L’Enfer – Chant III

Karnak, la grande porte du Nord – Photo – Félix Teynard, 1851-1852 – Donation à Wikimedia Commons par le Metropolitan Museum of Art
par moi l’on va dans l’éternelle douleur,
par moi2 l’on va parmi le peuple perdu.•3
Justice a poussé mon suprême créateur3 ;
la divine puissance, la suprême sagesse
et le premier amour me firent4.•6
Avant moi rien ne fut créé
qui ne soit éternel, et moi éternellement je dure.
Vous qui entrez, laissez toute espérance.»•9
je les vis écrites au-dessus d’une porte ;
aussi je dis : « Maître, leur sens m’est dur.»•12
Et lui à moi, comme personne avisée :
« Ici il convient d’abandonner toute crainte ;
la moindre lâcheté5 ici doit être morte.•15
Nous sommes venus au lieu que je t’ai dit,
où tu verras les gens dans la douleur
qui ont perdu le bien d’entendement.6»•18
Et prenant ma main,
le visage joyeux, ce qui me conforta,
il me fit entrer dans les choses secrètes7.•21
Là soupirs, plaintes et hurlements de douleurs
retentissaient dans l’air sans étoile,
ce qui me fit pleurer pour commencer.•24
Langues diverses, accents horribles,
paroles de douleur, accents de colère,
voix fortes et faibles, et mains qui claquent•27
faisaient un tumulte, qui toujours
tournoyait dans cet air éternellement obscur,
comme le sable quand souffle un tourbillon.•30
Et moi, qui avait la tête toute baignée de doutes8,
je dis : « Maître, qu’est-ce que j’entends ?
Qui sont ces gens accablés de douleur?».•33
Et lui à moi : « Ce triste comportement
est celui des âmes misérables de ceux
qui vécurent sans infamie et sans louange9.•36
Elles sont mêlées au chœur infâme
des anges qui ne furent ni rebelles
ni fidèles à Dieu, mais pour eux seuls10.•39
Les cieux les chassent pour ne pas s’enlaidir
et le profond enfer ne les reçoit pas,
car les damnés en tireraient quelque gloire.»•42
Et moi : « Maître, quel poids est si lourd
qu’ils se lamentent si fort ? »
Il répondit : « Je vais te le dire très brièvement.•45
Ceux-ci n’ont pas l’espoir de mourir,
et leur aveugle vie est si basse,
qu’ils envient tout autre sort.•48
Le monde les laisse sans renommée ;
miséricorde et justice les dédaignent :
ne parlons pas d’eux, mais regarde et passe.»•51
Et moi, qui regardait, je vis une enseigne
qui en tournant courait si vite,
qu’elle me semblait indigne du moindre repos11;•54
et derrière elle venait une si longue file
de gens, que je n’aurais pas cru
que la mort en eût tant défait.•57
Après que j’en eus reconnu quelques uns,
je vis et reconnu l’ombre de celui
qui par lâcheté fit le grand refus12.•60
Aussitôt je compris et fus certain
que ceci était la secte des lâches,
qui déplaisent à Dieu et à ses ennemis.•63
Ces minables, qui ne furent jamais vivants,
étaient nus et attaqués sans cesse
par des mouches et des guêpes.•66
Elles baignaient leur visage de sang,
qui, mêlé de larmes, tombait à leurs pieds
où une répugnante vermine le recueillait.•69
Et puis comme je regardais au-delà,
je vis des gens sur la rive d’un grand fleuve13 ;
alors je dis : « Maître, permets-moi•72
de savoir qui sont ceux-là, et quel coutume
les fait tant se hâter de traverser,
comme je le discerne avec cette faible lumière.»•75
Et lui à moi : « Les choses te seront évidentes,
quand nous arrêterons nos pas
à l’Achéron fleuve de douleur.14»•78
Alors, les yeux honteux et baissés,
craignant que mon propos ne lui soit importun,
je me retins de parler jusqu’au fleuve.•81
Et voici venir vers nous dans une barque,
un vieillard, blanc de ses poils vieillis15,
criant : « Malheur à vous, âmes scélérates!•84
n’espérez plus jamais voir le ciel ;
je viens pour vous mener à l’autre rive,
dans les ténèbres éternelles, dans le feu et la glace.•87
Et toi qui est ici, âme vivante16,
sépare-toi de ceux-ci qui sont morts. »
Mais voyant que je ne m’en allais pas,•90
il dit : « Par d’autres chemins, par d’autres ports,
tu viendras sur la plage, non ici, pour passer :
une barque plus légère te portera.17.»•93
Et le guide à lui : « Charon, ne t’irrite pas :
on le veut ainsi là où se peut
ce qui se veut, et ne demande pas plus18.»•96
Alors se turent les mâchoires laineuses
du nocher du marais livide,
qui autour des yeux avait des cercles de flammes19.•99
Mais ces âmes, qui étaient prostrées et nues20,
pâlirent et claquèrent des dents,
dès qu’elles entendirent les âpres paroles.•102
Elles blasphémèrent Dieu et leurs parents,
l’espèce humaine, le lieu, le temps, l’origine
de leurs ancêtres et de leur naissance.•105
Puis elles se rassemblèrent toutes ensemble,
pleurant fort, sur la rive mauvaise
qui attend chaque homme qui ne craint pas Dieu.•108
Charon le démon aux yeux de braise
leur fait signe, les rassemble toutes ;
frappant de sa rame celles qui s’assoient.•111
Comme en automne les feuilles tombent
l’une après l’autre, jusqu’à ce que le rameau
ait vu à terre toutes ses dépouilles,•114
de même la mauvaise semence d’Adam21
se jette de ce rivage une à une,
à son signe comme l’oiseau au cri.•117
Ainsi elles disparaissent sur l’eau sombre,
et avant qu’elles soient descendues là-bas,
ici une nouvelle troupe encore s’assemble.•120
« Mon fils », dit le maître courtois,
« ceux qui meurent dans la colère de Dieu
se rassemblent ici venant de tous pays ;•123
et ils sont pressés de passer le fleuve,
car la justice divine les éperonne,
tant que la peur se change en désir.•126
Par ici jamais ne passe jamais une âme bonne ;
et donc, si Charon se plaint de toi,
tu comprends maintenant ce que signifie ses paroles.»•129
Quand il eut fini, la sombre campagne
trembla si fort, que d’épouvante
le souvenir me baigne encore de sueur.•132
La terre trempée de larmes donna un vent
d’où surgit une lumière vermeille,
qui vainquit tous mes esprits ;
et je tombai comme l’homme pris de sommeil22.•136
per me si va ne l’etterno dolore,
per me si va tra la perduta gente.•3
Giustizia mosse il mio alto fattore ;
fecemi la divina podestate,
la somma sapïenza e ’l primo amore.•6
Dinanzi a me non fuor cose create
se non etterne, e io etterno duro.
Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate.»•9
vid’ ïo scritte al sommo d’una porta ;
per ch’io : « Maestro, il senso lor m’è duro».•12
Ed elli a me, come persona accorta :
« Qui si convien lasciare ogne sospetto ;
ogne viltà convien che qui sia morta.•15
Noi siam venuti al loco ov’ i’ t’ho detto
che tu vedrai le genti dolorose
c’hanno perduto il ben de l’intelletto».•18
E poi che la sua mano a la mia puose
con lieto volto, ond’ io mi confortai,
mi mise dentro a le segrete cose.•21
Quivi sospiri, pianti e alti guai
risonavan per l’aere sanza stelle,
per ch’io al cominciar ne lagrimai.•24
Diverse lingue, orribili favelle,
parole di dolore, accenti d’ira,
voci alte e fioche, e suon di man con elle•27
facevano un tumulto, il qual s’aggira
sempre in quell’ aura sanza tempo tinta,
come la rena quando turbo spira.•30
E io ch’avea d’error la testa cinta,
dissi : « Maestro, che è quel ch’i’ odo ?
e che gent’ è che par nel duol sì vinta?».•33
Ed elli a me : « Questo misero modo
tegnon l’anime triste di coloro
che visser sanza ’nfamia e sanza lodo.•36
Mischiate sono a quel cattivo coro
de li angeli che non furon ribelli
né fur fedeli a Dio, ma per sé fuoro.•39
Caccianli i ciel per non esser men belli,
né lo profondo inferno li riceve,
ch’alcuna gloria i rei avrebber d’elli».•42
E io : « Maestro, che è tanto greve
a lor che lamentar li fa sì forte ? »
Rispuose : « Dicerolti molto breve.•45
Questi non hanno speranza di morte,
e la lor cieca vita è tanto bassa,
che ’nvidïosi son d’ogne altra sorte.•48
Fama di loro il mondo esser non lassa ;
misericordia e giustizia li sdegna :
non ragioniam di lor, ma guarda e passa».•51
E io, che riguardai, vidi una ’nsegna
che girando correva tanto ratta,
che d’ogne posa mi parea indegna;•54
e dietro le venìa sì lunga tratta
di gente, ch’i’ non averei creduto
che morte tanta n’avesse disfatta.•57
Poscia ch’io v’ebbi alcun riconosciuto,
vidi e conobbi l’ombra di colui
che fece per viltade il gran rifiuto.•60
Incontanente intesi e certo fui
che questa era la setta d’i cattivi,
a Dio spiacenti e a’ nemici sui.•63
Questi sciaurati, che mai non fur vivi,
erano ignudi e stimolati molto
da mosconi e da vespe ch’eran ivi.•66
Elle rigavan lor di sangue il volto,
che, mischiato di lagrime, a’ lor piedi
da fastidiosi vermi era ricolto.•69
E poi ch’a riguardar oltre mi diedi,
vidi genti a la riva d’un gran fiume ;
per ch’io dissi : « Maestro, or mi concedi•72
ch’i’ sappia quali sono, e qual costume
le fa di trapassar parer sì pronte,
com’ i’ discerno per lo fioco lume».•75
Ed elli a me : « Le cose ti fier conte
quando noi fermerem li nostri passi
su la trista riviera d’Acheronte».•78
Allor con li occhi vergognosi e bassi,
temendo no ’l mio dir li fosse grave,
infino al fiume del parlar mi trassi.•81
Ed ecco verso noi venir per nave
un vecchio, bianco per antico pelo,
gridando : « Guai a voi, anime prave!•84
Non isperate mai veder lo cielo :
i’ vegno per menarvi a l’altra riva
ne le tenebre etterne, in caldo e ’n gelo.•87
E tu che se’ costì, anima viva,
pàrtiti da cotesti che son morti ».
Ma poi che vide ch’io non mi partiva,•90
disse : « Per altra via, per altri porti
verrai a piaggia, non qui, per passare :
più lieve legno convien che ti porti».•93
E ’l duca lui : «Caron, non ti crucciare :
vuolsi così colà dove si puote
ciò che si vuole, e più non dimandare».•96
Quinci fuor quete le lanose gote
al nocchier de la livida palude,
che ’ntorno a li occhi avea di fiamme rote.•99
Ma quell’ anime, ch’eran lasse e nude,
cangiar colore e dibattero i denti,
ratto che ’nteser le parole crude.•102
Bestemmiavano Dio e lor parenti,
l’umana spezie e ’l loco e ’l tempo e ’l seme
di lor semenza e di lor nascimenti.•105
Poi si ritrasser tutte quante insieme,
forte piangendo, a la riva malvagia
ch’attende ciascun uom che Dio non teme.•108
Caron dimonio, con occhi di bragia
loro accennando, tutte le raccoglie ;
batte col remo qualunque s’adagia.•111
Come d’autunno si levan le foglie
l’una appresso de l’altra, fin che ’l ramo
vede a la terra tutte le sue spoglie,•114
similemente il mal seme d’Adamo
gittansi di quel lito ad una ad una,
per cenni come augel per suo richiamo.•117
Così sen vanno su per l’onda bruna,
e avanti che sien di là discese,
anche di qua nuova schiera s’auna.•120
« Figliuol mio », disse ’l maestro cortese,
« quelli che muoion ne l’ira di Dio
tutti convegnon qui d’ogne paese;•123
e pronti sono a trapassar lo rio,
ché la divina giustizia li sprona,
sì che la tema si volve in disio.•126
Quinci non passa mai anima buona ;
e però, se Caron di te si lagna,
ben puoi sapere omai che ’l suo dir suona».•129
Finito questo, la buia campagna
tremò sì forte, che de lo spavento
la mente di sudore ancor mi bagna.•132
La terra lagrimosa diede vento,
che balenò una luce vermiglia
la qual mi vinse ciascun sentimento ;
e caddi come l’uom cui sonno piglia.•136