Le Purgatoire – Chant XIX
Sirène – Bois gravé – Trouvé à Árneskirkja, Islande – Musée national de Reykjavik – Photo Marc Mentré
Quatrième corniche • Paresseux • Le rêve de la sirène • L’ange de la sollicitude • Interprétation du songe par Virgile // Cinquième corniche • Avares et Prodigues • Les gisants • Le pape Adrien V.
À l’heure où la chaleur du jour ne peut plus
tiédir le froid de la lune,
vaincue par la terre, et parfois par Saturne,•3
—quand, avant l’aube, les géomanciens
voit surgir à l’orient leur Maggior Fortuna,
par un chemin encore sombre pour peu de temps—,•6
me vint en songe une femme bègue,
louchant des yeux, aux pieds tordus,
avec deux moignons comme mains, et toute blême.•9
Je la fixais ; et comme le soleil réchauffe
des membres glacés que la nuit a engourdis,
ainsi mon regard lui délia•12
la langue, et la redressa toute entière
en peu de temps, et son visage égaré,
comme veut amour, il le colorait aussi.•15
Puis ayant sa langue ainsi déliée,
elle commença à chanter, si bien qu’avec peine
j’aurai détaché d’elle mon attention.•18
« Je suis », chantait-elle, « Je suis la douce sirène,
qui égare l’esprit des marins en pleine mer ;
tant m’entendre donne du plaisir!•21
Je détournai Ulysse de son chemin d’errance
par mon chant ; et celui qui s’habitue à moi
rarement me quitte, tant je l’enchante!».•24
Sa bouche ne s’était pas encore refermée,
qu’une dame sainte et pressée apparut
à mon côté pour la confondre.•27
« Ô Virgile, Virgile, qui est celle-ci ? »
dit-elle avec sévérité ; et lui venait
les yeux fixés sur cette honnête dame.•30
Il prenait l’autre, et la mettait à nu par devant
fendant ses habits, et découvrant son ventre ;
la puanteur qui en sortait me réveilla.•33
J’ouvris les yeux, et le bon maître : « Je t’ai
appelé au moins trois fois ! », dit-il, « Lève-toi et viens ;
trouvons l’ouverture par laquelle tu entreras.»•36
Aussi je me levais, toutes les corniches
du mont sacré étaient déjà en plein jour,
et nous avancions le soleil neuf dans notre dos.•39
En le suivant, je baissais le front
comme celui qui est lourd de pensées,
qui le courbent comme la moitié d’un arc de pont;•42
quand j’entendis : « Venez ; ici on passe »
d’une voix douce et suave,
qui ne s’entend pas dans la marche des mortels.•45
Avec les ailes ouvertes, semblables à celles d’un cygne,
celui qui parlait nous fit monter
entre deux parois de dur grès.•48
Il nous éventait en agitant ses plumes,
affirmant “Qui lugent” sont bienheureux,
car leurs âmes possèdent la consolation.•51
« Qu’as-tu à regarder le sol ? »,
commença à me dire mon guide,
quand nous fûmes un peu en surplomb de l’ange.•54
Et moi : « Une vision nouvelle a provoqué
un tel doute qu’elle m’a fait fléchir,
et que je ne peux en détacher ma pensée.»•57
« Tu as vu », dit-il, « cette ancienne sorcière
qui seule au-dessus de nous se lamente ;
tu as vu comme l’homme se délivre d’elle.•60
Cela suffit, frappe des talons le sol ;
lève les yeux vers cet appât que fait tourner
le roi éternel avec les roues immenses.»•63
Comme le faucon, qui d’abord regarde à ses pieds,
puis se tourne au cri et s’élance
poussé par son désir d’une proie,•66
tel je devins ; et tel, quand la roche
se fend pour ouvrir la voie à ceux qui montent,
j’allais où l’on rejoint le cercle.•69
Après avoir quitté la cinquième corniche,
je vis des gens dispersés partout qui pleuraient,
couchés la face tournée vers le sol.•72
“Adhaesit pavimento anima mea”
les entendait-on dire au milieu de si profonds soupirs,
que les paroles se comprenaient à peine.•75
« Ô élus de Dieu, vous dont justice
et espérance rendent les souffrances moins dures,
indiquez-nous les hauts degrés.»•78
« Si vous ne venez pas ici pour être gisant,
et voulez trouver la voie la plus rapide,
ayez toujours votre droite vers l”extérieur.»•81
Ainsi pria le poète, et ainsi fut-il
répondu un peu devant nous ; et grâce
à ses paroles je remarquais celui qui était caché,•84
et je tournais mon regard vers celui de mon seigneur :
alors il approuva d’un signe joyeux
ce que demandait mon regard empli de désir.•87
Dès que je pus agir à ma guise,
je m’approchais de cette créature
dont j’avais remarquée les paroles auparavant,•90
disant : « Esprit en qui les pleurs mûrissent
car sans cela on ne peut retourner vers Dieu,
suspends un peu pour moi ta tâche majeure.•93
Qui étais-tu et pourquoi avez-vous le dos
tourné vers le ciel, dis-moi, et veux-tu connaître
quelque chose du monde dont je viens vivant.»•96
Et lui à moi : « Pourquoi le ciel a tourné
nos reins vers lui, tu le sauras ; mais d’abord
sciat quod ego fui successor Petri.•99
Entre Sestri et Chiavari
s’abaisse un beau fleuve, et de son nom
ma famille fera l’origine de son titre.•102
Un mois et un peu plus j’éprouvais combien
pèse le grand manteau à qui le garde de la fange,
toutes les autres charges semblent alors de plume.•105
Ma conversion, malheur à moi !, fut tardive ;
mais, quand je fus fait pasteur romain,
je découvris la vie trompeuse.•108
Je vis que mon cœur n’y trouvait pas le repos,
et que dans cette vie-là je ne pouvais monter plus haut,
c’est pourquoi je m’enflammais d’amour pour celui-ci.•111
Jusqu’à ce point je fus une âme misérable
coupée de Dieu, toute entière avare ;
et comment je suis puni, tu peux le voir.•114
Ce que l’avarice fait, se manifeste ici
dans la manière dont les âmes converties sont purifiées ;
et aucune peine sur le mont n’est plus amère.•117
Aussi comme notre regard
ne s’éleva pas, fixé sur les choses terrestres,
ici la justice nous enfonce dans la terre.•120
Comme l’avarice éteignit en chacun
notre amour pour tout bien, notre œuvre se perdit,
ainsi la justice nous tient ici serré,•123
les pieds et les mains pris et liés ;
et tant qu’il plaira au juste Seigneur
nous resterons ainsi étendus et immobiles.•126
Je m’étais agenouillé pour répondre ;
mais comme je commençais et qu’il s’aperçut,
à la seule écoute, de mon respect,•129
« Pour quelle raison », dit-il « t’inclines-tu ainsi ? »
Et moi à lui : « Pour votre dignité
ma conscience me fait remord de rester debout.»•132
« Redresse tes jambes, lève-toi, frère ! »,
répondit-il ; « pas d’erreur : je suis, comme toi
et comme les autres, serf du même pouvoir.•135
Si jamais tu entendis cette sainte parole
de l’évangile qui dit “Neque nubent”,
tu peux voir pourquoi je parle ainsi.•138
Vas maintenant ; je ne veux plus que tu t’arrêtes ;
car ta présence trouble mes pleurs,
qui me font mûrir ainsi que tu l’as dit.•141
J’ai sur Terre une nièce qui s’appelle Alagia,
de nature bonne, à moins que notre famille
ne la rende mauvaise par son exemple ;
c’est la seule qui m”est restée là-bas.»•145
Girone quarto • Accidiosi • Il sogno della sirena • L’angelo della Sollecitudine • Virgilio interpreta il sogno // Girone quinto • Avari e Prodighi • Proni a terra • Papa Adriano V.
Ne l’ora che non può ’l calor dïurno
intepidar più ’l freddo de la luna,
vinto da terra, e talor da Saturno•3
—quando i geomanti lor Maggior Fortuna
veggiono in orïente, innanzi a l’alba,
surger per via che poco le sta bruna—,•6
mi venne in sogno una femmina balba,
ne li occhi guercia, e sovra i piè distorta,
con le man monche, e di colore scialba.•9
Io la mirava ; e come ’l sol conforta
le fredde membra che la notte aggrava,
così lo sguardo mio le facea scorta•12
la lingua, e poscia tutta la drizzava
in poco d’ora, e lo smarrito volto,
com’ amor vuol, così le colorava.•15
Poi ch’ell’ avea ’l parlar così disciolto,
cominciava a cantar sì, che con pena
da lei avrei mio intento rivolto.•18
« Io son », cantava, « io son dolce serena,
che ’ marinari in mezzo mar dismago ;
tanto son di piacere a sentir piena!•21
Io volsi Ulisse del suo cammin vago
al canto mio ; e qual meco s’ausa,
rado sen parte ; sì tutto l’appago!».•24
Ancor non era sua bocca richiusa,
quand’ una donna apparve santa e presta
lunghesso me per far colei confusa.•27
« O Virgilio, Virgilio, chi è questa ? »,
fieramente dicea ; ed el venìa
con li occhi fitti pur in quella onesta.•30
L’altra prendea, e dinanzi l’apria
fendendo i drappi, e mostravami ’l ventre ;
quel mi svegliò col puzzo che n’uscia.•33
Io mossi li occhi, e ’l buon maestro : « Almen tre
voci t’ho messe ! », dicea, « Surgi e vieni ;
troviam l’aperta per la qual tu entre».•36
Sù mi levai, e tutti eran già pieni
de l’alto dì i giron del sacro monte,
e andavam col sol novo a le reni.•39
Seguendo lui, portava la mia fronte
come colui che l’ha di pensier carca,
che fa di sé un mezzo arco di ponte;•42
quand’ io udi’ « Venite ; qui si varca »
parlare in modo soave e benigno,
qual non si sente in questa mortal marca.•45
Con l’ali aperte, che parean di cigno,
volseci in sù colui che sì parlonne
tra due pareti del duro macigno.•48
Mosse le penne poi e ventilonne,
“Qui lugent” affermando esser beati,
ch’avran di consolar l’anime donne.•51
« Che hai che pur inver’ la terra guati ? »,
la guida mia incominciò a dirmi,
poco amendue da l’angel sormontati.•54
E io : « Con tanta sospeccion fa irmi
novella visïon ch’a sé mi piega,
sì ch’io non posso dal pensar partirmi».•57
« Vedesti », disse, « quell’antica strega
che sola sovr’ a noi omai si piagne ;
vedesti come l’uom da lei si slega.•60
Bastiti, e batti a terra le calcagne ;
li occhi rivolgi al logoro che gira
lo rege etterno con le rote magne».•63
Quale ’l falcon, che prima a’ pié si mira,
indi si volge al grido e si protende
per lo disio del pasto che là il tira,•66
tal mi fec’ io ; e tal, quanto si fende
la roccia per dar via a chi va suso,
n’andai infin dove ’l cerchiar si prende.•69
Com’ io nel quinto giro fui dischiuso,
vidi gente per esso che piangea,
giacendo a terra tutta volta in giuso.•72
“Adhaesit pavimento anima mea”
sentia dir lor con sì alti sospiri,
che la parola a pena s’intendea.•75
« O eletti di Dio, li cui soffriri
e giustizia e speranza fa men duri,
drizzate noi verso li alti saliri».•78
« Se voi venite dal giacer sicuri,
e volete trovar la via più tosto,
le vostre destre sien sempre di fori».•81
Così pregò ’l poeta, e sì risposto
poco dinanzi a noi ne fu ; per ch’io
nel parlare avvisai l’altro nascosto,•84
e volsi li occhi a li occhi al segnor mio :
ond’ elli m’assentì con lieto cenno
ciò che chiedea la vista del disio.•87
Poi ch’io potei di me fare a mio senno,
trassimi sovra quella creatura
le cui parole pria notar mi fenno,•90
dicendo : « Spirto in cui pianger matura
quel sanza ’l quale a Dio tornar non pòssi,
sosta un poco per me tua maggior cura.•93
Chi fosti e perché vòlti avete i dossi
al sù, mi dì, e se vuo’ ch’io t’impetri
cosa di là ond’ io vivendo mossi».•96
Ed elli a me : « Perché i nostri diretri
rivolga il cielo a sé, saprai ; ma prima
scias quod ego fui successor Petri.•99
Intra Sïestri e Chiaveri s’adima
una fiumana bella, e del suo nome
lo titol del mio sangue fa sua cima.•102
Un mese e poco più prova’ io come
pesa il gran manto a chi dal fango il guarda,
che piuma sembran tutte l’altre some.•105
La mia conversïone, omè !, fu tarda ;
ma, come fatto fui roman pastore,
così scopersi la vita bugiarda.•108
Vidi che lì non s’acquetava il core,
né più salir potiesi in quella vita ;
per che di questa in me s’accese amore.•111
Fino a quel punto misera e partita
da Dio anima fui, del tutto avara ;
or, come vedi, qui ne son punita.•114
Quel ch’avarizia fa, qui si dichiara
in purgazion de l’anime converse ;
e nulla pena il monte ha più amara.•117
Sì come l’occhio nostro non s’aderse
in alto, fisso a le cose terrene,
così giustizia qui a terra il merse.•120
Come avarizia spense a ciascun bene
lo nostro amore, onde operar perdési,
così giustizia qui stretti ne tene,•123
ne’ piedi e ne le man legati e presi ;
e quanto fia piacer del giusto Sire,
tanto staremo immobili e distesi».•126
Io m’era inginocchiato e volea dire ;
ma com’ io cominciai ed el s’accorse,
solo ascoltando, del mio reverire,•129
« Qual cagion », disse, « in giù così ti torse ? »
E io a lui : « Per vostra dignitate
mia coscïenza dritto mi rimorse ».•132
« Drizza le gambe, lèvati sù, frate ! »,
rispuose ; « non errar : conservo sono
teco e con li altri ad una podestate.•135
Se mai quel santo evangelico suono
che dice “Neque nubent” intendesti,
ben puoi veder perch’ io così ragiono.•138
Vattene omai : non vo’ che più t’arresti ;
ché la tua stanza mio pianger disagia,
col qual maturo ciò che tu dicesti.•141
Nepote ho io di là c’ha nome Alagia,
buona da sé, pur che la nostra casa
non faccia lei per essempro malvagia ;
e questa sola di là m’è rimasa».•145