Jacopo Rusticucci

Chant_XVI_Giovanni_Stradano

Jacopo Rusticucci était d’humble origine. C’est sans doute pour cela qu’il est le seul à être nommé au Chant VI de l’Enfer (v. 80). Le patronyme des autres personnages pour lesquels Dante interroge Caccio sur leur sort était suffisamment connu de ses contemporains pour que cela ne soit pas nécessaire. 

On sait peu de choses sur lui si ce n’est qu’il était lié aux Cavalcanti, selon l’auteur de l’Ottimo Commento.

En 1254, il fut nommé —avec Ugo della Spina— procureur spécial pour la ville de Florence lors des négociations avec les autres villes de Toscane et en 1258 Capitaine du peuple de la ville d’Arezzo. En 1266, des documents montrent qu’il était encore vivant; par la suite, sa trace se perd. 

L’Anonimo Fiorentino dit à son propos: 

Celui-ci fut un homme du peuple de Florence de basse extraction («di picciol sangue»), chevalier, il fut un homme valeureux et agréable. Son épouse était étrange et parfois désagréable, au point qu’il la quitta et s’en sépara, et la renvoya dans la maison de ses parents.

Ce commentaire explique sans doute pourquoi Dante est surpris d’apprendre qu’il se trouve «tra l’anime più nere» (“parmi les âmes les plus noires” – v. 85)

Un couple bien mal assorti

Mais qu’elle était la réalité de ce « mariage mal assorti”? 

Benvenuto da Imola donne quelques informations sur l’étrange vie de ce couple et ajoute quelques considérations qui donnent à comprendre —pour partie— les inégalités entre les hommes et les femmes dans la Florence du XIIIe siècle:

(Jacopo Rusticucci) était un soldat de Florence (…) un homme populaire, mais toujours très moral et politique (…)  homme très riche, mais sage, doux et généreux. Il pouvait être considéré comme très heureux parmi ses concitoyens; à moins que votre femme ne soit farouche et que vous ne soyez pas en mesure de vivre avec elle; en plus elle était sale. Une histoire raconte qu’après avoir introduit un jeune homme dans sa chambre, cette femme en rage courut à la fenêtre de sa maison, et se mit à crier d’une voix forte: au feu, au feu. Ensuite, selon des voisins Jacopo a quitté la chambre en menaçant de mort sa femme. Celle-ci retournait à la fenêtre, criant: ne venez pas, le feu est éteint. Ainsi il faut remarquer avec quelle prudence et compréhension les hommes doivent se comporter avec leur épouse. Voyez, comme celui-ci est apparu un valeureux soldat. Une peine plus sévère que l’enfer est de respecter une femme pénible; pendant la journée, il n’est pas de plaisir, et la nuit cela empire. 

Jacopo Rusticucci était-il réellement homosexuel, comme pourrait laisser croire l’anecdote ci-dessus et le fait qu’il se retrouve au Chant XVI de l’Enfer parmi les « sodomites”? Une phrase de Jacopo dans ce chant accuse clairement son épouse:

Jacopo Rusticucci fui, e certo

la fiera moglie più ch’altro mi nuoce»

(“je fus Jacopo Rusticucci, et certes, / ma femme féroce plus que tout m’a nui.” — v. 44-45)

Mais Boccace présente une autre version. Il indique que le péché de sodomie ne signifiait pas automatiquement l’homosexualité. Jacopo avait peut-être tout simplement pratiqué la sodomie avec son épouse.

  • Sources: Oxford Dictionnary, Paget Toynbee, Oxford, 1898, p. 321-322; Wikipedia