Le Purgatoire – Chant XVIII

Cloître de San Zeno, Vérone – Photo: Tango 7174 – CC – Share Alike – 4.0
Quatrième corniche • Paresseux • Nature et effets de l’amour • Rôle du Libre arbitre • La course des paresseux • Exemples de sollicitude • L’abbé de san Zeno • Exemples de paresse punie • Songe de Dante. 
L’éminent docteur avait achevé son discours,

et attentif il me regardait dans les yeux

pour savoir si j’étais contenté;•3 

et moi, qu’une soif nouvelle aiguillonnait encore,

silencieux, je me disais : “Peut-être

mes trop nombreuses questions lui pèsent”.•6 

Mais ce vrai père, s’apercevant

du timide désir qui ne se montrait pas,

parlant, m’enhardit à parler.•9 

Aussi moi : « Maître, mon regard s’avive

tant à ta lumière, que je discerne clairement

ce que ton raisonnement distingue et décrit.•12 

Mais je te prie, cher et doux père,

de m’expliquer cet amour, auquel tu réduis

chaque bonne action et son contraire.»•15 

« Dirige vers moi », dit-il, « les yeux aigus

de l’intellect, et tu reconnaîtras

l’erreur des aveugles qui se font guides.•18 

L’âme, qui est créée prête à aimer,

se tourne vers chaque chose qui lui plaît,

dès que par le plaisir elle est éveillée en acte.•21 

Votre capacité d’appréhension tire de choses vraies

une image, et la développe en vous,

si bien que l’âme se tourne vers elle;•24 

et si, en se tournant, elle penche vers elle,

ce penchant est amour, lequel par nature

se lie en vous pour plaire de nouveau.•27 

Puis comme le feu s’élève

par sa forme qui est née pour monter

là où sa matière dure le plus longtemps,•30 

ainsi l’âme prise entre en désir,

qui est un mouvement spirituel, et ne s’arrête pas 

avant que la chose aimée lui fasse joie.•33 

Or il peut t’apparaître combien est cachée

la vérité à ceux qui tiennent

chaque amour comme étant, en soi, chose louable;•36 

car peut-être sa matière semble

toujours bonne, mais chaque empreinte

n’est pas bonne, même si la cire est bonne.»•39 

« Tes paroles et mon esprit qui se plaît à les suivre »,

lui répondis-je, « m’ont découvert amour,

mais m’ont encore plus rempli de doutes;•42 

car, si amour nous est offert du dehors,

et que l’âme ne va que sur ce pied,

qu’elle aille droit ou non, ce n’est pas son mérite.»•45 

Et lui à moi : « Toute la raison qui se voit ici,

je peux te le dire ; mais au-delà repose-toi

sur Béatrice, car c’est acte de foi.•48 

Toute forme substantielle, qui est séparée

de la matière et qui lui est unie,

contient une vertu particulière,•51 

qui sans action ne se ressent pas,

et elle ne s’explique que par son effet,

comme la vie de la plante se voit par le feuillage.•54 

Cependant, l’homme ne sait,

d’où vient la connaissance des premières notions,

et l’envie des premières inclinations,•57 

qui sont en vous comme chez les abeilles l’ardeur

à faire du miel ; et ce premier désir

ne mérite ni louange ou blâme.•60 

Pour qu’à celui-ci tout autre s’accorde,

innée est en vous la vertu qui conseille,

et garde le seuil de l’assentiment.•63 

Ceci est le principe d’où vous acquérez

le mérite, selon que l’amour que vous

passez au crible est jugé bon ou mauvais.•66 

Ceux qui allèrent au fond de la raison,

s’aperçurent de cette liberté innée ;

pour cela ils laissèrent la morale au monde.•69 

Donc, en admettant que soit nécessaire

tout amour qui s’enflamme en vous,

vous avez le pouvoir de le retenir.•72 

C’est la noble vertu que Béatrice entend

par libre arbitre, et prend soin

de l’avoir en mémoire, si elle en parle.»•75 

La lune, quasi au milieu de la nuit,

semblable à un chaudron encore ardent,

nous faisait paraître les étoiles plus rares;•78 

et courait contre le ciel par ces voies

que le soleil embrase quand Rome

le voit se coucher entre Sardaigne et Corse.•81 

Et cette âme illustre grâce à laquelle Pietola

fut la plus renommée des villes mantouanes,

avait soulagée la charge qui me pesait;•84 

de la sorte que moi, ayant reçu son explication

ouverte et claire à mes questions,

j’étais comme un homme qui somnolant délire.•87

Mais cette somnolence me fut retirée

subitement par des ombres qui venaient

dans notre dos ayant déjà fait le tour de la corniche.•90 

Et comme autrefois l’Ismène et l’Asope

voyaient de nuit foule et furie,

pour peu que les Thébains en aient appelé à Bacchus,•93 

par cette corniche de leur pas vif comme la faux,

je vis venir ainsi

ceux qu’éperonnent bon vouloir et juste amour.•96 

Ils furent vite sur nous, car en courant

se mouvait cette grande foule ;

et devant deux criaient en pleurant:•99 

« Marie courut en hâte à la montagne » ;

et : « César, pour soumettre Ilerda,

frappa Marseille et courut en Espagne.»•102 

« Vite, vite, que le temps ne se perde pas 

par peu d’amour », criaient les autres tout près,

« car le zèle à bien faire fait reverdir la grâce.»•105 

« Oh gens en qui ardeur et enthousiasme

rachètent peut-être le retard et la négligence,

la tiédeur que vous avez mis à faire le bien,•108 

celui-ci vit, et certes je ne vous mens pas,

il veut aller en haut, dès que le soleil luira ;

dites-nous où est le plus proche pertuis.»•111 

Telles furent les paroles de mon guide ;

et l’un des esprits dit : « Viens

derrière nous, et tu trouveras la bouche.•114 

Nous sommes si pleins du désir d’aller,

que nous ne pouvons nous arrêter ; pardonne,

si tu tiens notre loi pour impolie.•117 

Je fus abbé de San Zeno à Vérone

sous l’Empire du bon Barberousse,

de qui parle encore Milan avec douleur.•120 

Et tel qui a déjà un pied dans la fosse,

bientôt pleurera ce monastère,

et sera triste d’y avoir eu le pouvoir;•123 

car il a mis son fils, au corps déformé,

et à l’âme pire, et de mauvaise naissance,

à la place du vrai pasteur.»•126 

Je ne sais s’il en dit plus ou se tut, 

tant il courait déjà devant nous ;

mais ceci je l’entendis, et il me plut de le retenir.•129 

Et celui qui me secourait chaque fois que nécessaire

dit : « Tourne-toi là : vois ces deux

venir mordant dans la paresse.»•132 

Derrière tous, ils disaient : « Le peuple

pour qui la mer s’ouvrit mourut, avant

que le Jourdain vit leurs héritiers.»•135 

Et : « Ce peuple qui ne souffrit pas la fatigue

jusqu’à la fin avec le fils d’Anchise,

se voue lui-même à une vie sans gloire.»•138 

Puis quand ces ombres furent si loin

de nous, que nous ne pouvions les voir,

une nouvelle pensée me pénétra,•141 

de laquelle naquirent diverses autres ;

et j’allai tant de l’une à l’autre,

que mes yeux de plaisir se fermèrent, 

et mes pensées se changèrent en songe.•145

Girone quattro • Accidiosi • Natura ed effetti dell’amore • Libero arbitrio • La corsa degli accidiosi • Abate di San Zeno • Esempi di accidia punita •  Sonno di Dante.
Posto avea fine al suo ragionamento 

l’alto dottore, e attento guardava 

ne la mia vista s’io parea contento;•3 

e io, cui nova sete ancor frugava, 

di fuor tacea, e dentro dicea : “Forse 

lo troppo dimandar ch’io fo li grava”.•6 

Ma quel padre verace, che s’accorse 

del timido voler che non s’apriva, 

parlando, di parlare ardir mi porse.•9 

Ond’ io : « Maestro, il mio veder s’avviva 

sì nel tuo lume, ch’io discerno chiaro 

quanto la tua ragion parta o descriva.•12 

Però ti prego, dolce padre caro, 

che mi dimostri amore, a cui reduci 

ogne buono operare e ’l suo contraro».•15 

« Drizza », disse, « ver’ me l’agute luci 

de lo ’ntelletto, e fieti manifesto 

l’error de’ ciechi che si fanno duci.•18 

L’animo, ch’è creato ad amar presto, 

ad ogne cosa è mobile che piace, 

tosto che dal piacere in atto è desto.•21 

Vostra apprensiva da esser verace 

tragge intenzione, e dentro a voi la spiega, 

sì che l’animo ad essa volger face;•24 

e se, rivolto, inver’ di lei si piega, 

quel piegare è amor, quell’ è natura 

che per piacer di novo in voi si lega.•27 

Poi, come ’l foco movesi in altura 

per la sua forma ch’è nata a salire 

là dove più in sua matera dura,•30 

così l’animo preso entra in disire, 

ch’è moto spiritale, e mai non posa 

fin che la cosa amata il fa gioire.•33 

Or ti puote apparer quant’ è nascosa 

la veritate a la gente ch’avvera 

ciascun amore in sé laudabil cosa;•36 

però che forse appar la sua matera 

sempre esser buona, ma non ciascun segno 

è buono, ancor che buona sia la cera».•39 

« Le tue parole e ’l mio seguace ingegno », 

rispuos’ io lui, « m’hanno amor discoverto, 

ma ciò m’ha fatto di dubbiar più pregno;•42 

ché, s’amore è di fuori a noi offerto 

e l’anima non va con altro piede, 

se dritta o torta va, non è suo merto».•45 

Ed elli a me : « Quanto ragion qui vede, 

dir ti poss’ io ; da indi in là t’aspetta 

pur a Beatrice, ch’è opra di fede.•48 

Ogne forma sustanzïal, che setta 

è da matera ed è con lei unita, 

specifica vertute ha in sé colletta,•51 

la qual sanza operar non è sentita, 

né si dimostra mai che per effetto, 

come per verdi fronde in pianta vita.•54 

Però, là onde vegna lo ’ntelletto 

de le prime notizie, omo non sape, 

e de’ primi appetibili l’affetto,•57 

che sono in voi sì come studio in ape 

di far lo mele ; e questa prima voglia 

merto di lode o di biasmo non cape.•60 

Or perché a questa ogn’ altra si raccoglia, 

innata v’è la virtù che consiglia, 

e de l’assenso de’ tener la soglia.•63 

Quest’ è ’l principio là onde si piglia 

ragion di meritare in voi, secondo 

che buoni e rei amori accoglie e viglia.•66 

Color che ragionando andaro al fondo, 

s’accorser d’esta innata libertate ; 

però moralità lasciaro al mondo.•69 

Onde, poniam che di necessitate 

surga ogne amor che dentro a voi s’accende, 

di ritenerlo è in voi la podestate.•72 

La nobile virtù Beatrice intende 

per lo libero arbitrio, e però guarda 

che l’abbi a mente, s’a parlar ten prende».•75 

La luna, quasi a mezza notte tarda, 

facea le stelle a noi parer più rade, 

fatta com’ un secchion che tuttor arda;•78 

e correa contra ’l ciel per quelle strade 

che ’l sole infiamma allor che quel da Roma 

tra ’ Sardi e ’ Corsi il vede quando cade.•81 

E quell’ ombra gentil per cui si noma 

Pietola più che villa mantoana, 

del mio carcar diposta avea la soma;•84 

per ch’io, che la ragione aperta e piana 

sovra le mie quistioni avea ricolta, 

stava com’ om che sonnolento vana.•87 

Ma questa sonnolenza mi fu tolta 

subitamente da gente che dopo 

le nostre spalle a noi era già volta.•90 

E quale Ismeno già vide e Asopo 

lungo di sè di notte furia e calca, 

pur che i Teban di Bacco avesser uopo,•93 

cotal per quel giron suo passo falca, 

per quel ch’io vidi di color, venendo, 

cui buon volere e giusto amor cavalca.•96 

Tosto fur sovr’ a noi, perché correndo 

si movea tutta quella turba magna ; 

e due dinanzi gridavan piangendo:•99 

« Maria corse con fretta a la montagna ; 

e Cesare, per soggiogare Ilerda, 

punse Marsilia e poi corse in Ispagna».•102 

« Ratto, ratto, che ’l tempo non si perda 

per poco amor», gridavan li altri appresso, 

« che studio di ben far grazia rinverda».•105 

« O gente in cui fervore aguto adesso 

ricompie forse negligenza e indugio 

da voi per tepidezza in ben far messo,•108 

questi che vive, e certo i’ non vi bugio, 

vuole andar sù, pur che ’l sol ne riluca ; 

però ne dite ond’ è presso il pertugio».•111 

Parole furon queste del mio duca ; 

e un di quelli spirti disse : « Vieni 

di retro a noi, e troverai la buca.•114 

Noi siam di voglia a muoverci sì pieni, 

che restar non potem ; però perdona, 

se villania nostra giustizia tieni.•117 

Io fui abate in San Zeno a Verona 

sotto lo ’mperio del buon Barbarossa, 

di cui dolente ancor Milan ragiona.•120 

E tale ha già l’un piè dentro la fossa, 

che tosto piangerà quel monastero, 

e tristo fia d’avere avuta possa;•123 

perché suo figlio, mal del corpo intero, 

e de la mente peggio, e che mal nacque, 

ha posto in loco di suo pastor vero».•126 

Io non so se più disse o s’ei si tacque, 

tant’ era già di là da noi trascorso ; 

ma questo intesi, e ritener mi piacque.•129 

E quei che m’era ad ogne uopo soccorso 

disse : « Volgiti qua : vedine due 

venir dando a l’accidïa di morso».•132 

Di retro a tutti dicean : « Prima fue 

morta la gente a cui il mar s’aperse, 

che vedesse Iordan le rede sue.•135 

E quella che l’affanno non sofferse 

fino a la fine col figlio d’Anchise, 

sé stessa a vita sanza gloria offerse».•138 

Poi quando fuor da noi tanto divise 

quell’ ombre, che veder più non potiersi, 

novo pensiero dentro a me si mise,•141 

del qual più altri nacquero e diversi ; 

e tanto d’uno in altro vaneggiai, 

che li occhi per vaghezza ricopersi, 

e ’l pensamento in sogno trasmutai.•145