Pierre Damien — Pier Damiano

Pierre_Damien_Pier_Damiano

Pierre Damien est né en 1007 à Ravenne. Dernier d’une famille pauvre de six enfants, ces parents l’abandonnent à la naissance. Il est recueilli par la femme d’un prêtre, avant de retrouver sa famille. Après la mort de ses parents, il devient gardien de pourceaux pour le compte d’un de ses frères aînés. Par la suite un autre de ses frères, Damien, archidiacre de Ravenne, le prend sous sa protection et prend en charge son éducation. En reconnaissance, il prit son nom et dès lors fut connu sous le nom de Petrus Damiani.

Après avoir étudié à Faenza et Parme, il retourne à Ravenne et devient lui-même un enseignant réputé des « arts libéraux”, c’est-à-dire du trivium et du quadrivium.

En 1037, il devient un moine ermite

Vers 1037, à l’âge de vingt-huit ou trente ans, il entre dans l’ermitage de Fonte Avellana, sur les flancs du Mont Catria, attiré par la vie solitaire et contemplative. Il suit ainsi les traces de son maître spirituel saint Romuald. La vie d’un ermite est alors de vivre enfermé dans le silence de sa cellule: 

La cellule est l’endroit où Dieu s’entretient avec les hommes, le lieu de rencontre de ceux qui vivent encore dans la chair et les esprits célestes (…) Elle est ainsi le témoin d’un dialogue secret de Dieu avec les hommes ; et quel sublime spectacle lorsque le frère reclus dans sa cellule chante la psalmodie nocturne, et pareil à une sentinelle, monte la garde devant le camp de Dieu.1

Il s’applique une discipline très rude. En effet, à la différence des moines, l’ermite se prive de viande (de lard, essentiellement) et de vin. Il se contente d’eau et d’huile pour assaisonner une nourriture composée pour l’essentiel de plantes et d’herbes. Et à tout manquement à cette discipline, l’ermite punit sa chair avec le cilice et l’auto-flagellation.

À son époque, un important théologien

Durant cette période, Damien va poursuivre son enseignement et ses recherches théologiques.

Parmi les grands spiritualistes de son temps, il est le seul qui a cherché consciemment à mettre de l’ordre à ce mouvement monastique et érémitique. Il est le seul qui ait proposé une vue théologique d’ensemble de la vie chrétienne menée au désert.2

Cette œuvre théologique, qui comprend aussi une règle de la vie monastique, a été rédigé au fil des ans à l’occasion d’une riche correspondance avec des moines, des ecclésiastiques, mais aussi les papes qui se succèdent sur le trône de saint Pierre et des rois.

Le soutien à la réforme de l’Église

Le grand combat de sa vie fut la réforme de l’Église, et il s’attache particulièrement à la lutte contre la simonie et l’incontinence cléricale, c’est-à-dire le fait que les clercs aient des relations sexuelles.

Le premier des pontifes qu’il soutiendra sera Grégoire VI. À l’occasion de son élection en 1045, «le félicita avec effusion, soutenant que son élection avait porté un coup à la simonie».3 Il ignorait alors que cette élection avait été achetée, et que Grégoire VI serait déposé un an plus tard pour… simonie. 

Avec Clément II, qui ne sera pape que neuf mois, c’est la déception en raison de «la lenteurs des progrès de la politique réformatrice», comme il lui écrit dans une lettre4

Quatre ans plus tard, en 1049, il adresse à Léon IX, pape vigoureusement réformateur, son Liber Gomorrhianus consacré à la dépravation sexuelle des clercs.  Il ne se contente pas de condamner dans cet opus les unions conjugales illicites des prêtres, il s’attaque à ce qui du point de vue de la doctrine et de la morale catholique, et aussi à ses yeux, est un pervertissement bien plus grave et qui touche aussi les moines et les ermites: l’homosexualité.

Contraint d’être le Cardinal-évêque d’Ostie

Léon IX, qui avait d’autres soucis, comme la lutte contre les Normands dans le sud de l’Italie, n’en fit pas une question prioritaire. Toutefois, il demanda à Damien de rédiger un traité théologique. Celui-ci, le Liber gratissimus est considéré comme l’un des plus importants textes sur ce sujet de son temps.5

L’énergique Etienne IX durant son très bref règne voulut donner une impulsion à la réforme et pour cela «offrit un rôle plus important à Pierre Damien, propagandiste de la réforme, en le nommant malgré ses protestations, cardinal évêque d’Ostie.»4

En 1057, il abandonne donc le monastère de Fonte Avellana dont il était devenu le prieur une dizaine d’années auparavant, en 1045, pour entrer dans la vie séculière. Il est placé à la tête de plusieurs missions pontificales stratégiques puisqu’elles concernent les relations entre le Saint Siège et le Saint Empire Romain Germanique, mais aussi les questions ecclésiastiques, les deux étant d’ailleurs à l’époque étroitement liées.

Un acteur de la réforme

C’est ainsi qu’il intervint à Milan en 1059 à la demande de Nicolas II, avec Anselme de Lucques (le futur Alexandre II), où le clergé était gangréné par la simonie et avait oublié tous ses vœux de célibat. Il s’appuya sur le mouvement des patarins, un mouvement populaire qui prônait des réformes radicales. Il obtint «la conversion de l’archevêque Gui de Milan et de son clergé au célibat et au refus de la simonie.»6

Il vint aussi en aide à Alexandre II, qu’il connaissait donc. Celui-ci élu en 1061 par le synode et soutenu par les troupes normandes venues du sud de l’Italie et était un vigoureux partisan de la réforme de l’Église. Il vit son élection contestée par une anti-pape, Pierre Cadalus qui prit le nom d’Honorius II (1061-1064). Lui avait été élu à Bâle et était soutenu par Agnès, la mère du futur Henri IV, qui était alors la régente du Saint Empire Germanique. Il était opposé à la réforme et en particulier au mouvement des patarins.

C’est Pierre Damien qui réussit à convaincre « l’arbitre », c’est-à-dire Annon, l’évêque (réformateur) de Cologne, lorsque celui-ci remplaça Agnès à la régence, de convoquer à Mantoue en mai 1064, un synode d’évêques allemands et italiens au cours duquel Alexandre II fut disculpé des accusations de simonie et définitivement reconnu comme pape.7

En 1067, Pierre Damien, réussi à obtenir d’Alexandre II le droit de démissionner. Il retourna alors dans sa chère cellule de Fonte Avellane, mais s’il poursuivit encore quelques missions. Il devait mourir à Faenza, en 1072, de retour d’une de celle-ci à Ravenne.

L’énigme du Chant XXI du Paradis

Dans le Chant XXI du Paradis, un passage énigmatique suscite une controverse.

In quel loco fu’ io Pier Damiano

e Pietro Peccator fu’ nella casa

di Nostra Donna in sul lito Adriano.

(En ce lieu je fus Pierre Damien / et Pierre Pécheur fus dans la maison / de Notre Dame sur la côte adriatique – v.121-123)

Pierre Damien et Pierre Pécheur sont-ils la même personne où s’agit-il de deux personnages distincts? L’ambiguïté repose sur l’orthographe de fu. S’il s’agit de fu, c’est « il fut » est la deuxième hypothèse est la bonne; si, par contre, on retient fu’, c’est-à-dire fui, “je fus”, c’est la première qu’il faut retenir.

De nombreux commentateurs penchent pour la première hypothèse et en premier lieu l’un des tous premiers commentateurs, Benvenuto da Imola:

Ici Pierre se décrit avec son nom propre, et avec un autre nom… Et ici on sait que beaucoup de gens se sont trompés, disant que Pierre Pécheur était un autre (moine) du même ordre que Pierre Damien, ce qui est complètement faux. Au contraire, Pierre Damien se nomme, Pierre Pécheur.

Une seule et même personne ?

Mais, à cette démonstration imparable, on objecta que le deuxième monastère cité, identifié comme étant Santa Maria in Porto à côté de Ravenne, et donc proche de la côte Adriatique n’existait pas lorsque Pierre Damien était en vie. Il a été fondé en 1094, 24 ans après sa mort par un. certain Pietro degli Onesti. Et ce dernier est supposé s’être aussi appelé Petrus peccator. Sur sa tombe (il est mort en 1119), on peut lire l’épitaphe suivante: «Hic situs est Petrus Peccans cognomine dictus…»

La solution se trouve peut-être dans la découverte de Mercati qui identifie «la casa di Nostra» avec l’abbaye de Santa Maria in Pomposa, situé sur ce qui était alors une île dans l’embouchure du Pô, non loin de Comacchio. Pierre Damien y séjourna deux ans. Enfin dernier indice, Pierre Damien signait toujours ses lettres Petrus peccator monachus.8

Bref, tous les indices concordent pour conclure que Pierre Damien et Pierre Pécheur sont une seule et même personne.