L’Enfer – Chant VI
«Reconnais-moi si tu peux» — Figurine en céramique, Site de Tlapacoya, Mexique, 1200-1800 av. J.-C. – Photo: Marc Mentré
Troisième cercle • Gourmands • Une pluie noire et glaciale • Cerbère • Ciacco • Prédictions: malheurs de Florence • Résurrection des damnés.
Quand je repris mes esprits, qui s’étaient perdus
de compassion pour les deux parents1
qui m’avaient tout entier confondu de tristesse,•3
de nouveaux tourments et de nouveaux tourmentés
m’apparaissent tout autour, où que j’aille,
où que je me tourne et regarde.2•6
Je suis au troisième cercle, celui de la pluie3
éternelle, maudite, froide et lourde ;
règle et nature jamais ne changent.•9
Grêle forte, eau noircie et neige
par l’air ténébreux se déversent;
la terre qui reçoit tout cela pue.4•12
Cerbère, bête cruelle et difforme,
hurle de ses trois gueules ses aboiements5
sur les gens qui sont là submergés.6•15
ses yeux sont rouges, la barbe grasse et noire,
le ventre large, les mains griffues;7
il déchire les esprits, les écorche et les écartèle.•18
La pluie les fait hurler comme les chiens;
d’un flanc ils font écran à l’autre;
et souvent ils se tournent les misérables profanateurs.8•21
Lorsque Cerbère nous aperçut, le grand ver,9
ses gueules béantes, nous montra les crocs;
il n’avait pas un membre qui ne tressaille.•24
Alors mon guide ouvrit ses deux paumes,
prit de la terre, et à pleines poignées
la jeta dans les gorges avides.10•27
Comme ce chien qui aboie affamé,
et s’apaise dès qu’il a dans sa pitance mordu,
tout occupé à la dévorer et à s’en débattre.•30
ainsi se firent les gueules souillées
du démon Cerbère, qui étourdit
tant les âmes, qu’elles voudraient être sourdes.•33
Nous passions parmi les ombres qu’accable
la lourde pluie, et nous marchions
sur leurs ombres qui semblent des personnes.11•36
Elles gisaient toutes à terre,
sauf une qui se leva pour s’asseoir, aussitôt
qu’elle nous vit passer devant elle.•39
« Ô toi qui est conduit par cet Enfer »,
me dit-elle, « reconnais-moi, si tu sais:
tu fus, avant que je ne sois défait, fait.»12•42
Et moi à elle: « L’angoisse que tu as
t’ôte peut-être de ma mémoire,
de sorte qu’il me semble ne t’avoir jamais vu.13•45
Mais dis-moi qui tu es, ce qui t’a plongé
dans ce lieu de douleur, et fait ta peine telle,
qu’aucune autre, même plus grande, n’est aussi pénible.»14•48
Et lui à moi: « Ta ville, si pleine
d’envie que déjà le sac déborde,
me tint en elle pendant la vie sereine.15•51
Vous citoyens m’appeliez Ciacco:
à cause du funeste péché de goinfrerie,
comme tu le vois, sous la pluie je me détruis.16•54
Et moi âme misérable je ne suis pas seule,
car toutes celles-ci subissent la même peine
pour même faute. » Et il se tut.17•57
Je lui répondis : « Ciacco, ton tourment
me pèse tant, qu’il me pousse à pleurer;
mais dis-moi, si tu sais, où en viendront•60
les citoyens de la cité divisée;
s’il en est un de juste; et dis-moi la raison
pour laquelle tant de discordes l’ont assaillie.»18•63
Et lui à moi: « Après longue discorde
ils en viendront au sang, et le parti sauvage19
chassera l’autre avec grands dommages.20•66
Puis il faut que celui-là tombe
avant trois soleils, et que l’autre triomphe21
avec la force de celui qui en ce moment louvoie.22•69
Il tiendra longtemps le front haut,
tenant l’autre sous un joug pesant,
quoique celui-ci en pleure et s’en révolte.23•72
Les justes sont deux, mais nul ne les écoute;24
orgueil, envie et avarice sont
les trois étincelles qui ont enflammé les cœurs.»•75
Ici prit fin son propos poignant.
Et moi à lui: « Je veux qu’encore tu m’enseignes,
et que de continuer à parler tu me fasses don.•78
Farinata et Tegghiaio, qui furent si dignes,25
Jacopo Rusticucci, Arrigo et Mosca,26
et les autres qui s’efforcèrent de faire le bien,•81
dis-moi où ils sont, et fais que je les reconnaisse;
car grand désir m’étreint de savoir
s’ils goûtent les douceurs du ciel ou les poisons de l’enfer.»•84
Et lui: « Ils sont parmi les âmes les plus noires;
divers péchés les entraînent au fond:
si tu descends assez, là tu pourras les voir.27•87
Mais quand tu seras dans le doux monde,
je te prie de me rappeler au souvenir d’autrui:
je ne te dis plus rien et ne te réponds plus rien.»•90
Alors, il roula des yeux comme s’il louchait;
il me regarda un peu puis baissa la tête:
il tomba parmi les autres aveugles, semblable à eux.28.•93
Et le guide me dit: « Il ne se réveillera plus
avant que sonne la trompe de l’ange,
quand viendra la puissance ennemie:29•96
chacun reverra sa triste tombe,
reprendra sa chair et sa figure,
entendra ce qui retentit pour l’éternité.»30•99
Ainsi nous traversâmes l’immonde magma
de pluie et d’ombres, à pas lents,
touchant un peu la vie future;•102
ainsi je lui dit: « Maître, ces tourments
croîtront-ils après le grand jugement,
ou seront-ils moindres, ou aussi cuisants?»•105
Et lui à moi: « Retourne à ta science,
qui veut que, plus la chose est parfaite,
plus elle sente le bien, et la douleur.31•108
Tous ces gens maudits
n’atteindront jamais la vraie perfection,
ce qui les attend est plutôt plus que moins.»32•111
Nous fîmes le tour par cette route,
parlant de bien plus que je n’en redis;
nous vînmes au point où elle descend:
là nous trouvâmes Ploutos, le grand ennemi.33•115
Cerchio terzo • Golosi • Pioggia, grandine e neve • Cerbero • Ciacco • Profezia: infelice Firenze • Condizione dei dannati dopo la risurrezione.
Al tornar de la mente, che si chiuse
dinanzi a la pietà d’i due cognati,
che di trestizia tutto mi confuse,•3
novi tormenti e novi tormentati
mi veggio intorno, come ch’io mi mova
e ch’io mi volga, e come che io guati.•6
Io sono al terzo cerchio, de la piova
etterna, maladetta, fredda e greve ;
regola e qualità mai non l’è nova.•9
Grandine grossa, acqua tinta e neve
per l’aere tenebroso si riversa;
pute la terra che questo riceve.•12
Cerbero, fiera crudele e diversa,
con tre gole caninamente latra
sovra la gente che quivi è sommersa.•15
Li occhi ha vermigli, la barba unta e atra,
e ’l ventre largo, e unghiate le mani ;
graffia li spirti ed iscoia ed isquatra.•18
Urlar li fa la pioggia come cani ;
de l’un de’ lati fanno a l’altro schermo ;
volgonsi spesso i miseri profani.•21
Quando ci scorse Cerbero, il gran vermo,
le bocche aperse e mostrocci le sanne ;
non avea membro che tenesse fermo.•24
E ’l duca mio distese le sue spanne,
prese la terra, e con piene le pugna
la gittò dentro a le bramose canne.•27
Qual è quel cane ch’abbaiando agogna,
e si racqueta poi che ’l pasto morde,
ché solo a divorarlo intende e pugna,•30
cotai si fecer quelle facce lorde
de lo demonio Cerbero, che ’ntrona
l’anime sì, ch’esser vorrebber sorde.•33
Noi passavam su per l’ombre che adona
la greve pioggia, e ponavam le piante
sovra lor vanità che par persona.•36
Elle giacean per terra tutte quante,
fuor d’una ch’a seder si levò, ratto
ch’ella ci vide passarsi davante.•39
« O tu che se’ per questo ’nferno tratto »,
mi disse, « riconoscimi, se sai :
tu fosti, prima ch’io disfatto, fatto ».•42
E io a lui : « L’angoscia che tu hai
forse ti tira fuor de la mia mente,
sì che non par ch’i’ ti vedessi mai.•45
Ma dimmi chi tu se’ che ’n sì dolente
loco se’ messo, e hai sì fatta pena,
che, s’altra è maggio, nulla è sì spiacente ».•48
Ed elli a me : « La tua città, ch’è piena
d’invidia sì che già trabocca il sacco,
seco mi tenne in la vita serena.•51
Voi cittadini mi chiamaste Ciacco :
per la dannosa colpa de la gola,
come tu vedi, a la pioggia mi fiacco.•54
E io anima trista non son sola,
ché tutte queste a simil pena stanno
per simil colpa ». E più non fé parola.•57
Io li rispuosi : « Ciacco, il tuo affanno
mi pesa sì, ch’a lagrimar mi ’nvita ;
ma dimmi, se tu sai, a che verranno•60
li cittadin de la città partita ;
s’alcun v’è giusto ; e dimmi la cagione
per che l’ha tanta discordia assalita ».•63
E quelli a me : « Dopo lunga tencione
verranno al sangue, e la parte selvaggia
caccerà l’altra con molta offensione.•66
Poi appresso convien che questa caggia
infra tre soli, e che l’altra sormonti
con la forza di tal che testé piaggia.•69
Alte terrà lungo tempo le fronti,
tenendo l’altra sotto gravi pesi,
come che di ciò pianga o che n’aonti.•72
Giusti son due, e non vi sono intesi ;
superbia, invidia e avarizia sono
le tre faville c’hanno i cuori accesi ».•75
Qui puose fine al lagrimabil suono.
E io a lui : « Ancor vo’ che mi ’nsegni
e che di più parlar mi facci dono.•78
Farinata e ’l Tegghiaio, che fuor sì degni,
Iacopo Rusticucci, Arrigo e ’l Mosca
e li altri ch’a ben far puoser li ’ngegni,•81
dimmi ove sono e fa ch’io li conosca ;
ché gran disio mi stringe di savere
se ’l ciel li addolcia o lo ’nferno li attosca ».•84
E quelli : « Ei son tra l’anime più nere ;
diverse colpe giù li grava al fondo :
se tanto scendi, là i potrai vedere.•87
Ma quando tu sarai nel dolce mondo,
priegoti ch’a la mente altrui mi rechi :
più non ti dico e più non ti rispondo ».•90
Li diritti occhi torse allora in biechi ;
guardommi un poco e poi chinò la testa :
cadde con essa a par de li altri ciechi.•93
E ’l duca disse a me : « Più non si desta
di qua dal suon de l’angelica tromba,
quando verrà la nimica podesta:•96
ciascun rivederà la trista tomba,
ripiglierà sua carne e sua figura,
udirà quel ch’in etterno rimbomba ».•99
Sì trapassammo per sozza mistura
de l’ombre e de la pioggia, a passi lenti,
toccando un poco la vita futura ;•102
per ch’io dissi : « Maestro, esti tormenti
crescerann’ ei dopo la gran sentenza,
o fier minori, o saran sì cocenti ? ».•105
Ed elli a me : « Ritorna a tua scïenza,
che vuol, quanto la cosa è più perfetta,
più senta il bene, e così la doglienza.•108
Tutto che questa gente maladetta
in vera perfezion già mai non vada,
di là più che di qua essere aspetta ».•111
Noi aggirammo a tondo quella strada,
parlando più assai ch’i’ non ridico ;
venimmo al punto dove si digrada :
quivi trovammo Pluto, il gran nemico.•115