L’Enfer – Chant XXXII

Stèle commémorative sur le site de la bataille de Montaperti portant l’inscription : «Se tu non vieni a crescer la vendetta di Montaperti perché mi moleste?» – Auteur photo: Vignaccia76 – CC – BY – SA 3.0

Neuvième cercle • Traîtres

1ère zone • Caïna (Traîtres envers leurs parents) • Les comtes de Mangona • Mordred • Focaccia dei Cancellieri • Sassol Mascheroni • Les Pazzi. 

2e zone • Antenora (Traîtres envers leur patrie) • Bocca degli Abati • Buoso da Duera • Tesauro de’ Beccheria • Gianni de’ Soldanieri • Ganelon • Tebaldello Zambiasi •  Ugolino et  Ruggieri. 

Si je trouvais les rimes âpres et rauques,

comme il conviendrait à ce sinistre gouffre

sur lequel pèsent tous les autres rochers,•3

j’exprimerais le suc de ma pensée

plus pleinement ; mais comme je ne les ai pas,

non sans crainte je me hasarde à parler;•6

car ce n’est pas entreprise à prendre à la légère

que de décrire le fond de l’univers tout entier,

ni ce babillage d’enfant qui dit maman ou papa.•9

Mais qu’aident mes vers ces dames

qui aidèrent Amphion à fortifier Thèbes,

afin que le dire ne soit pas différent du fait.•12

Ô racaille entre toutes mal née

qui demeure en ce lieu difficile à évoquer,

tu aurais mieux fait d’être mouton ou bique.•15

Quand nous fûmes au fond du puits obscur

sous les pieds du géant mais beaucoup plus bas,

et que je regardais encore le haut mur,•18

j’entendis dire : « Prends garde où tu passes :

va si tu peux sans fouler de tes pieds

les têtes de frères épuisés et misérables.»•21

Je me tournai alors, et vis devant moi

et sous mes pieds un lac auquel le gel

donnait l’apparence du verre et non de l’eau.•24 

Jamais d’un voile aussi épais

ne se couvrit l’hiver le Danube en Autriche,

ni le Tanaïs, là-bas, sous le ciel froid,•27

qu’il était ici ; si le Tambernic,

ou la Pietrapana, était tombé dessus

il n’aurait, même sur le bord, pas fait un cric.•30

Et comme la grenouille se tient pour coasser

le museau hors de l’eau, au moment où

souvent la paysanne rêve d’aller glaner,•33

les ombres dolentes étaient dans la glace,

livides, au point que la honte se voit,

claquant des dents comme font les cigognes.•36

Chacune tenait son visage tourné vers le bas ;

la bouche portait témoignage du froid,

et les yeux de la désolation du cœur.•39

Après avoir observé tout autour de moi,

je regardai à mes pieds, et j’en vis deux si serrées,

que leurs cheveux s’étaient emmêlés.•42

« Dites-moi, vous qui êtes poitrine contre poitrine »,

dis-je, « Qui êtes-vous ? » Ils cambrèrent leur cou ;

et quand ils eurent redressé leur visage vers moi,•45

leurs yeux, qui avant n’étaient mouillées qu’au dedans,

dégouttèrent sur leurs lèvres, et le gel durcit

les larmes sous les paupières et les scella.•48

Jamais cercle de fer ne serra bois contre bois

aussi fort ; eux comme deux boucs

se cognaient l’un l’autre, tant la colère les emportait.•51

Un qui avait perdu les deux oreilles

à cause du froid, et avait toujours la tête baissée,

dit : « Pourquoi nous regardes-tu aussi fixement?•54

Si tu veux savoir qui sont ces deux-là,

la vallée où descend le Bisenzo

fut à leur père Alberto ainsi qu’à eux.•57

Ils sortirent d’un même corps ; et tu pourras fouiller

toute la Caïne, tu ne trouveras pas une ombre

plus digne d’être figée en glace:•60

ni celui dont la poitrine et l’ombre

furent percées d’un coup de la main d’Arthur ;

ni Focaccia ; ni celui qui me gêne tant•63  

avec sa tête, que je ne vois plus au-delà,

et qui s’appelait Sassol Mascheroni ;

si tu es toscan, tu sais qui il fut.•66

Et pour que tu ne me fasses pas parler plus,

sache que je fus Camicion de’ Pazzi ;

et que j’attends Carlin qui me disculpera.»•69

Puis je vis mille visages bleuâtres

pris par le froid ; depuis il me vient des frissons,

et ce sera toujours, devant des eaux gelées.•72

Et tandis que nous avancions vers le centre

vers lequel converge tout ce qui pèse,

je tremblais dans les ténèbres glacées éternelles;•75

si ce fut vouloir ou destin ou hasard,

je ne sais ; mais, passant entre les têtes,

mon pied en percuta violemment une au visage.•78

Pleurant elle gronda : « Pourquoi me heurtes-tu ?

si tu ne viens pas pour accroître la vengeance

de Montaperti, pourquoi me molestes-tu?»•81

Et moi : « Mon maître, attends-moi ici,

car je veux sortir d’un doute quant à celui-ci :

puis tu me feras hâter autant que tu voudras.»•84

Mon guide s’arrêta, et je dis à celui

qui continuait ses violentes imprécations :

« Qui es-tu qui tances ainsi les autres?»•87

« Et toi qui es-tu qui va par l’Anténore, »

répondit-il, « frappant les joues des autres,

et ce serait trop fort s’ils étaient vivants?»•90

« Vivant je suis, et cela pourrait te plaire »,

fut ma réponse, « si tu désires la gloire,

que je place ton nom parmi d’autres dans mes notes.»•93

Et lui à moi : « Du contraire je suis avide.

Va-t’en d’ici, et ne m’ennuie plus,

tu sais bien mal flatter dans ce bas-fond!»•96

Alors je le pris par les cheveux de la nuque

et dit : « Il faudra que tu te nommes,

où il ne te restera aucun cheveu.»•99

Alors lui à moi : « Pourquoi m’arraches-tu les cheveux,

je ne dirai pas qui je suis, ni te le montrerai

même si mille fois tu me tombais sur la tête.»•102

J’avais déjà enroulé ses cheveux autour de ma main,

et lui en avais arraché plusieurs touffes,

et lui aboyait, ses yeux clos tournés vers le sol,•105

quand un autre cria : « Qu’as-tu, Bocca ?

Cela ne te suffit pas de claquer des dents,

que tu aboies ? Quel diable te pique?»•108

« Désormais », dis-je, « je ne veux plus que tu parles,

mauvais traître ; pour ton déshonneur

je porterai sur toi les nouvelles vraies.»•111

« Va-t’en », répondit-il, « et raconte ce que tu veux ;

mais ne te tais pas, si tu sors d’ici,

sur celui qui avait la langue si prompte.•114

Il pleure ici l’argent des Français :

“Je vis”, pourras-tu dire, “Celui de Duera,

là où les pécheurs sont mis au frais”.•117

Si on te demandait quels autres tu as vu, 

tu as à côté celui de Beccheria

dont Florence a coupé le gorgerin.•120

Gianni de’ Soldanieri se tient, je crois,

plus loin avec Ganelon et Tebaldello,

qui ouvrit Faenza quand la ville dormait.»•123

Nous l’avions déjà quitté,

quand je vis deux gelés dans un même trou,

la tête de l’un coiffant celle de l’autre;•126

et comme de faim le pain se dévore,

celui du dessus planta ses dents dans l’autre

là où le cerveau se joint à la moelle épinière:•129

Tidée ne rongea pas autrement

dans son mépris les tempes de Ménalippe,

qu’il le fit avec le crâne et le reste.•132

« O toi qui montre par un signe si bestial

ta haine contre celui que tu manges,

dis-moi le pourquoi », dis-je, « pour cela je conviens,•135

que si tu te plains de lui à raison,

sachant qui vous êtes et son crime,

dans le monde d’en haut j’en rendrai compte,

si ma langue ne se dessèche pas.»•139

Cerchio nono • Traditori 

Zona prima • Caïna (Traditori dei congiunti) • I Conti di Mangona • Mordrèo • Focaccia de’ Cancellieri • Sasol Mascheroni • Camicion dei Pazzi

Zona seconda • Antenora (Traditori politici) • Bocca degli Abati • Buoso da Duera • Tesauro de’ Beccheria • Gianni de’ Soldanieri • Gano • Tebaldello Zambiasi • Conte Ugolino e l’Arivescovo Ruggieri. 

S’ïo avessi le rime aspre e chiocce,

come si converrebbe al tristo buco

sovra ’l qual pontan tutte l’altre rocce,•3

io premerei di mio concetto il suco

più pienamente ; ma perch’ io non l’abbo,

non sanza tema a dicer mi conduco;•6

ché non è impresa da pigliare a gabbo

discriver fondo a tutto l’universo,

né da lingua che chiami mamma o babbo.•9

Ma quelle donne aiutino il mio verso

ch’aiutaro Anfïone a chiuder Tebe,

sì che dal fatto il dir non sia diverso.•12

Oh sovra tutte mal creata plebe

che stai nel loco onde parlare è duro,

mei foste state qui pecore o zebe!•15

Come noi fummo giù nel pozzo scuro

sotto i piè del gigante assai più bassi,

e io mirava ancora a l’alto muro,•18

dicere udi’mi : « Guarda come passi :

va sì, che tu non calchi con le piante

le teste de’ fratei miseri lassi».•21

Per ch’io mi volsi, e vidimi davante

e sotto i piedi un lago che per gelo

avea di vetro e non d’acqua sembiante.•24

Non fece al corso suo sì grosso velo

di verno la Danoia in Osterlicchi,

né Tanaï là sotto ’l freddo cielo,•27

com’ era quivi ; che se Tambernicchi

vi fosse sù caduto, o Pietrapana,

non avria pur da l’orlo fatto cricchi.•30

E come a gracidar si sta la rana

col muso fuor de l’acqua, quando sogna

di spigolar sovente la villana,•33

livide, insin là dove appar vergogna

eran l’ombre dolenti ne la ghiaccia,

mettendo i denti in nota di cicogna.•36

Ognuna in giù tenea volta la faccia ;

da bocca il freddo, e da li occhi il cor tristo

tra lor testimonianza si procaccia.•39

Quand’ io m’ebbi dintorno alquanto visto,

volsimi a’ piedi, e vidi due sì stretti,

che ’l pel del capo avieno insieme misto.•42

« Ditemi, voi che sì strignete i petti »,

diss’ io, « chi siete ? » E quei piegaro i colli ;

e poi ch’ebber li visi a me eretti,•45

li occhi lor, ch’eran pria pur dentro molli,

gocciar su per le labbra, e ’l gelo strinse

le lagrime tra essi e riserrolli.•48

Con legno legno spranga mai non cinse

forte così ; ond’ ei come due becchi

cozzaro insieme, tanta ira li vinse.•51

E un ch’avea perduti ambo li orecchi

per la freddura, pur col viso in giùe,

disse : « Perché cotanto in noi ti specchi?•54

Se vuoi saper chi son cotesti due,

la valle onde Bisenzo si dichina

del padre loro Alberto e di lor fue.•57

D’un corpo usciro ; e tutta la Caina

potrai cercare, e non troverai ombra

degna più d’esser fitta in gelatina:•60

non quelli a cui fu rotto il petto e l’ombra

con esso un colpo per la man d’Artù ;

$non Focaccia ; non questi che m’ingombra•63

col capo sì, ch’i’ non veggio oltre più,

e fu nomato Sassol Mascheroni ;

se tosco se’, ben sai omai chi fu.•66

E perché non mi metti in più sermoni,

sappi ch’i’ fu’ il Camiscion de’ Pazzi ;

e aspetto Carlin che mi scagioni».•69

Poscia vid’ io mille visi cagnazzi

fatti per freddo ; onde mi vien riprezzo,

e verrà sempre, de’ gelati guazzi.•72

E mentre ch’andavamo inver’ lo mezzo

al quale ogne gravezza si rauna,

e io tremava ne l’etterno rezzo;•75

se voler fu o destino o fortuna,

non so ; ma, passeggiando tra le teste,

forte percossi ’l piè nel viso ad una.•78

Piangendo mi sgridò : « Perché mi peste ?

se tu non vieni a crescer la vendetta

di Montaperti, perché mi moleste?»•81

E io : « Maestro mio, or qui m’aspetta,

sì ch’io esca d’un dubbio per costui ;

poi mi farai, quantunque vorrai, fretta».•84

Lo duca stette, e io dissi a colui

che bestemmiava duramente ancora :

« Qual se’ tu che così rampogni altrui?»•87

« Or tu chi se’ che vai per l’Antenora,

percotendo », rispuose, « altrui le gote,

sì che, se fossi vivo, troppo fora?»•90

« Vivo son io, e caro esser ti puote »,

fu mia risposta, « se dimandi fama,

ch’io metta il nome tuo tra l’altre note».•93

Ed elli a me : « Del contrario ho io brama.

Lèvati quinci e non mi dar più lagna,

ché mal sai lusingar per questa lama!»•96

Allor lo presi per la cuticagna

e dissi : « El converrà che tu ti nomi,

o che capel qui sù non ti rimagna».•99

Ond’ elli a me : « Perché tu mi dischiomi,

né ti dirò ch’io sia, né mosterrolti

se mille fiate in sul capo mi tomi».•102

Io avea già i capelli in mano avvolti,

e tratti glien’ avea più d’una ciocca,

latrando lui con li occhi in giù raccolti,•105

quando un altro gridò : « Che hai tu, Bocca ?

non ti basta sonar con le mascelle,

se tu non latri ? qual diavol ti tocca?»•108

« Omai », diss’ io, « non vo’ che più favelle,

malvagio traditor ; ch’a la tua onta

io porterò di te vere novelle».•111

« Va via », rispuose, « e ciò che tu vuoi conta ;

ma non tacer, se tu di qua entro eschi,

di quel ch’ebbe or così la lingua pronta.•114

El piange qui l’argento de’ Franceschi :

“Io vidi”, potrai dir, “quel da Duera

là dove i peccatori stanno freschi”.•117

Se fossi domandato “Altri chi v’era ?”,

tu hai dallato quel di Beccheria

di cui segò Fiorenza la gorgiera.•120

Gianni de’ Soldanier credo che sia

più là con Ganellone e Tebaldello,

ch’aprì Faenza quando si dormia».•123

Noi eravam partiti già da ello,

ch’io vidi due ghiacciati in una buca,

sì che l’un capo a l’altro era cappello;•126

e come ’l pan per fame si manduca,

così ’l sovran li denti a l’altro pose

là ’ve ’l cervel s’aggiugne con la nuca:•129

non altrimenti Tidëo si rose

le tempie a Menalippo per disdegno,

che quei faceva il teschio e l’altre cose.•132

« O tu che mostri per sì bestial segno

odio sovra colui che tu ti mangi,

dimmi ’l perché », diss’ io, « per tal convegno,•135

che se tu a ragion di lui ti piangi,

sappiendo chi voi siete e la sua pecca,

nel mondo suso ancora io te ne cangi,

se quella con ch’io parlo non si secca».•139