L’Enfer – Chant XXXI
Panorama de Monterriggioni – Photo: Vignaccia76 – CC-A-SA-3.0
Entre le huitième et le neuvième cercle • Les géants autour du puit • Nemrod • Éphialte • Briarée • Antée • Il dépose Dante et Virgile au fond du puit.
Une même langue d’abord me mordit,
rougissant l’une et l’autre de mes joues,
puis elle m’offrit le remède;•3
ainsi il se dit que la lance
d’Achille et de son père était cause
d’abord de blessures puis de guérison.•6
Nous tournâmes le dos à cette vallée de misère
par la berge qui la ceinture toute entière,
traversant sans aucune parole.•9
Là il ne faisait ni nuit ni jour,
si bien que ma vue portait peu ;
quand j’entendis le son d’un cor si puissant,•12
que tout autre son aurait paru faible,
remontant vers son origine, je tournai
mon regard tout entier vers un point.•15
Après la douloureuse déroute, quand
Charlemagne perdit la sainte armée,
Roland ne sonna pas si terriblement.•18
Peu après avoir tourné la tête de ce côté,
il me sembla voir de nombreuses hautes tours ;
alors moi : « Maître, dis-moi, quelle est cette cité?»•21
Et lui à moi : « Peut-être essaies-tu de regarder
trop loin dans les ténèbres,
et il advient que tu t’égares à imaginer.•24
Tu verras bien, si tu arrives jusque-là,
combien les sens sont trompés par la distance ;
cependant je t’invite à presser le pas.»•27
Puis tendrement il me pris par la main
et dit : « Avant que nous ne soyons plus avancés,
afin que le fait ne paraisse pas moins étrange,•30
sache que ce ne sont pas des tours, mais des géants,
et ils sont dans l’abîme à l’intérieur de la rive
tous du nombril jusqu’aux pieds.»•33
Comme lorsque le brouillard se dissipe,
le regard peu à peu distingue
ce que cache la vapeur qui dans l’air se condense,•36
ainsi perçant l’air épais et obscur,
m’approchant de plus en plus du bord,
l’erreur me quitta et ma peur grandit;•39
mais, comme sur son enceinte ronde
Monteriggioni se couronne de tours,
ainsi sur la crête qui entoure le puit•42
se dressaient comme des tours, à mi-corps,
les horribles géants que menace
encore du ciel Jupiter quand il tonne.•45
et je découvrais déjà la face de l’un d’eux,
les épaules et la poitrine et une grande partie du ventre,
et les deux bras le long des flancs.•48
Nature c’est certain, quand elle abandonna l’art
de former de tels animaux, fit bien
afin d’ôter à Mars de tels exécuteurs.•51
Et si de faire des éléphants et des baleines
elle ne se repend pas, qui la regarde exactement,
la tient pour plus juste et plus sage;•54
car lorsque les ressources de l’esprit
s’ajoutent à la volonté de nuire et à la force
il n’est aucun recours.•57
Son visage me paraissait long et large
comme la pina de Saint-Pierre de Rome,
et ses autres membres étaient en proportion;•60
si bien que la crête, qui faisait tablier
du milieu du corps vers le bas, nous en montrait tant
au-dessus, que d’atteindre la chevelure•63
trois Frisons n’auraient pu se vanter ;
car je voyais trente grands empans
de la crête à l’endroit où l’on agrafe le manteau.•66
« Raphèl maí amècche zabi almí »,
commença à crier la bouche bestiale, à laquelle
de plus doux psaumes ne convenaient pas.•69
Et mon guide lui parlant : « Âme stupide,
tiens-t’en au cor, et soulage-toi avec lui
quand la colère ou une autre passion te prend!•72
Cherche à ton cou, tu trouveras la courroie
qui le tient lié, ô âme confuse,
et voit-la, qui barre ta large poitrine.»•75
Puis il me dit : « Il s’accuse lui-même ;
c’est Nemrod dont la pensée impie fait que
dans le monde une langue unique ne s’emploie plus.•78
Laissons-le et ne parlons pas en vain ;
car chaque langue est pour lui comme la sienne
l’est aux autres, personne ne la comprend.»•81
Nous continuâmes donc notre voyage
tournant à gauche ; et à un trait d’arbalète
nous trouvâmes le second, plus féroce et plus grand.•84
Quel fût le maître artisan qui l’attacha,
je ne sais le dire, mais le bras gauche
était lié devant et l’autre derrière•87
par une chaîne qui le serrait
du cou au bas, en s’enroulant cinq fois
sur la partie découverte du corps.•90
« Ce superbe voulut essayer
son pouvoir contre Jupiter suprême »,
dit mon guide, « et il en a tel mérite.•93
Éphialte est son nom, il fit les grands exploits
quand les géants firent peur aux dieux ;
les bras qu’il levait, plus jamais ne bougeront.»•96
Et moi à lui : « S’il se peut, je voudrais
que mes yeux fassent l’expérience
de regarder Briaré dans toute sa démesure.»•99
Alors il me répondit : « Tu verras Antée;
il est près d’ici, parle et n’est pas enchaîné,
et il nous posera au fond là où est tout mal.•102
Celui que tu veux voir, est beaucoup plus loin
il est enchaîné et fait comme celui-ci,
sinon qu’il a le visage plus féroce.»•105
Jamais tremblement de terre ne fut si violent,
secoua une tour aussi fort,
que lorsque Ephialte se secoua.•108
Alors plus que jamais je craignis la mort,
et la peur seule aurait pu me tuer,
si je n’avais pas vu les chaînes.•111
Alors nous poursuivîmes plus avant,
et parvînmes à Antée, qui émergeait d’au moins
cinq aunes de la fosse, sans compter sa tête.•114
« Ô toi qui dans l’heureuse vallée
où Scipion hérita de la gloire,
quand Hannibal avec les siens prit la fuite,•117
rapporta plus de mille lions pour butin,
et qui, si tu avais participé avec tes frères
à la rude guerre, à ce que l’on croit encore,•120
les fils de la Terre auraient vaincu :
pose nous en bas —n’en aie pas dédain—
là où le Cocyte est durci par le froid.•123
Ne nous renvoie ni à Tityre ni à Typhée :
celui-ci peut donner ce qu’ici l’on désire ardemment ;
donc penche-toi et ne tords pas le nez.•126
Il peut encore te rendre célèbre dans le monde,
car il vit, et une longue vie l’attend encore
si la grâce ne le rappelle pas avant le temps.»•129
Ainsi parla le maître ; et celui-là aussitôt
étendit les mains, et prit mon guide,
dont Hercule sentit jadis la puissante étreinte.•132
Virgile, quand il se sentit enlevé,
me dit : « Approche-toi, que je te prenne » ;
et de lui et moi il fît un faisceau.•135
Ainsi semble s’incliner la Garisenda
quand on la regarde, quand un nuage passe
au-dessus, du côté inverse où elle penche:•138
tel me parut Antée à moi qui prenait garde
en le voyant s’incliner; à cet instant
j’aurais voulu prendre un autre chemin.•141
Mais avec délicatesse dans la fosse qui dévore
Lucifer avec Judas, il nous déposa ;
ainsi courbé, il resta peu,
et comme le mât d’un navire il se releva.•145
Tra il cerchio ottavo e il nono • I giganti intorno al pozzo • Nembrot • Fialte • Briareo • Anteo che posa Dante et Virgilio in fondo al pozzo.
Una medesma lingua pria mi morse,
sì che mi tinse l’una e l’altra guancia,
e poi la medicina mi riporse;•3
così od’ io che solea far la lancia
d’Achille e del suo padre esser cagione
prima di trista e poi di buona mancia.•6
Noi demmo il dosso al misero vallone
su per la ripa che ’l cinge dintorno,
attraversando sanza alcun sermone.•9
Quiv’ era men che notte e men che giorno,
sì che ’l viso m’andava innanzi poco ;
ma io senti’ sonare un alto corno,•12
tanto ch’avrebbe ogne tuon fatto fioco,
che, contra sé la sua via seguitando,
dirizzò li occhi miei tutti ad un loco.•15
Dopo la dolorosa rotta, quando
Carlo Magno perdé la santa gesta,
non sonò sì terribilmente Orlando.•18
Poco portäi in là volta la testa,
che me parve veder molte alte torri ;
ond’ io : « Maestro, dì, che terra è questa?»•21
Ed elli a me : « Però che tu trascorri
per le tenebre troppo da la lungi,
avvien che poi nel maginare abborri.•24
Tu vedrai ben, se tu là ti congiungi,
quanto ’l senso s’inganna di lontano ;
però alquanto più te stesso pungi».•27
Poi caramente mi prese per mano
e disse : « Pria che noi siam più avanti,
acciò che ’l fatto men ti paia strano,•30
sappi che non son torri, ma giganti,
e son nel pozzo intorno da la ripa
da l’umbilico in giuso tutti quanti».•33
Come quando la nebbia si dissipa,
lo sguardo a poco a poco raffigura
ciò che cela ’l vapor che l’aere stipa,•36
così forando l’aura grossa e scura,
più e più appressando ver’ la sponda,
fuggiemi errore e crescémi paura;•39
però che, come su la cerchia tonda
Montereggion di torri si corona,
così la proda che ’l pozzo circonda•42
torreggiavan di mezza la persona
li orribili giganti, cui minaccia
Giove del cielo ancora quando tuona.•45
E io scorgeva già d’alcun la faccia,
le spalle e ’l petto e del ventre gran parte,
e per le coste giù ambo le braccia.•48
Natura certo, quando lasciò l’arte
di sì fatti animali, assai fé bene
per tòrre tali essecutori a Marte.•51
E s’ella d’elefanti e di balene
non si pente, chi guarda sottilmente,
più giusta e più discreta la ne tene;•54
ché dove l’argomento de la mente
s’aggiugne al mal volere e a la possa,
nessun riparo vi può far la gente.•57
La faccia sua mi parea lunga e grossa
come la pina di San Pietro a Roma,
e a sua proporzione eran l’altre ossa;•60
sì che la ripa, ch’era perizoma
dal mezzo in giù, ne mostrava ben tanto
di sovra, che di giugnere a la chioma•63
tre Frison s’averien dato mal vanto ;
però ch’i’ ne vedea trenta gran palmi
dal loco in giù dov’ omo affibbia ’l manto.•66
« Raphèl maì amècche zabì almi »,
cominciò a gridar la fiera bocca,
cui non si convenia più dolci salmi.•69
E ’l duca mio ver’ lui : « Anima sciocca,
tienti col corno, e con quel ti disfoga
quand’ ira o altra passïon ti tocca!•72
Cércati al collo, e troverai la soga
che ’l tien legato, o anima confusa,
e vedi lui che ’l gran petto ti doga».•75
Poi disse a me : « Elli stessi s’accusa ;
questi è Nembrotto per lo cui mal coto
pur un linguaggio nel mondo non s’usa.•78
Lasciànlo stare e non parliamo a vòto ;
ché così è a lui ciascun linguaggio
come ’l suo ad altrui, ch’a nullo è noto».•81
Facemmo adunque più lungo vïaggio,
vòlti a sinistra ; e al trar d’un balestro
trovammo l’altro assai più fero e maggio.•84
A cigner lui qual che fosse ’l maestro,
non so io dir, ma el tenea soccinto
dinanzi l’altro e dietro il braccio destro•87
d’una catena che ’l tenea avvinto
dal collo in giù, sì che ’n su lo scoperto
si ravvolgëa infino al giro quinto.•90
« Questo superbo volle esser esperto
di sua potenza contra ’l sommo Giove »,
disse ’l mio duca, « ond’ elli ha cotal merto.•93
Fïalte ha nome, e fece le gran prove
quando i giganti fer paura a’ dèi ;
le braccia ch’el menò, già mai non move».•96
E io a lui : « S’esser puote, io vorrei
che de lo smisurato Brïareo
esperïenza avesser li occhi mei».•99
Ond’ ei rispuose : « Tu vedrai Anteo
presso di qui che parla ed è disciolto,
che ne porrà nel fondo d’ogne reo.•102
Quel che tu vuo’ veder, più là è molto
ed è legato e fatto come questo,
salvo che più feroce par nel volto».•105
Non fu tremoto già tanto rubesto,
che scotesse una torre così forte,
come Fïalte a scuotersi fu presto.•108
Allor temett’ io più che mai la morte,
e non v’era mestier più che la dotta,
s’io non avessi viste le ritorte.•111
Noi procedemmo più avante allotta,
e venimmo ad Anteo, che ben cinque alle,
sanza la testa, uscia fuor de la grotta.•114
« O tu che ne la fortunata valle
che fece Scipïon di gloria reda,
quand’ Anibàl co’ suoi diede le spalle,•117
recasti già mille leon per preda,
e che, se fossi stato a l’alta guerra
de’ tuoi fratelli, ancor par che si creda•120
ch’avrebber vinto i figli de la terra :
mettine giù, e non ten vegna schifo,
dove Cocito la freddura serra.•123
Non ci fare ire a Tizio né a Tifo :
questi può dar di quel che qui si brama ;
però ti china e non torcer lo grifo.•126
Ancor ti può nel mondo render fama,
ch’el vive, e lunga vita ancor aspetta
se ’nnanzi tempo grazia a sé nol chiama».•129
Così disse ’l maestro ; e quelli in fretta
le man distese, e prese ’l duca mio,
ond’ Ercule sentì già grande stretta.•132
Virgilio, quando prender si sentio,
disse a me : « Fatti qua, sì ch’io ti prenda » ;
poi fece sì ch’un fascio era elli e io.•135
Qual pare a riguardar la Carisenda
sotto ’l chinato, quando un nuvol vada
sovr’ essa sì, ched ella incontro penda:•138
tal parve Antëo a me che stava a bada
di vederlo chinare, e fu tal ora
ch’i’ avrei voluto ir per altra strada.•141
Ma lievemente al fondo che divora
Lucifero con Giuda, ci sposò ;
né, sì chinato, lì fece dimora,
e come albero in nave si levò.•145