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- Le Paradis, Chant I, v. 39
- Illustration: La planète Terre – Pixabay – CC.0
Dans le Chant Ier du Paradis, Dante parle de ces «bouches» (“foce”) d’où sortent les «lumières du monde», c’est-à-dire la lumière du soleil. Mais au vers 39 il donne l’emplacement exact de l’une de ces «bouches», où cette lumière «jaillit avec meilleur cours et en même temps meilleure étoile» (”con miglior corso e con migliore stella / esce congiunta”). Cet emplacement il le décrit comme le lieu où «se joignent quatre cercles et trois croix» (“da quella / che quattro cerchi giugne con tre croci”). Ces quatre cercles et trois croix posent un double problème.
Le premier —sans doute le plus aisé à résoudre— est de savoir si expression recouvre un sens caché.
Les premiers commentateurs voyaient derrière les «quatre cercles» les quatre vertus cardinales (Prudence, Justice, Force et Tempérance), et derrière les «trois croix» les trois vertus théologales (Foi, Espérance et Charité).
Plus récemment, on a pu voir comme le fait Anna Maria Chiavacci Leonardi dans ce qui en résulte «une figure astronomique qui semble condenser l’univers en deux signes (le cercle et la croix) qui symbolisent respectivement le divin et l’humain réunis dans la personne du Christ.»1.
Les deux explications ont toutes deux leur cohérence et ne sont pas antinomiques.
Questions de géométrie dans l’espace
Mais la difficulté tient à la géométrie dans l’espace que propose Dante. Comment situer ces points? Dans une très vieille édition de 1551 de la Commedia, le commentateur anonyme expédie l’explication d’une phrase:
Quand le soleil surgit de l’équinoxe hivernale, il provoque ces croix et cercles comme on peut le voir sur une sphère matérielle.2
Un commentaire peut-être trop elliptique, mais dont il faut retenir deux éléments: l’importance de la saison (le début du printemps) dans la formation de ces figures géométriques et l’emploi d’une sphère, sans doute armillaire, pour visualiser le phénomène. Or ces globes ou sphères armillaires étaient d’emploi courant à l’époque de Dante dans les cabinets d’astronomie.
Enrico Malato3, quelques siècles plus tard, propose une explication plus détaillée:
Quand le soleil surgit en conjonction avec la constellation du Bélier, au début du printemps, quatre cercles géospatiaux se forment, parmi lesquels trois (équateur, écliptique et horizon) sont coupés à angle droit par le quatrième,le colure équinoxial4.
Mais André Pézard avait, auparavant, objecté à cette représentation: si certaines « croix » étaient bien perpendiculaires (le colure et l’équateur et la trajectoire solaire au levant et le cercle de l’horizon) il n’en va du tout de même de la rencontre du colure équinoxial et avec l’écliptique5:
L’écliptique est une circonférence oblique, et si elle coupe l’équateur, on ne peut dire qu’elle forme avec lui une «croix»: c’est plutôt un X aux branches très resserrées (23°environ). Puis pour embrouiller les choses, l’écliptique, au même point coupe la colure équinoxial, formant avec lui un autre angle oblique, complémentaire au premier. Autrement dit, nous aurions deux cercles verticaux (horizon et colure) que viennent couper deux autres cercles, l’un horizontal (l’équateur) et le dernier couché de travers (l’écliptique).
Un absolu peut-être imaginaire
Quelle est la solution? Au terme d’une longue argumentation, Anna Maria Chiavacci Leonardi, dans son commentaire du Paradis reprend la proposition avancée par O. Baldacci6. Il aboutissait à la conclusion que la figure se forme «le jour de l’équinoxe —et seulement pendant celui-ci». Ce jour-là «au système des trois cercles avec trois croix s’ajoute un quatrième cercle, celui de l’écliptique, qui passe par deux points de l’équinoxe». Ce qui conduit à la figure ci-contre, avec l’explication détaillée suivante:
- les quatre cercles: l’horizon du point E (ANBS); l’équateur (AEBO); le méridien, dans ce cas en fonction du colure équinoxial (NESO); l’écliptique (ZEZO)
- les trois croix:1) diamètre polaire et diamètre équatorial (NS+AB); 2) diamètre polaire et diamètre joignant les points équinoxiaux (NS+OE); diamètre équatorial et diamètre joignant les point équinoxiaux (AB+OE)7
Mais relève André Pézard de son côté le problème est que cela ne « colle » pas au moment décrit par Dante, car «l’équinoxe est passée depuis une semaine; le soleil se trouve donc 7 ou 8 degrés plus à l’est». Tout est-il perdu alors? Non, répond A. Pézard:
cela suffit pour que les «croix» se distinguent dans l’espace. Cette distinction suffisante, le poète la marque avec soin au vers 45, ayant même le scrupule d’ajouter un quasi.8
Et effectivement, lorsque l’on relit ce passage du Chant I du Paradis, Dante, après avoir localisé cette «bouche» d’où «jaillit avec meilleur cours et meilleure étoile» à l’endroit où se joignent quatre cercles et trois croix, poursuit:
«Cette bouche faisait ici le matin /et là le soir ; dans cet hémisphère presque tout / était blanc», (“Fatto avea di là mane e di qua sera / tal foce, e quasi tutto era là bianco / quello emisperio”)
La solution tient donc sans doute dans ce «quasi» et non dans la recherche d’un absolu géométrique et spatial peut-être imaginaire.
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