Anastase II est pape durant deux ans, onze mois et vingt trois jours, du 24 novembre 496 au 19 novembre 498. Il était Romain et le fils d’un prêtre nommé Pierre. Au Chant XI de l’Enfer (v. 8), une inscription sur une tombe, comme il est d’usage de le faire sur les sépultures des célébrités, dit: «Anastasio papa guardo» (“Je garde le pape Anastase”).
Dante place l’âme de ce pape parmi les hérétiques. Il suit ainsi l’opinion de son époque. Car lorsque Anastase II mourut subitement, ses adversaires affirmèrent que sa mort était la conséquence du “jugement divin”. L’Anonimo Fiorentino, dans son commentaire du Chant XI, donne les clés de l’accusation:
De nombreux clercs s’élevèrent contre lui, car il entretenait une amitié et une fraternité singulière et une conversation avec Photinus diacre de Thessalie; (…) et ce Photinus était familier et entaché de la même erreur d’hérésie que Acace damné pour l’Église catholique; et parce qu’Anastase a voulu communier de nouveau avec cet Acace —et Dieu ne le pouvait pas—, il a été frappé par le jugement de Dieu.
L’Henotikon, au cœur de l’affrontement
Pour comprendre l’accusation, il faut la replacer dans son contexte historique, géopolitique et religieux.
Anastase II succède à deux papes, Félix III (483-492) et Gélase Ier (492-496) qui s’opposèrent fermement à toutes les tentatives visant à résoudre le schisme entre l’Église d’Orient et l’Église d’Occident.
Au cœur de l’affrontement, la question de l’Henotikon, «une déclaration doctrinale de compromis, visant à apaiser l’opposition monophysite à la christologie des deux natures». En clair, il s’agissait d’un compromis entre deux thèses: l’une “monophysite” voulait que les deux natures (humaine et divine) soient réunies «en une seule nature» après l’incarnation, tandis que l’autre affirmait que les deux natures cohabitaient.
L’Henotikon avait été rédigé par Acace, le patriarche de Constantinople, à la demande de l’Empereur Zénon (476-491). C’est à ce texte que s’oppose donc Félix III qui frappe d’excommunication Acace.
Son successeur Gélase 1er se montre encore plus intransigeant, affirmant «qu’aucune réconciliation ne serait possible tant que les noms d’Acace (mort en 489) et d’autres personnages compromis dans l’affaire de l’Henotikon n’auraient pas été rayés des ditptyques»,1 ces listes des vivants et des défunts pour lesquels on priait dans les églises pendant la messe.
C’est de cette situation de quasi rupture entre les deux Églises, d’Orient et d’Occident, dont hérite Anastase II. Il adopte une position inverse et travaille à la réunification de l’Église. Il se trouve dans une situation politique complexe: l’Ostrogoth Théodoric, après avoir vaincu le dernier roi d’Italie, Odoacre, en 493, cherchait à son tour à se faire reconnaître roi d’Italie par l’Empereur de Byzance, Anastase 1er.
Il entre «en communion» avec Photin
Ce dernier lia la reconnaissance de Théodoric comme roi en échange de l’acceptation par le pape de l’Henotikon. Si pour Théodoric tout se passa bien, puisqu’il fut reconnu roi d’Italie (vers 498), il en alla tout autrement pour les affaires du pape.
Travaillant à la réconciliation, celui-ci avait reçu en 497 Photin (ou Photinus), le diacre de l’évêque de Thessalonique, André, que Gélase 1er avait dénoncé comme partisan d’Acace. Pire: Anastase II «entra en communion avec Photin», sans avoir consulté son clergé. Peu de temps après, Anastase II mourait subitement. Les circonstances horribles de sa mort ne purent que renforcer ses contemporains dans l’idée d’une punition divine:
Il voulut aller soulager le ventre dans des lieux secrets, par la volonté et le jugement divins, s’asseyant et s’efforçant, ses entrailles sortirent de dessous lui, et là sa vie se termina misérablement. (Anonimo Fiorentino)
Sa mort ferma temporairement la porte à toute réconciliation entre l’Église d’Orient et d’Occident sur la base de l’Henotikon.
- Illustration: Portrait – Pape Anastase II — Gallica