Ce 6 février le président du Conseil européen, Donald Tusk, a oublié le langage diplomatique: c’est en enfer qu’il a souhaité envoyer les promoteurs du Brexit. «Un endroit spécial leur est réservé», a-t-il ajouté. Il n’en fallait pas plus pour enflammer Twitter et faire temporairement de… Dante, l’un des principaux sujets de conversation sur le réseau social outre-Manche.
- (Illustration : Détournement d’une gravure de Gustave Doré par Paul Gallantry (@pjgallantry))
Cet «étrange phénomène de viralité» a été remarqué par La Repubblica qui a consacré un article au phénomène: Così nel Regno Unito Dante è diventato virale grazie alla Brexit (Au Royaume-Uni, Dante est devenu viral grâce au Brexit). De quoi regarder de plus près.
Tout est parti d’un tweet de Donald Tusk (@eucoprésident) où il écrivait: «Je me suis demandé à quoi pourrait ressembler cet endroit spécial en enfer, réservé à ceux qui ont promu le Brexit sans même avoir l’esquisse d’un plan pour le mener à bien en toute sécurité.»
I've been wondering what that special place in hell looks like, for those who promoted #Brexit, without even a sketch of a plan how to carry it out safely.
— Donald Tusk (@eucopresident) February 6, 2019
Ce tweet a généré 26.000 retweets et a été “Liké” 91.000 fois, ce qui est un score plus qu’honorable, et un hashtag #WeAreAllDonaldTusk devait s’installer.
Très rapidement, la conversation autour du tweet dérivait sur l’enfer et la place qui devait être attribuée aux promoteurs du Brexit, les Brexiteers, Et pour cela l’Enfer de Dante, où les pécheurs sont punis selon leurs fautes constitue une formidable ressource, que ne vont pas manquer d’utiliser avec beaucoup d’humour les Britanniques.
La comparaison avec l’Enfer paraît appropriée. Paul Tomlinson (@hydrazine) n’hésite pas à citer quelques vers du Chant IV de l’Enfer, où Dante décrit « la vallée de l’abîme” pour illustrer ce que lui inspire le processus de négociation du Brexit:
Dante: "Obscure, profound it was, and #nebulous,
So that by fixing on its depths my sight
Nothing whatever I discerned therein"#brexit— Paul Tomlinson (@hydrazine) December 14, 2018
- (Texte original: «Oscura e profonda era e nebulosa / tanto che, per ficcar lo viso a fondo, / io non vi discernea alcuna cosa» — et traduction française: “Elle était tellement obscure, profonde / et embrumée que, aussi loin que se fixait / mon regard, je ne discernais rien”. — v. 10-12)
Mais où placer les Brexiteers désignés par Donald Tusk? Lucy Childs (@lullichill) suggère de les envoyer aux 4e, 8e et 9e cercles de l’enfer où sont punis respectivement «la cupidité (l’avarice), la fraude et la trahison». Même raisonnement pour Chris Haddow (@fr0mn0where). Après avoir noté que D. Tusk s’adressait en fait «à un très, très petit groupe de personnes» il pense que «peut-être trouverait-il une place pour ces personnes dans la vision de l’enfer de Dante entre les cercles 8 (Fraudeurs) et 9 (Traîtres)?»
D’autres twittos se veulent plus précis: «Nous connaissons parfaitement, grâce à Dante», écrit Steve Glover (@akicif) «les lieux destinés en enfer aux leaders de la campagne du Brexit: pour ceux qui ont menti au sujet de montagnes radieuses, il s’agit de la quatrième fosse du huitième cercle – ceux dont la tête est tordue et ne peut plus voir devant». Il évoque ainsi le Chant XX où se trouvent les âmes des devins et des prophètes.1,
Dans ce consensus, l’avis de Luke Baker (@BakerLuke) tranche. Il lui semble que «la description des Limbes par Dante pourrait convenir pour certains comme une juste description du Brexit.» Ce sont les âmes de ceux qui sont nés avant l’arrivée du Christ sur Terre qui s’y trouvent car ils n’ont pu connaître la “vraie foi”. Ils ne subissent pas les terribles peines de l’Enfer, mais ne peuvent espérer rejoindre le Paradis. Cet “entre-deux” éternel peut ressembler au Brexit, mais conviendrait-il aux Brexiteers?
D’autres ne se satisfont pas de l’Enfer tel qu’il est décrit par Dante et estiment qu’il faut ajouter un dixième cercle pour les « Brexitteers ». Mais si Clever Hedge (@cleverhedge) s’interroge encore sur l’endroit où sera inséré ce cercle «entre les cercles déjà existants de l’enfer de Dante», d’autres comme John Slater (@AmateurFOI) ou G H Neale (@GHNeale) n’hésitent pas à le placer au plus profond de l’Enfer, en dessous du cercle des «Traîtres» et de… Lucifer:
#specialplaceinhell #Dante_updated
The 1st Circle of Hell is resided by virtuous non-Christians
The 2nd: the lustful
The 3rd: gluttons
The 4th: the greedy
The 5th: the wrathful
The 6th: heretics
The 7th: the violent
The 8th: the fraudulent
The 9th: sinners
The 10th #brexitteers— G H Neale (@GHNeale) February 6, 2019
Mais Twitter ne serait pas Twitter s’il n’y avait pas détournement, comme celui proposé par Paul Gallantry (illustration d’ouverture) ou Gareth Evanson (@GarethEvanson) qui crée un délirant «Enfer du Brexit» où l’on part du cercle des «bananes droites» pour arriver à celui du «vote du peuple»:
Following Juncker’s comments yesterday-Using Dante’s Inferno & Euro Myths is this what Brexit Hell looks like?https://t.co/WqLSMSnQKc pic.twitter.com/9F4WJiRB4f
— Gareth Evanson (@GarethEvanson) February 7, 2019
Les propos de Donald Tusk amusait moins du côté des Brexiteers. L’un de leurs leaders, le conservateur Jacob Rees-Mogg (@Jacob_Rees_Mogg), devait se fendre d’un tweet furieux: «En tant que théologien, M. Tusk est loin de la classe de (Thomas) Aquin et il semble avoir oublié le commandement qui interdit le faux témoignage.»
Mr Tusk is hardly in the Aquinas class as a theologian and he seems to have forgotten the commandment about not bearing false witness. https://t.co/nnMZK5mAN8
— Jacob Rees-Mogg (@Jacob_Rees_Mogg) February 6, 2019
Cela devait lui attirer plusieurs réponses assez sèches dont celle —œil pour œil— de Paul (@PaulOnBooks): «M. Rees-Mogg comme wag2 est loin de la classe de (Donald) Tusk et il semble toujours avoir oublié le commandement qui interdit le faux témoignage».
Mr Rees-Mogg is hardly in the Tusk class as a wag and he always seems to have forgotten the commandment about not bearing false witness.
FTFY
— Paul (@PaulOnBooks) February 6, 2019
Last but not least, cette discussion twitterienne incitait certains à ouvrir, sur d’autres supports, plus largement et plus profondément leur réflexion sur le Brexit et l’Enfer. C’est le cas de Benedict Spence (@BenedictSpence) avec sa longue réflexion sur le site The Article, précisément titrée: Precisely where, in Hell, is the “special place”? A trip through Dante’s Inferno…
Dans cet article, ce Brexiteer non repentant, cherche, un peu à la manière de Dante une place pour ses contemporains, et en particulier les hommes politiques (Brexiteers ou non), dans chacun des cercles de l’Enfer: Nigel Farage et David Osborne dans le 8e cercle, celui des Fraudeurs, David Cameron et Michael Gove dans le 9e Cercle, celui des Traîtres.
Mais il ne sait où placer, Theresa May, Jeremy Corbin et le «chef des Brexiteers»:
Il n’y a pas réellement de cercle pour eux; Ils n’ont trahi personne, ni été spécialement hérétiques. Tout ce qu’ils ont fait c’est de s’en tenir à leurs principes, et faire du mieux qu’ils pouvaient selon leur compréhension du monde autour d’eux. Il n’y a pas de place dans l’Enfer de Dante pour cela.
Alors, peut-être l’Enfer de Dante est-il une fausse piste —ou a tout le moins incomplète— et il faudrait, dans ce suivre suivre Joseph Noone (@noone_joseph) lorsqu’il écrit que «L’enfer n’est ni (celui de) Bosch ni l’enfer de Dante. Pas de feu et de soufre! Ce sont des débats communs sans fin sur des solutions alternatives aux solutions alternatives avec des divisions tard dans la nuit & May poussant son Brexit vers le haut de la colline européenne à Bruxelles avant de redescendre à Londres!»
Hell will not be Bosch or Dante’s inferno. No fire and brimstone! It will be endless commons debates on alternative solutions to alternative solutions with late night divisions & May pushing her Brexit rock up the EU hill to Brussels only for it to roll back down to London! https://t.co/7YMfqOJa01
— Joseph Noone (@noone_joseph) February 7, 2019
Bref, le Brexit serait la condamnation au supplice de Sisyphe, obligé de remonter sans cesse un rocher qui roule au bas de la pente dès qu’il l’a déposé au sommet de la montagne. Mais dans ce cas, n’oublions pas que Sisyphe a été condamné pour avoir voulu —par orgueil— défier les dieux. Or, à Bruxelles, il n’y a pas de dieux…