La Divine Comédie de Dante à l’heure de Twitter
La Divine Comédie est sans doute l’un des plus beaux poèmes jamais écrit. Pour le rendre plus accessible, j’ai décidé de le publier sur Twitter. Ce projet nécessitera une dizaine d’années avant que ne soit twitté le dernier vers du dernier chant du dernier Cantique, le Paradis: «l’amor che move il sole e l’altre stelle» (“l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles”).
- Article publié sur le blog [the] Media Trend, le 27 mai 2012 (republié ici avec quelques mises à jour mineures et en conservant la même date)
L’idée peut, de prime abord, sembler farfelue : publier sous forme de tweets La Divine Comédie de Dante. Tout oppose en apparence l’œuvre composée au Moyen Âge par le poète florentin Dante Alighieri, au très contemporain Twitter. D’un côté des milliers de vers, un foisonnant récit où se raconte une civilisation dans sa complexité, où se forge l’italien moderne et de l’autre la sécheresse et la brièveté de courts messages qui doivent tenir en 140 signes. Pourtant les deux ne sont pas inconciliables loin de là.
En effet, La Divine Comédie ne fut pas à l’origine publiée d’un bloc, pour la simple raison qu’à l’époque de sa rédaction, l’imprimerie n’existait pas. Chaque Chant fut donc «publié» (en fait recopié à la main par des copistes, selon l’efficace système de l’époque) au fur et à mesure, de 1307 à 1321. On est donc très proche de «l’écriture Twitter» fragmentée mais qui permet, pour autant que l’on soit constant, de publier une œuvre complète. Pour La Divine Comédie à raison d’un tweet quotidien ce sera l’affaire d’une dizaine d’années (espérons que Twitter existera toujours dans dix ans!).
Mais l’œuvre de Dante possède une deuxième caractéristique qui rend possible sa publication sur Twitter. Celle-ci tient à sa poésie et à sa structure si particulière: elle est en effet composée de trois cantiques [l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis], chacun étant divisé en 33 chants [à l’exception de l’Enfer, qui en compte 34, Dante ayant ajouté un chant inaugural]. Les vers de onze syllabes [hendécasyllabiques] sont regroupés par tercets dont les rimes sont enchaînées: chaque tercet s’enchaîne au suivant par le second vers. Par exemple, cet extrait du début du Chant XVIII du Paradis, où alors que le poète regarde sa bien-aimée Béatrice avec passion, celle-ci se moque gentiment de lui — “le paradis n’est pas tout dans mes yeux”, lui dit-elle—, permet de montrer l’enchaînement des vers selon le schéma suivant:
ABA – BCB – CDC – DED – EFE – etc.
Io me rovolsi à l’amoroso suono – A
del io conforto; e quai io allor vidi – B
ne li occhisanti amor, qui l’abbandono; – A
non perch’io pur del mio parlar diffidi, – B
ma per la ment che non può redire – C
sovra sé tanto, s’altri non la guidi. – B
Tanto poss’ io di quel punto ridire, – C
che, rimirando lei, lo mio affetto – D
libero fu da ogne altro disire, – C
fin che ‘l piacere etterno, che diretto – D
raggiava in Beatrice, dal bel viso – E
mi contentava col secondo aspetto – D
Vincendo me col lume d’un sorriso, – E
ella mi disse : « Volgiti e ascolta; – F
ché non pur ne’ mici occhi è paradiso»; – E
Traduit ainsi par Jacqueline Risset:
Je me tournai vers le son amoureux
de mon réconfort: et l’amour que je vis
alors dans les yeux saints, je renonce à le dire;
non que me défie de ma parole,
mais parce que la mémoire ne peut se retourner
aussi loin sur elle-même, si autrui ne la guide.
De cet instant je peux seulement redire
que la regardant, mon affection fut libérée de tout autre désir,
tant que le plaisir éternel, qui rayonnait
directement en Béatrice, me contentait par le reflet venu du beau visage.
En me vainquant par la lumière d’un sourire ,
elle me dit: «Tourne-toi et écoute;
le paradis n’est pas tout dans mes yeux.»
La publication, par «tercet» de l’œuvre de Dante semble donc de l’ordre de l’évidence, et ce d’autant plus qu’un tercet «tient» dans un tweet avec les hashtags indispensables, qui seront donc:
#divinecomedie #enfer #chant1
- [MÀJ] à partir du mardi 29 mai, le hashtag #divinecomedie sera raccourci en #DivCo
chaque tercet étant ensuite numéroté à l’intérieur de chaque chant (la numération recommencera à «1» au début de chaque nouveau chant publié).
Le rythme de publication sera quotidien. Parfois, pour des raisons de compréhension, je publierai plusieurs tercets à la suite, en faisant en sorte que leur heure de publication s’enchaîne. Pour cela, la publication sera programmée grâce à Clocktweets (rebaptisé aujourd’hui Swello) et Tweetdeck
Dernière question délicate, celle de la traduction. Originellement, je ne pensais twitter qu’en langue originale, mais il me semble nécessaire de doubler d’une traduction française. Pour des raisons de droits, je ne peux utiliser la très belle traduction de Jacqueline Risset [régulièrement rééditée en poche, par Flammarion], et j’utiliserai donc celle de Lamennais qui certes date de 1883, mais est disponible en libre sur Wikisource.