L’Enfer – Chant XXXIII
Le Comte Ugolin et ses enfants en prison, visités par la Faim, par Pierino da Vinci (XVIe siècle) – Domaine public
Neuvième cercle • Traîtres
2e zone • Antenora (Traîtres envers leur patrie) • La mort du conte Ugolino et de ses fils • Imprécation contre Pise.
3e zone • Tolomea (Traîtres envers leurs hôtes) • Frère Alberigo • Branca d’Oria • Imprécation contre Gênes.
Il leva la bouche du sauvage repas
ce pécheur, l’essuyant aux cheveux
de la tête dont il avait dévastée la nuque.•3
Puis il commença : « Tu veux que je ravive
la douleur de désespoir qui m’oppresse le cœur
rien qu’en y pensant, avant même d’en parler.•6
Mais si mes paroles peuvent être semence
qui fasse fruit d’infamie pour le traître que je ronge,
tu me verras tout ensemble parler et pleurer.•9
Je ne sais qui tu es ni par quel moyen
tu es venu aussi bas ; mais florentin
tu me sembles en vérité quand je t’entends.•12
Tu dois savoir que je fus le comte Ugolino,
et celui-ci est l’archevêque Ruggieri :
je vais te dire pourquoi je lui suis un tel voisin.•15
Comment par l’effet de ses viles pensées,
me fiant à lui, je fus pris
et puis mort, il est inutile de le dire;•18
mais ce que tu ne peux avoir entendu,
c’est combien ma mort fut cruelle ;
écoute, et tu sauras s’il m’a nui.•21
Un étroit pertuis dans la tour de la Muda,
qui à cause de moi a été surnommée “de la faim”,
et doit en enfermer encore d’autres,•24
m’avait déjà montré à travers son ouverture
plusieurs lunes, quand je fis le mauvais songe
qui me déchira le voile du futur.•27
Celui-ci m’apparaissait maître et seigneur,
chassant le loup et les louveteaux sur le mont
qui empêche les Pisans de voir Lucques.•30
Avec des chiennes efflanquées, acharnées
et bonnes chasseuses les Gualandi, avec les Sismondi
et les Lanfranchi s’étaient placés en tête.•33
Après une brève course le père et les enfants
me parurent fatigués, et par des crocs aiguisés
il me sembla voir leur flancs lacérés.•36
Quand je me réveillai avant le jour,
j’entendis dans leur sommeil pleurer mes fils
qui étaient avec moi, et demander du pain.•39
Tu serais bien cruel, si déjà tu ne t’affliges pas
en pensant à ce que pressentait mon cœur ;
et si tu ne pleures pas, de quoi pleures-tu donc?•42
Déjà ils étaient éveillés, et l’heure approchait
à laquelle d’habitude la nourriture était apportée,
et en raison de son rêve chacun s’alarmait;•45
et j’entendis clouer la porte du bas
de l’horrible tour ; alors je regardai
le visage de mes enfants sans dire un mot.•48
Je ne pleurais pas, mais j’étais pétrifié :
eux pleuraient ; et mon petit Anselmo dit :
“Pourquoi nous regardes-tu ainsi, Père ! Qu’as-tu?”•51
Mais je ne pleurai ni ne répondis
de toute la journée ni de la nuit qui suivit,
jusqu’à ce que le soleil revint sur le monde.•54
Comme un peu de lumière éclairait
la désolante prison, je découvris
mon propre aspect sur leurs quatre visages,•57
et de douleur je me mordis les mains ;
et eux, pensant que je faisais cela par désir
de manger, se levèrent immédiatement•60
et dirent : “Père, pour nous ce serait moins de douleur
si tu nous mangeais : tu nous a vêtus
de ces misérables chairs, dépouille-nous de celles-ci”.•63
Je m’apaisai alors pour ne pas les attrister plus ;
ce jour et le suivant nous restâmes tous muets ;
ah terre cruelle, pourquoi ne t’ouvris-tu pas?•66
Quand nous fûmes au quatrième jour,
Gaddo se jeta étendu à mes pieds,
disant : “Mon père, pourquoi tu ne me secours pas?”•69
Il mourut là ; et comme tu me vois,
je vis tomber les trois, un à un,
entre le cinquième et le sixième jour ; et je commençais,•72
déjà aveugle, à toucher à tâtons chacun d’eux,
les appelant après leur mort, deux jours durant.
Puis, ce que douleur ne put, la faim le put.»•75
Quand il eut parlé, les yeux féroces
il reprit le misérable crâne avec ses dents,
broyant l’os, comme le fait un chien.•78
Ah Pise, honte des gens
du beau pays où le “si” sonne,
puisque tes voisins sont lents à te punir,•81
que Capraia et Gorgone se déplacent,
et barrent l’Arno, à son embouchure,
pour qu’il noie dans tes murs tous les habitants!•84
Car si le conte Ugolino était réputé
t’avoir trahi avec tes forteresses, tu ne devais
pas mener ses enfants à un tel supplice.•87
Leur jeunesse les faisait innocents,
nouvelle Thèbe, Uguiccione et Brigata,
et les deux autres que mon chant a nommés.•90
Nous avançâmes, là où la glace
enveloppe rudement d’autres gens,
non le visage tourné vers le bas, mais tout renversé.•93
Les larmes elles-mêmes empêchent de pleurer,
et le pleur bloqué au-dessus des yeux,
revient à l’intérieur et fait croître l’angoisse;•96
d’abord les larmes forment des grappes,
et comme des visières de cristal,
remplissent toute la coupe, sous les cils.•99
Et bien qu’avec le froid,
comme pour une peau calleuse,
tout sensation eût disparu de mon visage,•102
il me semblait déjà sentir un vent ;
aussi je dis : « Mon maître, d’où cela vient-il ?
tout souffle n’est-il pas éteint ici-bas?»•105
alors, lui à moi : « Bientôt tu seras là
où tes yeux te donneront la réponse,
tu verras la cause à l’origine de ce vent.»•108
Et l’un des misérables de la croûte glacée
nous cria : « O âmes si cruelles
que le lieu ultime vous est alloué,•111
ôtez-moi du visage les voiles durs,
afin que je puisse un peu soulager la douleur qui m’emplit
le cœur, avant que mes pleurs ne gèlent de nouveau.»•114
Alors moi à lui : « Si tu veux que je te secoure,
dis-moi qui tu es, et si je ne t’en délivre pas,
que j’aille au fond de la glace.»•117
Il répondit alors : « Je suis frère Alberigo ;
je suis un des fruits du mauvais jardin,
et ici je reprends datte pour figue.»•120
« Ô », lui dis-je, « tu es déjà mort ? »
Et lui à moi : « Comme est mon corps
dans le monde d’en haut, je ne sais pas.•123
La Tolomée a ce privilège
que souvent l’âme y tombe
avant qu’Atropos ne l’ait mise en mouvement.•126
Et pour que plus volontiers tu me racles
du visage les larmes de verre trempé,
sache qu’aussitôt que l’âme a trahi•129
comme je le fis, son corps est enlevé
par un démon, qui le gouverne ensuite
tant que tout son temps n’est pas passé.•132
Elle est précipitée dans cette citerne ;
et peut-être voit-on encore là-haut le corps
de l’ombre qui hiverne derrière moi.•135
Tu dois le savoir, si tu viens d’arriver de là-haut :
c’est ser Branca d’Oria, et plusieurs années
ont passé depuis qu’il est enserré dans la glace.»•138
« Je crois », lui dis-je, « que tu me trompes ;
parce que Branca d’Oria n’est jamais mort,
il mange, il boit, il dort, il met des habits.»•141
« Dans la fosse au-dessus », dit-il, « de Malebranche,
là où bouillonne la poix tenace,
Michel Zanche n’était pas encore arrivé,•144
que Branca d’Oria laissa un démon à sa place
dans son corps, et un de ses proches
fit avec lui la trahison.•147
Mais à présent étend la main ;
ouvre moi les yeux. » Et moi je ne les ouvris pas ;
et ce fut courtoisie de lui être discourtois.•150
Ah Génois, hommes différents
d’autres mœurs et pétris d’autres vices
pourquoi n’êtes-vous pas chassés du monde?•153
Car à côté du pire esprit de la Romagne,
je trouvai l’un de vous, dont, pour ses œuvres,
l’âme baigne déjà dans les eaux du Cocyte,
alors que le corps paraît encore vivant sur terre.•157
Cerchio nono • Traditori
Zona seconda • Antonera (Traditori politici) • La morte del conte Ugolino e dei figli • Invettiva di Dante contro Pisa.
Zona terza • Tolomea (Traditori degli ospiti) • Frate alberigo • Branca Doria • Invettiva contro Genova.
La bocca sollevò dal fiero pasto
quel peccator, forbendola a’ capelli
del capo ch’elli avea di retro guasto.•3
Poi cominciò : « Tu vuo’ ch’io rinovelli
disperato dolor che ’l cor mi preme
già pur pensando, pria ch’io ne favelli.•6
Ma se le mie parole esser dien seme
che frutti infamia al traditor ch’i’ rodo,
parlar e lagrimar vedrai insieme.•9
Io non so chi tu se’ né per che modo
venuto se’ qua giù ; ma fiorentino
mi sembri veramente quand’ io t’odo.•12
Tu dei saper ch’i’ fui conte Ugolino,
e questi è l’arcivescovo Ruggieri :
or ti dirò perché i son tal vicino.•15
Che per l’effetto de’ suo’ mai pensieri,
fidandomi di lui, io fossi preso
e poscia morto, dir non è mestieri;•18
però quel che non puoi avere inteso,
cioè come la morte mia fu cruda,
udirai, e saprai s’e’ m’ha offeso.•21
Breve pertugio dentro da la Muda,
la qual per me ha ’l titol de la fame,
e che conviene ancor ch’altrui si chiuda,•24
m’avea mostrato per lo suo forame
più lune già, quand’ io feci ’l mal sonno
che del futuro mi squarciò ’l velame.•27
Questi pareva a me maestro e donno,
cacciando il lupo e ’ lupicini al monte
per che i Pisan veder Lucca non ponno.•30
Con cagne magre, studïose e conte
Gualandi con Sismondi e con Lanfranchi
s’avea messi dinanzi da la fronte.•33
In picciol corso mi parieno stanchi
lo padre e ’ figli, e con l’agute scane
mi parea lor veder fender li fianchi.•36
Quando fui desto innanzi la dimane,
pianger senti’ fra ’l sonno i miei figliuoli
ch’eran con meco, e dimandar del pane.•39
Ben se’ crudel, se tu già non ti duoli
pensando ciò che ’l mio cor s’annunziava ;
e se non piangi, di che pianger suoli?•42
Già eran desti, e l’ora s’appressava
che ’l cibo ne solëa essere addotto,
e per suo sogno ciascun dubitava;•45
e io senti’ chiavar l’uscio di sotto
a l’orribile torre ; ond’ io guardai
nel viso a’ mie’ figliuoi sanza far motto.•48
Io non piangëa, sì dentro impetrai :
piangevan elli ; e Anselmuccio mio
disse : “Tu guardi sì, padre ! che hai?”.•51
Perciò non lagrimai né rispuos’ io
tutto quel giorno né la notte appresso,
infin che l’altro sol nel mondo uscìo.•54
Come un poco di raggio si fu messo
nel doloroso carcere, e io scorsi
per quattro visi il mio aspetto stesso,•57
ambo le man per lo dolor mi morsi ;
ed ei, pensando ch’io ’l fessi per voglia
di manicar, di sùbito levorsi•60
e disser : “Padre, assai ci fia men doglia
se tu mangi di noi : tu ne vestisti
queste misere carni, e tu le spoglia”.•63
Queta’mi allor per non farli più tristi ;
lo dì e l’altro stemmo tutti muti ;
ahi dura terra, perché non t’apristi?•66
Poscia che fummo al quarto dì venuti,
Gaddo mi si gittò disteso a’ piedi,
dicendo : “Padre mio, ché non m’aiuti?”.•69
Quivi morì ; e come tu mi vedi,
vid’ io cascar li tre ad uno ad uno
tra ’l quinto dì e ’l sesto ; ond’ io mi diedi,•72
già cieco, a brancolar sovra ciascuno,
e due dì li chiamai, poi che fur morti.
Poscia, più che ’l dolor, poté ’l digiuno».•75
Quand’ ebbe detto ciò, con li occhi torti
riprese ’l teschio misero co’ denti,
che furo a l’osso, come d’un can, forti.•78
Ahi Pisa, vituperio de le genti
del bel paese là dove ’l sì suona,
poi che i vicini a te punir son lenti,•81
muovasi la Capraia e la Gorgona,
e faccian siepe ad Arno in su la foce,
sì ch’elli annieghi in te ogne persona!•84
Che se ’l conte Ugolino aveva voce
d’aver tradita te de le castella,
non dovei tu i figliuoi porre a tal croce.•87
Innocenti facea l’età novella,
novella Tebe, Uguiccione e ’l Brigata
e li altri due che ’l canto suso appella.•90
Noi passammo oltre, là ’ve la gelata
ruvidamente un’altra gente fascia,
non volta in giù, ma tutta riversata.•93
Lo pianto stesso lì pianger non lascia,
e ’l duol che truova in su li occhi rintoppo,
si volge in entro a far crescer l’ambascia;•96
ché le lagrime prime fanno groppo,
e sì come visiere di cristallo,
rïempion sotto ’l ciglio tutto il coppo.•99
E avvegna che, sì come d’un callo,
per la freddura ciascun sentimento
cessato avesse del mio viso stallo,•102
già mi parea sentire alquanto vento ;
per ch’io : « Maestro mio, questo chi move ?
non è qua giù ogne vapore spento?»•105
Ond’ elli a me : « Avaccio sarai dove
di ciò ti farà l’occhio la risposta,
veggendo la cagion che ’l fiato piove».•108
E un de’ tristi de la fredda crosta
gridò a noi : « O anime crudeli
tanto che data v’è l’ultima posta,•111
levatemi dal viso i duri veli,
sì ch’ïo sfoghi ’l duol che ’l cor m’impregna,
un poco, pria che ’l pianto si raggeli».•114
Per ch’io a lui : « Se vuo’ ch’i’ ti sovvegna,
dimmi chi se’, e s’io non ti disbrigo,
al fondo de la ghiaccia ir mi convegna».•117
Rispuose adunque : « I’ son frate Alberigo ;
i’ son quel da le frutta del mal orto,
che qui riprendo dattero per figo».•120
« Oh », diss’ io lui, « or se’ tu ancor morto ? »
Ed elli a me : « Come ’l mio corpo stea
nel mondo sù, nulla scïenza porto.•123
Cotal vantaggio ha questa Tolomea,
che spesse volte l’anima ci cade
innanzi ch’Atropòs mossa le dea.•126
E perché tu più volentier mi rade
le ’nvetrïate lagrime dal volto,
sappie che, tosto che l’anima trade•129
come fec’ ïo, il corpo suo l’è tolto
da un demonio, che poscia il governa
mentre che ’l tempo suo tutto sia vòlto.•132
Ella ruina in sì fatta cisterna ;
e forse pare ancor lo corpo suso
de l’ombra che di qua dietro mi verna.•135
Tu ’l dei saper, se tu vien pur mo giuso :
elli è ser Branca Doria, e son più anni
poscia passati ch’el fu sì racchiuso».•138
« Io credo », diss’ io lui, « che tu m’inganni ;
ché Branca Doria non morì unquanche,
e mangia e bee e dorme e veste panni».•141
« Nel fosso sù », diss’ el, « de’ Malebranche,
là dove bolle la tenace pece,
non era ancora giunto Michel Zanche,•144
che questi lasciò il diavolo in sua vece
nel corpo suo, ed un suo prossimano
che ’l tradimento insieme con lui fece.•147
Ma distendi oggimai in qua la mano ;
aprimi li occhi ». E io non gliel’ apersi ;
e cortesia fu lui esser villano.•150
Ahi Genovesi, uomini diversi
d’ogne costume e pien d’ogne magagna,
perché non siete voi del mondo spersi?•153
Ché col peggiore spirto di Romagna
trovai di voi un tal, che per sua opra
in anima in Cocito già si bagna,
e in corpo par vivo ancor di sopra.•157