Le Paradis — Chant X
Soleil, lune, saisons et douze mois sous forme de signes du zodiaque. Loubok (fin XVIIe début XVIIIe siècle) — Gravure sur bois russe.
Quatrième Ciel • Ciel du Soleil • Esprits inspirés de sagesse • Une couronne de douze lumières autour de Béatrice et Dante • Thomas d’Aquin présente chacun des sages.
Regardant en son fils avec l’Amour
que l’un et l’autre éternellement inspirent,
la première et ineffable Puissance•3
fit de tout ce qui par l’esprit ou dans l’espace tourne
harmonie si parfaite, que celui qui avec attention
la regarde ne peut être sans la goûter.1•6
Lève donc avec moi, lecteur, le regard
vers les hautes roues,2 droit vers ce côté
où un mouvement avec l’autre se croise;3•9
et là commence à entrer en contemplation dans l’art4
de ce maître qui l’aime d’un tel amour
que jamais son œil ne le quitte.•12
Vois comme de là5 s’éloigne
le cercle oblique qui porte les planètes,6
pour satisfaire au monde qui les appelle.•15
Car si leur voie n’était pas tortue,7
maintes vertus dans le ciel seraient vaines,
et ici-bas quasiment toute influence serait morte;8•18
et si elle s’éloignait plus ou moins loin
du cercle droit, l’ordre du monde,
et en dessus et en dessous, en serait imparfait.9•21
À présent reste, lecteur, sur ton banc,
en réfléchissant à cet avant-goût,
si tu veux la joie bien avant la fatigue.•24
Je t’ai servi : désormais nourris-toi par toi-même ;
car elle exige tout mon soin
cette matière dont je me suis fait le scribe.•27
Le plus grand des ministres de la nature,10
qui des valeurs du ciel marque le monde
et avec sa lumière en mesure le temps,•30
avait atteint ce point que j’ai déjà11
mentionné, et tournait parmi les spires
où il se montre chaque jour plus tôt;•33
et j’étais avec lui12; mais de la montée
je ne m’aperçus pas, comme on ne s’aperçoit pas
d’une pensée, avant qu’elle ne surgisse.•36
Béatrice est celle qui me conduit ainsi
de bons cieux en meilleurs cieux, si subitement
que son acte ne prend pas de temps.13•39
Comme il devait être resplendissant
ce qui était dans le soleil où j’entrai,
non par sa couleur, mais pas son éclat!•42
Même en conviant l’esprit, l’art et l’expérience,
je ne saurais le rendre imaginable ;
mais le croire se peut et le voir se désirer.•45
Et si notre imagination est basse14
pour une telle hauteur, ce n’est pas merveille ;
car jamais œil n’alla au-delà du soleil.15•48
Telle était ici la quatrième famille16
du Tout-Puissant, qui toujours la rassasie,
se montrant comme père, esprit et fils.17•51
Et Béatrice commença : « Remercie,
remercie le Soleil des anges, qui t’as élevé
à ce soleil sensible par sa grâce.»18•54
Cœur de mortel ne fut jamais aussi disposé
à la dévotion et si prompt à se donner
à Dieu de tout son gré,•57
que je me fis en entendant ces paroles ;
et mon amour se mit tout en lui,
au point qu’il éclipsa Béatrice dans l’oubli.•60
Elle n’en fut pas fâchée, mais en sourit,
et la splendeur de ses yeux rieurs
divisa mon esprit qui était uni vers un seul objet.•63
Je vis plusieurs éclats vifs et aveuglants
former une couronne dont nous étions le centre,
avec un voix plus douce qu’ils n’étaient lumineux:•66
ainsi enveloppée nous voyons parfois
la fille de Latone, quand l’air embué19
retient le halo qui lui fait écharpe.•69
Dans la cour du ciel, d’où je reviens,20
se trouvent tant de gemmes précieuses et belles
qu’on ne peut les porter hors du royaume;•72
et tel était le chant de ces lumières ;
qui n’a pas d’ailes pour voler là-haut,21
peut attendre d’un muet les nouvelles.•75
Après que, ainsi chantant, ces soleils ardents
eurent tourné autour de nous trois fois,
comme les étoiles proches des pôles,22•78
ils me parurent des dames encore
prêtes à la danse, qui s’arrêtent silencieuses,
dans l’attente de nouvelles mélodies.•81
Dans l’un j’entendis commencer : « Quand23
le rayon de la grâce, où s’allume
le véritable amour qui ensuite croît en aimant,•84
se multipliant en toi pour tant resplendir,
te conduit en haut par cette échelle
que personne ne descend sans la remonter;24•87
quiconque te refuserait le vin de son flacon
pour ta soif, n’aurait pas plus de liberté
qu’une eau qui dans la mer ne peut couler.25•90
Tu veux savoir quelles sont les fleurs qui ornent
cette guirlande, et entourent et contemplent avec amour
la belle dame par qui tu mérites le ciel.•93
Je fus l’un des agneaux du saint troupeau
que Dominique. mène par les chemins26
où de bien l’on s’engraisse si l’on ne s’égare pas.27 •96
Celui qui est le plus proche à ma droite,
fut mon frère et maître ; c’est Albert,28
il est de Cologne, et je suis Thomas d’Aquin.29•99
Et si tu veux être certain de tous les autres,
parcours de ton regard, en suivant mes paroles,
cette couronne bienheureuse.•102
Cette autre flamme sort du rire
de Gratien, qui avec l’un et l’autre décret
aida tant, qu’il plaît au paradis.30.•105
L’autre à côté, qui orne notre chœur,
fut ce Pierre qui avec cette pauvre veuve31
offrit son trésor à la Sainte Église.32•108
La cinquième lumière, parmi nous la plus belle,
respire un tel amour, que tout le monde
sur terre est avide de nouvelles:•111
en cet esprit élevé un si profond savoir
fut placé, que à voir tant —si le vrai
est vrai— un second n’est pas né.33•114
À côté vois la lumière de ce cierge34
qui en bas, dans sa chair, vit au plus profond
la nature des anges et leur ministère.35•117
Dans l’autre toute petite lumière rit
cet avocat des temps chrétiens;
à son latin Augustin eut recours.36•120
Maintenant si les yeux de ton esprit se portent
de lumière en lumière en suivant mes louanges,
déjà de la huitième tu as soif.•123
De voir tous les biens elle est réjouie
l’âme sainte qui rend manifeste
le monde trompeur à qui l’écoute bien.•126
Le corps dont elle fut chassée repose
là-bas au Ciel d’Oro ; et elle du martyr
et de l’exil en vint à cette paix.37•129
Vois flamboyer l’ardent esprit
d’Isidore38, de Bède39. et de Richard
qui par sa contemplation dépassa l’homme.40•132
Et celui-ci d’où me revient ton regard,
et la lumière d’un esprit aux si graves
pensées que mourir lui parut lent à venir:•135
c’est la lumière éternelle de Siger,
qui, enseignant dans la rue du Fouarre,41
provoqua l’envie par ses syllogismes de vérité.»42•138
Puis, comme horloge qui appelle
à l’heure où l’épouse de Dieu se lève43
pour célébrer l’époux afin qu’il l’aime,•141
qu’une partie et une autre tire et pousse,
tintinnulant avec si douces notes,44
que l’esprit bien disposé se gonfle d’amour;•144
je vis ainsi la glorieuse roue»45
se mouvoir et répondre voix à voix dans une harmonie
et une douceur qui ne peuvent être connues
que là où la joie est éternelle.•148
Ciel quarto • Cielo del Sole • Spiriti sapienti • Corona di dodici beati intorno a Beatrice e Dante • Tommaso d’Aquino presenta se stesso e gli altri beati.
Guardando nel suo Figlio con l’Amore
che l’uno e l’altro etternalmente spira,
lo primo e ineffabile Valore•3
quanto per mente e per loco si gira
con tant’ ordine fé, ch’esser non puote
sanza gustar di lui chi ciò rimira.•6
Leva dunque, lettore, a l’alte rote
meco la vista, dritto a quella parte
dove l’un moto e l’altro si percuote;•9
e lì comincia a vagheggiar ne l’arte
di quel maestro che dentro a sé l’ama,
tanto che mai da lei l’occhio non parte.•12
Vedi come da indi si dirama
l’oblico cerchio che i pianeti porta,
per sodisfare al mondo che li chiama.•15
Che se la strada lor non fosse torta,
molta virtù nel ciel sarebbe in vano,
e quasi ogne potenza qua giù morta;•18
e se dal dritto più o men lontano
fosse ’l partire, assai sarebbe manco
e giù e sù de l’ordine mondano.•21
Or ti riman, lettor, sovra ’l tuo banco,
dietro pensando a ciò che si preliba,
s’esser vuoi lieto assai prima che stanco.•24
Messo t’ho innanzi : omai per te ti ciba ;
ché a sé torce tutta la mia cura
quella materia ond’ io son fatto scriba.•27
Lo ministro maggior de la natura,
che del valor del ciel lo mondo imprenta
e col suo lume il tempo ne misura,•30
con quella parte che sù si rammenta
congiunto, si girava per le spire
in che più tosto ognora s’appresenta;•33
e io era con lui ; ma del salire
non m’accors’ io, se non com’ uom s’accorge,
anzi ’l primo pensier, del suo venire.•36
È Bëatrice quella che sì scorge
di bene in meglio, sì subitamente
che l’atto suo per tempo non si sporge.•39
Quant’ esser convenia da sé lucente
quel ch’era dentro al sol dov’ io entra’mi,
non per color, ma per lume parvente!•42
Perch’ io lo ’ngegno e l’arte e ’uso chiami,
sì nol direi che mai s’imaginasse ;
ma creder puossi e di veder si brami.•45
E se le fantasie nostre son basse
a tanta altezza, non è maraviglia ;
ché sopra ’l sol non fu occhio ch’andasse.•48
Tal era quivi la quarta famiglia
de l’alto Padre, che sempre la sazia,
mostrando come spira e come figlia.•51
E Bëatrice cominciò : « Ringrazia,
ringrazia il Sol de li angeli, ch’a questo
sensibil t’ha levato per sua grazia».•54
Cor di mortal non fu mai sì digesto
a divozione e a rendersi a Dio
con tutto ’l suo gradir cotanto presto,•57
come a quelle parole mi fec’ io ;
e sì tutto ’l mio amore in lui si mise,
che Bëatrice eclissò ne l’oblio.•60
Non le dispiacque ; ma sì se ne rise,
che lo splendor de li occhi suoi ridenti
mia mente unita in più cose divise.•63
Io vidi più folgór vivi e vincenti
far di noi centro e di sé far corona,
più dolci in voce che in vista lucenti:•66
così cinger la figlia di Latona
vedem talvolta, quando l’aere è pregno,
sì che ritenga il fil che fa la zona.•69
Ne la corte del cielo, ond’ io rivegno,
si trovan molte gioie care e belle
tanto che non si posson trar del regno;•72
e ’l canto di quei lumi era di quelle ;
chi non s’impenna sì che là sù voli,
dal muto aspetti quindi le novelle.•75
Poi, sì cantando, quelli ardenti soli
si fuor girati intorno a noi tre volte,
come stelle vicine a’ fermi poli,•78
donne mi parver, non da ballo sciolte,
ma che s’arrestin tacite, ascoltando
fin che le nove note hanno ricolte.•81
E dentro a l’un senti’ cominciar : « Quando
lo raggio de la grazia, onde s’accende
verace amore e che poi cresce amando,•84
multiplicato in te tanto resplende,
che ti conduce su per quella scala
u’ sanza risalir nessun discende;•87
qual ti negasse il vin de la sua fiala
per la tua sete, in libertà non fora
se non com’ acqua ch’al mar non si cala.•90
Tu vuo’ saper di quai piante s’infiora
questa ghirlanda che ’ntorno vagheggia
la bella donna ch’al ciel t’avvalora.•93
Io fui de li agni de la santa greggia
che Domenico mena per cammino
u’ ben s’impingua se non si vaneggia.•96
Questi che m’è a destra più vicino,
frate e maestro fummi, ed esso Alberto
è di Cologna, e io Thomas d’Aquino.•99
Se sì di tutti li altri esser vuo’ certo,
di retro al mio parlar ten vien col viso
girando su per lo beato serto.•102
Quell’ altro fiammeggiare esce del riso
di Grazïan, che l’uno e l’altro foro
aiutò sì che piace in paradiso.•105
L’altro ch’appresso addorna il nostro coro,
quel Pietro fu che con la poverella
offerse a Santa Chiesa suo tesoro.•108
La quinta luce, ch’è tra noi più bella,
spira di tale amor, che tutto ’l mondo
là giù ne gola di saper novella:•111
entro v’è l’alta mente u’ sì profondo
saver fu messo, che, se ’l vero è vero,
a veder tanto non surse il secondo.•114
Appresso vedi il lume di quel cero
che giù in carne più a dentro vide
l’angelica natura e ’l ministero.•117
Ne l’altra piccioletta luce ride
quello avvocato de’ tempi cristiani
del cui latino Augustin si provide.•120
Or se tu l’occhio de la mente trani
di luce in luce dietro a le mie lode,
già de l’ottava con sete rimani.•123
Per vedere ogne ben dentro vi gode
l’anima santa che ’l mondo fallace
fa manifesto a chi di lei ben ode.•126
Lo corpo ond’ ella fu cacciata giace
giuso in Cieldauro ; ed essa da martiro
e da essilio venne a questa pace.•129
Vedi oltre fiammeggiar l’ardente spiro
d’Isidoro, di Beda e di Riccardo,
che a considerar fu più che viro.•132
Questi onde a me ritorna il tuo riguardo,
è ’l lume d’uno spirto che ’n pensieri
gravi a morir li parve venir tardo:•135
essa è la luce etterna di Sigieri,
che, leggendo nel Vico de li Strami,
silogizzò invidïosi veri».•138
Indi, come orologio che ne chiami
ne l’ora che la sposa di Dio surge
a mattinar lo sposo perché l’ami,•141
che l’una parte e l’altra tira e urge,
tin tin sonando con sì dolce nota,
che ’l ben disposto spirto d’amor turge;•144
così vid’ ïo la gloriosa rota
muoversi e render voce a voce in tempra
e in dolcezza ch’esser non pò nota
se non colà dove gioir s’insempra.•148