ils sont rapides 

et comme ils sont dans des demeures distantes.53•150 

La petite aire qui nous rend si féroces, 

comme je tournai avec les éternels Gémeaux, 

tout m’apparut des collines aux embouchures;54 

puis mes yeux se tournèrent vers les beaux yeux.•154

Cielo settimo • Cielo di Saturno • Stupore di Dante e conforti di Beatrice • San Benedetto • Corruzione dei monasteri // Cielo ottavo • Cielo delle stelle fisse • Trionfo di Cristo • Invocazione ai Gemelli • Sguardo ai pianeti e alla terra. 
Oppresso di stupore, a la mia guida

mi volsi, come parvol che ricorre

sempre colà dove più si confida;•3 

e quella, come madre che soccorre

sùbito al figlio palido e anelo

con la sua voce, che ’l suol ben disporre,•6 

mi disse : « Non sai tu che tu se’ in cielo ?

e non sai tu che ’l cielo è tutto santo,

e ciò che ci si fa vien da buon zelo?•9 

Come t’avrebbe trasmutato il canto,

e io ridendo, mo pensar lo puoi,

poscia che ’l grido t’ha mosso cotanto;•12 

nel qual, se ’nteso avessi i prieghi suoi,

già ti sarebbe nota la vendetta

che tu vedrai innanzi che tu muoi.•15 

La spada di qua sù non taglia in fretta

né tardo, ma’ ch’al parer di colui

che disïando o temendo l’aspetta.•18 

Ma rivolgiti omai inverso altrui ;

ch’assai illustri spiriti vedrai,

se com’ io dico l’aspetto redui».•21 

Come a lei piacque, li occhi ritornai,

e vidi cento sperule che ’nsieme

più s’abbellivan con mutüi rai.•24 

Io stava come quei che ’n sé repreme

la punta del disio, e non s’attenta

di domandar, sì del troppo si teme;•27 

e la maggiore e la più luculenta

di quelle margherite innanzi fessi,

per far di sé la mia voglia contenta.•30 

Poi dentro a lei udi’ : « Se tu vedessi

com’ io la carità che tra noi arde,

li tuoi concetti sarebbero espressi.•33 

Ma perché tu, aspettando, non tarde

a l’alto fine, io ti farò risposta

pur al pensier, da che sì ti riguarde.•36 

Quel monte a cui Cassino è ne la costa

fu frequentato già in su la cima

da la gente ingannata e mal disposta;•39 

e quel son io che sù vi portai prima

lo nome di colui che ’n terra addusse

la verità che tanto ci soblima;•42 

e tanta grazia sopra me relusse,

ch’io ritrassi le ville circunstanti

da l’empio cólto che ’l mondo sedusse.•45 

Questi altri fuochi tutti contemplanti

uomini fuoro, accesi di quel caldo

che fa nascere i fiori e ’ frutti santi.•48 

Qui è Maccario, qui è Romoaldo,

qui son li frati miei che dentro ai chiostri

fermar li piedi e tennero il cor saldo».•51 

E io a lui : « L’affetto che dimostri

meco parlando, e la buona sembianza

ch’io veggio e noto in tutti li ardor vostri,•54 

così m’ha dilatata mia fidanza,

come ’l sol fa la rosa quando aperta

tanto divien quant’ ell’ ha di possanza.•57 

Però ti priego, e tu, padre, m’accerta

s’io posso prender tanta grazia, ch’io

ti veggia con imagine scoverta».•60 

Ond’ ell i: « Frate, il tuo alto disio

s’adempierà in su l’ultima spera,

ove s’adempion tutti li altri e ’l mio.•63 

Ivi è perfetta, matura e intera

ciascuna disïanza ; in quella sola

è ogne parte là ove sempr’ era,•66 

perché non è in loco e non s’impola ;

e nostra scala infino ad essa varca,

onde così dal viso ti s’invola.•69 

Infin là sù la vide il patriarca

Iacobbe porger la superna parte,

quando li apparve d’angeli sì carca.•72 

Ma, per salirla, mo nessun diparte

da terra i piedi, e la regola mia

rimasa è per danno de le carte.•75 

Le mura che solieno esser badia

fatte sono spelonche, e le cocolle

sacca son piene di farina ria.•78

Ma grave usura tanto non si tolle

contra ’l piacer di Dio, quanto quel frutto

che fa il cor de’ monaci sì folle;•81 

ché quantunque la Chiesa guarda, tutto

è de la gente che per Dio dimanda ;

non di parenti né d’altro più brutto.•84 

La carne d’i mortali è tanto blanda,

che giù non basta buon cominciamento

dal nascer de la quercia al far la ghianda.•87 

Pier cominciò sanz’ oro e sanz’ argento,

e io con orazione e con digiuno,

e Francesco umilmente il suo convento;•90 

e se guardi ’l principio di ciascuno,

poscia riguardi là dov’ è trascorso,

tu vederai del bianco fatto bruno.•93 

Veramente Iordan vòlto retrorso

più fu, e ’l mar fuggir, quando Dio volse,

mirabile a veder che qui ’l soccorso».•96 

Così mi disse, e indi si raccolse

al suo collegio, e ’l collegio si strinse ;

poi, come turbo, in sù tutto s’avvolse.•99 

La dolce donna dietro a lor mi pinse

con un sol cenno su per quella scala,

sì sua virtù la mia natura vinse;•102 

né mai qua giù dove si monta e cala

naturalmente, fu sì ratto moto

ch’agguagliar si potesse a la mia ala.•105 

S’io torni mai, lettore, a quel divoto

trïunfo per lo quale io piango spesso

le mie peccata e ’l petto mi percuoto,•108 

tu non avresti in tanto tratto e messo

nel foco il dito, in quant’ io vidi ’l segno

che segue il Tauro e fui dentro da esso.•111 

O glorïose stelle, o lume pregno

di gran virtù, dal quale io riconosco

tutto, qual che si sia, il mio ingegno,•114 

con voi nasceva e s’ascondeva vosco

quelli ch’è padre d’ogne mortal vita,

quand’ io senti’ di prima l’aere tosco;•117 

e poi, quando mi fu grazia largita

d’entrar ne l’alta rota che vi gira,

la vostra regïon mi fu sortita.•120 

A voi divotamente ora sospira

l’anima mia, per acquistar virtute

al passo forte che a sé la tira.•123 

« Tu se’ sì presso a l’ultima salute »,

cominciò Bëatrice, « che tu dei

aver le luci tue chiare e acute;•126 

e però, prima che tu più t’inlei,

rimira in giù, e vedi quanto mondo

sotto li piedi già esser ti fei;•129 

sì che ’l tuo cor, quantunque può, giocondo

s’appresenti a la turba trïunfante

che lieta vien per questo etera tondo».•132

Col viso ritornai per tutte quante

le sette spere, e vidi questo globo

tal, ch’io sorrisi del suo vil sembiante;•135 

e quel consiglio per migliore approbo

che l’ha per meno ; e chi ad altro pensa

chiamar si puote veramente probo.•138 

Vidi la figlia di Latona incensa

sanza quell’ ombra che mi fu cagione

per che già la credetti rara e densa.•141 

L’aspetto del tuo nato, Iperïone,

quivi sostenni, e vidi com’ si move

circa e vicino a lui Maia e Dïone.•144 

Quindi m’apparve il temperar di Giove

tra ’l padre e ‘’ figlio ; e quindi mi fu chiaro

il varïar che fanno di lor dove;•147 

e tutti e sette mi si dimostraro

quanto son grandi e quanto son veloci

e come sono in distante riparo.•150 

L’aiuola che ci fa tanto feroci,

volgendom’ io con li etterni Gemelli,

tutta m’apparve da’ colli a le foci ; 

poscia rivolsi li occhi a li occhi belli.•154