Mosca de’ Lamberti

Mosca_dei_Lamberti_Stradano_canto_XXVIII_Inferno_Enfer_Chant_XXVIII
  • L’Enfer, Chant VI, v. 80 Chant XXVIII, v. 103-111
  • Illustration: Mosca dei Lamberti lève ses bras tranchés dans la 9e bolge du 8e Cercle de l’Enfer. (détails) — par Giovanni Stradano (1523-1605)

Mosca de’ Lamberti est célèbre pour avoir prononcé une phrase «Cosa fatta capo ha» devenue depuis en Italie une expression proverbiale. Elle signifie, lorsqu’une chose, une action, est faite, elle ne peut pas être défaite, et donc qu’il est inutile d’en discuter.

Dans La Divine Comédie, le lecteur rencontre Mosca en deux occasions. La première se trouve dans le Chant VI de l’Enfer. Dante interroge Ciacco sur le sort de cinq personnages parmi lesquels Mosca, «ch’a ben far puoser li ’ngegni» (“qui s’efforcèrent tant de bien faire” – v. 81). À sa grande surprise, Ciacco lui dit qu’il les trouvera «tra l’anime più nere» (“parmi les âmes les plus noires”).

Effectivement, Dante croisera le chemin de l’âme damnée de Mosca dans la 9e Bolge du 8e Cercle, parmi les âmes des semeurs de discorde et de schismes. Une apparition spectaculaire et dramatique:

(Mosca ) avea l’una e l’altra man mozza,

levando i moncherin per l’aura fosca,

sì che ’l sangue facea la faccia sozza

(il avait les mains tranchées, / levant ses moignons dans l’air obscur, / de sorte que son visage était souillé de sang — v. 103-105)

Qu’avait donc fait de si terrible ce fils d’une famille honorable, les Lamberti?1

Rien dans sa carrière n’attire particulièrement l’attention. Il fut Podestà de Viterbe, Todi et Reggio, et l’on sait qu’il est mort en 1242.

En fait, ce qui lui est reproché est survenu lors des fêtes de Pâques en 1215. Il est l’un des responsables de la division entre gibelins et guelfes, qui devait durablement fracturer la société florentine.

«Cosa fatta capo ha»

Giovanni Villani raconte cet épisode dans sa Nuova Cronica:

Durant l’année 1215 , alors que messire Gherardo Orlandi était Podestà de Florence, messire Bondelmonte de’ Bondelmonti citoyen noble de Florence promit de prendre pour épouse une jeune fille de la maison des Amidei, honorables et nobles citoyens.

Alors qu’il chevauchait par la ville, messire Bondelmonte, qui était un beau et gracieux cavalier, une dame de la maison des Donati l’appela, critiquant la jeune fille promise, comme n’étant ni belle ni de sa qualité. Elle dit: “Je vous ai gardé ma fille». Elle la lui montra et elle était très belle. Aussitôt épris par subsidio diaboli, il promit à sa mère de l’épouser.

Pour cette raison les parents de la première jeune fille promise se réunirent, et s’affligèrent de ce que messire Bondelmonte leur avait fait honte. Ainsi commença la maudite colère par laquelle Florence fut ruinée et divisée. Elle sera aggravée lorsque des nobles se réunirent ensemble pour trouver le moyen de venger cette injure en faisant honte à messire Bondelmonte .

Parmi eux, pour trouver de quelle manière il devait être offensé en le frappant ou en le blessant, se trouvait Mosca de’ Lamberti. Il prononça la parole maudite «Cosa fatta capo ha», c’est-à-dire qu’il soit tué. Et ainsi fut fait.

Le matin de la Résurrection, à Pâques, ils se réunirent dans la maison des Amidei, à Santo Stefano. Venant d’outre-Arno messire Bondelmonte vêtu noblement de neuf d’un vêtement entièrement blanc et sur un cheval blanc, passait le pont Vecchio du côté où se trouvait au pied d’un pilastre la statue de Mars. Messire Bondelmonte fut jeté désarçonné par Sciatta degli Uberti et par Mosca Lamberti, battu et blessé par Lambertuccio degli Amidei, et ses veines furent tranchées par Oderigo Fifanti et cela jusqu’à la fin; un des comtes de Gangalandi y participait aussi. Alors la cité courut aux armes et (s’emplit) de rumeurs. (VI, 38)

C’était le début de la guerre entre les Guelfes et les Gibelins. On le voit, Mosca de’ Lamberti joua —c’est le cas de le dire— le rôle de pousse au crime, ce qui explique en dépit de ses mérites, sa présence en Enfer.