Le Purgatoire – Chant XXIII

Second Attempt, Plate 2 – Photo Thomas Hawk – CC BY-Non Commercial – 2.0

Sixième corniche • Gourmands • Aspect cadavérique des gourmands • Forese Donati • Les prières de Nella • Impudeur des Florentines. 

Alors que je plongeais mon regard

dans le vert feuillage comme le fait celui

qui perd sa vie à pourchasser les oiselets,•3 

celui qui est plus que mon père me dit : « Fils,

viens maintenant, car le temps qui nous est imparti 

doit être employé plus utilement.»•6 

Je tournai mon regard, et non moins vite mes pas,

vers les sages, qui parlaient de telle sorte,

que marcher ne me coûtait nulle peine.•9 

Et voici que l’on entendait pleurer et chanter

“Labïa mëa, Domine” de telle manière,

que naissaient délice et douleur.•12 

Je commençais, « Oh doux père,

qu’entends-je ? » ; et lui : « Des ombres qui vont

peut-être déliant le nœud de leur dette.»•15 

Comme des pèlerins absorbés dans leurs pensées,

doublant en chemin des inconnus,

se retournent sur eux et ne s’arrêtent pas,•18 

ainsi derrière nous, plus rapide, 

venait et nous dépassait, émerveillée,

une foule d’âmes silencieuses et pieuses.•21 

Chacune avait les yeux sombres et caves,

le teint pâle, et tant privée de chair

que la peau épousait les os.•24 

Je ne crois pas que la peau

d’Erysichthon fut desséchée à cet extrême,

par le jeûne, quand il fut le plus effrayé.•27 

Je me disais en moi-même : “Voici

le peuple qui perdit Jérusalem,

quand Marie becqueta son fils!”.•30 

Les yeux semblaient des anneaux sans gemme :

qui lit “omo” dans le visage des hommes

aurait bien reconnu ici le “m”.•33 

Qui croirait que l’odeur d’un fruit 

et celle d’une eau, maltraite ainsi,

engendrant un ardent désir, sans savoir comment?•36 

J’étais étonné de ce qui les affamait,

car la raison m’était encore inconnue

de leur maigreur et de leurs tristes squames,•39 

et voici que du profond de sa tête une ombre

tourna ses yeux vers moi me fixant ;

puis cria fort : « Quelle grâce m’est faite?».•42 

Jamais je ne l’aurais reconnu à son visage ; 

mais sa voix me le révéla,

bien que ses traits aient été dévastés.•45 

Cette étincelle ralluma en moi

toute la connaissance du visage déformé,

et je retrouvai la face de Forese.•48 

« Ah ne t’arrête pas à l’écorce desséchée 

qui me décolore la peau », pria-t-il,

ni à l’absence de chair qui est mienne;•51 

mais dis-moi le vrai sur toi, qui sont

ces deux esprits qui te font escorte ;

ne reste pas sans me répondre!».•54 

« Ton visage, que mort j’ai déjà pleuré,

me fait verser des larmes avec non moins de douleur »,

lui répondis-je, « en le voyant si défiguré.•57 

Mais dis-moi, par Dieu, ce qui vous effeuille ;

ne me fais pas parler étant surpris,

car plein d’une autre envie, on parle mal.»•60 

Et lui à moi : « De l’éternel conseil

tombe une vertu dans l’eau et l’arbre

derrière nous; elle me ronge ainsi.•63 

Toute cette foule qui chante en pleurant

pour avoir suivi la gloutonnerie sans mesure,

redevient sainte ici par la faim et la soif .•66 

Le désir de boire et de manger s’enflamme

au parfum des fruits et de l’eau

qui éclabousse le feuillage.•69 

Et plus d’une fois, tournant

en cette corniche, notre peine se ravive :

je dis peine, je devrais dire plaisir,•72 

car nous conduit aux arbres le même désir

qui mena le Christ joyeux à dire “Eli”,

quand il nous libéra avec son sang.»•75 

Et moi à lui : « Forese, de ce jour

où tu quittas notre monde pour une vie meilleure,

cinq ans ne se sont pas encore écoulés.•78 

Si la faculté de continuer à pécher

cessa, avant que ne survienne l’heure

de la bonne douleur qui te remarie à Dieu,•81 

comment es-tu déjà parvenu aussi haut ?

Je pensais te trouver en-dessous

là où le temps par le temps se répare.»•84 

Alors lui à moi : « Ma Nella m’a amené 

avec ses chaudes larmes

à boire si tôt la douce amertume des peines.•87 

Avec ses pieuses prières et ses lamentations

elle m’a tiré de la côte où l’on attend,

et libéré des autres corniches.•90 

Elle est à Dieu plus chère et bien aimée

ma tendre veuve, que j’aimai tant,

qu’elle est bien seule à bien agir;•93 

car dans la Barbagia de Sardaigne

les femmes ont plus de pudeur 

que dans la Barbagia où je la laissai.•96 

Oh doux frère, que veux-tu que je te dise ?

Je vois déjà un temps futur,

qui n’est pas très éloigné de cette heure-ci,•99 

où il sera interdit en chaire

aux effrontées dames florentines

de montrer avec les seins les tétons.•102 

Quelles barbares, quelles sarrasines,

eurent jamais besoin, pour se couvrir,

de peines spirituelles ou séculières?•105 

Mais si ces impudiques savaient

ce que le ciel véloce leur prépare,

elles auraient déjà la bouche ouverte pour hurler;•108 

car, si ma clairvoyance ne m’égare pas,

elles seront tristes avant que les joues de celui

qu’elles calment avec des berceuses se couvre de poils•111 

Ah, frère, maintenant ne me cache plus rien !

vois que ce n’est pas moi seul, mais toute cette

foule qui regarde là où tu voiles le soleil.»•114 

Alors moi à lui : « Si tu as en mémoire,

comment tu fus avec avec moi, comment je fus avec toi,

le souvenir t’en sera encore pesant.•117 

De cette vie m’a sauvé celui

qui marche devant moi, quand ronde

vous apparut la sœur de celui-là»,•120 

et je lui montrai le soleil ; « il m’a mené

par la nuit profonde des vrais morts

avec cette vraie chair qui le suit.•123 

Puis ses secours m’ont amené en haut, 

montant et tournant autour de la montagne

qui vous redresse vous que le monde avait tordus.•126 

Il dit qu’il m’accompagnera

jusqu’à je sois où se trouve Béatrice ; 

là il faudra que je reste sans lui.•129 

Virgile est celui qui me parle ainsi »,

et je le montrai ; « et cet autre est cette ombre

pour qui tantôt ont tressailli les pentes 

de votre royaume, qui l’a libéré.»•133

Girone Sesto • Golosi • Aspetto cadaverico dei golosi • Forese Donati • Le preghiere di Nella • Impudicizia delle donne fiorentine. 
Mentre che li occhi per la fronda verde 

ficcava ïo sì come far suole 

chi dietro a li uccellin sua vita perde,•3 

lo più che padre mi dicea : « Figliuole, 

vienne oramai, ché ’l tempo che n’è imposto 

più utilmente compartir si vuole».•6 

Io volsi ’l viso, e ’l passo non men tosto, 

appresso i savi, che parlavan sìe, 

che l’andar mi facean di nullo costo.•9 

Ed ecco piangere e cantar s’udìe 

Labïa mëa, Domine”, per modo tal,

che diletto e doglia parturìe.•12 

« O dolce padre, che è quel ch’i’ odo ? », 

comincia’ io; ed elli : « Ombre che vanno 

forse di lor dover solvendo il nodo».•15 

Sì come i peregrin pensosi fanno, 

giugnendo per cammin gente non nota, 

che si volgono ad essa e non restanno,•18 

così di retro a noi, più tosto mota, 

venendo e trapassando ci ammirava 

d’anime turba tacita e devota.•21 

Ne li occhi era ciascuna oscura e cava, 

palida ne la faccia, e tanto scema 

che da l’ossa la pelle s’informava.•24 

Non credo che così a buccia strema 

Erisittone fosse fatto secco, 

per digiunar, quando più n’ebbe tema.•27 

Io dicea fra me stesso pensando : “Ecco 

la gente che perdé Ierusalemme, 

quando Maria nel figlio diè di becco!”.•30 

Parean l’occhiaie anella sanza gemme : 

chi nel viso de li uomini legge “omo” 

ben avria quivi conosciuta l’emme.•33 

Chi crederebbe che l’odor d’un pomo 

sì governasse, generando brama, 

e quel d’un’acqua, non sappiendo como?•36 

Già era in ammirar che sì li affama, 

per la cagione ancor non manifesta 

di lor magrezza e di lor trista squama,•39 

ed ecco del profondo de la testa 

volse a me li occhi un’ombra e guardò fiso ; 

poi gridò forte : « Qual grazia m’è questa?».•42 

Mai non l’avrei riconosciuto al viso ; 

ma ne la voce sua mi fu palese 

ciò che l’aspetto in sé avea conquiso.•45 

Questa favilla tutta mi raccese 

mia conoscenza a la cangiata labbia, 

e ravvisai la faccia di Forese.•48 

« Deh, non contendere a l’asciutta scabbia 

che mi scolora », pregava, « la pelle, 

né a difetto di carne ch’io abbia;•51 

ma dimmi il ver di te, dì chi son quelle 

due anime che là ti fanno scorta ; 

non rimaner che tu non mi favelle!».•54 

« La faccia tua, ch’io lagrimai già morta, 

mi dà di pianger mo non minor doglia », 

rispuos’ io lui, « veggendola sì torta.•57 

Però mi dì, per Dio, che sì vi sfoglia ; 

non mi far dir mentr’ io mi maraviglio, 

ché mal può dir chi è pien d’altra voglia».•60 

Ed elli a me : « De l’etterno consiglio 

cade vertù ne l’acqua e ne la pianta 

rimasa dietro, ond’ io sì m’assottiglio.•63 

Tutta esta gente che piangendo canta 

per seguitar la gola oltra misura, 

in fame e ’n sete qui si rifà santa.•66 

Di bere e di mangiar n’accende cura 

l’odor ch’esce del pomo e de lo sprazzo 

che si distende su per sua verdura.•69 

E non pur una volta, questo spazzo 

girando, si rinfresca nostra pena : 

io dico pena, e dovria dir sollazzo,•72 

ché quella voglia a li alberi ci mena 

che menò Cristo lieto a dire “Elì”

quando ne liberò con la sua vena».•75 

E io a lui : « Forese, da quel dì 

nel qual mutasti mondo a miglior vita, 

cinqu’ anni non son vòlti infino a qui.•78 

Se prima fu la possa in te finita 

di peccar più, che sovvenisse l’ora 

del buon dolor ch’a Dio ne rimarita,•81 

come se’ tu qua sù venuto ancora ? 

Io ti credea trovar là giù di sotto, 

dove tempo per tempo si ristora».•84 

Ond’ elli a me : « Sì tosto m’ha condotto 

a ber lo dolce assenzo d’i martìri 

la Nella mia con suo pianger dirotto.•87 

Con suoi prieghi devoti e con sospiri 

tratto m’ha de la costa ove s’aspetta, 

e liberato m’ha de li altri giri.•90 

Tanto è a Dio più cara e più diletta 

la vedovella mia, che molto amai, 

quanto in bene operare è più soletta;•93 

ché la Barbagia di Sardigna assai 

ne le femmine sue più è pudica 

che la Barbagia dov’ io la lasciai.•96 

O dolce frate, che vuo’ tu ch’io dica ? 

Tempo futuro m’è già nel cospetto, 

cui non sarà quest’ ora molto antica,•99 

nel qual sarà in pergamo interdetto 

a le sfacciate donne fiorentine 

l’andar mostrando con le poppe il petto.•102 

Quai barbare fuor mai, quai saracine, 

cui bisognasse, per farle ir coperte, 

o spiritali o altre discipline?•105 

Ma se le svergognate fosser certe 

di quel che ’l ciel veloce loro ammanna, 

già per urlare avrian le bocche aperte;•108 

ché, se l’antiveder qui non m’inganna, 

prima fien triste che le guance impeli 

colui che mo si consola con nanna.•111 

Deh, frate, or fa che più non mi ti celi ! 

vedi che non pur io, ma questa gente 

tutta rimira là dove ’l sol veli».•114 

Per ch’io a lui : « Se tu riduci a mente 

qual fosti meco, e qual io teco fui, 

ancor fia grave il memorar presente.•117 

Di quella vita mi volse costui 

che mi va innanzi, l’altr’ ier, quando tonda 

vi si mostrò la suora di colui»,•120 

e ’l sol mostrai ; « costui per la profonda 

notte menato m’ha d’i veri morti 

con questa vera carne che ’l seconda.•123 

Indi m’han tratto sù li suoi conforti, 

salendo e rigirando la montagna 

che drizza voi che ’l mondo fece torti.•126 

Tanto dice di farmi sua compagna 

che io sarò là dove fia Beatrice ; 

quivi convien che sanza lui rimagna.•129 

Virgilio è questi che così mi dice », 

e addita’lo ; « e quest’ altro è quell’ ombra 

per cuï scosse dianzi ogne pendice 

lo vostro regno, che da sé lo sgombra».•133